A. Lefrançois (p. 45-69).

CHAPITRE III

L’ENLÈVEMENT

I. Une soirée et une nuit tragiques : l’enlèvement. ─ II. L’Émotion en Touraine et à Paris ; les mesures prises. ─ III. Première enquête : les préliminaires de l’attentat.


I

Le 1er vendémiaire, fête anniversaire de la République, un dîner, suivi de réception, était offert, à Tours, par le préfet Graham, aux principales autorités. Le Sénateur avait promis d’y assister avec sa femme et son fils aîné. Souffrante, Mme Clément de Ris, au dernier moment, s’excusa : son mari ne voulut pas la quitter, et le jeune homme partit seul. La voiture qui le conduisit devait ramener à Beauvais Mme veuve Bruley, amie de la famille. On l’attendait pour le dîner[1].

La journée s’avançait : il était environ cinq heures. Dans le parc, un enfant jouait, Paulin, le plus jeune fils du Sénateur ; en un champ voisin, des journaliers ramassaient la récolte de pommes de terre ; aux abords et à l’intérieur de la maison, les domestiques vaquaient à leurs occupations ; dans une pièce du rez-de-chaussée, donnant sur la cour, portes et fenêtres grandes ouvertes, car l’air était tiède, Clément de Ris était assis près de sa femme alitée. Soudain, du dehors, un bruit de chevaux, de voiture, de voix, appela son attention ; presque aussitôt, dans le vestibule, un colloque bref entre la femme de chambre et un visiteur impatient[2] ; et brusquement, avant qu’il eût pu se rendre compte de rien, le froid d’un pistolet appuyé sur son front, et ces mots : « Citoyen, êtes-vous le Sénateur Clément de Ris ? » puis, sur sa réponse affirmative : « Je m’assure de votre personne ! »

Celui qui l’interpellait de la sorte était un homme d’une trentaine d’années, grand, vêtu d’un costume moitié civil, moitié militaire, bonnet à soufflet, petite veste, et armé d’une carabine, d’un sabre et de deux pistolets, l’un dans la main droite, l’autre passé dans la ceinture. Au même instant, un second individu entrait, coiffé d’un chapeau à trois cornes, habillé d’une pelisse à la hussarde avec boutons blancs, et armé comme le premier. Il avait le teint coloré ; de grands favoris roux lui descendaient jusqu’au-dessous des joues.

Mme Clément de Ris défaillait. La femme de chambre s’avança pour la secourir ; ordre lui fut intimé de ne pas quitter la pièce où elle était. Le valet de chambre, Paul Métayer, accourut à son tour ; il fut repoussé dans la cour, d’où, troupeau apeuré, les autres serviteurs pouvaient, par les fenêtres ouvertes, voir ce qui se passait, entendre ce qui se disait dans la maison.

Les deux inconnus s’étant assurés de la personne du Sénateur, celui qui paraissait commander le somma, pistolet au poing, de les mener à son cabinet de travail, contigu à la chambre, d’ouvrir son secrétaire, son bureau, ses tiroirs, de montrer ses papiers. Ce fut trois quarts d’heure durant un pillage en règle, les moindres meubles fouillés ; tout ce qui s’y trouvait d’espèces monnayées pris, environ 1800 francs. Le brigand ne cacha pas son désappointement d’en trouver si peu. Clément de Ris jura n’en avoir pas davantage : il n’apportait de Paris que la somme présumée suffisante aux frais du séjour. De son côté, l’homme aux favoris roux allait, venait, faisait main basse sur tous les objets à sa convenance : une montre d’or à répétition, au boîtier guilloché ; des boucles d’argent ; une paire de pistolets anglais richement montés, enveloppés dans un fourreau de serge ; d’autres pistolets, de valeur moindre, qu’il brisa sur le rebord de la fenêtre. Le Sénateur faisait-il mine de résister, ou seulement de protester, aussitôt les armes des bandits étaient braquées contre sa figure.

On rentra dans la chambre. À la cheminée pendait une montre d’or, enrichie de perles fines. L’homme roux la mit dans sa poche, cependant que l’autre enjoignait à Clément de Ris de faire livrer par le maître d’office (le nommé Lebrun) toute son argenterie. Comme il tardait, une voix cria du dehors : « Si ce bêta de Clément ne finit pas promptement, il faut le fusiller chez lui ! » Lebrun fut appelé, l’argenterie remise[3] et portée par lui dans la voiture qui avait amené Mme Bruley et qu’on avait contraint le postillon, Créhelleau, de ratteler. Après quoi les brigands invitèrent Clément de Ris à les suivre. Il ne bougeait pas : « Tuez-le à côté de sa femme ! » cria la même voix. Affolée, Mme Clément de Ris suppliait qu’on épargnât la vie de son mari, qu’on le lui laissât : « Il ne lui sera fait aucun mal », répondirent les bandits, et ils poussèrent devant eux le Sénateur.

Celui-ci, durant la perquisition, s’était surtout appliqué à gagner du temps. Il n’était pas possible que parmi les gens à son service, pour la plupart ses obligés, il n’en fût pas un pour porter l’alarme au village, pour ramener du secours. Si peu qu’il gardât d’illusions sur la reconnaissance, la fidélité, le courage de son personnel, tant d’indifférence et de lâcheté l’étonnait. Que se passait-il donc ? Il le sut en arrivant sur le perron. Dans la cour, quatre bandits, vêtus, armés comme les premiers[4], surveillaient toutes les issues, menaçant qui bougeait de lui brûler la cervelle ; ainsi tenus en respect, les serviteurs étaient ramassés en un groupe immobile et muet de peur ; dans une salle basse vitrée, gardée à vue, des paysans, des voisins ; parmi eux Mme Bruley, et, ce qui le surprit davantage encore, l’officier de santé d’Azay-sur-Cher, le chirurgien Boissy. Tout cela saisi d’un rapide regard, car ses bourreaux le pressaient de monter en voiture, dans sa propre voiture ! Il étendit le bras, indigné. De la crosse d’un pistolet on lui rabattit le poignet : cela en présence de son jeune fils, accouru au bruit. L’enfant, les yeux noyés de larmes, vit emmener, bousculer, frapper son père, sans que personne osât le défendre. Une seule voix s’éleva, celle de Mme Bruley. Elle représenta aux bandits l’âge, l’état de santé de leur victime, la barbarie de leurs odieux traitements. Protestation vaine : tout au plus amena-t-elle sur le visage de l’un d’eux une fugitive compassion[5].

Tout était prêt pour le départ. Le postillon est invité à monter en selle. Il s’y refuse. On le frappe à coups de sabre. Il cède. Les brigands sautent sur leur bêtes[6]. Défense est faite aux personnes présentes de les suivre, sous peine d’être fusillées, et la voiture, un lourd cabriolet attelé de deux chevaux, s’éloigne, escortée de toute la bande.

Il est un peu plus de six heures ; le ciel est couvert, la nuit proche. Néanmoins on a bandé les yeux du Sénateur, par précaution, car il reste assez de clarté pour qu’il puisse reconnaître la direction suivie, ou, en cas de rencontre, appeler et être lui-même reconnu. Évitant les routes fréquentées, le cortège gagne Athée. Il y croise l’officier de santé du bourg, le chirurgien Petit, en visite de malades. On l’arrête. On le force à prendre place dans la voiture à côté du prisonnier. La nuit est tout à fait venue et il commence à pleuvoir. Lentement, péniblement, car de récentes pluies ont détrempé le sol, on se dirige vers Sublaines, et, de là, vers Saint-Quentin-sur-Indrois, où l’on s’informe, auprès d’habitants qu’on réveille, du chemin de Loches et de celui de Genillé[7], ignorance des lieux donnant à supposer que les auteurs du rapt ne sont pas du pays.

L’Indrois franchi sur un petit pont, l’on arrive au coteau des Rôtis, région marécageuse, où l’on n’avance qu’avec difficultés. On s’en prend au postillon ; on le malmène ; il fouette ses chevaux ; un heurt ! un arrêt ! la voiture est embourbée. En vain l’on tente de la dégager. Le temps presse ; on l’abandonne. L’argenterie, l’argent, les bijoux sont placés dans les porte-manteaux des bandits. Le Sénateur est hissé sur un cheval, dont le cavalier dételle et prend pour lui le cheval de flèche du cabriolet ; un autre brigand cède le sien au chirurgien et monte en croupe d’un de ses compagnons. Ordre est intimé au postillon de ramener à Beauvais la voiture avec le cheval de brancard, et de dire à Mme Clément de Ris qu’elle saura, avant peu, sous quelles conditions on lui rendra son mari. Et les brigands s’éloignent, emmenant leurs prisonniers.

Maintenant on est dans la forêt de Loches. La pluie tombe à verse ; l’obscurité est profonde. On demande à Clément de Ris et à Petit si la forêt leur est connue. Seul le chirurgien la connaît. – Va-t-il être pris pour guide par les ravisseurs ? Non. Car s’il peut donner, pour l’heure, des indications utiles, il pourrait, plus tard, fournir à la justice des indications dangereuses. À son tour on lui bande les yeux et l’on repart au grand trot. Par instants, la troupe s’arrête, prête l’oreille, écoute si elle n’est pas suivie ; le chef consulte avec ses compagnons ; ceux-ci pestent, jurent, frappent aux maisons de paysans qui se rencontrent, et, à voix basse, s’enquièrent où l’on est. Cette chevauchée à toute allure, sous la pluie battante, dure plusieurs heures. Où va-t-on ? les prisonniers l’ignorent. Mais à la rapidité du train, à l’eau qui les fouette tantôt à la figure, tantôt à la nuque, tantôt à droite, tantôt à gauche[8], ils devinent qu’on marche à l’aventure, qu’on est égaré, qu’on a hâte d’arriver avant le jour. Et ils vont. Ils vont sans relâche, entraînés, poussés par les brigands. Il faut, les yeux bandés, se maintenir en selle, trotter à travers fondrières, genêts, ajoncs, épines, sans pouvoir se garantir des branches qui les fouettent au visage. L’une d’elles jette à bas le chapeau du Sénateur, – un chapeau rond, haut de forme, orné d’une cocarde tricolore et garni d’une ganse à petite boucle d’acier. Il crie qu’on s’arrête, qu’on le ramasse. On en a bien le temps ! La prière reste sans réponse. Il doit, tête nue sous la pluie, poursuivre la course folle. Enfin, vers trois heures du matin, l’on semble s’orienter. On atteint la Pyramide des Chartreux, et, bientôt après, l’orée de la forêt. Encore une courte chevauchée dans la campagne et le chef commande halte.

À un bruit de portes qui s’ouvrent, à une conversation à mi-voix, qui se prolonge, entre les brigands et d’autres personnes, les prisonniers comprennent qu’on est arrivé à une maison où les ravisseurs sont connus, peut-être attendus. Cette maison (l’enquête l’apprendra) est La Beaupinaie, distante de Beauvais d’environ six lieues, appartenant au citoyen Droulin de Loches, et, durant la belle saison, habitée par ses enfants, les époux Lacroix. On parlemente quelque temps et l’on repart, au pas cette fois, à travers champs. Au bout de vingt minutes, nouvel arrêt devant une nouvelle maison à laquelle on frappe. C’est le Portail, autre propriété des Droulin-Lacroix, qu’habite le fermier Jourgeon avec sa famille et ses domestiques. Derechef on parlemente. Les brigands mettent pied à terre. Les prisonniers sont invités à en faire autant, et, les yeux toujours bandés, sont conduits par le bras dans la maison, où l’on accède par un perron de trois marches[9]. Ils y restent le temps de mener les chevaux à l’écurie. Après quoi, l’on ressort et on les descend, par une trappe, dans un souterrain, ne recevant d’air et de jour que par la trappe.

Alors seulement, autorisés à retirer leurs bandeaux, le chirurgien et le Sénateur se reconnaissent. Mais défense leur est faite d’échanger une parole, un signe. Un brigand les garde, sans qu’ils puissent distinguer ses traits ; il a la tête enveloppée d’un voile noir percé de trous à la hauteur de la bouche, du nez et des yeux, ou plutôt, – particularité qui plus tard sera notée, – vis-à-vis du seul œil droit. Les malheureux sont harassés, surtout Clément de Ris. On le serait à moins ; sa cruelle odyssée a duré plus de douze heures ! On leur apporte de la paille pour s’étendre. Ils ont faim : par la trappe, qu’on laisse levée durant le repas, on leur descend du jambon, des artichauts cuits, un melon, du pain de ménage, et du vin très mauvais sans gobelet pour le boire.

La journée du 2 se passe ainsi, sous la surveillance tantôt du brigand voilé, tantôt d’un paysan dont un voile cache également les traits. À un moment, effrayés par le tocsin qui sonne de divers côtés, tous les brigands viennent, avec leurs armes, les rejoindre dans le souterrain. Au soir tombant, ils remontent et laissent les prisonniers avec leur gardien. Bientôt le chef revient, muni d’une chandelle, d’encre, de papier, de plumes. Il fait sortir le chirurgien et le brigand de garde, et, seul avec le Sénateur, lui dicte une lettre pour sa femme. Cette lettre supplie Mme Clément de Ris, – il y va de la vie de son mari, – de réunir promptement une somme de cinquante mille francs, et de la porter, dans le délai rigoureux de huit jours, à Blois, Hôtel des Trois Marchands, où quelqu’un se trouvera pour les recevoir. C’était la rançon du Sénateur. La lettre écrite, Petit est rappelé et chargé de la remettre à destination. On lui bande les yeux. Le paysan de garde le prend sous le bras, l’emmène, le conduit à travers bois, et, après un trajet qu’il évalua à une lieue environ, s’éloigne rapidement. Le chirurgien ôte son bandeau. Il est sur la lisière de la forêt : huit heures tintent à un village voisin ; au son, il reconnaît l’horloge de Montrésor. Il s’oriente, marche toute la nuit, et, au jour, arrive à Beauvais, où il avait été précédé de la veille par le postillon ramenant la voiture. L’un et l’autre disent ce qu’ils savent, peu de chose en somme. Mais si leur récit n’éclaire pas la justice sur le lieu où Clément de Ris est détenu, il rassure momentanément tous ceux qui tremblaient pour sa vie[10].


II

Le départ des brigands emmenant le Sénateur avait laissé abasourdis les serviteurs de Beauvais. La crainte d’un retour offensif les clouait à leur inertie. À mesure toutefois que se perdait dans le lointain le bruit des chevaux et de la voiture, la présence d’esprit leur revint, et, avec elle, l’inquiétude de savoir où l’on conduisait le prisonnier. Des étages supérieurs de la maison, le valet Métayer vit la bande se diriger vers Athée. Un de ses camarades courut jusque-là, criant : Au secours ! Vain appel ; nul ne bougea ; portes et fenêtres demeurèrent closes. « Connivence manifeste des habitants avec les auteurs du rapt ! » écrira le Général Liébert[11]. Bien plutôt effet de la peur, de cette lâche peur qui, la nuit venue, verrouille le paysan chez lui, et, dans l’appel du passant en péril, n’entend qu’une invite à se terrer dans l’ombre. Que pouvaient, au surplus, sinon s’exposer aux coups, contre gens résolus et armés de toutes pièces, des villageois timides et désarmés ? Seuls les agents de la force publique étaient en mesure de donner la chasse aux brigands et d’entrer en lutte avec eux.

Par les soins de Mme Bruley, – durant toutes les péripéties du drame, admirable de sang-froid et d’énergie[12], – un exprès partit à Tours. La soirée du Préfet tirait à sa fin. La nouvelle y tomba comme foudre et jeta le désarroi parmi les personnes encore présentes. « Il faut, disaient les plus exaltés, courir sus aux brigands, les attaquer, leur arracher leur proie de vive force ; ils n’oseront pas se porter sur le prisonnier aux extrémités, puisqu’ils ont ménagé sa vie quand ils pouvaient impunément le tuer ; d’ailleurs, qui ne risque rien n’a rien ! » Si un particulier eût été en cause, l’avis sans doute aurait prévalu. Mais il y allait d’un Sénateur, d’un membre du Corps le plus considérable de l’État ; l’attentat prenait le caractère d’un crime politique ; sous le coup de la surprise, les brigands reculeraient-ils devant un meurtre visant moins la personne que la qualité de la victime ? Oui certes, il fallait agir vite pour garder contact avec eux ; mais il fallait agir avec prudence pour ne pas compromettre la vie du prisonnier. Jamais préfet ne fut plus embarrassé. Nouveau venu dans le département, sans initiative, habitué à ne rien faire que par conseil, sur tout il s’en rapportait aux instructions reçues, et le cas n’avait pas été prévu ! Il était partagé entre la crainte, en tardant trop, d’être blâmé de son inaction, et la crainte, en précipitant les choses, de prendre des mesures désapprouvées en haut lieu.

Le plus urgent était d’aviser le gouvernement. Il dépêcha à Paris un courrier, chargé d’informer de l’événement le Ministre de la Police et le Général Radet, Inspecteur de la Gendarmerie. En même temps, il ordonnait des perquisitions dans les auberges de Tours, au cas où l’un des coupables ou de leurs complices y serait réfugié, et il convoquait à son cabinet, avec le citoyen Japhet, directeur du Jury, le Général Liébert, commandant la 22e division militaire. Celui-ci, malade, se fait remplacer par son subordonné, le Général Sisclé, qui se rend à la convocation assisté du commandant de gendarmerie Boisard[13].

On tient conseil ; on discute ; on décide. Une enquête judiciaire sera ouverte par le Directeur du Jury ; le capitaine de gendarmerie Folliau se rendra sur l’heure à Beauvais pour entendre les premiers témoignages et réglera son action sur ce qu’il aura appris ; de Tours, de Loches, dont le Sous-Préfet est aussitôt informé, des colonnes partiront à la recherche des ravisseurs. Et l’on se met en campagne, mais sans entente préalable, sans unité de vues ni de direction. Faute d’abord de renseignements suffisants, bientôt, en présence de renseignements contradictoires, on procède au hasard ; on cherche pour chercher ; on agit moins qu’on ne s’agite. C’est la confusion, l’incohérence, le début, entre les pouvoirs publics, d’un antagonisme qui va s’étendre à l’infini et paralyser les recherches.

Cependant les commissaires chargés de visiter les auberges ont fait diligence. À minuit, ils arrêtent deux habitants de Chinon, le citoyen Cassenac dit de Castres, et le citoyen Monnet, son beau-frère, logés, celui-ci – ironie des mots, – à l’Hôtel de la Liberté, celui-là à l’Hôtel d’Angleterre, l’un et l’autre « chefs de chouans amnistiés et se vantant journellement d’être prêts à recommencer la lutte ». Ils avaient, le 1er vendémiaire, insulté des gardes nationaux en les appelant : foutus bleus ! Ils prenaient mal leur temps ! Ils nièrent toute participation à l’attentat et invoquèrent un alibi. On les garda néanmoins : « Il n’est pas douteux, écrivait le Préfet, qu’étant connus ils n’auront pas osé faire partie des brigands ravisseurs. Mais ils étaient restés à Tours pour examiner et faire connaître les démarches faites après la connaissance du délit. Depuis deux à trois jours, on les voyait en compagnie d’hommes suspects. ─ Ne pas les remettre en liberté tant qu’on n’est pas certain qu’ils ne sont pour rien dans l’enlèvement », répondit-on de Paris. Tous deux allaient, sans charge précise relevée contre eux, subir une détention indéfinie[14].

Tandis qu’à Tours on perquisitionne, le capitaine Folliau se rend à Beauvais. Il est rejoint par le Juge de paix du canton de Montlouis. Tous deux enquêtent de concert. De Mme Clément de Ris aucune indication utile à espérer pour l’heure : elle ne sait rien, sinon qu’on lui a pris son mari ; elle ne veut rien, sinon qu’on le lui rende. Mme Bruley, Paulin, les domestiques disent ce qu’ils savent ; peu de choses, assez toutefois pour que l’officier puisse reparcourir le trajet suivi par les ravisseurs jusqu’à la forêt. Là, il perd leurs traces et rentre à Tours (2 vendémiaire). De son côté le lieutenant Gaultron est parti de Loches avec un détachement de gendarmes, de vétérans, de gens du pays qui se sont offerts ; partout le tocsin sonne ; on fouille la forêt ; on relève le passage des brigands à la Pyramide des Chartreux ; on ramasse un poignard, un pistolet, et, parmi des traces de chevaux encore fraîches, le chapeau du Sénateur. Les vétérans voudraient qu’on suive ces traces jusqu’au bout ; mais la nuit tombe ; la chose est remise au lendemain. Le 3, on bat le pays dans une autre direction. Les vétérans insistent pour qu’on revienne où, la veille, le chapeau a été trouvé ; pour qu’on visite les maisons voisines. Le lieutenant n’a pas d’ordres. Il refuse et ramène son monde à Loches, où il rédige son rapport (3 vendémiaire).

À Paris, l’émoi, le trouble ne sont pas moindres. Le Sénat a été convoqué d’urgence et reçoit communication de l’attentat dirigé contre un de ses membres[15]. L’enlèvement défraie tous les entretiens. L’opinion semble moins inquiétée du danger dont le retour de pareilles violences menace les particuliers, qu’indignée de l’atteinte portée à l’ordre public, à la confiance renaissante. Elle y voit le prélude de nouveaux désordres. La paix consentie était-elle un leurre ? Le feu qu’on croyait éteint va-t-il se rallumer ? Les journaux, le gouvernement partagent cette appréhension. On lit dans le Journal des Débats du 6 vendémiaire : « Les brigands ont déclaré qu’ils garderaient le Sénateur comme otage, et qu’ils en agiraient avec lui de la même façon dont on se conduirait avec un individu qu’ils se réservaient de nommer. » Pur racontar, mais suggéré par le souvenir des actes de brigandage qui, dans l’Ouest, avaient précédé la dernière prise d’armes : en réplique à la loi étendant aux parents des Vendéens la responsabilité des troubles survenant dans les provinces insurgées, les chouans avaient enlevé des patriotes, dont la tête devait répondre de ce qui arriverait de mal aux royalistes ; peu après, la guerre avait repris. Allait-il en être de même ?

Fouché lui, n’hésita pas. Dès l’abord il attribua le coup aux chouans. Il reconnaissait leur faire. Il amena le Premier Consul à partager sa conviction. L’affaire étant toute politique, il espérait garder la haute main dans l’instruction, la diriger selon ses vues, impliquer dans les poursuites – à titre provisoire ou définitif – ceux qu’il jugerait utile, supprimer au besoin et par raison d’État les intermédiaires entre lui et les prévenus, se renseigner par surcroît sur les agissements des royalistes, et, en fin de compte, tirant parti contre les chouans de l’enlèvement du Sénateur, tirant parti d’eux pour assurer sa délivrance, confisquer à son profit le bénéfice du succès, affirmer son habileté et affermir son crédit.

Il avait compté sans la défiance du maître, plus ou moins circonvenu par les adversaires du Ministre. Désireux de connaître directement et par un confident sûr, attaché à sa personne, les moindres détails de l’affaire, Bonaparte députa à Tours son aide de camp Savary, avec mission d’y mener une enquête parallèle à celle de la police. C’était greffer un nouvel élément de divisions sur ceux qui existaient déjà. Savary détestait Fouché. S’il offrait toutes garanties au cas où celui-ci aurait eu des accointances avec les auteurs du rapt, on pouvait craindre qu’il n’usât de ses pouvoirs pour contrecarrer son action, ce qui advint en effet et prolongea la détention du prisonnier.

Savary partit. En route, il croisa un courrier du Général Liébert apportant au Ministre de la Guerre les premiers détails sur l’événement, sur les mesures prises, le néant des recherches, le peu de fond à faire sur les habitants du pays pour aider l’œuvre de la justice. Le Général appuyait son dire du rapport du lieutenant Gaultron, qui, mis en cause par les vétérans pour son refus de visites domiciliaires[16], avait allégué que, parmi les gens de bonne volonté qui s’étaient joints à lui, plusieurs semblaient de complicité avec les bandits et cherchaient à égarer les investigations : « La troupe seule, concluait Liébert, peut ramener le calme en ces contrées. » Et, d’urgence, il demandait, – il ne cessera pas de demander, – l’envoi d’un peu d’infanterie et de cavalerie. Des lettres privées, reçues de Tours, confirmaient, avec les exagérations de circonstance, les renseignements officiel, et, portées par les destinataires à la connaissance du public, surexcitaient au plus haut point l’opinion. On s’indignait de la lenteur des recherches, des complaisances qui semblaient y présider. Était-ce là cette fameuse police dont on menait grand bruit ? Voilà comme elle s’entendait à protéger les personnages les plus en vue ? Impuissante à prévenir les crimes, elle était incapable d’en découvrir les auteurs ! Et les commentaires d’aller leur train.

Jaloux déjà de voir Savary s’immiscer dans une affaire qu’il regardait comme son fief, Fouché supportait impatiemment ces critiques. Il écrivit au Préfet d’Indre-et-Loire et lui reprocha, en termes vifs, son manque de vigueur : « Il ne faut pas, disait-il, que les dispositions du gouvernement soient plus longtemps paralysées par la timidité, la malveillance et l’esprit de parti. » Piqué, le Préfet rejeta l’insuccès des recherches sur les militaires, qui, de leur côté, se plaignirent d’être tenus par les autorités civiles dans l’ignorance des instructions envoyées de Paris[17]. C’était le plein conflit.

On ne laissait pas néanmoins de prendre les précautions propres à favoriser la découverte des coupables. Par les soins du Général Radet, un signalement des ravisseurs était expédié dans toutes les directions. Sur des indications fournies par les dossiers de police, Fouché appelait l’attention du Préfet sur un ancien officier du Régiment de Normandie, depuis peu en résidence à Tours, le citoyen Duménil, soupçonné d’avoir dirigé l’affaire, et sur quatre individus, horreur et fléau de leur pays et capables de tous les crimes, les frères Gallion, des environs de Tours, et les frères Bayle, de La Chaume près La Châtre[18]. Enfin il prescrivait de faire étroitement garder, à Beauvais comme à Paris, les domiciles du Sénateur[19], au cas probable où ses ravisseurs, frustrés dans leur espoir de trouver de l’argent, chercheraient à le faire composer et à le mettre à rançon. « Il faut, disait-il, s’entendre avec les personnes de confiance, domestiques ou autres, de Clément de Ris, même avec quelques-uns de ses amis les plus particuliers, parce qu’on peut supposer que ce magistrat, sous le poignard des brigands, leur donnera un bon pour une somme de... à faire payer, soit par un ami, soit par un domestique de confiance. Il convient donc, si quelqu’un se présente avec un bon, une lettre de crédit de Clément de Ris, dans sa maison, que vos agents se tiennent à portée d’en avoir de suite avis, pour que l’individu soit arrêté à l’instant. » Certes avoir laissé, promis vie sauve au Sénateur, tout en le plaçant, peut-on dire sous séquestre, dénotait chez les ravisseurs le dessein de tenir un gage en garantie d’une revendication encore ignorée. Laquelle ? Un attentat tout récent, identique, en ses circonstances, à celui de Beauvais, donnait à penser qu’il s’agissait d’argent.

Dans la nuit du 14 au 15 fructidor, trois semaines à peine avant l’enlèvement de Clément de Ris, six hommes armés, vêtus de carmagnoles de différentes couleurs, de pantalons bleus garnis de cuir, et coiffés de bonnets à la hussarde, avaient envahi, dans la commune de Craon (Mayenne), le domicile du citoyen Maignan père. Celui-ci avait été arrêté, frappé, et finalement invité à fournir sur l’heure une rançon de huit mille francs. Sur sa réponse qu’il ne possédait pas chez lui pareille somme, on l’avait emmené et menacé de mort, si, dans les quarante-huit heures, ses fils n’apportaient pas en un lieu fixé, par des chemins convenus, une provision de cent louis. Le malheureux avait, sous défense de crier ni de parler, été conduit, à travers plusieurs bourgs, dans la forêt de Craon, où l’on était resté le 15 et le 16. Ce jour-là, ses fils ayant versé l’argent, il avait été rendu à la liberté. – De telles analogies entre les deux affaires donnaient à la conjecture du Ministre toute vraisemblance. La lettre apportée par Petit à Mme Clément de Ris en prouva le bien-fondé.


III

De son côté le Directeur du Jury n’avait pas été inactif. Il avait enquêté à Tours et aux environs, et voici ce qu’il avait appris.

Aux derniers jours de fructidor, divers habitants de la rue de la Scellerie avaient eu la visite de jeunes gens étrangers au pays et désireux de louer des chambres garnies. Deux de ces jeunes gens s’étaient adressés à cet effet à la femme Baussan, marchande en la dite rue. Elle ne put les satisfaire, faute de place : elle logeait à demeure un chef d’escadron d’artillerie, nommé Laroche, et une femme Janquet, laquelle avait elle-même comme pensionnaire un de ses parents, originaire de Troyes et ex-capitaine à la division du Maine de l’armée de Vendée, le citoyen Bernard Sourdat. Les étrangers n’insistèrent pas et la femme Baussan ne les revit plus ni n’entendit parler d’eux.

Le même jour, trois jeunes gens, également inconnus à Tours, s’étaient, dans la même intention, présentés chez le cafetier Baillet, demeurant même rue. Ils trouvèrent là ce qu’ils cherchaient et s’installèrent aussitôt. Ils sortaient beaucoup, de jour, de nuit, parcourant la ville et la campagne, et leurs continuelles allées et venues, leurs fréquents conciliabules avec des individus de mine suspecte, inquiétaient les gens paisibles de ce paisible quartier. Ils prenaient, seuls ou en compagnie d’amis de passage, leurs repas chez un restaurateur voisin, le sieur Duchemin. Le troisième jour complémentaire, un de ces hôtes de rencontre avait passé la nuit chez Duchemin et s’était lui-même inscrit sous le nom de Victor Dubuisson. Quant aux autres, on ne savait comme ils s’appelaient, car ils usaient entre eux de noms convenus, et Baillet avait omis de les inscrire au registre, « ignorant l’obligation d’une telle formalité » ! Sa femme avait toutefois, au vu des passeports, pris leurs noms sur une feuille ; mais la feuille ayant servi à inscrire leur dépense, les voyageurs, la note soldée, l’avaient détruite.

Après une semaine environ de séjour, ceux-ci étaient partis, laissant leurs effets, que des filles de Saint-Avertin étaient venues chercher avec un âne, pour les conduire chez Dumoy, aubergiste au bourg. Elles en avaient reçu commission d’étrangers rencontrés sur la route, et dont l’un portait sur un œil une taie de taffetas noir. Pareille particularité avait été remarquée, chez un des inconnus vus à Tours, par un marchand de la rue de la Scellerie, le sieur Bruneau.

À cela se réduisaient les renseignements recueillis à Tours. On ignorait qui étaient, d’où venaient les mystérieux personnages. Un point toutefois devait plus tard attirer l’attention, le choix d’abord fait par les aventuriers, agents présumés de l’enlèvement, de la maison même habitée par Sourdat, l’un des agents de la délivrance. N’y avait-il pas, dans cette rencontre, l’indice d’une entente entre ceux-ci et ceux-là ? d’un complot, dont l’attentat de Beauvais avait été la conséquence, mais qui, sans doute, visait au delà ? D’autre part, l’exode des hôtes de Baillet avait coïncidé avec le passage à Saint-Aignan de six cavaliers, disant se rendre en Berry, et qui s’étaient enquis, auprès d’un aubergiste de la localité, de la route de Châtillon. Or Saint-Aignan est à mi-chemin d’Azay-sur-Cher, lieu de l’enlèvement ; du Portail, lieu de la séquestration, et de Romorantin, résidence de Gondé, qu’on sait aujourd’hui avoir dirigé l’entreprise : autre indice, dont les magistrats du temps, pour des raisons d’ordre politique, s’abstinrent de faire état, mais que l’historien, soucieux uniquement de la vérité, a le devoir de retenir.

Dans la soirée du même jour où les étrangers avaient quitté Tours, et où l’on signalait le passage à Saint-Aignan de six voyageurs, trois cavaliers, porteurs de valises fort lourdes, étaient arrivés chez Dumoy. Ils demandèrent une chambre et des rafraîchissements. On leur servit du vin, des biscuits, des macarons. Ils mangèrent et burent rapidement et gagnèrent leur chambre. À leurs propos, l’aubergiste crut comprendre qu’ils venaient de Tours, où ils s’étaient donné rendez-vous. Ils furent dehors la plus grande partie du jour suivant[20] et rentrèrent le soir fort tard, accompagnés d’un quatrième cavalier. Divers indices laissaient à penser qu’ils avaient employé cette journée à explorer le pays, à concerter les dernières mesures : on avait vu des individus suspects rôder dans la campagne, aux alentours de Larçay et de Véretz ; on en avait vu se baigner dans le Cher vis-à-vis de Beauvais... La probabilité d’alors est aujourd’hui certitude. Les brigands (l’un d’eux, plus tard, en fit la confidence[21]) avaient effectivement été reconnaître les lieux ; ils avaient pris un bain dans le Cher ; ils avaient caché des armes en un champ voisin du château.

Le lendemain (1er vendémiaire), jour de l’attentat, vers trois heures de l’après-midi, les quatre cavaliers avaient quitté Saint-Avertin. Ils étaient armés de fusils et bourgeoisement vêtus, chapeaux à trois cornes, longues redingotes à boutons de métal, gilets montants, larges cravates nouées autour du col, culottes ajustées au-dessous du genou. On les eût pris pour des chasseurs, n’étaient les sabres et les pistolets débordant les porte-manteaux placés en travers de leurs selles. À la sortie du bourg, deux piétons, venus d’un village voisin, les avaient rejoints. Se dirigeant vers Larçay, la troupe passa près d’une ferme appartenant au citoyen Martin Dansault. Dans un pré, attenant à l’habitation, un cheval paissait. En moins de rien, le cheval est pris, sellé, bridé de harnais tenus en réserve par les cavaliers, enfourché par l’un des piétons, et l’on repart. Les gens de la ferme ont vu le vol : ils s’arment, qui de fusils, qui de fourches, qui de bâtons, et donnent la chasse aux bandits. Serrés de près, ceux-ci se jettent dans les bois de Larçay, mettent pied à terre, et, abrités derrière les arbres, tirent sur les paysans, qui ripostent et, se sentant inférieurs à leurs adversaires, s’éloignent. Les brigands profitent du répit pour gagner les hauteurs dominant le Cher. À la ferme de Juspillard, propriété de Pierre Goupil, ils volent un second cheval, que monte le second piéton. Dès lors, libres de leur allure, ils détalent à grand train, quittent les chemins de traverse et rejoignent la route qui, par Larçay, Véretz, Azay-sur-Cher, longe la rivière dans la direction de Bléré.

On traverse Véretz au galop. Mais, si vites que soient les chevaux, le maire, du seuil de sa maison, a eu le temps de remarquer qu’un des cavaliers est borgne. Un peu plus loin, la bande se heurte à un groupe de paysans. Ce sont Dansault et Goupil, qui, par des raccourcis, l’ont devancée. Goupil réclame son cheval : « Soyez tranquilles, est-il répondu ; vos chevaux ne sont pas perdus. Ces messieurs veulent faire une partie de chasse. Vous les aurez ce soir ou demain. Nous ne sommes pas des voleurs. » Et, tirant de sa poche un franc cinquante qu’il leur tend, le bandit leur enjoint de les accompagner. Un bois borde la route. Goupil s’y jette, essuie un coup de feu qui ne l’atteint pas, et se sauve. Les brigands poursuivent leur course, contournent Azay-sur-Cher, et, rencontrant à cheval l’officier de santé Boissy, demandent s’ils sont bien sur le chemin de Beauvais : « Oui, répond-il. ─ Marche devant ! ─ Je vais voir mes malades. ─ Marche ! » Ils tirent leurs sabres et le forcent à les conduire jusqu’à un petit bois précédant l’avenue qui mène au château.

Ils y pénètrent avec leurs prisonniers, font halte dans une clairière, descendent de cheval, tirent des porte-manteaux des cartouches qu’ils se distribuent, des cordes[22], des costumes d’aspect militaire qu’ils revêtent en place de leurs habits bourgeois. Ce sont ceux sous lesquels on les a vus faire irruption dans le château. Soudain un bruit de roues appelle leur attention : c’est la voiture amenant de Tours Mme Bruley et sa domestique, Élisabeth Dansault. Elles les voient qui achèvent de changer de vêtements. Eux aussi les ont vues. Ils remontent en selle, se précipitent vers la voiture : « N’est-ce pas la voiture du Sénateur Clément de Ris ? ─ Oui ! ─ Et vous êtes Mme Clément de Ris ? ─ Non. » Sabre au clair, ils entourent la voiture, et c’est en cet équipage, poussant devant eux Dansault, le chirurgien et des paysans arrêtés dans un champ voisin, qu’ils franchissent l’avenue et entrent dans la cour.

On sait le reste : l’invasion des appartements, la mise en état de siège des communs, les serviteurs tenus en respect, le pillage du cabinet de travail, l’enlèvement du Sénateur, le départ, après échange d’un de leurs chevaux contre celui de Boissy. Comme on quittait Beauvais, le cortège croisa, près de la barrière de sortie, une fille Volland qui venait au château. Elle fut toute surprise d’apercevoir Clément de Ris dans sa voiture, escortée de six hommes armés, dont l’un était borgne. La fille Dansault lui apprit que ces hommes étaient des voleurs et qu’ils emmenaient le Sénateur de vive force, après lui avoir pris son argent et son argenterie.




  1. Pour cette partie du récit, nous avons surtout mis à profit : 1° la déposition de Clément de Ris, au lendemain de la délivrance, devant le lieutenant de gendarmerie Gaultron ; 2° les dépositions des témoins de l’enlèvement, soit lors de l’enquête initiale, soit lors des débats devant les tribunaux de Tours et d’Angers.
  2. La femme de chambre, Anne Tasse, quand le brigand envahit le vestibule où elle travaillait, s’enquit de quelle part il venait, de ce qu’il voulait. Il répondit que la chose ne la regardait pas et fit irruption dans la chambre sans permettre qu’on prévînt le Sénateur.
  3. L’argenterie livrée comprenait : 9 plats ronds, 2 cafetières, 16 cuillers à ragoûts, 2 cuillers à soupe, 6 cuillers à café, 23 couverts, le tout en argent, représentant environ 5000 livres.
  4. Voici, d’après deux notes conservées, l’une aux Archives nationales, l’autre aux Archives historiques de la Guerre, leur signalement : 1° un homme de 26 à 27 ans, pâle, mince, cheveux châtains, bouche renfoncée, taille 5 pieds 8 pouces, pelisse brune à boutons de métal blanc, cravate de soie noire ; 2° un jeune homme de 20 ans, blond, pâle, nez long et pointu, taille 5 pieds 2 pouces, pelisse et pantalon gris ; 3° et 4° deux individus habillés de pelisses vert bouteille, moins propres que les autres, auxquels ils paraissaient subordonnés, mais de figures encore plus sinistres ; 5° et 6° les deux brigands qui avaient envahi les appartements. Leurs cheveux étaient 3 noirs, 1 bai, 1 gris pommelé.
  5. Dépositions de Paulin Clément de Ris et de Mme Bruley (2 vendémiaire).
  6. Ils avaient échangé un des chevaux volés contre le cheval du chirurgien Boissy.
  7. Loches et Genillé sont, par rapport à Saint-Quentin à l’opposé l’un de l’autre. Mais de l’un comme de l’autre on peut, à peu près dans le même temps, gagner La Beaupinaie, but du voyage. Ces deux localités forment en effet les extrémités de la base d’un triangle isocèle, qui aurait La Beaupinaie pour sommet, Saint-Quentin occupant le milieu de la base.
  8. Déposition du chirurgien Petit. (11 vendémiaire.)
  9. Déposition du chirurgien Petit, qui avait compté les marches.
  10. Dossier d’Angers. Dépositions de Petit et du postillon.
  11. Lettre au Ministre de la Guerre (Archives du Ministère de la Guerre).
  12. Dès l’arrivée à Beauvais, elle avait envoyé la fille Dansault, sa domestique, chercher du secours. Mais le jardinier, auquel celle-ci s’adressa, ne la crut pas. Au lieu de courir au village, il courut au château, où les brigands l’arrêtèrent et le mirent dans l’impossibilité d’agir.
  13. Entré au service en 1771 au régiment de Normandie, sergent en 1781, lieutenant à la compagnie des Gardes du Gouvernement Saumurois (1787), lieutenant de gendarmerie en résidence à Chollet (1791), colonel de dragons dans la guerre contre la Vendée (1792), chef des VI, XXII et XXVIIes légions de gendarmerie (1793-1816), retraité avec le grade de maréchal de camp, mort en 1838. De graves démêlés avec la justice civile, à propos d’une affaire d’élections, lui avaient créé, à Tours, des ennemis acharnés, entre autres le capitaine Folliau (Archives administratives de la Guerre).
  14. Monnet, quincaillier à Chinon, était originaire de Crémieu (Isère). Alexandre-Michel Cassenac était né à Nîmes en 1764.
  15. Note du Moniteur et Archives nationales. F7 6265.
  16. Voir pages 58-59.
  17. Correspondance échangée, d’une part, entre le Ministre de la Police et les autorités civiles d’Indre-et-Loire (6, 7, 9 vendémiaire, 4 brumaire), Archives nationales ; de l’autre, entre le Général Liébert et le Ministre de la Guerre (7, 15, 19, 22 vendémiaire), Archives historiques de la Guerre.
  18. Reconnus innocents, ces cinq individus ne furent pas inquiétés.
  19. À Paris, la surveillance prescrite ne souffrit pas de difficultés. À Tours, le Général Liébert se refusa d’abord à fournir la garde demandée, « nul officier ne pouvant détacher un homme sans l’ordre de ses chefs militaires ». À la fin, il céda, vu l’urgence, aux instances du Préfet, et envoya à Beauvais un détachement armé, sous les ordres d’un sous-officier : « Il ne fera pas grand’chose, observait-il, mais Mme Clément de Ris a paru le désirer. »
  20. Cinquième jour complémentaire.
  21. Mémoires inédits d’A. de Beauchamp.
  22. Ces cordes, selon Boissy, étaient tachées de sang. Mais aucun autre témoignage ne confirme ce dire, et il y a lieu de faire la part de l’exagération dans les témoignages de Boissy, homme d’imagination romanesque.