Un mot d’archéologie sur le rocher d’Espaly

UN MOT D’ARCHÉOLOGIE
SUR LE ROCHER D’ESPALY


Qui de nous ne connaît le rocher d’Espaly et, dans son enfance, n’en a gravi le faîte pour contempler le splendide panorama qui se déroule aux regards du spectateur ? Plus tard, l’esprit, devenu plus mûr, interroge les ruines éparses aux flancs de ce gigantesque monolithe et recherche les souvenirs archéologiques et historiques qui peuvent s’y rattacher. En feuilletant les vieilles chroniques vellaves, en étudiant sous toutes ses faces ce rocher séculaire, on arrive à reconstituer son passé aux époques les plus éloignées.

Une construction féodale, commencée au XIIIe siècle par Guillaume de la Roue, évêque du Puy, et terminée par un de ses successeurs Jean de Bourbon, couronnait jadis de formidables murailles les pentes et la partie supérieure du roc d’Espaly. Résidence de nos évêques, Charles VI et Charles VII y reçurent l’hospitalité ; les États généraux de la province de Languedoc et les États particuliers du Velay y tinrent leurs assises et Antoine de Sénecterre vint y chercher un refuge, au temps de la Ligue. Antoine de Latour, baron de Saint-Vidal, fit, en 1590, sauter les voûtes du château et quatre charges de poudre à canon y furent employées, d’après l’historien Arnaud[1].

Là s’arrêtent les renseignements historiques. Il n’existe plus aujourd’hui de l’ancien manoir épiscopal que des pans de murs, des restes de grottes taillées dans la brèche volcanique et un moderne oratoire dédié à saint Joseph.

J’ai voulu, à trente ans d’intervalle, revoir notre vieux rocher, me rendre compte de ce qu’il était aux premiers temps, et découvrir, s’il se pouvait, les traces des diverses populations qui l’ont habité.

Les Gaulois, nos ancêtres, divinisaient les pierres, les fontaines, les grands arbres, et le culte druidique s’accomplissait au sein des forêts profondes et sur les cimes les plus élevées. Ces hommes primitifs, à la vue de cette masse sombre surgissant du fond de la vallée, durent être saisis d’étonnement, d’une sorte d’effroi religieux, et, pour se rendre propice la divinité de ce mont, ils lui dressèrent des autels. On remarque, en effet, au point culminant, des cavités de forme carrée communiquant entre elles au moyen d’une rigole taillée dans la pierre. Ces cavités, au nombre de quatre, mesurent environ 8 décimètres carrés et ont 16 centimètres de profondeur. Il en existe une cinquième, mais en partie détruite. Ne doit-on pas considérer ces creux comme de véritables roches à bassins autour desquelles les habitants de cette vallée, adonnés à d’idolâtriques superstitions, venaient faire des libations et offrir des sacrifices à l’une des divinités de la théogonie celtique ? Une hache en serpentine, trouvée sur ce point, orne le petit musée créé par M. l’abbé Fontanille, fondateur de la chapelle de Saint-Joseph.

Le rocher d’Espaly fut-il un oppidum à l’époque gauloise ? Tout semble l’indiquer. Où rencontrer, d’ailleurs, un lieu plus facile à défendre que ce dyke escarpé et isolé de toutes parts ? Quel asile plus sûr que sa plate-forme d’où l’œil pouvait découvrir l’ennemi à de grandes distances et déjouer ses efforts ? Inaccessible de tous les côtés, une poignée d’hommes intrépides suffisaient à le préserver d’attaques hostiles.

L’époque romaine est ici caractérisée par des tuiles à rebords, des débris de ciment et un gracieux petit vase en verre, à reflets verdâtres, à deux anses, d’orifice très étroit et décoré de huit côtes en saillie sur la panse. D’une hauteur d’environ 5 centimètres et d’un diamètre semblable, il a été découvert, sous des décombres, à la profondeur de deux mètres, et c’est par miracle qu’il n’a pas été brisé sous la pioche des ouvriers. Ce vase, propriété de M. Fontanille, faisait-il partie d’un mobilier funéraire ou domestique ? Nous laissons à de plus habiles le soin de résoudre ce problème.

M. Aymard a signalé, en 1858, une base de colonne antique avec partie de fût à feuilles imbriquées, trouvée au village d’Espaly. Par la forme allongée des saillies, on peut supposer, dit cet antiquaire, qu’elle dépendait d’un édifice situé sur une éminence à mi-hauteur du rocher d’Espaly[2].

Des fragments de poteries brunes et grises, de facture grossière, mêlés à la terre végétale du rocher, semblent dater de la période mérovingienne. Quant au moyen âge, il faut lui attribuer sans réserve, parmi les nombreux objets recueillis par M. Fontanille, des jetons en cuivre, des monnaies, des clefs, de vieilles ferrailles, des carreaux vernissés, un boulet de pierre et un mortier de même nature analogue à ceux du musée du Puy, et dont une des cuvettes sert de bénitier dans l’oratoire de Saint-Joseph.

A. Lascombe.




  1. Histoire du Velay, t. I, page 501.
  2. Annales de la Société académique du Puy, t. XXI, page 502.