Un million d’énigmes, charades et logogriphes/Essai historique et littéraire sur l’énigme

ESSAI
HISTORIQUE ET LITTÉRAIRE
SUR L’ÉNIGME.
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On ne se propose pas de donner ici un traité complet de l’énigme et des règles spéciales auxquelles ce genre de composition peut être asservi : un travail de cette nature serait peu à sa place en tête d’un recueil uniquement consacré au délassement des lecteurs auxquels il s’adresse. Mais on n’a pas cru qu’il fût hors de propos ou tout à fait sans intérêt de tracer en quelques pages l’histoire de ce genre d’amusement, qui se trouve depuis si longtemps en possession d’exercer la sagacité ou d’occuper les loisirs des gens d’esprit.

L’art de composer des énigmes remonte à la plus haute antiquité ; il est souvent question d’énigmes dans l’Écriture sainte et tous les peuples de l’Orient ont cultivé avec ardeur ce genre de composition. Il est vrai qu’alors l’énigme était considérée, non comme un simple jeu d’esprit, mais comme un moyen efficace d’appeler les spéculations des savants ou des philosophes de profession sur les nombreux et inexplicables mystères que recèlent la nature, les arts et la religion. La plupart des énigmes orientales, qui sont parvenues jusqu’à nous, en très-petit nombre, se rapportent à des questions métaphysiques et morales, que l’homme, dans son avide curiosité, a toujours cherché à résoudre, et dont les siècles qui se sont écoulés depuis n’ont pas encore donné la solution.

Ce n’est pas de cette sorte d’énigmes qu’il s’agit ici. Ceux qui désireraient trouver quelques éclaircissements à cet égard, pourront aller les chercher dans un ouvrage spécial, composé par un savant jésuite, le P. Menestrier, chez qui l’érudition la plus variée s’alliait au bon sens le plus ferme et à la plus ingénieuse sagacité[1].

Nous dirons donc seulement ici, et pour mémoire, que la plus ancienne énigme qui nous soit connue est celle que Samson (livre des Juges, chap. xvi, vers. 10-12) proposa aux Juifs, dans un festin, et que ceux-ci ne parvinrent à deviner qu’en séduisant la femme de ce héros des livres saints. Cette énigme, dans laquelle Samson faisait allusion à un fait qui lui était exclusivement personnel, était ainsi énoncée : Comment la nourriture est-elle venue de celui qui dévorait ? comment la douceur est-elle sortie du fort ? À moins de savoir à l’avance que Samson avait trouvé un rayon de miel dans la mâchoire d’un lion mort, il était impossible de deviner l’énigme proposée, et l’on conçoit très-bien que les Juifs en aient cherché la solution ailleurs que dans leur propre sagacité. Une énigme de ce genre serait, aujourd’hui, tout aussi insoluble que dans le siècle de Samson, et ce n’est point là le caractère de celles de nos jours.

Nous lisons aussi dans l’Écriture sainte, que Salomon avait un talent remarquable pour deviner les énigmes et que la reine de Saba fit un grand voyage, presque dans l’unique intention de lui en proposer quelques-unes. Comme ces énigmes ne nous sont pas connues et qu’elles étaient probablement du même genre que celle de Samson, nous n’insisterons pas à ce sujet.

Nous touchons maintenant à une époque moins ancienne, et plus rapprochée de nous, sinon pour le temps, du moins pour la forme de l’énigme. Nous citerons comme la plus ancienne de ce nouveau genre, celle du Sphinx, qui coûta la vie à plus d’un de ceux qui essayèrent vainement de l’expliquer et qui ne fut résolue que par Œdipe. Nous la donnerons ici, quoiqu’elle soit très-connue : « Quel est, disait le monstre fabuleux, quel est l’animal qui, le matin, marche à quatre pieds ; à midi, sur deux pieds ; le soir, sur trois ? » Le monstre fut vaincu, quand Œdipe lui eut déclaré que cet animal était l’homme, et Œdipe le tua, pour compléter sa démonstration.

L’énigme, depuis lors, fut une chose beaucoup moins sérieuse, et les solutions auxquelles chacune d’elles pouvait donner lieu eurent des conséquences moins graves. Par suite d’une habitude, très-probablement importée de l’Orient, les Grecs avaient adopté l’usage de se proposer les uns aux autres, à la suite des festins publics et privés, un certain nombre de problèmes ou d’énigmes, désignés sous le nom spécial de griphes, dont la non-solution donnait lieu à quelques amendes dont la plus sévère était de boire une coupe de vin dans laquelle on avait fait dissoudre du sel. Une pareille potion pouvait bien n’être pas fort agréable, mais elle n’avait rien de dangereux. Un philologue grec, qui vivait au iiie siècle de l’ère chrétienne, Athénée, dans son livre des Déipnosophistes, nous a conservé quelques-unes de ces énigmes (ou griphes) qui ressemblent parfaitement aux nôtres pour la forme, et dont quelques-unes même ont été traduites littéralement en français sans que rien décèle leur véritable origine. On trouve également dans l’Anthologie grecque (xive livre de l’édition donnée par Jacobs, d’après le manuscrit palatin), un assez grand nombre d’énigmes, de logogriphes et de charades, en tout semblables aux nôtres et dont quelques-uns sont fort agréables. Nous citerons seulement, en français et comme spécimen, la suivante, dont le mot est Fumée :

« Je suis la fille noire d’un père blanc, je suis un oiseau sans ailes et je m’élève facilement jusqu’aux nues ; sans causer de chagrin, j’ai plus d’une fois fait pleurer de beaux yeux, et à peine suis-je née, que je me dissipe dans l’air (Anthol, I. xiv, 5). »

Il nous reste peu d’énigmes latines ; il en existe pourtant un recueil attribué d’abord à Lactance, écrivain chrétien du ive siècle, dans les œuvres duquel il figure sous le titre de Symposium, mais que d’autres critiques ont attribué à un écrivain inconnu que l’on désigne sous le nom de Symposius. Ce recueil se compose de cent énigmes de trois vers chacune. Nous en citerons deux, dont on trouvera la traduction en note.


Navis.

Longa feror velox formosæ filia silvæ,
Innumerâ pariter comitum stipante catervà ;
Curro vias multas, vestigia nulla relinquens[2].

Serra.

Dentibus innumeris sum toto corpore plena ;
Frondicomam subolem morsu depascor acuto ;
Mando tamen frustra, quia respuo praemia dentis.[3].

Il serait assez difficile de suivre l’histoire de l’énigme dans ces siècles obscurs où toute culture intellectuelle semblait s’être retirée dans les cloîtres, quoiqu’il soit très-probable que les pieux solitaires chargés en quelque sorte par la Providence de transmettre aux siècles futurs le dépôt de la religion et de la science, en aient récréé leurs studieux loisirs. Mais il ne nous reste à cet égard que des documents fort incertains et fort incomplets, et nous passerons, sans autre discussion, à l’époque où les lettres semblèrent se réveiller de leur long sommeil.

Dans un livre curieux et très-rare, imprimé en français, à Bruges, vers la fin du xve siècle et réimprimé, à Paris, pour quelques bibliophiles, on trouve un certain nombre de questions énigmatiques, dont quelques-unes sont écrites en vers et présentent la forme de véritables énigmes. Ce sont là les plus anciennes énigmes que nous connaissions en français. Ce livre porte pour titre : Les Adevineaux amoureux[4]. C’est un recueil singulier de questions amoureuses, suivi de quelques questions énigmatiques et terminé par un certain nombre de problèmes arithmétiques. Il donne des indications très-intéressantes sur les mœurs et les habitudes du xve siècle.

Plus tard, au milieu du xvie siècle (1556), Thomas Sibilet, dans son Art poétique françois, consacra aux règles de l’énigme quelques lignes que nous reproduisons ici, parce qu’elles expriment avec autant de clarté que de brièveté le caractère de cette composition :

« La forme de l’Énigme est, dit-il, une perpétuelle description. Car, en l’Énigme on ne touche pas seulement les qualités et propriétés de la chose, mais aussi son origine, son usage, sa puissance et ses effets. Les plus courts sont les plus élégants[5] ; et la vertu de l’Énigme est l’obscurité tant lucide que le bon esprit la puisse éclaircir après s’y être quelque temps appliqué ; et le vice est de faire telle description qu’elle se puisse adapter à plus d’une chose. »

On ne dirait aujourd’hui rien de mieux, ni de plus juste.

L’énigme redevint donc en honneur, et dans un petit volume publié à Paris, vers la fin du xvie siècle (1578 ou 1579), on trouve, à la suite d’un recueil considérable et très-curieux d’adages et proverbes, un Recueil de questions énigmatiques récréatives et propres pour deviner et y passer le temps[6]. Comme le petit livre auquel se trouvent annexées ces questions énigmatiques est fort rare, nous en donnerons ici un certain nombre, autant pour faire plaisir aux amateurs que pour leur montrer que la plupart des quolibets encore à la mode de nos jours sont beaucoup plus anciens qu’on ne le croit généralement. Pour plus de clarté, je divise en deux sections distinctes ces questions qui sont confondues dans le Recueil. Je donnerai donc d’abord les questions qu’on peut appeler philosophiques ou morales, puis les questions familières ou quolibets facétieux.


Questions énigmatiques philosophiques, morales et satiriques.


D. Quelle est la chose la plus belle ?

R. Le monde, ouvrage de Dieu.

D. Quelle est la chose la plus grande ?

R. Le lieu (l’espace) ; car le lieu contient tout.

D. La plus légère ?

R. L’esprit, qui va deçà et delà et court partout.

D. La plus forte ?

R. La nécessité, ou fatal destin, qui surmonte toutes choses.

D. La plus sage ?

R. Le temps qui découvre et trouve tout.

D. La plus précieuse que l’or ?

R. La liberté.

D. Pourquoy sont les femmes plus avaricieuses que les hommes ?

R. Pource qu’elles cognoissent que ce ne seroit rien d’elles sans les richesses.

D. Qu’est-ce qui peu souvent se trouve ensemble en une personne ?

R. Beauté avec chasteté, sagesse et richesse, jeunesse et continence, vieillesse sans jalousie.

D. Qu’est-ce qui fait veoir les aveugles et ouyr les sourds ?

R. L’argent, lequel les aveugles voyent fort bien par imagination, et les sourds entendent très-bien quand on ne leur dit rien.

D. Qu’est-ce qui faict l’homme meschant ?

R. Trop grande licence.

D. Qu’est-ce qui plus ruyne les princes ?

R. La poison[7] de flatterie.

D. Quelles choses ne se peuvent celer ?

R. L’amour, la toux, le feu, et la mélancolie.

D. Quelles choses pervertissent et renversent le bon jugement de l’esprit ?

R. Amour, avarice, hayne, et enyvrement.

D. Qu’est-ce qui nous semble le plus beau ?

R. Le difficile à avoir.

D. Combien vaut le meilleur homme du monde ?

R. Il ne vaut pas plus de vingt-neuf deniers, car Notre-Seigneur ne fut vendu que trente ; je m’asseure qu’il vaut bien un denier davantage.

D. Qui est celuy qui est riche ?

R. Qui content du sien ne convoite celuy d’autruy.


Questions familières ou quolibets facétieux.


D. Pourquoy un loup suivy, ayant failly (manqué) sa proye, ne voit derrière luy en courant par la voye ?

R. Pource qu’il n’a point d’yeux par derrière.

D. Comment est-ce qu’en peu d’heures et de labeur on pourra faire cinquante paires de souliers ?

R. Il faut prendre autant de bottes, oster et couper tout le cuir de la jambe jusques au pied de la grève ; cela fait, ce seront des souliers.

D. Qu’est-ce qui est vuyde la nuit et jour plein ?

R. Le soulier.

D. Qu’est-ce qu’il faut à un homme gros ?

R. Une chemise large.

D. Lequel est-ce qui te voudroit voir pendu ?

R. L’aveugle.

D. Tant plus chaud est et tant plus frais ?

R. Le pain.

D. Tantost claire, tantost obscure,
Deux jours n’est de même mesure ?

R. La lune.

D. Tant la fait le vif que le mort ;
Chacun la peut aisément voir,
Personne ne la peut toucher ?

R. L’ombre.

D. Tant plus il y en a, moins en pèse ?

R. Plusieurs trous en un crible.

D. Quelle est la chose la plus hardie ?

R. La chemise d’un meunier, car elle prend tous les matins un larron au collet.

D. Qu’est-ce qui a un œil en la queue ?

R. La poêle à frire.

D. Qu’est-ce qui ressemble le mieux à la moitié de la lune ?

R. L’autre moitié.

D. Qu’est-ce qui ressemble mieux à un chat en une fenestre ?

R. Une chatte.

Nous trouvons encore parmi ces questions énigmatiques les trois énigmes suivantes, en vers, assez courtes et assez agréables pour être conservées :


1

La mère aux champs, et le fils en la ville,
Le fils est fort, et la mère est débile.
Quand elle est grosse, elle a le corps si vain
Qu’avoir lui fault un baston en la main ;
L’esté vestue et l’hiver toute nue ;
Mais elle croist, et le fils diminue ;
La mère au large, et le fils est en serre ;

Il est si fort qu’aux plus forts fait la guerre.
Dès qu’il est né, on l’attache, on le lie,
Mais bien souvent tout seulet se deslie ;
Devenu grand, il est fort gracieux,
Mais tost après se monstre furieux.


2

De bout en bout je suis pleine de dents ;
J’aime le bois, je mords fort bien dedans ;
Je mords en vain, car le tout je rejette.
Tant plus ay faim, et plus j’y suis sujette.


3
Énigme dialoguée.
L’AMANT.

Dame, par amour, je vous prie.
Que votre amour vous me donnez.

LA DAME.

Vous l’aurez quand me donnerez
Ce que n’ay point et point n’avez,
Et si donner me le pouvez[8].


Dès ce moment, l’art de composer des énigmes et le goût pour ce genre de composition devinrent de plus en plus à la mode. Dès les premières années du xviie siècle, on publia en Espagne et en Italie des énigmes en vers, et un poëte flamand, qui écrivait en français, Alexandre Sylvain, donna au public un recueil d’énigmes en vers français qui furent assez bien accueillies et que l’on reproduisit dans plusieurs recueils du temps. Pour abréger, nous nous contenterons de ces indications sommaires pour arriver, sans trop de délai, à l’époque où l’énigme obtint complétement les honneurs de la vogue. Entre 1650 et 1670, deux poëtes médiocres, qui pourtant n’étaient pas sans esprit, Colletet et l’abbé Cotin, publièrent des recueils d’énigmes auxquels les compilateurs plus récents ont beaucoup emprunté sans les citer, et le Mercure galant qui parut en 1672, crut faire plaisir à ses lecteurs, en leur donnant tous les mois une énigme à deviner. Le Mercure de France, qui succéda au Mercure galant, en 1717, accepta cette partie de la succession de son prédécesseur, et ne manqua pas, tant qu’il vécut, c’est-à-dire, sauf quelques lacunes, jusqu’à l’année 1818, d’offrir à ses lecteurs, tous les huit jours, l’attrait d’une énigme, d’un logogriphe et d’une charade destinés à exercer leur sagacité. Jamais, comme on le voit, production littéraire n’avait joui d’une telle vogue et d’une si longue faveur, et plus d’un de nos lecteurs actuels peut se rappeler encore avec quelle impatience, avec quelle anxiété, de nombreux amateurs attendaient le précieux numéro qui devait leur donner le mot d’une énigme, d’un logogriphe, d’une charade, que tous leurs soins n’avaient pu déchiffrer. Les lecteurs auxquels nous nous adressons n’auront pas non plus oublié sans doute la fameuse énigme, proposée en 1803, par un sieur Lucet, et qui donna lieu à tant de solutions différentes, que de ces solutions réunies, dont quelques-unes sont fort ingénieuses et très-agréables, on forma un volume in-8o, de près de 400 pages, qui vaut beaucoup mieux que l’énigme qui en fut l’occasion[9]. Cette énigme, nous la donnons ici, bien moins pour son mérite, qui est fort contestable, comme on le verra, que pour le grand bruit qu’elle a fait dans son temps, et comme une nouvelle preuve que la célébrité ne s’attache pas toujours aux meilleures choses :


Je suis un être original.
Je suis l’aïeul de ma grand’mère,
Et, par un destin sans égal,
De ma mère je suis le père.
Je suis d’un genre très plaisant,
Je ne suis ni garçon ni fille :

Sans avoir jamais fait d’enfant,
Je suis un père de famille.

Je suis l’ami du genre humain,
Et je déteste tout le monde :
Excepté l’or, je n’aime rien ;
Je fuis les lieux où l’or abonde.
Mon existence est un bienfait ;
Mais malheur à qui me voit naître !
Malgré tout le mal que j’ai fait,
Chacun aspire à me connaître.

Je suis le plus petit des nains,
Et ma hauteur est colossale,
Je n’ai ni pieds, ni corps, ni mains,
Je marche, je touche, j’avale.
Je suis léger comme le vent ;
J’écrase tout ce qui m’approche ;
Et bien que je sois très-aimant,
J’ai le cœur dur comme une roche.

Je suis de toutes les couleurs ;
Ma forme est plate, épaisse et ronde :
Je porte le parfum des fleurs
À plus d’une lieue à la ronde.
Je suis-aussi poli qu’un ours :
Ma chair est douce autant qu’unie :

Et quoique je marche toujours.
Je n’ai fait un pas de ma vie.

Je suis l’être le plus discret ;
Mais aussi bavard qu’une nonne :
On m’admire pour mon caquet,
Et je ne dis mot à personne.
On me cite comme un savant.
Je suis le Jocrisse des bêtes ;
Bien que grossier comme un manant.
Je n’ai que des façons honnêtes.

Je suis plus puissant qu’un grand roi,
Je règne sur toute la terre :
Tout ce qui vit me fait la loi,
Et me respecte et me révère.
J’enchaîne tout le genre humain ;
J’ai des sujets, je suis esclave,
Et je commande en souverain
Au boudoir ainsi qu’au conclave.

Sans yeux je vois tout ici-bas :
Quoique sourd, je puis tout entendre.
Je suis sans cesse sur vos pas,
Jamais on ne peut m’y surprendre.
Je meurs et nais à chaque instant,
Mon existence est éternelle ;

Un rien me réduit au néant,
Et mon image est immortelle.

Je suis vaillant comme un héros,
La peur vous peint mon caractère :
Je prends la mouche à tout propos ;
Je suis l’être le moins colère.
Quoique fourbe et plein de détours,
Dans le vrai je trouve des charmes.
Sans bouche, je chante toujours ;
En riant, je verse des larmes.

J’habite la terre et les cieux,
Rien ne prouve mon existence ;
On ne me voit dans aucuns lieux,
Tout vous indique ma présence.
Je cours après vous, je vous fuis ;
Vous me cherchez, je vous évite ;
Vous vous fâchez, et moi je ris :
Vous me tenez, je suis en fuite.

Selon le sieur Lucet, le mot de cette énigme était Contraste, et soixante-deux Œdipes, parmi lesquels figurent plusieurs dames et demoiselles, indiquèrent en effet cette solution ; mais le plus grand nombre des amateurs (on en cite 235) trouvèrent des solutions bien différentes, dont quelques-unes sont énoncées avec détail et d’une manière aussi agréable qu’ingénieuse. Parmi ces nombreuses solutions, nous en indiquerons cinq ou six qui nous semblent au moins très-plausibles et peut-être plus justes que celle qu’on donne comme la véritable.

Un M. Colleville, de Cherbourg, propose le mot Antithèse  ; le sieur Rustaud donne le mot Amphigouri ; M. Déville, horloger à Lyon, se prononce pour Zéro ; un Nantais, M. Mahot, indique cent mots différents comme pouvant former la solution demandée, et cette indication seule nous paraît une excellente épigramme.

Un cinquième Œdipe, qui a gardé l’anonyme, présente le mot Chimère, et le justifie assez bien ; un sixième enfin (page 229), propose le mot Galimatias, et nous avons réservé cette indication pour la dernière, parce que nous croyons que c’est le mot qui s’applique le mieux à cette prétendue énigme ; car à nos yeux, il n’y a pas là une véritable énigme, c’est-à-dire, un mot à deviner à travers les voiles plus ou moins transparents dont il est masqué, mais une simple conclusion à tirer d’une série d’idées ou de phrases mises à dessein en opposition et en contradiction les unes avec les autres. Dans le cas actuel, en effet, l’énigme se trouve, non dans le fond, comme cela devrait être, mais seulement dans la forme, ce qui est contraire à toutes les règles du genre. On peut donc regretter que tant de gens d’esprit aient perdu leur temps à déchiffrer ce qui était réellement et indéchiffrable et peu digne d’être déchiffré.

Ici se termine tout ce que nous avions à dire de l’énigme, et sous ce nom, nous avons entendu désigner également le Logogriphe et la Charade, qui en dérivent certainement, mais qui n’ont ni l’originalité, ni l’agrément de leur mère. Il nous reste maintenant, non pas à nous justifier d’avoir publié un recueil d’énigmes, après tous ceux qui existent, mais à dire que nous avons choisi dans toutes les collections du même genre tout ce qui nous a semblé de meilleur, et de plus propre à composer une collection choisie qui pût dispenser de toutes les autres. Nous désirons vivement, mon cher Lecteur, que vous pensiez ainsi du nouveau petit volume que nous vous présentons aujourd’hui, et qui sera bientôt suivi de quelques autres.


HILAIRE LE GAI.

  1. L’ouvrage du P. Menestrier porte le titre suivant : La philosophie des images énigmatiques, où il est traité des énigmes, hiéroglyphiques, oracles, prophéties, sorts, divinations, rêveries, talismans, songes, centuries de Nostradamus, de la baguette. Par le P. Cl. François Menestrier, de la comp. de Jésus. Lyon, Jacques Guerrier, rue Neuve, 1694. in-12.
  2. Fils agile et immense de la belle forêt, je suis toujours entouré d’une foule de compagnons ; je parcours un long chemin et nulle part je ne laisse de traces.
  3. Mon corps est plein de dents innombrables ; je me nourris des plus beaux produits de la forêt ; mais c’est en vain, car je rejette tout ce que ma dent dévore.
  4. Les Adevineaux amoureux. Par Colard Mansion.

    On connaît de ce livre deux éditions gothiques in-fol. imprimées à Bruges avant 1500, par Colard Mansion, et une autre, in-4, goth., que l’on croit imprimée à Lyon. La réimpression de Paris a été publiée par M. Techener, dans sa Collection de joyeusetés, 1831, in-16, et tirée à 86 exemplaires seulement.

  5. Le mot énigme était alors masculin.
  6. Adages et proverbes de Solon de Voge, par l’Hétropolitain. Paris, Nicolas Bonfons. S. D. (vers 1579), in-16.
  7. Le mot était autrefois féminin.
  8. Les mots de ces énigmes sont : 1rela vigne et le vin ; 2ela scie ; 3eun mari.
  9. Le volume dont nous parlons porte le titre suivant :

    Correspondance générale des Œdipes, ou Recueil des lettres, pièces de vers, anecdotes agréables, spirituelles et plaisantes, adressée à l’auteur de l’énigme du Contraste. Paris, imprimerie et librairie militaire, rue des Saints-Pères, 61 et 65, an xi, 1805.