Un maître d'école au XVIIe siècle à Saint-Haon-le-Châtel

UN

MAITRE D’ÉCOLE

AU XVIIe SIÈCLE

A SAINT-HAON-LE-CHATEL

(Loire)

PAR M. DISSARD

juge de paix du canton nord-est de saint-étienne
délégué cantonal





ROANNE

IMPRIMERIE CHORGNON ABEL, RUE DE SULLY

1880

CHAPITRE PREMIER
où il est question d’un vieux manuscrit, d’un maître d’école appelé Gouttebaron, et de la graphologie.

Dans le courant du mois de juillet 1879, j’eus indirectement connaissance d’une circulaire émanée du ministère de l’instruction publique. M. le ministre exposait qu’il avait décidé de constituer, dans la bibliothèque centrale de l’enseignement primaire, une collection de documents propres à établir bibliographiquement l’histoire de cet enseignement en France, en remontant aussi loin que l’on pourrait, surtout avant 1789. Il invitait à rechercher des livres, manuscrits, des rapports, des statistiques, etc., ayant trait aux écoles primaires d’avant 1789 (petites écoles, écoles de charité, etc.), dans les archives des communes, chez des particuliers.

Ayant l’honneur de faire partie, depuis plusieurs années, de la délégation cantonale, je pensai qu’il était de mon devoir de répondre à cet appel, dans la limite de mes moyens. Certes, je n’avais pas la prétention de produire un document qui pût devenir la clef de voûte de l’édifice, ni même une pierre angulaire ; mais apporter un modeste moellon me parut une œuvre utile. Je résolus, en conséquence, d’aller à la découverte, œuvre ingrate s’il en est : l’insouciance, l’ignorance, la défiance même des personnes auxquelles on s’adresse, sont les moindres ennemis que l’on ait à combattre.

Après plusieurs démarches infructueuses, je fis part de mes intentions à mon excellent ami le docteur Noëlas, originaire de Saint-Haon-le-Châtel, et habitant aujourd’hui la ville de Roanne. Tout le monde, dans notre contrée, connaît le docteur Noëlas, membre ou correspondant de plusieurs sociétés savantes, entre autres de la Société française d’archéologie et de la Société historique du Forez. Beaucoup ont visité son intéressant musée d’antiquités, un des plus beaux qui soient possédés par des particuliers. Lorsque je lui eus expliqué mon cas, le docteur réfléchit quelques instants, puis il me répondit : « J’ai ce qu’il te faut. Je conserve, dans ma collection d’anciens papiers, un manuscrit rédigé par un nommé Gouttebaron, maître d’école à Saint-Haon-le-Châtel, vers la fin du dix-septième siècle. C’est un document que je considère comme très-précieux. Tu y trouveras notamment un règlement détaillé pour son école. Je te le confie, à toi, mon ami d’enfance, mais à aucun prix je ne consentirais à le céder. » Le docteur ajouta que toute sa collection était à ma disposition.

Qu’un ami véritable est une douce chose !

J’ai pu vérifier une fois de plus l’exactitude de cette maxime du « bonhomme. »

Ayant emporté le vénérable manuscrit avec tout le respect dû à son grand âge, je reconnus que c’était pour moi une vraie trouvaille. Jamais, même à l’apogée de mes illusions, je n’avais espéré découvrir un document aussi complet. Qu’on en juge ! Par une première lecture, je constatai que le manuscrit, dont la couverture porte la signature de Gouttebaron, contient :

1° Plusieurs règlements pour l’école ;

2° Un tableau indiquant les noms des écoliers, sous cette date : Die 14 juin 1692 ;

3° Un arrêté de compte en 1689 ;

4° Une note relative aux épactes, année 1683 ;

5° Une autre note ainsi conçue : « Association pour la mémoire journalière de la passion de Nostre Seigneur, avec les méditations sur chaque poinct ; et les indulgences plénières accordées à perpétuité à ladite association. Huitième édition, à Lyon, chez Pierre Guillemin, rue Belle-Cordière, 1681, avec privilège du Roy » ;

6° Des litanies et autres prières à l’usage de l’école ;

7° Un catéchisme qui occupe la plus grande partie du manuscrit, et intitulé : Catéchisme théologique, hodierno dit octodecimo octobris 1705.

Il y avait là de quoi satisfaire les plus difficiles.

Ce n’est pas tout. Une étude plus approfondie me persuada que Gouttebaron n’était pas un maître d’école vulgaire et routinier, mais un homme intelligent, sérieux et cherchant à réaliser des progrès autant que sa position le lui permettait. Ne voulant pas, toutefois, m’en rapporter à mes propres impressions, je me décidai à soumettre l’appréciation du caractère de mon héros à un autre genre d’épreuve. J’eus recours à la Graphologie.

La Graphologie, science nouvelle, fait connaître, par la forme de l’écriture, la nature de l’esprit, les aptitudes, la puissance volontaire et le caractère du scripteur, abstraction faite du style et des idées exprimées, dont elle ne s’occupe pas. Les règles en ont été posées, il y a quelques années seulement, par M. Michon, après trente-cinq ans d’études.

Je m’adressai à l’un des plus fervents et des plus érudits adeptes de cette science, M. Adrien Varinard, avocat, un de mes anciens camarades de collège, qui habite aujourd’hui Saint-Etienne. M. Varinard accueillit ma demande avec son amabilité bien connue et qui semble être devenue pour lui une seconde nature. Après avoir gardé le manuscrit pendant quelques jours, il me remit la note suivante, que je m’empresse de communiquer à mes lecteurs :

« L’auteur du manuscrit était doué d’une bonne organisation intellectuelle, étant, dans des proportions à peu près égales, intuitif, c’est-à-dire producteur d’idées, et déductif, c’est-à-dire logicien, assimilateur, pratique. C’est l’organisation la plus heureuse, parce qu’elle préserve également de l’utopie et du paradoxe auxquels échappent rarement les cerveaux purement intuitifs, et de la routine qui attache au terre à terre de la vie pratique les esprits exclusivement logiciens. Cette organisation est celle des encyclopédistes, parce qu’elle rend apte à l’étude de toutes les connaissances humaines. Pour s’assujétir à la mission utile et honnête, mais monotone et sévère de maître d’école, l’auteur de ce petit traité avait sans doute dû faire un peu de violence à sa nature, car son écriture dénote des aptitudes artistiques, et elle est l’indice d’une imagination vive et prête à prendre son essor. Je suis très-disposé à croire que, si cet homme eût été libre de suivre ses penchants, il se fût livré à la culture des arts. Mais il faut vivre !

Gouttebaron avait les aptitudes de l’artiste, mais il manquait de passion. Il était froid et défiant. Les personnes qui ne sont pas initiées aux études graphologiques pourraient me reprocher de me contredire en associant dans la même personne l’ardeur avec la défiance et la froideur du cœur ; mais je vais au-devant de cette objection, en affirmant que la constatation d’une qualité n’exclut jamais la qualité contraire. Le cœur humain est plein de contrastes et même de contradictions. La Graphologie le constate à chaque instant. »

Les données scientifiques étaient, comme on le voit, d’accord avec l’impression produite sur moi par la lecture du manuscrit.

Je ne fus donc pas surpris en remarquant que Gouttebaron avait obtenu l’estime et la considération de ses concitoyens, qui lui confièrent des fonctions publiques. Il était admis à remplacer les commis-contrôleurs des exploits. Trois pièces portent sa signature :

1° Une plainte des habitants de Saint-Haon relative au logement des gens de guerre (contrôlée le 11 octobre 1692) ;

2° Une signification de jugement à la requête d’André Maillant, recteur de la confrérie de Saint-Nicolas, au sieur François Dumas (contrôlée le 15 juin 1696) ;

3° Une saisie-arrêt au préjudice dudit Dumas entre les mains du sieur Pionard « apoticaire » (contrôlée le 26 juin 1696).

Il est présumable que, lorsque Gouttebaron remplissait ces fonctions intérimaires, il avait droit à l’exemption du logement des gens de guerre, faveur accordée aux commis-contrôleurs en vertu d’une ordonnance royale de 1681. Cette ordonnance est visée dans une pièce manuscrite contenant une ordonnance du lieutenant général et commandant pour le roi dans la province du Forez (1701).

La personnalité de Gouttebaron nous est amplement connue. Il importe maintenant d’examiner, en détail, les parties du manuscrit concernant plus spécialement l’école.

CHAPITRE II
Importance de Saint-Haon-le-Châtel dans les siècles passés. — Fondation des petites écoles.
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Le cahier dont nous nous occupons n’a pas été rédigé tout d’une pièce ; certaines parties portent la date de 1692 ; d’autres, celle de 1705 ; d’autres enfin, des dates intermédiaires. Il en est résulté des redites, des répétitions inutiles et, en résumé, un peu de confusion. Ainsi, le règlement de l’école se divise en trois parties : 1° Devoir des écoliers ; 2° Durant l’école ; 3° Observations pour la perfection des écoles. Cette division est souvent plus apparente que réelle. Certaines explications complémentaires ne sont pas à leur place, et l’on est obligé de feuilleter plusieurs pages pour retrouver la suite naturelle d’une observation faite auparavant. J’ai cru devoir, pour éviter une fatigue au lecteur, exposer plus méthodiquement le règlement, et réunir toutes les prescriptions qui ont trait au même point.

J’ai fait aussi tous mes efforts pour donner à ce travail les proportions les plus minimes ; mais il m’a paru indispensable de consacrer quelques lignes au pays où fut l’école Gouttebaron. C’est le cadre obligé du tableau.

Saint-Haon-le-Châtel était, il y a quelques siècles, une ville assez importante du bas Forez. Elle avait pour patron saint Haon ou Abonde. C’était une des résidences des comtes de la première race, ainsi que le prouve la charte de fondation du monastère d’Ambierle en l’an 902 : « Nos Ariaudus gubernator et comes Forensis, et datum in castro nostro Sancti Abundi, anno nono centesimo duo. » Nous empruntons cette citation au journal manuscrit rédigé en 1838 par le sieur Bergeron, habitant de Saint-Haon, journal qui reproduit des extraits de plusieurs documents très-anciens. Bergeron dit aussi qu’Artaud fut le premier gouverneur du Forez qui s’arrogea le titre de comte. Nous signalons, en passant, une divergence sur ce point entre son manuscrit et l’ouvrage de Sonnyer du Lac, auteur des Observations sur les tribunaux de Forez. Ce dernier indique les noms de deux autres comtes qui auraient précédé Artaud.

Des hommes d’armes entretenus par les seigneurs veillaient sur les remparts de Saint-Haon. Dans son enceinte vivaient une grande quantité de marchands, tanneurs, armuriers, tondeurs de drap.

Son église, sous le vocable de saint Eustache, était desservie par un nombreux et puissant clergé. Les prêtres, réunis en société, jouissaient de beaucoup de privilèges ecclésiastiques et de droits épiscopaux. Voilà l’explication du nom de « cathédrale » donné à l’église dans certains documents, notamment dans un registre manuscrit contenant une série de quittances délivrées par les prêtres à la famille Bayon, qui acquittait annuellement le prix des services funèbres. Ce registre commence en 1718 et finit en 1791.

Il y avait aussi des pénitents, des confréries du Saint-Sacrement, de Saint-Roch, lesquelles avaient un « terrier ».

Il existait un hôpital. Une pièce manuscrite le constate (procès-verbal de vente faite sur « la place de l’Hôpital », au préjudice de Claude Viallon, à la requeste des leveurs de tailles, le mercredi 7 novembre 1715, jour de marché).

Saint-Haon fut, jusqu’en 1668, le siège de la justice du Roannais, transférée depuis lors à Roanne. Cette dernière date marque le commencement de la décadence de l’antique châtellenie royale.

La ville possédait plusieurs écoles : d’abord, des « petites écoles » fondées, comme nous l’apprend la tradition, par Anne Dauphine, comtesse de Forez, en 1390, et dans lesquelles étaient admis gratuitement « douze pauvres garçons et douze pauvres filles » ; puis, des écoles de grammaire, et une manécanterie ou l’on enseignait le plain-chant et ou l’on formait des clercs. L’existence de ces dernières écoles est établie par un document déposé dans les archives de la Loire sous cette cote : B. 1876, folio 170, verso, et dont nous devons communication à l’obligeance du savant archiviste, M. Chaverondier :

« Testament de Huguette, fille de feu Durand Orcivel et femme d’Etienne Girerd, de la paroisse de Saint-Haon-le-Vieux (2 septembre 1395) : « Coram Philippo de Genevria de Sancto Habundo Casiri, clerico curie Forensis jurato ; presentibus, donno Stephano Tabernarii curato Sancti Habundi Veleris, magistris Hugone de Gotabaron rectore scolarum gramatice, Stephano de Ochiis rectore scolarum cantus, ville Sancti Habundi Castri, testibus. » Nous traduisons, pour les dames, les mots latins : « Par-devant Philippe de la Genièvre de Saint-Haon-le-Châtel, clerc juré de la cour de Forez ; présents, messire Etienne Tavernier, curé de Saint-Haon-le-Vieux, maîtres Hugues de Gouttebaron, recteur des écoles de grammaire, et Etienne d’Ouches, recteur des écoles de chant, de la ville de Saint-Haon-le-Châtel, témoins. »

Chose remarquable. A trois siècles de distance, nous rencontrons deux Gouttebaron maîtres d’école !

Saint-Haon fut, pendant les guerres de la Praguerie, assiégé par Charles VII en personne, et à l’époque de la Ligue, par le prince de Condé. L’on montre encore dans les musées plusieurs boulets de fer trouvés dans l’épaisseur de ses remparts. Ce n’est plus maintenant qu’un modeste et pacifique chef-lieu de canton. Mais, comme le dit le docteur Noëlas dans ses belles légendes : « Saint-Haon-le-Châtel, aujourd’hui vigneron, couronne de pampres les ruines de son château-fort. » Admettons qu’il y a, au moins, compensation. Si ses murailles ne mangent plus du fer, ses habitants boivent du bon vin. Ce vin, est, en effet… Mais j’entends les lecteurs me dire : « Pardon, monsieur l’auteur, un mot, s’il vous plaît. Vous allez… vous allez… Vous nous promenez dans la ville, vous nous faites monter sur les remparts ; nous voici à présent dans les vignes. Si nous continuons à faire ainsi l’école buissonnière, quand connaîtrons-nous ce fameux règlement que vous nous avez promis ? Il serait bientôt temps d’en parler. »

Un peu de patience, chers lecteurs, nous y arrivons.

Le reproche que vous me faites me touche profondément, et je vous prie de vouloir bien écouter ma justification. Le retard dont vous vous plaignez a, je crois, sa raison d’être. Lorsqu’un personnage important se produit en public, n’est-il pas ordinairement accompagné de plusieurs autres personnes, sur lesquelles l’attention se porte un instant ? Eh bien ! le manuscrit de maître Gouttebaron a son importance ; sa rareté et sa vieillesse méritent des égards. N’aurais-je pas manqué de convenance en vous le présentant seul, complètement isolé ? N’a-t-il pas droit, lui aussi, à son petit cortège de documents ? Réfléchissez, chers lecteurs, et vous serez, je l’espère, de mon avis. Quoi qu’il en soit, puisque vous le désirez, nous ne nous arrêterons plus en chemin, et nous allons de ce pas directement à l’école.



CHAPITRE III
règlement de l’école. — officiers. — division des écoliers. — livres employés.
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Les petites écoles occupaient autrefois toute une maison construite à cet effet. Ce bâtiment était attenant à la prévôté, où se trouve aujourd’hui installée la justice de paix. Au milieu existait une cour carrée, autour de laquelle se distribuaient des galeries en bois sculpté dans le style du temps, ornées de cartouches avec des sentences bibliques inscrites. Cette maison n’avait qu’un étage. Aliénée, on ne sait à quelle époque, elle a été complètement détruite, il y a quelques années. Elle avait, jusqu’à la fin, conservé son aspect primitif. Les renseignements qui précèdent m’ont été fournis, comme beaucoup d’autres, par l’excellent ami dont j’ai déjà eu le plaisir de parler, le docteur Noëlas. Connaissant une foule de détails sur le passé de son pays natal, l’auteur des Légendes foréziennes a l’esprit encore mieux meublé que son musée ; c’est un intarissable et charmant conteur.

Si le lecteur veut bien se reporter à l’an de grâce seize cent quatre-vingt-douze, et pénétrer avec nous, vers sept heures moins un quart du matin, dans l’édifice dont nous venons de faire la description, il assistera aux exercices scolaires qui vont avoir lieu, comme d’ordinaire, dans une des salles du rez-de-chaussée. L’heure de la classe n’est pas encore sonnée ; cependant la plupart des écoliers sont réunis. Les officiers de l’école sont à leur poste. Le grand maître, le dominus, Gouttebaron enfin, pour l’appeler par son nom, n’est pas encore arrivé ; mais voici la chaire qui aura bientôt l’honneur de contenir ce grave et puissant personnage. Sur le rebord de la chaire est placée une petite cloche ; nous en saurons plus tard l’emploi.

Les deux sous-maîtres sont armés chacun d’une baguette dont les écoliers trop étourdis connaîtront bientôt la destination.

L’intendant ou observateur jette ses regards d’un côté et d’autre pour voir si tout dans la salle se passe d’une manière normale.

Les deux aumôniers sont prêts à dire la prière.

Et les décurions, à faire répéter le catéchisme et les leçons.

Le préfet de l’écriture vérifie si les plumes, écritoires, règles, etc., sont à leurs places.

Le préfet de modestie baisse les yeux, et fait de son mieux pour donner le bon exemple aux autres.

Puisqu’il va s’écouler quelques instants avant le commencement de la classe, nous allons les utiliser en faisant connaissance avec messieurs les officiers.

Nous ne parlerons pas de maître Gouttebaron. Il nous est déjà connu. Mais la chaire dans laquelle il va se placer et la petite cloche dont il va se servir méritent bien une mention particulière.

Quant à la petite cloche, nous savons seulement que l’on conservait, il y a quelques années, dans l’église de Saint-Haon, une vieille clochette qui provenait, dit-on, des écoles.

Nous possédons sur la chaire des renseignements plus précis. Elle existait encore en 1836 ou 1837. Le dernier maître qui en ait fait usage s’appelait Dalmais, aujourd’hui décédé. Elle était fermée sur les côtés. C’était une chaire dans le genre de celles dont l’éminent M. Gréard, vice-recteur de l’académie de Paris, critique si vivement l’emploi dans son ouvrage sur l’instruction primaire à Paris (1876 ; pages 116 et 117) :

« Le temps n’est pas loin, dit-il, où nos chaires étaient de véritables forteresses. Elevé de plusieurs degrés au-dessus de la surface de la classe, l’instituteur était, en outre, comme enfermé entre de hautes parois… L’instituteur s’y fait lui-même ses aises, il s’y complaît ; c’est sa place fixe et permanente dans la classe, sa demeure. S’il entreprend une leçon, il est tout naturellement porté, de si loin et de si haut, à enfler la voix, à prendre le ton solennel : il parle ex cathedra. »

Nous verrons, par la suite, que Gouttebaron savait éviter cet écueil, et causer familièrement avec les écoliers lorsqu’il le fallait.

Après le maître, viennent, dans l’ordre hiérarchique, les sous-maîtres.

Voici le texte du règlement qui les concerne :

« Les deux soûmaîtres (sic) ont soin que les enfans se tiennent dans leurs devoirs, tant dans l’école que dans l’église. Ils doivent faire signe avec une baguette à ceux qui badinent, ou qui ne se tiennent pas les mains jointes pendant la prière.

[Le soûm]aître supplée et fait [les fonctions] de maître, quand il y a nombre d’écoliers. Il doit être approuvé de M. le directeur des écoles, de même que le maître. »

Le lecteur a remarqué, dans la citation qui précède, des mots entre crochets [] ; il en verra d’autres dans la copie du règlement. Ces mots manquent dans le manuscrit, et j’ai dû les remplacer en m’aidant du sens général de la phrase. Il faut en accuser la gent trotte-menu, qui, ne se trouvant malheureusement pas à la portée de la baguette du sous-maître, a commis sur la prose de maître Gouttebaron des déprédations regrettables, et m’a ainsi causé un surcroît de besogne. Mais les rats n’auront pas lieu de s’en réjouir. Bien que leur taille soit assurément à la hauteur de mon talent d’écrivain, je ne serai jamais le chantre de leur gloire, et je ne me sens nullement disposé à ajouter une ou plusieurs pages au Ratapolis de Sigrais, ni au Laus murium de Conrad Rudemaunn.

Les noms des directeurs de l’école, qui choisissaient les maîtres et les sous-maîtres, ne sont pas mentionnés dans le manuscrit. Ce n’est pas qu’ils aient été dévorés, soyons juste : ils n’ont jamais été inscrits. D’autres documents nous ont appris que ces directeurs étaient le curé de Saint-Haon, l’abbé du monastère d’Ambierle qui nommait à la cure, et le seigneur.

Les sous-maîtres, dit Gouttebaron, doivent « faire signe » avec une baguette aux écoliers qui badinent. Faire signe ! Voilà une expression bien vague, et dans laquelle l’exécuteur du règlement pouvait se mouvoir à l’aise. Car nombreuses sont les manières de faire signe. Etant données les habitudes « classiques » des siècles derniers, il est peu probable que les sous-maîtres se bornassent à tracer avec leur baguette un signe dans les espaces vides. Leur geste devait être plus ou moins accentué, suivant la gravité du « badinage », et enfin, dans les grandes occasions, la crainte de casser leur baguette devait peu les préoccuper : le pays en produisait en abondance.

A l’époque de notre enfance, la susdite baguette s’était transformée en une longue tige d’arbrisseau qu’on appelait « gaule ». Je vois encore dans mes souvenirs la mère Angélique, qui était chargée par la confiance des familles d’inculquer à quelques douzaines de bambins des deux sexes les premiers principes de l’alphabet ; je la vois, dis-je, allonger sa dextre armée d’une longue gaule et, sans quitter sa place, atteindre le coupable jusque dans les parties de la salle les plus éloignées. Hélas ! le temps a tout emporté : la mère Angélique, la gaule et notre jeunesse.

Continuons notre revue. Les autres officiers de l’école sont :

« 1° L’intendant ou observateur qui a veue sur les autres officiers et écoliers, afin que les uns et les autres fassent leur devoir, étudient, soient modestes, tant dedans que dehors de l’école ; qu’ils aillent en ordre dans les processions et à la messe, où le maître doit les conduire tous les jours, tant que faire se peut ;

2° Les aulmoniers ou récitateurs, qui font la prière de l’école, servent la messe, balient et aident à orner l’église, quand il est besoin, et questent pour les pauvres, lorsque les écoliers déjeunent, gouttent, etc. ;

3° Les décurions des leçons et du catéchisme, qui doivent faire lire les leçons et répéter le catéchisme avant qu’on aille lire devant le maître ; ils suppléent et font aussi par fois les fonctions du soûmaître. [On] peut mettre des [décurions en] proportion que l’[école est] nombreuse. Un décurion peut faire réciter environ quinze ou seize enfans ;

4° Un préfet de l’escriture, qui a soin des exemples, des écritoires, des plumes, règles, etc. ;

5° On peut y ajouter un préfet de modestie, pour le bon exemple des autres, et c’est luy qui a le soin de doner l’eau bénite, et les aulmoniers de distribuer les chapelets à l’église. »

Tous les dignitaires que nous venons d’énumérer étaient choisis parmi les clercs ou parmi les écoliers les plus instruits.

Passons au menu peuple. M. Gréard, dans le livre cité plus haut, s’exprime ainsi (page 84) :

« La première chose que nous avons dû chercher à obtenir, au point de vue de la direction de l’enseignement, c’était une bonne distribution de classes. Comme dans toute œuvre sérieuse, il a fallu des années pour établir les bases de l’organisation pédagogique qui est aujourd’hui notre règle. »

C’est une chose qui paraît avoir aussi préoccupé maître Gouttebaron d’une manière spéciale. Dans la partie de son manuscrit intitulée : « Observations pour la perfection des écoles, » la distribution des classes est le premier point dont il s’occupe ; c’est cette règle qu’il place en tête du chapitre : « Il faut, dit-il, observer, tant que faire se pourra, de diviser les écoliers en classes ou bandes différentes, quand ils sont en nombre suffisant, distinguant les premières et dernières places. »

Pour que, à une distance de deux siècles, ces esprits, placés aux deux extrémités de l’échelle, l’un, haut fonctionnaire de l’instruction publique, l’autre, simple maitre d’école, aient proclamé l’importance exceptionnelle de cette division des écoliers, il faut assurément qu’elle soit bien essentielle.

Le nombre des bandes ou classes existant en fait dans l’école Gouttebaron, et la liste des livres mis entre les mains des enfants, nous sont indiqués par la seconde observation relative à la « perfection des écoles » :

« Les livres dont on s’y doit servir sont, sçavoir, en première classe, où l’on met les enfans les plus ignorans, le petit ou premier alphabet est le livre duquel on se doit servir.

Pour la seconde, le grand ou second alphabet, dont une partie est divisée par syllabes.

Pour la troisième, le psautier.

Pour la quatrième, où sont les plus capables, qui écrivent, lisent aux contrats, l’on s’y servira de livres latins et françois, tels que sont l’Introduction à la vie dévote, les Pratiques familières du christianisme et de la civilité, ou autres semblables. L’on ne doit passer à la lecture du françois, que lorsqu’on lit passablement le latin.

Pour le catéchisme, l’on se servira de celui qui est divisé en différentes classes.

Pour l’écriture, les exemples seront tirés de l’Abrégé des actions des saints qu’on a fait imprimer pour ce sujet. »

L’Introduction à la vie dévote est l’œuvre de saint François de Sales.

Le livre des Pratiques familières de la civilité ne serait-il pas l’ouvrage de Jean Sulpice de Veroli, déjà utilisé dans les écoles au seizième siècle ? L’on peut, sans blesser les vraisemblances, croire que cet ouvrage était encore en usage à la fin du dix-septième siècle. Le Grécisme d’Ebrard de Béthune, et le Doctrinal cités par Rabelais au milieu « d’ung tas d’aultres » comme ayant été donnés à Gargantua par Jobelin Bridé, un de ses premiers maîtres, étaient bien autrement anciens. Le Grécisme datait de 1112, et il n’avait rien perdu de sa popularité à la Renaissance. Le Doctrinal, grammaire latine en vers léonins, avait été composé en 1242 par le cordelier Alexandre de Villedieu.

Gouttebaron exigeait que l’on commençât par la lecture des livres latins. Il pensait que les écoliers, moins familiarisés avec cette langue qu’avec le français, apporteraient malgré eux plus de soin à la lecture, et s’habitueraient à prononcer les mots plus correctement et à mieux observer la ponctuation et les pauses nécessaires.

L’Abrégé des actions des saints, dans lequel on doit copier les « exemples pour l’écriture », était l’œuvre de Ribadeneyra, auteur espagnol, traduit en français à cette époque.



CHAPITRE IV
suite du règlement. — exercices scolaires pour la classe du matin. — classe du soir. — écriture.
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§ Ier. — Récitation de la Prière.
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Pendant notre causerie, la salle s’est remplie ; un grand silence s’établit dans les rangs. Maître Gouttebaron fait son entrée ; il s’installe dans sa chaire. Les exercices vont commencer. Cependant on attend encore un écolier. Ah ! la porte s’ouvre, le voici : c’est un externe. Aussitôt le maître dit : « Benedictus qui venit » et toute l’école répond : « In nomine Domini. Amen. » C’est ce que prescrit le règlement quand un externe entre à l’école.

Tous les écoliers sont à genoux. On récite l’Ave Maria, puis la prière.

« Les aulmoniers la font posément, et toute l’école répète après eux. »

Gouttebaron ne veut pas que la prière soit marmottée ou dite sur un ton indifférent. En cela, comme en toute autre chose, il tient à ce que les écoliers se rendent compte de ce qu’ils récitent. En conséquence, les aumôniers parleront sans se presser, posément, et comme le recommande Rabelais : « Haultement et clèrement avecque pronunciation compétente à la matière. » (Gargantua, chap. XXII.)

Quelques lecteurs s’étonneront peut-être de me voir, à diverses reprises, invoquer Rabelais. Je réponds qu’en fait d’éducation et d’instruction, l’on ne saurait citer trop souvent ce prodigieux savant. Otez à Rabelais ce masque de bouffon qu’il a pris pour se faire suivre jusqu’à la fin de son immense travail, et vous reconnaîtrez qu’il résume à lui seul toute la science de son temps. « Ce qui fait un des charmes de la lecture de Rabelais, c’est qu’elle présente un vaste champ aux spéculations de tout genre. L’observateur, l’érudit, l’historien, le philosophe y moissonnent à l’aise. » (Avant-propos de l’édition de Louis Janet ; Paris, 1823.)

§ II. — Étude du Catéchisme.
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Après la prière, on passe à l’étude du catéchisme.

Les maîtres d’école étaient tenus d’enseigner le catéchisme en vertu d’un décret du concile de Latran, assemblé en 1215, et qui, suivant les Annales ecclésiastiques du cardinal Baronius, dura depuis la saint Martin jusqu’à la saint André. L’autorité de ce concile fut si grande, dit Bossuet (Variations, chap. xv) que la postérité l’a appelé par excellence le Concile en général. Je trouve dans le Vray Trésor de la doctrine chrétienne, par Nicolas Turlot (édition de 1673, page 5), la teneur du décret en question :

« Nous ordonnons, dit le Concile, que les maîtres d’écoles et les précepteurs soient tenus d’enseigner non-seulement la grammaire, la rhétorique, et les autres sciences, mais aussi les choses qui concerne (sic) la religion, comme les commandements de Dieu, les articles de la foy, les hymnes sacrés, les psaumes, les vies des saints. »

Sur ce point, le règlement s’exprime ainsi qu’il suit :

« Après la prière qui s’est faite à l’entrée de l’école, le maître ou décurion du catéchisme dira tout haut une demande du catéchisme avec la réponse. Laquelle toute l’école répétera une ou deux fois, chacun étant debout et découvert, ce qui se pourra de même pratiquer à la sortie de l’école. »

Ailleurs, Gouttebaron dit encore :

« [La] prière étant faite, et les [écoliers ét]ant debout, le maistre [fait une demande] du catéchisme, pour… [à la]quelle il répond luy même ; [il la fait] une seconde fois, et [les écoliers ré]pondent avec luy ; puis il la fait à divers enfans pour voir s’ils la savent, et, quand ils la savent, il leur donne la demande suivante à apprendre pour la première fois que les enfans viendront à l’école. Il fait de même pour la demande des grands que pour celle des petits. »

Nous voyons surgir ici un nouveau classement des écoliers. Pour l’enseignement du catéchisme, il n’y a plus que deux « bandes ou classes ». L’une comprend les première, deuxième et troisième classes ordinaires ; c’est la bande des petits. L’autre se compose de la quatrième classe ordinaire, celle où sont les écoliers les plus instruits.

§ III. — Le Déjeuner.
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« Ces deux demandes du catéchisme finies, les deux aulmoniers disent le Benedicite : « Mon Dieu, bénissez la nourriture que je vay prendre, pour m’entretenir en vostre service. R. Benedicite, » etc.

Les écoliers s’assient.

On lit pendant le déjeuner qui peut être d’un petit quart d’heure, après quoy étant debout les aulmoniers disent grâces auxquelles les enfans répondent. »

La lecture à ce moment était sans doute destinée à empêcher les enfants de trop « badiner » en mangeant. Ce devait être quelque lecture amusante dans le genre, toute proportion gardée, de celle que l’on faisait à Gargantua : « Au commencement du repast, estoyt leue quelque hystoire plaisante des anciennes proesses. » (Chap. xxii.)

Nous avons vu que, pendant le déjeuner, les aumôniers sont chargés de faire la quête. Il s’agit très-probablement des bribes du repas. Cette coutume existe encore aujourd’hui dans quelques pensionnats.

§ IV. — De la Lecture.
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« Grâces finies, les enfans étant encore debout, les aulmoniers font le signe de la croix, et les [éc]oliers répondent : « Am[en]. » Ensuite ils disent : « Do[mine labia] mea aperies », et les [écoliers répondent] : « et os meum annun[tiabit laudem] tuam. »

Ensuite les enfans [s’assient].

Le maître dit :

Enfans, prenez vos livres ;

Montrez-les ;

Cherchez vos leçons ;

Estudiez. »

Que si le maître ne veut pas faire ce commandement, il le fait faire au premier soûmaître. »

Le manuscrit porte qu’après chaque commandement, on doit faire une pause. ici se place une observation. Le rédacteur du règlement a, sous ce titre « Explication des notes », consacré plusieurs lignes à l’explication de certains signes employés par lui.

Les mots précédés d’un R doivent être récités par l’aumônier seul.

Les réponses que l’écolier doit faire sont précédés d’un R barré.

Une grosse virgule après la phrase signifie que l’on doit faire une pause « qui doit être plus longue lorsque l’on marque plusieurs points, et beaucoup plus grande aux X barrés, à proportion qu’il y en a. »

Les commandements que nous venons de citer : « enfants prenez vos livres », etc., sont suivis d’un X barré.

« La bande des plus savants commence à lire, et puis chaque bande en son rang.

Avant que de lire la leçon, le premier de la bande dira tout haut et les autres tout bas : « In nomine Patris et Filii, » etc., ou bien : « Au nom du Père, » etc. L’aumônier dit : « Domine labia mea aperies ; » l’école répond : « et os meum annuntiabit laudem tuam. »

Quand l’enfant qui lit tout haut se manque, le maistre frappe un coup d’une petite cloche qu’il tient en sa main, pour lui faire répéter le mot où il s’est manqué. [S’il] se manque encore, il faut frapper deux coups, pour avertir [le second] qu’il le reprenne ; si le second se manque encore, [frapper en]core autres deux [pour a]vertir le troisième ; [de même pour les a]utres ; si tous se manquent, le maistre ne dit point le mot, mais fait connaistre la faute qu’on a faite. »

Ainsi, point de paroles grossières aux écoliers qui se trompent ; Gouttebaron qui connaît le prix du temps ne le perd pas en vaines récriminations. Il « ne dit point le mot », et se borne à faire remarquer l’erreur que l’on a commise.

« Pendant qu’on lit les leçons, le décurion du catéchisme pourra faire répéter tout bas ce qui est dans le catéchisme de la première, deuxième et troisième classe, et les autres choses que le maistre trouvera à propos pour instruire ceux qui en auront besoin.

Quand l’horloge sonne, l’on se lèvera et fera le signe de la croix sur son cœur : « Jésus, Maria, Joseph. Mon Dieu, je crois que vous me voyez, et je vous aime de tout mon cœur, » etc. ; ou bien l’on fera à chaque heure un des actes de foy, d’espérance, etc. »

Dans les parties du règlement que nous venons de parcourir, le lecteur a sans doute remarqué combien Gouttebaron variait les exercices et les poses des écoliers. Il s’appliquait à bannir la lassitude tant de leur esprit que de leur corps. Il avait aussi le soin de toujours éveiller l’attention des enfants. Pendant qu’il faisait la classe aux « grands », les décurions s’occupaient des « petits ». Utile précaution ; car si l’on eût laissé ces jeunes écoliers livrés à eux-mêmes, plus d’un aurait imité le bon Gargantua qui, à l’époque des « vieux tousseux » ses premiers précepteurs, « estudioyt quelque meschante demye heure, les yeulx assis dessus son livre ; mais son asme estoyt en la cuisine. »

« La lecture finie, on fait la prière à la fin de l’école. C’est les aulmoniers et [les] écoliers qui font cette prière, de la même manière [qu’ils] font la première, et l’on conduit les enfans à la messe. »

§ V. — Assistance à la Messe.
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« Entrez dans l’église avec respect, modestement, sans regarder ny d’un costé, ny d’autre. » Conseil dont beaucoup de personnes pourraient encore aujourd’hui tirer profit !

A l’entrée de l’église, le « préfet de modestie » donne l’eau bénite et, quand on est placé, les aumôniers distribuent les chapelets. La messe principale, celle à laquelle assistait l’école devait être célébrée à une heure peu avancée. Un document manuscrit nous indique, en effet, que les vêpres, se disant, comme on le sait, immédiatement après la messe principale quand elles ont lieu le matin, étaient chantées entre dix et onze heures. (Contrat de fondation de messes par Eustache Préfol, prêtre sociétaire, le 15 novembre 1724. — On y lit cette phrase : « Et attendu que, suivant l’usage, les vêpres se chantent, dans le temps de caresme, sur les dix à onze heures du matin… ») Un autre document fixe l’heure de la fin des offices en carême entre dix et onze heures du matin. C’est une plainte adressée par le sieur Maret, notaire royal, au lieutenant général du Roannais au siège de Saint-Haon, en mars 1645.

Cette seconde pièce contient, en outre, le récit d’une scène qui eût fort scandalisé le préfet de modestie de l’école Gouttebaron, s’il eût vécu cinquante ans plus tôt. A l’issue des exercices religieux, un certain quidam, après avoir proféré des blasphèmes et des menaces de mort, osa porter la main ou plutôt le bâton sur l’honorable tabellion de la ville. Mais laissons la parole au plaignant : « Remonstre humblement que le trentième du moys de mars, venant de l’église duy lieu, sur les dix ou onze heures du matin, il fut suivy par certaine personne qui tenait en sa main un long baston, et l’ayant abordé lui disant : « Mordiou, cocquin ! il n’y a personne qui aye voulu faire contre moi pour le bout du monde que toy et ton cocquin de fils ; mais, par la mordiou, je vous perdray tous deux et vous tueray ! » et à mesme instant, aveq son baston en frappa deux coups aux jambes duy Maret, un autre sur l’épaule droite aveq contuzion. » Pour ce fait et autres semblables, le suppliant sollicitait des lettres monitoires nomine dempto.

§ VI. — Classe du soir. — Écriture.
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Le règlement ne donne pas de détails sur la classe du soir. Il indique seulement que « on observe pour le soir la même règle que pour le matin. »

Jusqu’à présent, il n’a été question qu’incidemment de l’enseignement de l’écriture. Maître Gouttebaron avait probablement l’intention d’en exposer les principes ; le manuscrit contient, en effet, trois lignes ainsi conçues : « Règles pour l’écriture. Les lettres doivent être dans une égale distance. » Le rédacteur avait même joint l’exemple au précepte. Les mots sont écrits en caractères plus gros et encore plus réguliers que dans les autres parties du cahier, et les lettres sont contenues entre deux traits horizontaux. Gouttebaron n’a malheureusement pas donné suite à son projet. Le reste de la page est en blanc. Il est, du reste, hors de doute que, dans cette école, l’on enseignait à écrire ; l’existence du « préfet de l’écriture » en est une preuve péremptoire.



CHAPITRE V
classes des mercredi et samedi soir, consacrées spécialement au catéchisme.
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Le manuscrit nous apprend que les classes des mercredi et samedi soir étaient spécialement consacrées à l’enseignement du catéchisme.

« Le catéchisme qui se fait le mercredy et le samedy soir se divise en trois parties. La première est de faire répéter [la] prière aux enfans. [La] seconde est de leur faire [réciter l’a]brégé de la foi, [c’est-à-dire] les trois premiers [chapitres du] catéchisme. La [troisième] est pour les grands, [dans laquelle] on fait des petites questions sur chaque mot des réponses du catéchisme.

On commencera le plus souvent par la répétition des demandes et réponses qui ont été faites depuis le dernier catéchisme, dont quelques-uns des écoliers disputeront l’un contre l’autre. Le maistre expliquera ensuite familièrement chaque réponse, et lira autres choses qu’il croira les plus nécessaires. »

Ici, une pause, comme dirait maître Gouttebaron.

En lisant attentivement cette partie du règlement, on est vraiment frappé de la concordance de ses prescriptions avec les théories proclamées par les auteurs les plus compétents en matière d’instruction. Pour en convaincre le lecteur, il suffira de rappeler les points principaux de ces prescriptions, et de placer en regard les idées exprimées par ces auteurs :

1° « Le maistre fera des petites questions sur chaque mot des réponses du catéchisme. »

Ce que l’élève vient d’apprendre, dit Montaigne (Essais, chap. xxv), le professeur « le luy fait mettre en cent visages, et accommoder à autant de divers sujets, pour voir s’il l’a bien prins et bien fait sien. »

« Une leçon ne consiste plus dans un morceau appris par cœur et récité à tour de rôle devant la chaire du maître. L’instituteur expose, commente, interroge, met l’enfant en demeure de reproduire l’explication donnée ; la vie circule dans les bancs, sous la forme d’interrogations individuelles ou de questions collectives. » (M. Gréard ; Instruction primaire à Paris, page 93) ;

2° « Les écoliers disputeront l’un contre l’autre sur les parties du catéchisme apprises précédemment. »

« Il faut que l’élève sçache qu’il sait… — Il est bon de frotter et limer notre cervelle contre celle d’aultruy » (Montaigne) ;

3° « Le maistre expliquera ensuite familièrement chaque réponse du catéchisme. »

« L’abstraction, dit M. Gréard (page 96), est l’écueil de l’école. Les exercices pratiques… les démonstrations simples, familières, voilà son âme et sa vie. »

Notons bien qu’il est certain que Gouttebaron, dont nous connaissons l’intelligence, appliquait aux autres parties de l’enseignement la méthode suivie par lui pour le catéchisme.



CHAPITRE VI
encore moins gai que le précédent. — On y parle de la maladie, de la mort, des cimetières, du tonnerre et de la peste.
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Le règlement prévoit quelques circonstances exceptionnelles pour lesquelles il prescrit certains exercices.

« Quand il tonne extraordinairement, le maistre les aspergera d’eau bénite, disant : Asperges, Domine, etc. ; et les écoliers se signeront. — R. A fulgure et tempestate ; réponse : Libera nos, Domine. — R. A subitanea et improvisa morte ; réponse : Libera nos, Domine. »

En pareil cas, il est encore d’usage, dans le pays de Saint-Haon, d’allumer dans la pièce principale de l’appartement un cierge bénit, et de placer sur la table un vase d’eau bénite avec une branche de buis. On asperge la chambre.

« Quand on porte le Saint-Sacrement aux malades : O salutaris Hostia, etc. Mon Dieu, baillez au malade ce qui luy est nécessaire pour son salut et vostre gloire. Ave Maria, tout bas. »

« Quand l’un des directeurs, écoliers ou bienfaiteurs des écoles est malade, on dira à la fin de la prière ou de la messe : Ostende nobis, Domine, misericordiam tuam, etc. »

Nous connaissons les noms des directeurs.

Parmi les principaux bienfaiteurs à diverses époques, nous pouvons citer : 1° Anne Dauphine, comtesse de Forez, fondatrice des petites écoles, 1390 ; 2° Louis de Martinière, seigneur de Taron et coseigneur de Renaison sous Louis XIV ; 3° le curé Préfol Eustache, entre 1720 et 1750 (Voir les registres de la cure.)

« Quand quelqu’un des susnommés est décédé, ou qu’il passe un covoy proche l’école, l’on dira : De profundis, etc. »

L’école était située près du passage d’un assez grand nombre de convois funèbres. A l’époque où vivait Gouttebaron, le cimetière établi antérieurement à Saint-Roch avait déjà été transporté autour de l’église ; cependant on enterrait encore quelques enfants à Saint-Roch.

Certaines personnes obtenaient d’être ensevelies sous l’église même. Nous en trouvons la preuve dans un titre de rente concédé aux prêtres sociétaires par le sieur François de la Chèze, « maistre pharmacien et chirurgien de la ville de Saint-Haon-le-Châstel (1684) ». Il y est question de la tombe d’un sieur Jean Perrin, marchand, qui est au « coing de la chapelle de la sainte Vierge », et sur laquelle on doit chanter des Libera me. Cette coutume existait encore en 1747, ainsi que l’établit une concession d’augmentation de banc dans l’église faite par les fabriciens à Jean-Baptiste Mourier et au sieur Maillant : « Convenu, en outre, que lesdits sieurs Mourier et Maillant auront le droit de sépulture et en jouiront sous le banc ci-dessus accordé en augmentation, comme ils en jouissaient sous l’ancien banc. »

« Au tems de caresme, lundis et vendredis, et dans le tems d’afflictions publique (sic), on pourra dire les Litanies des souffrances de Jesus, ou bien : Domine, non secundum peccata… etc.

Jesus, delivrez-nous de guerre, peste et famine. » (Extrait des litanies insérées dans le manuscrit.)

Nous avons été étonné de ne pas trouver, au nombre des prières indiquées, une « Oraison contre la peste, » prière qui devait cependant être connue à cette époque, et dont copie a été retrouvée dans les papiers d’une famille de Saint-Haon. Nous réparons cet oubli. La prière est intitulée comme suit :

« Oraison contre la peste, laissée par divine inspiration au monastère des religieuses de Sainte-Claire, en la ville de Commbre en Portugal, lorsqu’il était fort travaillé de contagion, laquelle disant, incontinent la maladie cessa, comme il s’est veue depuis par grande expérience qu’elle a cessé en ces endroits, et sont préservés ceux qui s’en sont dévotement et journellement servis avec entière confiance en Dieu, par l’intercession de la Vierge, et ceux qui ne sçauront lire la pourront (porter). »



Le lecteur connaît maintenant dans son entier le règlement rédigé par maître Gouttebaron. Il lui appartient de décider si, en tenant compte de l’époque où vivait l’auteur du manuscrit, son œuvre confirme ou contredit mes propres impressions et les données de la science graphologique.





CHAPITRE VII
prix des mois d’école. — noms des écoliers externes. — pensionnat.
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Un document faisant partie de la collection de M. le docteur Noëlas nous révèle que, déjà au dix-septième siècle, les parents ne payaient pas toujours très-exactement les mois d’école. Après une longue patience digne d’un meilleur sort, maître Gouttebaron se vit dans la nécessité de poursuivre judiciairement un de ses débiteurs. Ce fut en l’an mil six cent quatre vingt-quinze que ce désagrément lui survint ; incident assurément pénible pour lui, mais qui devient pour nous une circonstance heureuse. Il nous fait connaître le prix de ce qu’on appelle aujourd’hui l’écolage. Le prix était de cinq sous par mois, somme qui paraîtra bien minime. Mais il ne faut pas oublier qu’à cette époque l’argent avait une valeur beaucoup plus grande que de nos jours. Gouttebaron possédait au surplus d’autres ressources. Il jouissait de plusieurs avantages, notamment d’un logement gratuit ; il tirait de sa plume des produits multiples ; nous savons qu’il remplissait l’office d’aide contrôleur. Il était aussi quelque peu écrivain public et rédacteur d’actes privés pour les particuliers ; certaines indications écrites sur la couverture de son manuscrit me le font présumer.

L’original de l’assignation lancée à l’occasion de la poursuite dont j’ai parlé porte en tête une note que je transcris textuellement :

« Estat des mois deubz à Me Pierre Gouttebaron par les héritiers de feue Agathe Bergé-Premier. Agathe Bergé, veuve de la paroisse de Renaison, me vint recommander Jean son fils unique le cinqe aoust MVIe nonante-deux et devoit, au premier juillet mil six cent nonante-quatre, vingt-trois mois, et elle l’a fait continuer jusqu’à sa mort qui arrivat le dix-huit février dernier, qui sont encore plus de sept mois et demy ; mais comme elle en avait quelques jours affaire, je veux en rabatre trois mois et demy, et ne demande que de deux ans et trois mois les salaires mérités de l’avoir enseigné de mon possible à lire et à prier Dieu. Mont : six livres quinze sols. »

L’assignation est donnée à la requête de maître Gouttebaron, recteur d’école de Saint-Haon-le-Châtel, au sieur Jean Bergé, vigneron au bourg de Renaison, et héritier testamentaire d’Agathe Bergé, sa sœur, pour comparaître pardevant M. le bailly ou M. le lieutenant général de Roannais et châtellenies y unies, en payement de six livres quinze sols.

Quelle fut l’issue de ce procès ? Gouttebaron, obtint-il condamnation, et, après la condamnation, fut-il payé de la somme qu’il réclamait ? Je n’ai trouvé aucun renseignement à cet égard. Je vois seulement, dans des pièces jointes à l’assignation, que le procureur du demandeur se nommait Guy Dombes, et celui du défendeur, Bouchand, et que la cause était fixée pour recevoir jugement au jeudi qui suivrait le dix février 1696.

Mais je m’aperçois que tous ces détails sont un peu étrangers au sujet qui nous occupe ; je m’arrête. Le lecteur voudra bien pardonner cette petite digression à un ancien avocat.

Revenons à nos… écoliers.

Les noms des enfants fréquentant l’école Gouttebaron sont inscrits sur un tableau qui fait partie du manuscrit. Je ne remarque dans cette liste aucun nom qui ait acquis par la suite une célébrité quelconque ; je la transcris cependant, dans la pensée qu’elle pourra intéresser quelques personnes.

Die 14 juin 1692.
Noms, surnoms des écoliers, pour prendre garde à ceux qui mal à propos s’absenteront :
Jean Mourier.

François Mourier.

Pascal Pierre.

Joseph Mourier-Giraud.

Joseph Francillon.

Pierre Cornu.

Claude Martin.

Guy Chappes.

Jean Bouchand-Platot.

Gilbert Desanges.

Annet Desanges.

Paul Rochette.

Gilbert Achille.

Achille Tesrder.

Jean Moullier.

Guillaume Cotton.

Jean Cotton.

Antoine Paire.

Pierre Detour.

Jacques Detour.

Claude Suret.

Benoît Vallier.

Claude Guyot.

Ducoing.

Desmarets.

François Champromis.

Joseph Perche.

Pierre Jobert.

Hugues Tingues.

Nicolas Jansson.

Joseph Faure.

Frédéric Paire.

Jean Guyonnet.

Joseph Guillaume.

Simon Purelle.

Pierre Verrier.

Antoine Bergeron.

Aimay Dubois.

Gilbert Champromis.

Jean Fournier.

Le but dans lequel cette liste avait été dressée fait supposer qu’elle énumère seulement les noms des élèves « externes ». Quoi qu’il en soit, il existait des « internes ». Cette phrase du manuscrit déjà rappelée : « quand un externe entre à l’école ; Benedictus qui venit », etc., ne laisse aucun doute sur ce point. Si l’école n’avait compté qu’une catégorie d’écoliers, on n’aurait pas dit : « quand un externe », mais « quand un écolier entre » etc…

Rien de surprenant d’ailleurs, à constater, dans Saint-Haon, la présence d’un internat. La ville, qui nourrissait de nombreux marchands, une petite garnison, des juges et leurs satellites, et toute une association de prêtres, pouvait bien suffire à procurer « la nourriture saine et abondante » d’un petit pensionnat.

Autre preuve, s’il en était besoin. Le manuscrit mentionne des prières qui doivent être faites le matin après le lever.

Il en relate aussi qu’il faut dire le soir avant le coucher, c’est-à-dire à un moment où les externes ne sont plus à l’école :

« Litanies de la Vierge pour dire le soir en la prière qu’on doit faire avant que se coucher, et à la fin des leçons du soir, les samedis, les veilles et pendant l’octave des festes de la sainte Vierge… Et puis faites les prières comme elles sont au petit livre de Monsr Morange, tout de long. »

Cet acte accompli, les écoliers « entroyent en leur repous ». Permettez-moi, chers lecteurs, d’en faire autant, et si j’ai pu retenir jusqu’au bout votre bienveillante attention, je marquerai de croix blanche cette journée : elle sera pour moi alba dies.


TABLE


Pages.
Chapitre I. — Où il est question d’un vieux manuscrit, d’un maître d’école appelé Gouttebaron, et de la Graphologie 
 3
Chapitre II. — Importance de Saint-Haon-le-Châtel dans les siècles passés. — Fondation des petites écoles 
 10
Chapitre III. — Règlement de l’école. — Officiers. — Division des écoliers. — Livres employés 
 15
Chapitre IV. — Suite du règlement. — Exercices scolaires pour la classe du matin. — Classe du soir — Écriture 
 25
§ 1er  : Récitation de la prière 
 25
§ 2e : Etude du catéchisme 
 27
§ 3e : Le déjeuner 
 28
§ 4e : De la lecture 
 29
§ 5e : Assistance à la messe 
 33
§ 6e : Classe du soir. — Ecriture 
 34
Chapitre V. — Classes des mercredi et samedi soir consacrées spécialement au catéchisme 
 35
Chapitre VI. — Encore moins gai que le précédent. — On y parle de la maladie, de la mort, des cimetières, du tonnerre et de la peste 
 38
Chapitre VII. — Prix des mois d’école. — Noms des écoliers externes. — Pensionnat 
 42