Un garçon de chez Véry
UN GARÇON DE CHEZ VÉRY
COMÉDIE
EN UN ACTE, MÊLÉE DE COUPLETS
Représentée pour la première fois, à Paris, sur le théâtre de la Montansier (Palais-Royal), le 10 mai 1850.
Acteurs qui ont créé les rôles.
Antony, garçon de chez Véry : MM. Levassor
Anatole Galimard, rentier : Amant
Alexandre, officier de spahis : Valaire
Madame Galimard. : Mlle Juliette Pelletier
Scène première
Le théâtre représente une salle à manger. — Porte au fond. — Deux portes latérales au premier plan. — Sur le deuxième plan, à la droite du public, une porte conduisant à la cuisine. — Deux petits meubles au fond, un de chaque côté de la porte. — Une table à droite, premier plan. Un petit guéridon à gauche, premier plan.
Madame Galimard, seule, à la cantonade
C’est bien !… je vous ai payé vos huit jours… ne revenez jamais !… Hein ?… vous n’êtes qu’une sotte, une péronnelle !
Scène II
Je viens de la mettre à la porte, votre Jeannette !
Comment ! une si bonne fille ! la renvoyer… un jour où j’attends du bois !
Je l’avais prise pour tout faire, et Mademoiselle refuse de vernir le ceinturon de notre cousin Alexandre, sous prétexte qu’il est militaire.
Le ceinturon ! le ceinturon ! que diable ! ce n’est pas l’affaire d’une bonne… c’est l’affaire d’un tambour… Jeannette n’est pas un tambour.
Aussi je compte prendre un domestique mâle.
Ah ! bah !
Je l’attends aujourd’hui… ma tante doit me l’envoyer.
Allons bon ! une figure nouvelle ! un jour où j’attends du bois !
Justement ! un homme est plus fort… il pourra vous aider.
C’est égal !… elle m’allait, moi, cette Jeannette ! j’étais habitué à lui dire : "Jeannette, ma camomille !… Jeannette, ma bourrache !… Jeannette !…" tandis que je vais avoir là un grand gaillard, avec de la barbe… comme moi… qui sera électeur… comme moi… et qui ne votera pas comme moi !… et tout ça pour le ceinturon du cousin Alexandre, que le diable emporte !
Monsieur Galimard, parlez avec plus de respect d’un jeune officier de l’armée d’Afrique qui est mon parent.
Je n’attaque pas l’armée d’Afrique ; mais c’est très désagréable pour un mari de rencontrer dans tous les coins de sa maison un spahi… et qui te regarde avec des yeux… de spahi !
Que voulez-vous dire ?
Je n’attaque pas l’armée d’Afrique ; mais je trouve que le semestre du cousin se prolonge bien longtemps… voilà huit mois qu’il dure, le semestre du cousin !
Il a obtenu une prolongation.
Ca ne serait rien encore, s’il se contentait de prendre ses repas, son absinthe, son café, son petit verre, et caetera, et caetera… Mais il est toujours là, entre nous deux… comme un mur mitoyen.
Eh bien ?
Qu’est-ce que c’est que ça ?
La lune ! (Continuant.) Descend sur l’horizon, vous vous montriez moins cruelle.
Ah ! nous y voilà !
Caroline ! vous dormez d’un côté, et moi de l’autre !… deux chambres…
C’est de bon ton, c’est l’usage chez les gens comme il faut. Vous avez reconnu vous-même que cet arrangement était nécessaire… à cause de votre rhume… Impossible de fermer l’œil… vous toussez !…
Oui, mais je suis guéri !… je ne tousse plus !… (Tendrement.) Caroline ! je ne tousse plus… au contraire… maintenant, je soupire… si tu savais comme je soupire !
Vous n’êtes pas honteux… à votre âge !
L’âge n’y fait rien !… Regarde Ninon de Lenclos !
Qu’elle est belle, ma femme !… Ah ! je suis bien fâché de m’être enrhumé cet hiver !
Eh bien, qu’attendez-vous là ?
Rien ! J’étais venu chercher de l’eau pour ma barbe ; mais, puisque Jeannette n’y est plus…
Donnez, je vais vous en faire chauffer.
Elle remonte vers la cuisine.
Caroline ?
Quoi ?
Rends-moi le petit passe-partout qui ouvre…
Laissez-moi ! vous êtes fou.
Ensemble
Air de la Polka d’Auvergne (Lait d’ânesse)
Madame Galimard
Votre santé m’inquiète,
Ma prudence y pourvoira ;
Et je vous mets à la diète
Pour guérir ce rhume-là.
Galimard
Sur ma santé je regrette
Qu’on veille comme cela ;
C’est une trop longue diète
Pour guérir ce rhume-là
Madame Galimard entre dans la cuisine, au deuxième plan, à droite.
Scène III
Scène IV
Alexandre tient un bouquet qu’il cache derrière son dos en apercevant Galimard.
Oh ! le mari.
Le spahi ! il doit être l’heure de déjeuner.
Bonjour, cousin.
Bonjour, bonjour ! .. Pas mal… merci !… J’attends de l’eau chaude.
Ah ça ! est-ce que nous n’allons pas déjeuner ?
Là !… qu’est-ce que je disais ? (Haut.) Un moment ! nous n’avons pas de cuisinière…
C’est que je viens de fumer un cigare qui m’a ouvert l’appétit.
Ah ! vous fumez, vous ? (À part.). On me l’a défendu, à moi !
Scène V
Tenez, voici votre eau.
Merci, ma bonne !
Ma cousine, voulez-vous me permettre de vous souhaiter ?…
Eh bien, qu’est ce que c’est ?
C’est la fête de ma cousine.
La fête ?… vous l’avez déjà souhaitée hier.
Hier, c’était la veille.
Oui, mon ami, ça se souhaite aussi la veille.
Pourquoi pas toute l’année ?
Votre eau va refroidir… allez vous faire la barbe.
Allez vous faire la barbe.
Monsieur… (Avec douceur.) Je vais me faire la barbe !
Galimard sort par la gauche.
Scène VI
Ah ! les beaux camélias !… Alexandre, ce n’est pas bien : vous avez fait des folies.
Vous êtes si bonne pour moi !
De mon côté, je me suis occupée de vous…
Comment ?
Tenez !… vilain fumeur !
Que vois-je ? un porte-cigares… brodé à mon chiffre !
Chut ! Si mon mari savait… moi qui lui ai défendu de fumer !
Ah ! mon Dieu ! est-ce que vous partez bientôt ?
Hélas ! dans quelques jours.
Ah !
Si vous le vouliez un peu, Caroline, mon cœur pourrait emporter d’autres souvenirs !
Que voulez-vous dire ?
Auriez-vous déjà oublié le jour des Rois… chez Véry… cabinet numéro 7 ?…
Silence !… et mon mari ?…
Bah ! il se fait la barbe ! Quelle délicieuse soirée !… Assis tous deux sur un moelleux divan…
Assez !
Déjà nos mains s’entrelaçaient… nous touchions à ce doux communisme…
Alexandre !…
Une voix qui venait de se faire entendre dans le cabinet voisin…
Mais non… c’était ce garçon qui nous servait en criant : "Baoun !…"
Oh ! non ! non !… cette voix m’a terrifiée ! Quelle était-elle ? je ne sais pas… mais, j’en suis sûre… elle ne m’était pas inconnue…
Alors, impossible de vous retenir… vous prîtes votre châle, votre chapeau… et depuis, tout fut inutile : prières, amour, supplications…
Alexandre !
Alexandre
Air de Calpigi
Aussi je ne vous tiens pas quitte !…
Madame Galimard
Mais.
Alexandre
À dîner je vous invite !
Madame Galimard
Monsieur, c’est déjà trop, je crois,
D’avoir une première fois
Accepté… pour le jour des Rois.
Alexandre
Ce premier dîner, ma cousine,
Ne doit pas compter, j’imagine,
Puisqu’on a levé le couvert
Quand nous arrivions au dessert…
Nous avons manqué le dessert !
Scène VII
Peut-on entrer ?
Qu’est-ce que c’est ?
Est-ce bien ici madame… Attendez, j’ai l’adresse… (Il tire une adresse de sa poche. Lisant.) "Madame Galimard, rue des Moulins, 12 bis…"
J’ai vu cette figure-là !
Moi aussi !
"En son absence, s’adresser à M. Galimard, son époux, même rue, même numéro ! " (Parlé.) C’est tout. Ah ! non, il y a encore quelque chose… (Lisant.) "Sonner très fort." (Parlé.) J’ai trouvé la porte ouverte… c’est tout !… Non, il y a encore quelque chose !… (Lisant.) "Dans le cas où on n’ouvrirait pas, c’est que tout le monde serait sorti…" (Repliant le papier.) Voilà !… Madame Galimard… connaissez-vous ça ?…
La bourgeoise ! (Otant vivement son chapeau.) De la courtoisie !
Que demandez-vous ?
Madame votre tante, après m’avoir examiné, m’a dit que je pouvais me présenter comme domestique mâle…
Ah ! je vous attendais…
Pour ce qui est de la probité et de la propreté, on peut s’adresser à M. Véry.
Hein ?
Je desservais le 6 et le 7 !…
Ah ! mon Dieu !
C’est lui !
Alexandre et madame Galimard tournent vivement le dos à Antony et se cachent la figure avec leur mouchoir.
Pour ce qui est de cuisiner… je cuisine… Pour ce qui est de frotter… je frotte… et la pâtisserie aussi !… (À part.) Tiens ! elle a mal aux dents, la bourgeoise ! (Avec sentiment.) Pauvre femme ! (Se retournant vers Alexandre.) Pour ce qui est de cuisiner… je cuisine… Pour ce qui est de frotter… et la pâtisserie… (À part.) Lui aussi !… il paraît que la maison est humide ! (Haut à Alexandre.) Monsieur, je peux vous indiquer un remède… c’est très simple… Vous prenez une taupe…
Merci ! merci ! merci !
Il sort.
Vous prenez une taupe…
C’est bien ! je vais vous envoyer mon mari… Mettez le couvert… les assiettes sont dans l’armoire…
Et la cuisine ?
Par là !
Très bien !
Je vais dire à Galimard de le mettre à la porte… et tout de suite.
Je suis agréé !
Madame Galimard sort vivement par la gauche.
Scène VIII
C’est une affaire arrangée… Du moment que je plais à la femme, le mari… le mari… c’est de la gnognote ! (Pendant ce qui suit, il ouvre son paquet, y prend une veste qu’il passe.) Je crois que je serai très bien ici… la maison paraît calée… En entrant, j’ai vu quatorze paires de bottes sur une planche… Règle générale : toutes les fois qu’on voit quatorze paires de bottes sur une planche, on peut dire : "Voilà une maison calée !…" Moi, j’aime les gens riches !… d’abord, parce qu’ils sont riches… ensuite… parce qu’ils ont de l’argent !… Allons, c’est décidé… je me fixe ici, j’y fais mon trou… Ah ! la bourgeoise m’a dit de mettre le couvert… Où sont les assiettes ? ah ! dans l’armoire… (Il prend une assiette, et tout en l’essuyant.) Qu’est-ce que je demande, moi ? qu’on me nourrisse bien… qu’on me paye bien… qu’on me laisse prendre du ventre tranquillement… voilà pour le temporel… Quant au spirituel, je suis exempt de passions… je n’aime ni le jeu, ni le vin, ni… ah ! il y a les femmes !… hé ! hé !… Eh bien, non ! je n’ai jamais été bien cavalcadour sur cet article-là !… Et pourtant, chez M. Véry, j’étais aux premières loges pour me brûler le sang !… Quand on a servi le 6 et le 7 !… bigre de bigre ! il y faisait chaud, dans le 6 et le7 !… Après ça, moi, je ne regardais personne… je m’occupais de ma petite affaire… mes assiettes, mes couteaux, mes fourchettes… c’est au point que j’aurais pu servir ma propre femme sans la reconnaître… si toutefois j’avais eu une femme propre… qui me soit propre !… Mais, pour le quart d’heure, ce n’est pas là ce que je cherche… (Mélancoliquement.) Oh ! non, ma vie a un autre but !… je cherche mon père… Pauvre Antony !
Air de la romance de Joseph
Si dans ce monde j’ai ma place,
Je ne sais par qui ne comment.
J’y vins comme à travers l’espace
Vient la flèche du Mohican.
J’ai beau chercher, je perds courage,
Mon auteur me reste caché !
Et j’ignore, hélas ! quel sauvage
Dans le monde m’a décoché
Enfin, je suis ce qu’on appelle un… jeu de l’amour et du hasard !… À force de démarches, je me suis procuré deux renseignements précieux… Il y a vingt-six ans, à l’époque de ma naissance, mon père s’appelait Anatole, et sa taille était d’un mètre soixante-dix… Aussi, dès qu’un Anatole paraît… (Il tire de sa poche un mètre en ruban de fil rouge, semblable à ceux dont se servent les tailleurs.) Crac ! je le mesure !… Hier, j’en ai auné un sur le boulevard… Le misérable !… il s’en est fallu de cinq centimètres qu’il ne fût mon père. Malédiction ! (Il fait un geste et laisse tomber son assiette qui se casse.) Ah ! sapristi ! qu’est-ce qu’on va dire ? (Il ramasse les morceaux et les met dans sa poche.) Comme ça, ça ne se verra pas… morceaux cachés… sont à moitié raccommodés ! Chez M. Véry, on me faisait payer la casse… Au bout de six mois de service… nous avons fait nos comptes… je lui redevais quatre-vingts francs… c’est l’exploitation de l’homme par la porcelaine ! Alors, je lui ai dit : "Monsieur, je vois bien que je n’ai pas les moyens d’être votre domestique, je suis bien votre serviteur." (Achevant de mettre le couvert.) Là !… mon couvert est mis… (Se tâtant l’estomac.) Il doit être l’heure du déjeuner… Nous disons que la cuisine est par là… (Il entre dans la cuisine, à droite ; on entend un bruit de vaisselle cassée. Au-dehors.) Ah ! sapristi ! qu’est-ce qu’on va dire ?
Scène IX
C’est bien ! j’en fais mon affaire ; je vais lui donner son compte, au domestique mâle… et ce ne sera pas long ! (Avec satisfaction.) Enfin, ma femme reconnaît mon autorité… je me suis montré… j’ai dit : "Je le veux ! " et nous allons reprendre Jeannette ! Ah çà ! où est-il, cet animal-là, que je le flanque à la porte… (Appelant.) Garçon ! Garçon !
Baoun !
Ah ! mon Dieu ! cette voix !… ces écrevisses !… le garçon de chez Véry !
Il tire vivement son mouchoir et s’en couvre le visage.
Le bourgeois ! (Voyant Galimard se tenir la mâchoire.) Lui aussi !… Il paraît que c’est une famille qui est en train de faire ses dents.
Je suis perdu ! cet homme chez moi !… Et ma femme !… quelle position !… un jour où j’attends du bois.
C’est le moment de lui présenter mes hommages.
Si je pouvais le renvoyer sans qu’il me reconnût.
Monsieur Galimard…
Mon nom !… je suis reconnu.
Il ôte son mouchoir.
A-t-il l’air sûr de son fait !
De la parfaite considération…
Il rit sardoniquement, le gueux !
Avec laquelle j’ai l’honneur…
C’est égal, j’aurai du courage !
D’être votre très humble…
Je nierai effrontément… il n’a pas de preuves…
Très respectueux et très obéissant…
Et je le flanquerai…
Serviteur.
À la porte.
Il a des fourmis dans les jambes !… c’est le mal de dents ! (Avec douleur.) Pauvre homme !
Comment ça ?
Tu comprends… à mon âge… on a besoin d’être dorloté…
Pour ce qui est de dorloter… je dorlote.
Je le pense bien… mais rien ne vaut les soins d’une femme… En conséquence, tu vas me faire le plaisir de…
Comment ! vous me renvoyez ?
Non ! oh ! non… mais je te donne ton compte. (À part.) Puisqu’il n’a pas de preuves…
C’est bien, bourgeois… vous êtes le maître… mais je vous avoue que je ne m’attendais pas à ça… je me croyais à peu près sûr de mon affaire…
Voyez-vous, le gueux !
Prendre des domestiques à l’heure !… ce n’est pas bien… et, si on était méchant…
Ciel !… ma tabatière !… le général Foy !… il a des preuves !
Vous me permettrez bien de faire mes adieux à Madame ?… Je vais lui parler, et, quand elle saura…
Il remonte.Ma femme !… il va tout lui dire ! je suis dans ses griffes ! (Haut, ramenant Antony.) Non ! c’est inutile ! reste !… tu me conviens, tu me conviens beaucoup… je t’arrête !
Hein ?
Tu sais bien que je ne peux pas faire autrement.
Ah ! à la bonne heure !… Eh bien, franchement, vous ne trouveriez pas mieux… quand on a desservi le 6 et le 7…
Mais tais-toi donc !… il n’est pas nécessaire de rappeler… surtout devant ma femme !
C’est juste, je comprends vos scrupules. (À part.) C’est un homme chaste. (Haut.) Je m’abstiendrai de toute gaudriole.
Que dire à ma femme, à présent ? et comment acheter son silence, à lui ?…
Ah ! monsieur… je voulais vous demander… paye-t-on la casse dans cette maison ?
Oui…
Ah !…
Comme je voudrai… alors, on ne la paye pas… et je m’empresse de vous prévenir…
Il tire de sa poche les morceaux d’assiettes, et les met les uns après les autres dans les mains de Galimard.
Comment !… mes assiettes ?…
Oh !… ça fait de l’effet comme ça… mais il n’y en a que deux jusqu’à présent !
Ca promet… (Haut.) Casse !… brise !… ne te gêne pas ! (À part.) Gredin, va !…
Quelle différence avec M. Véry !… je l’aime, ce vieillard… (Haut.) Quand Monsieur voudra déjeuner…
Moi ? je suis bien en train de déjeuner… je n’ai pas faim…
Et Madame ?…
Elle a le temps !…
Ah ! je vais vous dire : si je m’inquiète de votre appétit et de celui de la bourgeoise, c’est que je songe au mien, bourgeois
Oui, j’ai l’estomac d’un creux !… Et, comme il ne serait peut-être pas convenable que je déjeune avant vous…
Il a repris sa tabatière et joue encore avec elle sans s’en apercevoir.
Hein ! il veut déjeuner avant moi.
Du moins, ça ne se faisait pas comme ça chez M. Véry…
Silence !…
Quand je desservais le 6 et le…
Encore ! te tairas-tu ?… Tiens ! assieds-toi là et mange !
Plaît-il ?
Avale et tais-toi !
Il paraît qu’on mange à la table des maîtres… je m’habillerai pour dîner.
Morceau d’Ensemble
Air de Romagnési (Malheurs d’un amant heureux)
Antony, seul
C’est vraiment charmant !
Me servir lui-même !
Complaisance extrême !
Est-il bon enfant !
Je suis, c’est unique !
À mon tour servi
Comme une pratique
De M. Véry !…
Mais, tais-toi donc !… et avale !
Pendant le chœur, Galimard sert Antony la serviette sous le bras, comme un domestique.
Ensemble
Galimard
Ah ! c’est effrayant !
Dans mon trouble extrême…
Quoi ! je sers moi-même
Un tel garnement !
Puisqu’il peut connaître
Mon fatal secret,
Le voilà mon maître,
Je suis son valet.
Antony
C’est vraiment charmant !
Me servir lui-même !
Complaisance extrême !
Est-il bon enfant !
Voilà bien le maître
Qui me convenait !
Aussi, je veux être
Toujours son valet !
Scène X
Eh bien, est-il parti ?
Patron… donnez-moi à boire.
Ah !…
Ah !…
Il m’a reconnue !… et devant mon mari !
Que lui dire ?… (S’efforçant de rire.) Tu vois, Caroline, c’est… ce pauvre garçon qui déjeune… il mourait de faim… et il déjeune.
Oui… je déjeune… je mourais de faim, et… je déjeune.
Eh bien, mais il n’y a pas de mal à ça. (À Antony.) Continuez, mon ami.
Hein ?
Son ami !
Mais il n’a rien à manger, ce garçon… Voyez donc, Galimard, dans le buffet, des biscuits, des confitures…
Voilà ! voilà !
Silence ! devant mon mari !
Voici. (Bas.) Motus devant ma femme !
Qui ?
Il reste du madère !
Du madère ! Faut-il qu’elle aime les domestiques mâles !
Je vous demanderai une petite cuiller.
Vite, une cuiller !
Vite, une cuiller !
Où avez-vous mis les petites cuillers ?…
Qu’avez-vous fait des petites cuillers ?…
Vous brouillez tout ici !…
Et vous !… Ah ! c’est à n’y pas tenir !
Ils se heurtent l’un l’autre, toujours affairés ; Galimard sort par la droite, et sa femme par la gauche.
Scène XI
On est vraiment très bien ici… le service y est doux… et le madère… sec ! Seulement, il y a une chose que je ne comprends pas… La femme me dit : "Silence !…" Et le mari : "Motus !… motus !…" Ca ne m’étonne pas… c’est du latin !…
Enlevé ! Je suis donc enfin parvenu à le dérober, ce charmant petit passe-partout ! (Apercevant Antony.) Ah ! c’est toi, je te cherchais !
Moi ?
Je viens t’offrir deux choses : de l’or, ou des coups de cravache !…
Je demande à réfléchir.
Des coups de cravache si tu parles… de l’or si tu veux me servir.
Imbécile !… tu ne m’entends pas !… Toi mon domestique ?…
Pourquoi pas ? en payant très cher.
Alexandre
Air de l’Anonyme
Qui, moi ? j’irais te prendre à mon service !
J’ai su toujours me passer de valets.
Mais tu peux bien me rendre un bon office,
Et d’un ami servir les intérêts.
Antony
Mon officier, j’ai de l’intelligence !…
J’entends fort bien, même en parlant fort mal ;
Mais, pour servir les intérêts, je pense,
Il faut avoir reçu le capital…
Voyons un peu quel est le capital
Il tend la main.
Tiens, tu n’es pas si bête que je croyais…
C’est le madère !
Je vais te donner tes instructions, je me suis procuré le passe-partout.
Ah !
Le voici.
Ah !… (Alexandre, en tirant le passe-partout de sa poche, a laissé tomber le porte-cigares.) Vous perdez quelque chose.
Il le ramasse.Mon porte-cigares… (Il le reprend et l’embrasse.) Elle l’a brodé pour moi… à mon chiffre… un A… Ange !
Vous vous appelez Ange ?
Mais non… À dix heures, quand tout le monde sera couché, tu laisseras la porte du carré entrouverte.
Pour quoi faire ?
Pour achever ce que j’ai commencé…
Quand ?
Le jour des Rois.
Ah ! où ?
Tu le sais bien !
Je le sais bien ?
Silence ! on vient… Plus tard, nous reprendrons cette conversation !
Je le veux bien !
Et jusque-là… tais-toi ! tu comprends l’importance…
Il sort par le fond.Je comprends… c’est-à-dire je ne comprends rien du tout. (Madame Galimard rentre par la droite.) Ah ! la bourgeoise !
Scène XII
Les moments sont précieux… j’ai à vous parler.
C’est pour quelque chose de pressé ?
Vous savez tout… Que pourrais-je vous apprendre ? D’ailleurs, mon trouble, mon émotion quand vous êtes entré…
Comment ! j’ai troublé la bourgeoise ? Ah çà ! mais… est-ce que… ?
Oh ! mon Dieu !… quelle humiliation !… un domestique !
Elles est jolie femme !… et, sans sortir de la maison…
Je sais que les apparences sont contre moi… mais au moins n’allez pas me juger sur un moment d’oubli dont je n’ai pas à rougir, croyez-le bien.
Qui sait ? c’est peut-être la Providence qui vous a jeté sur mon chemin pour me rendre le calme, le repos, le bonheur…
Le bonheur !… ah ! madame !… (À part.) Je suis exactement dans la position de Ruy Blas, faisant l’œil à la reine d’Espagne… Je suis fâché d’être en cuisinier !
Il jette au loin son tablier.
Surtout le silence le plus absolu… devant mon mari !
Tiens, parbleu ! je ne suis pas assez bête pour aller… (À part.) On ne conte jamais ces choses-là au roi d’Espagne.
Ainsi je puis compter sur vous ?
Il faut pourtant que je lui dise quelque chose d’aimable… (Haut.) Comme Napoléon sur sa vieille garde !… et, en échange…
Je vous donnerai…
Quoi ?
Les clefs de la cave…
Je vous mettrai à même le sucre, les liqueurs…
Et encore ?
Dame ! je ne sais plus, moi !
Oh ! cherchez ! oh ! cherchez !
Subir de pareilles exigences ! (Haut.) Enfin tout ce qui est ici sera à vous.
Tout !… oh ! merci !
Il se dispose à lui embrasser la main.
Chut ! M. Galimard !
Le roi d’Espagne ! mazette !
Il abandonne brusquement sa main, et saute sur une poignée de fourchettes qu’il se met à essuyer avec acharnement, en fredonnant un pont-neuf. Madame Galimard s’échappe par la droite.
Scène XIII
Pauvre homme !… quand je pense que je suis à la veille de lui… conditionner ça !…
En lui offrant un billet de cinq… l’affaire doit s’arranger ! (Apercevant Antony.) Ah ! ah ! te voilà !
Comme vous voyez !
Tu n’a pas vu ma femme ?
Non !
Qu’est-ce qu’elle t’a dit ?
Elle m’a dit de mettre le gigot en mayonnaise, et le poulet aux haricots…
Voilà tout ?
Exactement ! (À part.) Tromper un vieillard ! oh ! (Changement de ton.) Après ça, il est bien cassé !
Avec toi, je n’irai pas par quatre chemins ! Voyons, veux-tu cent francs ?
Pour quoi faire ?
C’est-à-dire que vous me chassez ?
Te chasser ? tu sais bien que je n’en ai pas le droit.
Ah !… Alors, je reste.
Ne sommes-nous pas unis par des liens trop étroits ?
Nous deux ! (À part.) Sa femme… je ne dis pas.
Voilà les suites d’une faute… la seule dans une vie pure !
Ah çà ! qu’est-ce qu’il chante ?
Faute déjà ancienne.
J’y suis… une vieille faute !
Que je cherchais à oublier… mais que ta présence est venue réveiller.
Ah ! mon Dieu ! quel soupçon…je ne sais ce que j’éprouve !
Que te dirai-je ? le vin de Guénuchot…
Mon ami intime… Et puis… les gilets de flanelle… et puis elle avait des yeux si noirs !…
Noirs ? c’est bien ça !… attendez donc ! attendez donc !
Il tire son mètre de sa poche.
Sa voix était si câline, quand elle me disait : "Anatole ! "
Anatole ?… Permettez…
Il court vivement à lui et le mesure :
Qu’est-ce que tu fais ?
Juste ! un mètre soixante-dix !… ah !
Il lui saute au cou et l’embrasse avec transport.
Mais finis donc ! mais tu m’étrangles, imbécile !
Ah ! que cela fait de bien ! ah ! que cela fait de bien ! (À part.) C’est drôle ! je ne croyais pas avoir cette bosse aussi développée. (Serrant les mains de Galimard avec tendresse.) Ah ! bon vieillard ! bon vieillard !
Qu’est-ce qui lui prend ?
Dites donc, je trouve que vous me ressemblez !
Enfin, je vous retrouve ! (Lui prenant les mains.) Ah ! bon vieillard ! bon vieillard !
Quel drôle de cuisinier ! (Haut, le repoussant.) Mais ne me tapote donc pas comme ça !
Pardonnez-moi, mais la joie…le bonheur… il y a si longtemps que je vous cherche… Mais maintenant je ne vous quitte plus, je m’attache à vos pas… je me cramponne à votre existence !
Tiens, j’irai jusqu’à cinq cents francs !
Non ! je ne demande rien… je ne veux rien… que vous voir, vous aimer… vous serrer… vous enlacer !… Ah ! bon vieillard ! bon vieillard !
Il l’embrasse.
Mais j’ai une chemise blanche, tu me chiffonnes… (À part.) Quel drôle de cuisinier !
Et puis nous parlerons d’elle, la malheureuse !
Malvina !
Nous en parlerons quelquefois… souvent… toujours !
Comment ?
D’abord, si madame Galimard venait à savoir… j’en mourrais… net !
Ah ! assez ! je comprends, la société vous impose des devoirs… énormes !
Enormes ! c’est ça !
Il suffit ! je saurai comprimer des élans ! qui… je tâcherai de museler mes sentiments… Enfin, je me tairai !
Voilà, je ne t’en demande pas davantage.
Mais vous permettrez quelquefois à ma main de rencontrer votre main dans l’ombre…
Bah ! à quoi ça sert ?
À quoi ? (À part.) O Saturne ! Dieu du temps ! comme tu racornis le cœur des hommes !
Monsieur Galimard ! c’est votre bois !
Ah ! sapristi ! mon bois !
Voyons, dépêchons-nous ! j’ai là du bois. (À part.) Il est insupportable !
Un instant, vous ne sortirez pas comme ça !
Comment ?
Le temps est pluvieux… vous n’êtes pas couvert !
Bah ! bah !
Ah ! c’est que vos jours ne vous appartiennent plus, maintenant ! (Lui donnant un vieux carrick qu’il prend dans son paquet.) Tenez, enveloppez-vous, bon vieillard ! là ! comme ça ! (Il l’arrange.) Croisez sur la poitrine !… tous les boutons ! tous les boutons !
S’il veut se taire et ne pas m’embrasser, ça ne sera pas un mauvais domestique !
Ah ! un cache-nez… Au moins, comme ça, vous aurez chaud… Portez-vous des bas de laine ?
Non, ça me picote !
Ta ta ta ! "ça me picote !…" ça m’est égal… ça vous picotera, mais je veux que vous en portiez… des bas de laine, avec des galoches !
Ah ! je le veux ! je le veux !…
Il lui donne des petites tapes sur la joue.
Eh bien, j’en porterai, despote ! (À part.) Mais qu’est-ce que ça lui fait ?
Maintenant, allez ! et pas d’imprudence ! (L’embrassant.) Ah ! bon vieillard ! bon vieillard !
Quelle sensibilité !… il doit être de l’Association fraternelle des cuisiniers !
Sortie de Galimard par le fond. Antony le reconduit, et lui envoie des baisers quand il a disparu.
Scène XIV
Enfin, je l’ai trouvé !… je le tiens, celui que je cherche depuis si longtemps !… le Mohican qui m’a décoché !… Ah ! j’ai oublié de lui donner de mes cheveux !… (Il s’en coupe, avec un couteau, une mèche qu’il plie dans un papier.) Quelle journée !… d’un côté, un père… de l’autre, une femme charmante qui… (Tout à coup.) Ah ! mon Dieu !… la femme de mon père !… ma mère !… c’est-à-dire ma marâtre !… Phèdre et Hippolyte !… j’allais commettre une tragédie en vers… envers mon père !…
C’est elle ! la femme de Thésée… j’ai le frisson ! (À madame Galimard qui entre.) N’approchez pas, madame ! c’est impossible !… ne comptez plus sur moi !
Qu’avez-vous donc ?
Si vous saviez !…
Quoi ?
Rien ! je ne peux pas le dire !
Ah çà ! êtes-vous fou ?
Ne m’approchez pas !… jamais ! jamais !… Horreur !…
Ah ! vous m’ennuyez, à la fin !… et c’est aussi payer trop cher une imprudence ! Parce que je suis allée dîner chez Véry, sans faire de mal… avec mon cousin Alexandre…
Vous ?… (À part.) Phèdre avec un spahi !
Puisque c’est vous qui nous serviez !
Moi ?
Rien du tout !
Comment !… il serait possible ?… tu ne sais rien ?… Mais alors, je te chasse !
Elle va chercher le paquet d’Antony, au fond.
Pourquoi ça ?
Qu’est-ce que tu fais ici ?… Et moi qui tremblais…
Cependant…
Vite ! ton paquet… Ah ! tu ne sais rien !
Mais…
Tiens, va-t’en ! je ne veux plus te voir. (Elle pousse Antony, qui est tout étourdi, jusqu’à la porte du fond. — Antony disparaît. — Seule.) Enfin, m’en voilà débarrassée et pour toujours…
Antony reparaît son chapeau sur la tête et son paquet sous le bras.
Peut-on entrer ?
Encore toi ?
Oui, j’ai fait une réflexion… sur le carré !… Je me suis dit : "La bourgeoise m’a chassé parce que je ne savais rien !…"
Eh bien ?
Eh bien, je sais tout maintenant !
Comment ?
Puisque vous me l’avez dit !
Ah ! mon Dieu ! c’est vrai !
Baoun !
Parle !… que veux-tu ?
Je comprends mes devoirs, je saurai les remplir… je saurai protéger papa… Galimard !
Que prétendez-vous ?
M’attacher à vos pas… me placer entre vous et votre complice !…
Il marche sur madame Galimard, qui recule.
Mais, monsieur…
Si vous sortez, je sortirai… si vous rentrez, je rentrerai… si vous prenez l’omnibus, je le prendrai… si vous entrez au bain, j’y… Non ! ça n’est pas permis… je vous attendrai à la porte !… Voilà, madame, voilà ce que je prétends faire…
Mais c’est affreux ! c’est épouvantable !
Oh ! vous avez beau faire !… à partir d’aujourd’hui, je déclare la guerre à l’armée d’Afrique, à cet Alexandre, qui… Je serai son Abd el Kader !
Scène XV
Qu’est-ce que cela signifie ?
Cela signifie que Monsieur s’est arrogé le droit de nous épier, de nous surveiller, comme un…
Très bien ! très parfaitement bien !
C’est ce que nous allons voir ! (Haut.) Je t’ai offert de l’or ou des coups de cravache.
Oui, mais j’ai demandé à réfléchir, et, réflexion faite, je choisis les coups de cravache…
Non, vous n’irez pas !
Pourquoi ?
Parce que… quand on me frappe, je suis comme les cloches, je bavarde… Baoun !… et comme j’ai desservi le 6 et le 7…
Misérable !
Alexandre !
N’ayez donc pas peur !
Au fait… je suis bien bon de m’emporter… je n’ai rien à craindre, quand même tu voudrais parler… Qu’est-ce que tu pourrais dire ?
Ce que je pourrais dire ! (D’une voix sombre.) Et si vous aviez oublié sur la table, entre la poire et le fromage, une pièce à conviction ?
Est-il possible ?
Que dit-il ?
Qu’est-ce que c’est que ça ? Je n’en use pas !
Ah ! (Se retournant vers madame Galimard et lui présentant tragiquement la tabatière.) Tremblez !…
Ciel ! la tabatière de mon mari !
Scène XVI
Hein ?
Comment ! (À part.) Sapristi ! qu’est-ce que j’ai fait ?
Il m’a trahi !… Gredin, va !
Oui… c’est bien cela… je la reconnais… et il l’a oubliée chez Véry !… Ah ! monsieur Galimard, nous allons avoir une explication.
Ca se gâte… bravo !
Il remonte.
Ah ! vous voilà, monsieur ?
Oui, ma bonne… c’est moi… je viens de faire rentrer mon bois…
Il ne s’agit pas de cela.
Tu seras contente… c’est de l’orme… ça tient la chaleur…
Connaissez-vous ceci ?
Je crois que oui… le général Foy… la Charte !…
Il l’a un peu violée, la Charte !… Gaillard !
La voilà donc retrouvée, cette boîte… oubliée chez un ami !
Oui… oui… il paraît…
Pauvre père ! il me fait l’effet d’une mouche tombée dans du miel.
Et chez quel ami, s’il vous plaît ?
Ah !… (Bas, soufflant à Galimard.) Guénuchot !
Chez Guénuchot ! (Bas à Antony.) Merci !… gredin !
Qui est allé dîner… chez Véry…
Qui est allé dîner… chez Véry… le jour des Rois… avec une petite… avec Malvina !
Qu’est-ce que c’est que ça ?
Une affreuse jeune fille de dix-huit ans… qui est dans la flanelle… Il aura oublié ma tabatière… et… voilà !
Et voilà !… tout s’explique !
Tout s’explique !… (À part.) Je m’en suis bien tiré ! (À Antony.) Merci, gredin !
M. Guénuchot !… cette voix… que j’ai entendue.
Ah çà, cousin, tout est éclairci, n’est-ce pas ?… Nous dînons en famille ?
C’est ce que nous allons voir !
C’est impossible ! Vous oubliez donc que vous partez ce soir pour l’Afrique ?
Hein ?…
Mais non… mais pas du tout !
Baoun !
Il remonte.
Oui, en effet… je pars… un ordre du ministre… (Bas et vivement à madame Galimard.) Il faut que je vous parle !…
Vous dites ?
Rien !… je vais fumer un cigare !
Il remonte en tirant de sa poche le porte-cigares brodé par madame Galimard.
Ah ! vous êtes bien heureux de fumer !… moi, ma femme me le défend…
Allons donc ! elle vient de vous broder un charmant porte-cigares !
Le mien !
Est-il possible ?
C’est une erreur… ce garçon rêve… et je n’ai jamais…
Baoun !
Alexandre passe vivement le porte-cigares à madame Galimard.
Le voici !
Et brodé à mon chiffre encore !
Ce soir, à dix heures, avant mon départ !…
Ah çà ! c’est donc un raccommodement ?
Mais nous ne sommes pas brouillés, que je sache !
Eh bien, alors… Caroline ! je ne tousse plus… rends-moi le petit passe-partout qui ouvre…
Ah ! bigre ! je l’oubliais !
Non ! j’ignore ce qu’il est devenu…
Elle se rapproche vivement d’Alexandre et lui arrache le passe-partout.
Comment ?
Allez ! et très fort !
Caroline !
Encore ?
Je t’en prie… je t’en supplie ! (À part.) Elle ne m’écoute pas !
Allez donc !
Si tu pouvais lire dans mon cœur tout ce que… (Voyant que sa femme détourne la tête, il perd patience et crie tout à coup.) Baoun !
Le voici !
En voilà une razzia !
Galimard, tenant le passe-partout, et au comble de l’étonnement.- Ah ! c’est prodigieux ! (À Antony, en fouillant à sa poche comme pour lui donner de l’argent.) Qu’est-ce que je te dois pour ça ?
Qu’est-ce que c’est ?
Ce sont de mes cheveux.
Il prend un couteau sur la table et coupe par surprise une mèche à Galimard.
Hein ?
Ah ! bon vieillard ! bon vieillard !
Quel drôle de cuisinier !
Chœur
Air final de la Perle des servantes
Ensemble
Alexandre et Madame Galimard
Ah ! quelle misère !
Cet affreux serviteur
Veut, sa vie entière,
Le presser sur son cœur !
Galimard
Quoi ! ma vie entière,
Le presser sur mon cœur
Ah ! quelle misère !
Quel fichu serviteur !
Antony
Un dieu tutélaire
M’a fait son serviteur ;
J’veux ma vie entière,
Le presser sur mon cœur !
Air de l’Ecu de six francs
Chez M. Véry, je l’ confesse,
Je vivais un peu ric-à-ric,
Mais l’ public me donnait la pièce…
À mon tour, et voilà le hic,
Je donne la pièce au public.
De plus j’en réponds, quelle audace !
Ah ! messieurs, que personne ici
N’aille imiter M. Véry…
Et me faire payer la casse.
N’imitez pas M. Véry,
Ne m’ faites pas payer la casse.
Reprise du Chœur
RIDEAU