Un Sermon inédit de Mirabeau sur La Nécessité d'une autre Vie

Un sermon inédit de Mirabeau sur La Nécessité d’une autre Vie
Henri Welschinger

Revue des Deux Mondes tome 31, 1916


UN SERMON INÉDIT
DE
MIRABEAU
SUR LA NÉCESSITÉ D’UNE AUTRE VIE

On connaît les nombreux écrits de Mirabeau et l’on sait qu’il a touché à tout : art, sciences, littérature, diplomatie, politique, finances, banque, agiotage, Histoire, pamphlets, Mémoires, traductions, lettres, esquisses, discours, articles de journaux, compositions érotiques, etc. Une seule corde a paru manquer à sa lyre, la corde religieuse. Et cependant, celle-là aussi, il l’a touchée. Je viens de retrouver un sermon composé par lui en 1782 pour un jeune ministre genevois, sur la Nécessité d’une autre Vie, sermon dont Lucas de Montigny, le fils adoptif de Mirabeau, avait dit : « Nous ne lui connaissons d’œuvres inédites écrites à Londres que le commencement très informe d’une Histoire de Genève, dont nous avons donné le manuscrit autographe à feu Etienne Dumont, en 1826, et un sermon sur l’Immortalité de l’Ame, composé pour un ministre réfugié. » Cet ecclésiastique lui avait été recommandé de Genève, d’où il avait été exilé à la suite des divisions violentes qui s’étaient élevées entre les aristocrates et les libéraux. Mirabeau, qui se trouvait alors à Neuchâtel, le tira de l’indigence, non par des secours pécuniaires qui n’étaient pas à sa portée, mais par le don de ce travail personnel à l’aide duquel le jeune ministre obtint dans un concours une place avantageuse. « Nous publierons quelque jour, disait Lucas de Montigny, d’après le manuscrit autographe, cet éloquent sermon, qui, par le sujet et par la forme, diffère essentiellement des autres ouvrages de l’auteur, et doit, à tous égards, faire beaucoup d’honneur à sa mémoire[1]. » Cette promesse que Lucas de Montigny faisait en 1834, il ne l’a jamais tenue, et voici que, quatre-vingts ans après, l’œuvre que j’ai découverte dans le fatras des papiers de Mirabeau (Archives des Affaires étrangères, vol. 1888) paraît enfin.

Au sortir du donjon de Vincennes, où il avait été enfermé pendant quarante-deux mois, en raison de ses déportemens et de sa vie scandaleuse, Mirabeau s’était retiré à Neuchâtel où il cherchait à vivre de sa plume. Une pension de 600 francs, beaucoup trop insuffisante, pendant sa détention, l’avait amené à écrire de honteuses pages comme celles de l’Erotika Biblion, et Ma Conversion que suivirent les Lettres de cachet et les Prisons d’État, ouvrage politique inspiré par l’horreur de la tyrannie. Mirabeau écrivit d’autres brochures de ce genre, comme la lettre sur l’Ordre de Cincinnatus et Les doutes sur la liberté de l’Escaut. Entre temps, il composa la dissertation religieuse dont je vais parler, qu’il appelait lui-même Sermon sur la nécessité d’une autre vie et sur les consolations dues à l’homme juste.

Avant de publier et d’étudier ce travail particulier, dont on saisira bientôt l’importance philosophique, et j’ose dire l’actualité, — car en ces heures angoissantes de périls ininterrompus où la Mort plane sur toutes- les têtes, qui ne songerait au par-delà ? — il convient de se demander si Mirabeau était convaincu de son sujet. Croyait-il réellement à un Dieu, à une âme immortelle, à des sanctions futures ?

Comment avait-il été élevé ? Que pensaient et que lui disaient ses parens ? A cinq ans, Mirabeau répondait à Poisson, son précepteur, qui l’avait invité à écrire ce qui lui passerait par la tête : « Monsieur Moi, je vous prie de prendre attention à votre écriture et de ne pas faire de pâtés sur votre exemplaire ; d’être attentif à ce qu’on fait : obéir à son père, à sa mère, à son maître : ne point contrarier. Point de détours ; l’honneur surtout : n’attaquez personne, non qu’on ne vous attaque. Défendez votre patrie. Ne soyez point méchant avec les domestiques. Ne familiarisez pas avec eux. Cacher les défauts de son prochain, parce que cela peut arriver à soi-même. » On voit qu’il n’est question ni de Dieu, ni de la religion, dans ces préceptes que l’enfant répétait textuellement.

Son père, malgré une vie dissipée, entremêlée de beaucoup de travail, semblait respectueux des choses religieuses ; ce n’était d’ailleurs qu’une apparence, car, très infatué de lui-même et peu disposé à remplir tous ses devoirs paternels, il avait introduit une maîtresse, Mme de Pailly, au foyer conjugal. La mère avait, elle aussi, une conduite désordonnée et misérable. Ce ménage n’était donc pas fait pour donner à ses enfans de bons conseils et de bons exemples. Gabriel, le futur comte de Mirabeau, fut confirmé à l’âge de sept ans, et, déjà esprit raisonneur et porté au scepticisme, il disait à ce moment : « On m’expliquait que Dieu ne pouvait faire des choses contradictoires, par exemple un bâton qui n’eût qu’un bout. Je demandai alors si un miracle n’était pas un bâton qui n’eût qu’un bout, et ma grand’mère ne me l’a jamais pardonné… » Plus d’une fois en ses écrits et ses discours, Mirabeau eut de ces saillies à la Voltaire.

Son enfance fut très difficile. Son père, qui ne fut jamais tendre pour lui, ne lui pardonnait pas sa laideur, comme si le pauvre enfant, victime des mauvais soins qui lui furent donnés dans une petite vérole maligne, en était responsable ! Il n’est pas d’épithètes désagréables et méchantes que le marquis de Mirabeau ne lui ait sans cesse décochées : « Laid comme Satan, bouffon, comédien ; tonneau boursouflé, Polichinelle tout ventre et tout dos ; péroreur à perte de vue, embryon de matamore ébouriffé ; chenille raboteuse et crottée !… » Et j’en passe ! Enfin. le marquis prédisait qu’il serait lâche avec les lâches, vain avec les vains, féroce avec les féroces, et capable de surpasser les porcs… » « Il y a des excrémens, s’écriait-il, dans notre race ! » Gabriel de Mirabeau avait pris son parti de toutes ces injures, et comme, un jour, sa mère elle-même plaignait sa future bru de l’époux vilain qu’elle aurait en lui, il répondit vivement : « Le dessous aidera le dessus ! »

Ni le père ni la mère ne comprirent ce caractère passionné et tumultueux. Ni l’un ni l’autre ne remplirent à son égard les devoirs naturels et les plus simples ; ils ne lui donnèrent que de détestables exemples. Le marquis surtout, qui, pour justifier son titre prétentieux d’Ami des Hommes, cherchait à cultiver la sensibilité et à déraciner l’amour-propre chez autrui, avouait emphatiquement que « son tendon d’Achille était dans un cœur qui sentait les peines de ses semblables et les devinait même. » Il est vrai que, dans un moment de franchise, il reconnaissait lui-même le fatras, le farrago de ses propres paroles, et disait « qu’elles n’avaient que la vertu primitive dont l’avait doué la Providence, à savoir de braire avec modulation. » Il ne voyait que les vices de l’enfant et prédisait « qu’il ne serait qu’un fou presque invinciblement maniaque, en sus de toutes les qualités viles de sa souche maternelle… Je vois le naturel de la bête, et je ne crois pas qu’on en fasse jamais rien de bon. » Il aurait fallu le garder près de soi, lui inculquer de bons principes, lui parler morale, devoirs, religion. « Je ne puis me clouer, avouait le marquis, à cet inexplicable et incurable détraquement de tête. J’ai d’autres devoirs à remplir pour justifier la réputation, non méritée, que la Providence m’a dévolue en me payant en monnaie l’estime des honnêtes gens, qui vaut bien une autre chevance. » Il crut bien faire en mettant Gabriel chez l’abbé Choquart, qui dirigeait à Paris une pension militaire assez accréditée, laquelle passait, aux yeux de certains, pour une maison de correction. Le marquis blessa l’amour-propre de l’adolescent en l’affublant alors du nom de « Pierre Buffière, » nom d’une de ses terres en Limousin, car il ne voulait pas « qu’un nom habillé de quelque correction, » comme le sien, traînât sur les bancs d’une école disciplinaire. Le jeune Mirabeau s’appliqua cependant à ses études, y développa son goût et sa mémoire, apprit les classiques avec passion, étudia en outre l’anglais, l’italien, l’allemand, et se distingua aussi bien dans les arts que dans les sciences. C’était déjà un cerveau très puissant, et tout autre que le marquis eût pu tirer un excellent parti de tant de qualités. Mais celui-ci était trop occupé de sa propre personne, de ses intérêts et de ses passions. Il était en désaccord absolu avec sa femme et assurait que les années passées avec elle avaient été « autant de temps de coliques néphrétiques. » Il ne songeait qu’à se débarrasser d’un fils dont il ne voyait que les élans impétueux et dont on lui disait plus de mal que de bien. « Ma véritable croix, disait-il, est mon fils qui s’élève. » Il crut bien faire en le plaçant à dix-huit ans dans le régiment du marquis de Lambert. Dettes, duels, aventures scandaleuses en furent naturellement la suite et amenèrent contre le jeune officier les rigueurs que l’on sait[2]. Au lieu de chercher à modifier, à adoucir, à refréner ce caractère fougueux et désordonné, il semble que le marquis n’ait pensé qu’à l’exciter et à l’aigrir davantage. Et voilà l’homme qu’on représente encore comme un bon maître, un excellent seigneur, un philanthrope dévoué !

On aurait pu croire, étant donné ses principes apparens, qu’au moins ses sentimens religieux lui dicteraient ses vrais devoirs. N’écrivait-il pas au marquis Lango, en 1776, « qu’un des plus grands délits qu’un homme puisse commettre, c’est de se permettre quelque acte ou quelque parole qui affaiblisse autour de lui l’opinion d’une religion toute sainte, qui nous annonce un seul Dieu auteur de toute bienfaisance, prodige de charité, foyer de toute lumière ; ce Dieu qui ne veut qu’être aimé, obéi et qui n’a prononcé, dans ses commandemens à l’homme, que l’amour de son semblable et le bon ordre social… » Il faisait l’éloge d’une religion « qui réunit tous ses membres en un même esprit, religion simple dans ses sacrifices, soumise et tendre dans ses dogmes, charitable et constante dans sa discipline ; qui appelle tous les hommes à la même table, à la communion du pain, qui sanctifie et consacre tous les actes de la vie, qui embrasse et divinise, en quelque sorte, tous les lieux de la société… » Ceci est très juste et très beau. Mais pourquoi n’avoir pas appliqué envers ses enfans « l’amour de ses semblables » et pratiqué les préceptes si sages de cette religion divine ? Le marquis croit se justifier en ajoutant : « Je ne suis pas dévot. Ce n’est pas à cette école qu’on apprend à bien défendre la religion. » Où donc apprendre à la défendre et surtout à la pratiquer, si ce n’est dans la piété et dans le sentiment du devoir ? Le marquis n’avait, en réalité, que les dehors hypocrites d’un ami de la religion. Il ne la pratiquait pas sincèrement, et par-là même il était incapable de la conseiller et de l’enseigner à son fils. Il reconnaissait lui-même qu’il n’était pas assez maître de lui « pour être vraiment exemplaire. »

Dès lors, comment demander à Gabriel de Mirabeau des convictions dont on ne lui donnait pas l’exemple ? Et cependant, au contraire de ce que disent certains historiens, Mirabeau n’était pas athée. De son contact avec les premiers précepteurs de sa jeunesse, avec le P. Jaubert, avec l’abbé Choquart, il lui était resté quelque sympathie pour la religion catholique et ses ministres. Dans les Mémoires du Ministère du duc d’Aiguillon attribués en totalité à Soulavie, et dont les livres VIII, IX, X, XI, sont bien l’œuvre de Mirabeau, je découvre au sujet du soulagement des pauvres ces lignes intéressantes : « Les commissaires de quartiers ignorent ou oublient ses malheureux qui les entourent… Ce sont les bons curés qui l’occupent de trouver, de consoler ces infortunés, condamnés à traîner des jours difficiles dans les privations et la douleur. J’ai vu le curé de Saint-Eustache et plusieurs autres monter à des cinquièmes, au milieu des frimas, consoler et arroser de larmes ces infortunés et soulager leurs besoins. C’est à ces dignes dépositaires qu’il faut confier les aumônes si faussement et si mal distribuées ; les secours arriveraient à la source des besoins et les pauvres seraient cent fois plus touchés de recevoir de leur pasteur, que par des cascades ministérielles[3]… Il serait nécessaire aussi de mettre tous les curés du royaume en état d’avoir du pain, car ils n’assisteront pas les pauvres, s’ils le sont eux-mêmes. »

Un des écrivains qui ont le mieux étudié Mirabeau, M. Francis Décrue, croit pouvoir affirmer que sa conduite à l’Assemblée nationale en matière ecclésiastique s’explique par son irréligion même[4]

Cette assertion est peut-être un peu outrée. Je ne nie pas que Mirabeau n’ait porté des coups terribles au clergé et par-là même à l’Eglise, mais était-ce par des sentimens impies ? Je ne le crois pas. Sans doute, il a provoqué la confiscation des biens ecclésiastiques et le serment constitutionnel qui ont eu les suites les plus pernicieuses ; il a déclaré qu’il préférait aux lois et aux préceptes religieux la loi naturelle ou l’instruction pure et simple qui apprend aux hommes à être justes. Il a admiré les stoïciens et manifesté même une sorte de fatalisme. Mais le même homme a placé au premier rang des libertés nécessaires la liberté religieuse[5]. Il voulait un clergé catholique, mais qui ne fût ni dominant, ni exclusif. Tout en faisant adopter le serment à la Constitution, il se défendait d’instituer une religion constitutionnelle et n’accordait à l’État que le droit d’empêcher les cultes de troubler l’ordre public. Et, par des contradictions qu’explique seul son caractère impétueux et désordonné, Mirabeau entendait en même temps subordonner la religion à l’autorité civile, et circonscrire étroitement les prêtres dans leurs fonctions en détruisant ce qu’il appelait « le pouvoir ecclésiastique. » Il avait soutenu à la tribune que le Clergé était le dispensateur de ses biens, mais non le propriétaire, puisqu’il ne pouvait les aliéner. Il ajoutait toutefois que l’ordre du Clergé ayant disparu et l’État s’étant substitué à lui dans la possession de ses biens, l’Etat devait prélever sur eux un salaire suffisant et les secours nécessaires au soulagement des pauvres. Il considérait les prêtres comme des agens de morale[6], leur reconnaissait des droits égaux à ceux des autres citoyens et voulait assurer l’exécution des lois en leur laissant l’entière liberté de conscience. Je le crois en ces matières beaucoup plus large et plus sincère que Talleyrand qui, après avoir défendu comme Agent général du clergé les privilèges de son ordre, avait été le premier à les sacrifier et à créer le clergé constitutionnel.

Chez Mirabeau, suivant l’heure et les circonstances, suivant ses intérêts ou celui de la cause qu’il défendait, l’opinion était variable. Mais, tout en se mettant parfois à la tête des plus exaltés, en défendant ou en provoquant des motions révolutionnaires, il n’était pas, au fond, aussi démocrate, aussi emporté, aussi intransigeant qu’il affectait de l’être. Ainsi, lorsqu’il semblait faire, comme la noblesse au 4 Août, l’abandon de ses droits et de ses titres, M. Riquetti l’aîné, comme il se faisait appeler, n’en demeurait pas moins le comte de Mirabeau et tirait grand orgueil de ses origines. De même qu’il paraissait vouloir supprimer les avantages et les bénéfices du clergé et amener des spoliations, des ruines et du désordre dans toutes les paroisses de Paris et des départemens, il n’en était pas moins opposé à des violences qu’il répudiait hautement. Il se croyait assez fort pour refréner la tempête qu’il avait déchaînée lui-même, pour calmer les passions qu’il avait surexcitées, mais une mort brutale l’emporta avant qu’il pût revenir sur ce qu’il avait laissé faire. Quoi qu’on ait dit, il n’était pas de ces froids sectaires qui, en décrétant la suppression de l’ordre du Clergé, croyaient pouvoir amener la chute de l’Église.

Que de fois, dans ses discours, il a soutenu que les opinions religieuses étaient au moins aussi respectables que les autres ! Pour lui, la religion offrait un point de ralliement sûr aux nations, « car si les rois, disait-il, prétendent tenir leur puissance de Dieu, les peuples tiennent de Dieu la liberté. » Dans un discours du 27 novembre 1790, ne l’a-t-on pas entendu s’écrier : « Dieu est aussi nécessaire aux hommes que la liberté. Ah ! loin de nous tout système qui ôterait au vice un frein que les rois ne donnent pas toujours et éteindrait le dernier espoir de la vie malheureuse ! « Et dans un autre discours, le 23 août 1790, à propos de la liberté de conscience, de la liberté du culte, du respect de toutes les croyances, il déclare que le mot de tolérance ne peut le satisfaire. « Si l’autorité tolère, remarque-t-il justement, elle peut aussi ne pas tolérer, tandis que c’est un droit de l’homme que d’exercer sa religion. » Il conclut que « les gens à chapelet » adorent la Providence, et il déclare qu’ils ont raison. « Nous dirons, écrit-il à son ami Mauvillon, qu’elle est toute bienfaisante, et qu’elle nous prescrit de l’imiter. » S’il a dit, un jour, dans son ouvrage sur les Lettres de cachet, que « ce n’est qu’aux despotes qu’il faut faire croire à un jugement à venir, » il se reprend bientôt et il témoigne une croyance sincère à l’immortalité de l’âme, à des récompenses pour l’homme juste et à des punitions pour le méchant dans une autre vie.

Ce sera le thème de son sermon[7]et, chose curieuse, il se rencontrera sur ce sujet avec son père, le marquis de Mirabeau, qui écrivait, cinq ans auparavant, en 1777, au marquis Lango cette belle lettre : « Soyez sûr que tous les liens sociaux et toute société quelconque qui n’est point foire, caravane ou marché, tiennent à l’opinion de l’immortalité de l’âme et des peines et récompenses futures. L’homme s’y porte de lui-même par une suite de son ambition de ne rien perdre et d’acquérir, par la sensibilité qui abhorre l’idée du néant de ses idoles et de ce qu’elle aime et doit aimer et respecter. Sur cette base, tous les rites religieux sont autant de trésors précieux, indispensables pour rapprocher les hommes. Mais la fraude, mais le fanatisme, où est le remède ? Où ? Dans la religion[8]. Le peuple se fera des superstitions sans vous, partout où la débauche, l’impiété et leur horrible étourdissement n’annihileront pas la crainte et l’espérance. Si la grêle menaçait les gazes et les poupées des palais comme les maisons, vous verriez tout ce peuple venir courir au clocher comme celui des campagnes. La crainte et l’espérance feront des superstitions et les superstitions feront des fripons. L’espérance fait les anges blancs ; la crainte les fait noirs, et comme il y a plus de crainte que d’espérance, les superstitions seront noires, les dieux cruels, les cultes sanglans. Il faut du par-delà à l’homme ; il faut au bon un refuge, il faut au mécréant et à l’espiègle un fouetteur. L’homme donc qui est né dans une société et qui doit tout à une société, est né dans une religion et doit tout à une religion ! Qu’il la respecte d’abord comme sa mère !… Ayant des mœurs, la religion viendra à nous comme d’elle-même… Quand je vous ai dit que la religion était le premier des biens sociaux, je n’ai pas pensé dire le premier en date, mais le principal. On ne saurait être reconnu réfléchi sans convenir de cette assertion… Il n’est pas d’un homme sage d’ôter à l’homme, infini dans ses craintes et ses espérances, l’idée et le sentiment d’un Etre infini dans sa justice et dans sa bonté, ni l’espoir de sa propre existence en sa présence et sous la loi constante de ces deux attributs. Il n’est pas d’un politique, qui doit avoir étudié l’homme, d’ignorer que tout traité qui renferme vérité, sûreté, probité et autres traitemens de tous les rapports sociaux, tient au fond à l’espérance et que l’espérance tient à la foi…[9]. »

Aussi, n’est-il point étonnant que Mirabeau, éloigné de ces esprits médiocres qui croyaient avoir délivré le peuple d’une basse superstition en lui fermant le Ciel, en écartant de lui un avenir sur et réparateur, ait saisi l’occasion qui s’offrait à lui pour manifester des convictions en une autre vie et en des consolations futures. Il n’était pas de ces pauvres politiques dont Joseph de Maistre disait avec tant de justesse : « Ils se vengent de leur bassesse envers le pouvoir par leur insolence envers Dieu ! »


Le manuscrit que Mirabeau remit au jeune pasteur, exilé de Genève, prouvait qu’il avait bien étudié les textes sacrés qui étaient de nature à consolider sa thèse. C’est à saint Paul qu’il emprunte le texte qui servira de base au sermon sur la Nécessité d’une autre vie et des consolations de l’Homme juste sur la terre.

Ce texte est le suivant : Si in hac vita tantnm sprrantes sumus, miserabiliores sumus omnibus hominihus (2e épitre aux Corinthiens, en. XV, verset 19).


« Saint Paul, dit Mirabeau (et ici commence le sermon), qui serait illustre et par la vigueur de son âme et l’étendue de son génie, quand il n’aurait pas été un grand apôtre, adressait aux chrétiens persécutés ces paroles profondément vraies et touchantes, qui sont encore la consolation la plus réelle de la vertu malheureuse, opprimée, méconnue : « Si nous n’avions d’espérance que dans cette vie, nous serions les plus misérables de tous les hommes… » Sans doute, ces paroles augustes sont dignes d’être proférées dans le temple de l’Eternel où l’on ne saurait trop dire et redire aux hommes tous égaux devant la Majesté suprême, et surtout aux infortunés qui, dans les transports du désespoir, seraient tentés d’interroger sa puissance paternelle, que si la justice dort sur la terre, le Juge éternel veille toujours.

Oui, le culte de l’Etre suprême est le premier devoir des humains, parce qu’il est la base de toutes les vérités, le principe de toutes les vertus, la source de toutes les consolations. Invoquez l’athéisme, ô riches, ô grands de la terre, qui voulez jouir sans inquiétude et opprimer sans remords, invoquez l’athéisme !… C’est le digne système des tyrans qui, après avoir tourmenté leur vie dans la recherche de plaisirs aussi vains que coupables, rassasiés de crimes, fatigués de remords, appellent le néant au bout de leur carrière.

Mais nous qui n’avons que Dieu pour nous défendre contre les méchans, nous ne souffrirons pas qu’on nous le ravisse. La nécessité d’une autre vie pour rétablir l’équilibre des choses humaines et de la justice distributive, le seul contraste de l’innocence opprimée et de l’injustice triomphante nous démontrent une Providence bienfaisante et l’immortalité, dont l’Auteur de notre âme l’a douée. En vain accumulerait-on les objections et les sophismes, nous répondrions avec notre cœur, si nôtre esprit ne trouvait pas de réponse. Nous embrasserions cette grande idée, parce qu’elle honore, parce qu’elle console l’homme dont la vie, moins respectée que celle des plus vils animaux que l’on ne fait périr que pour ses besoins, deviendrait vraiment intolérable, si elle n’était pas prolongée dans une autre patrie que la force, l’ignorance, la cruauté, la démence dont nous sommes les jouets ici-bas, ne pourront jamais atteindre. Mais si l’homme simple juge par sentiment qu’il est une Providence, qu’il est une autre vie, l’homme éclairé le juge également par la raison et par le sentiment.


EXPOSÉ DE LA PREMIÈRE PARTIE

L’existence de Dieu et sa Providence expliquent toutes les difficultés. L’homme vertueux peut gémir sur la terre, mais, en mourant, il devient libre et va jouir dans le sein de son Auteur des délices ineffables que le méchant n’est pas digne de connaître ni capable de sentir.


EXPOSÉ DE LA SECONDE PARTIE

L’homme vertueux peut gémir sur la terre, mais nous n’avons pas le droit de nous en étonner, parce que les malheurs, inévitablement attachés à l’humanité, dépendent du grand ordre qui régit la nature et ne restent pas sans compensation ; parce que, d’ailleurs, le sort des méchans n’est jamais préférable à celui des gens de bien.

Puisse ma faible voix attirer votre attention, messieurs, sur ces vérités. Je n’oserais pas vous en entretenir par la crainte de nuire, en l’affaiblissant, à une cause si belle, s’il ne s’agissait pas ici plus encore de sentir que de raisonner. Pourquoi se perdre dans des discussions métaphysiques quand il ne faut être qu’homme ? A quoi bon des analyses savantes, quand on n’a besoin que de l’équité et de la sensibilité naturelle ? Demandons au Ciel un cœur droit et livrons-nous avec confiance à ce qu’il nous impose.


PREMIÈRE PARTIE

L’existence des effets démontre celle de la cause et l’ordre qui règne dans l’Univers annonce son Auteur. Sans doute, on ne résiste jamais de bonne foi à cette vérité qui se démontre en s’énonçant, et le même homme qui prononce que celui qu’il entend raisonner est un être intelligent, se ment à lui-même, s’il n’aperçoit, dans l’harmonie constante de tous les êtres, que l’ouvrage de l’aveugle hasard.

Il existe une Intelligence suprême, voilà ce que nous dit la Nature, quand nous l’interrogeons dans l’embarras d’expliquer à nous-mêmes, nous et tout ce qui n’est pas nous. Si elle ne nous éclaire pas sur les attributs de la première cause, si, quand nous épuisons notre imagination pour en donner une idée sublime, nous ne faisons encore qu’attribuer à Dieu dans un degré éminent les qualités dont Il nous a doués, si nous ne fabriquons qu’un homme parfait, n’accusons que la faiblesse de notre entendement. La religion seule, portée sur l’aile de la Révélation, nous donne des idées plus saines. Mais enfin la Cause première nous suffit pour concevoir et saisir les rapports de justice fondés sur son existence.

S’il fallait, pour élever notre esprit à la Divinité, atteindre les hauteurs d’une philosophie sublime, concevoir les preuves morales tirées de l’idée que nous avons de l’infini, étudier, calculer les révolutions des mondes qui roulent et gravitent sur nos têtes, entrer dans le détail des preuves physiques que l’histoire naturelle offre à tous les pas dans la génération des êtres depuis le cèdre jusqu’à l’hysope, depuis l’insecte inaccessible aux instrumens inventés par l’industrie humaine jusqu’à l’éléphant qui, sous ses pas, fait trembler.la terre ; si cette étendue immense était nécessaire à l’homme, Dieu ne serait que pour les savans, et on ne pourrait pas attester le consentement universel des peuples, sous quelque aspect qu’ils aient envisagé le premier principe, comme une des plus triomphantes preuves de-son existence. Mais une vérité si nécessaire aux hommes devait se trouver à la portée de tous. Il ne faut être ni métaphysicien, ni naturaliste, ni géomètre pour avoir une idée intime de l’Etre suprême. Il ne faut que sentir, et si le savant est convaincu par la raison qu’il est un Dieu, tout homme en est persuadé par son cœur. En effet, avec quelque prodigalité que la Nature étale les preuves magnifiques de l’existence de son Auteur, ce concours de démonstration, également frappante et touchante, n’équivaut pas pour le commun des hommes à ce cri de l’âme : « Il faut à notre faiblesse une Divinité qui nous protège. Il est des oppresseurs ; il est des opprimés. Il est donc un Dieu qui punit et qui récompense. »

Voilà, d’un bout du globe à l’autre, le cri de ralliement de l’Humanité.

La discorde des élémens et les crimes de ceux qui gouvernent les nations ont tellement frappé tous les hommes qu’ils ont fait naître également dans la religion des peuples barbares et dans la tête des philosophes le système de deux principes générateurs du bon et du mal. Nous sommes à nous-mêmes un si étrange problème ; le mal physique et le mal moral qui règnent dans l’univers semblent une énigme si inexplicable ; l’homme, abandonné aux seules lumières de sa raison, est si versatile, si ballotté entre la vérité et les objections dont les sophistes s’efforcent de l’obscurcir ou de la détruire, que toutes les nations de la terre, avant que la Révélation les eût éclairées, pour faire Dieu juste l’ont fait inconséquent.

Il était bien plus simple d’attribuer le mal moral à la liberté de l’homme et le mal physique à la punition du mal moral, el surtout il paraissait plus naturel de se former un tout autre système que celui où il faut dévorer une foule d’absurdités.

En effet, l’un des principes est subordonné à l’autre, ou il est son égal. Sont-ils subordonnés ? Lequel des deux, qui est dépendant, cesse d’être principe ? Sont-ils égaux ? Il faut que l’un se repose lorsque l’autre agit. Voilà donc une première c ; ause qui subsiste sans être active. Sont-ils d’accord ? Le Dieu du bien approuve le mal ; ce qui n’est pas différent de le faire. Se combattent-ils sans cesse sans se détruire ? Oh ! quels malheureux êtres vous faites de vos dieux ! Obéissent-ils tous deux à une Divinité supérieure ? Le génie du mal atteste la méchanceté de son maître et le génie du bien sa faiblesse. On ne parviendra pas à détruire cette hydre de contradictions.

Cependant, que conclurons-nous de cet accord imposant de tous les législateurs, de tous les philosophes, de tous les poètes sur la doctrine des deux principes ? Que le spectacle continuel des erreurs et des crimes des hommes a fait donner inévitablement par les nations à leurs dieux les mœurs, le caractère et les inclinations humaines jusqu’au moment où le Ciel même nous dota d’un culte tout céleste, dont la religion naturelle est la base ; religion qui fait disparaître parmi les hommes l’inégalité de leur nature qui vient de Dieu et qui y ramène sans cesse ; dont la morale, supérieure à celle des philosophes de tous les âges, dépose sans cesse contre le fanatisme de ses ministres et contre les superstitions de ses adorateurs ; religion sublime qui embrasse tous les lieux comme elle embrasse tous les temps, sous lesquels le genre humain forme une même famille, qui, n’ayant qu’un Dieu, n’a plus qu’un père et dont le culte épuré, ramenant seul à la liberté première des cœurs flétris par l’opprobre, asservis par les préjugés, serait encore le chef-d’œuvre de la politique humaine, quand il ne serait pas notre Code sacré, et donnerait la clef de tous les problèmes qui ont égaré ou fatigué les sages. En effet, s’il est un Dieu pour nous protéger dans les espaces sans bornes de l’éternité, qu’importe que cette vie passagère, cette vie d’un instant soit agitée de quelques orages ? Qu’importe que les riches foulent les pauvres et voient en eux une espèce étrangère ; que les hommes soient assez lâches pour regarder l’oppression comme un droit et l’égalité comme une chimère, assez imbéciles pour se croire destinés à être esclaves dans leur virilité, parce qu’ils sont écrasés dès l’enfance ? Qu’importe que les méchans puissent insulter à la vertu ; que les événemens la fassent méconnaître ? Qu’on la déshonore aujourd’hui par les mêmes noms, par les mêmes actions qui la faisaient autrefois diviniser à Rome ? Que la malignité et la faiblesse confondent la licence, qui veut tout détruire, avec l’amour du bien, qui ne veut changer que le mal, qui ne demande que la liberté des lois qui l’assurent ! Qu’importe que la calomnie, en passant, souille les gens de son venin et que les pleurs assidus de l’homme misérable ne puissent effacer en entier la tache de la calomnie qui ne répond jamais, qui jette son poison subtil, qui infecte et corrompt tout ce qu’elle touche ? En vain, l’innocence, obligée de fuir pour n’être pas égorgée, atteste le crime des lois ; en vain, les coupables sont plus nombreux et plus forts que les juges et les corrompent ; en vain, l’astuce perfide et l’hypocrisie hideuse et l’ambition effrénée triomphent du patriotisme le plus pur, des meilleures intentions et des demandes les plus légitimes ; en vain, dans des siècles d’inertie, de corruption et d’esclavage, la servitude s’appelle la paix, l’oppression sagesse, l’amour de l’équité et de l’ordre révolte, et la modération duperie ; en vain, les forts conspirent contre les faibles, s’enorgueillissent de leur propre lâcheté et se confédèrent pour bannir la liberté de la terre… encore une fois, qu’importe ? N’avons-nous que cette patrie ? Elançons-nous avec ardeur dans l’avenir ! Dieu juge les justices humaines ; Dieu nous voit ; il nous entend, il nous pénètre. C’est assez pour notre sécurité. Heureux, nous devrions trouver sous son règne la suite de notre félicité. Infortunés, nous brûlons de la voir commencer, et pénétrés de cette infaillible espérance, nous nous croyons, en buvant la ciguë, plus heureux que les calomniateurs forcenés qui nous la présentent.

Mais si Dieu n’est pas notre rémunérateur souverain et incorruptible, si notre vie, usée par tant d’infertiles travaux, éprouvée par tant de revers, abreuvée de tant de larmes, n’est pas l’aurore nébuleuse d’un jour pur, d’un jour éternel ; si ce voyage désastreux n’a pas pour terme un port inaccessible aux pièges de l’iniquité ; si les infortunes que la vertu attire par sa propre énergie, par son inflexible droiture, par son incorruptible persévérance, ajoutée aux malheurs inévitables de l’humanité, ne sont pas l’illusion d’un instant, le rêve laborieux d’une nuit ; si la prospérité des tyrans ou de ceux qui les flattent, qui les servent, qui les invoquent n’est pas un sommeil court et trompeur que la main du Grand Juge brisera par les tourmens du réveil… oh ! qui nous dérobera à l’humiliation, à l’horreur de notre sort, aux agonies du désespoir ; qui remplira le vide affreux que ce seul doute répand dans notre âme ? Qui dissipera les nuages qui obscurcissent toutes les lumières de notre esprit et que nous servira d’être bons, si nous sommes inévitablement livrés aux méchans ?

Ah ! fuyons la société, l’odieuse société qui nous ôta les forces de l’état de nature pour nous livrer sans défense aux maux de l’état civil ! La société, théâtre de tant d’iniquités atroces ou d’erreurs puériles et cruelles, où la bonne foi est perdue, où le serment a produit le parjure, où tout est sujet de soupçons et source de dangers ; où des lois inégales, indigentes, trompeuses ou trompées, iniques et perfides ont recours à la violence, cèdent au fort et terrassent le faible ! Fuyons les hommes qui les ont faites ces lois, contre lesquelles on ne peut pas même se plaindre, comme ils ont forgé des armes auxquelles il est impossible de résister ! Leur prétexte est leur défense, et leur motif est l’attaque. Fuyons ces hommes qui nous crient : « Eh ! qu’importe que vous aimiez, que vous pratiquiez la vertu ! Vous pleurez ? Eh ! que nous fait à nous d’être des méchans ? Nous triomphons… » Fuyons cette politique sans frein qui pèse sur les deux mondes et les met en convulsion, qui, froide dans sa fureur et méthodique dans ses violences, calcule en combattant, évalue des hommes avec des monnaies et pèse le sang avec des marchandises ! Fuyons-nous nous-même ! Secouons le fardeau, l’intolérable fardeau de la vie !… ou plutôt, sophiste barbare, par humanité, reconstruis l’édifice de nos consolations, et de nos espérances, de notre félicité ! Rends à nos yeux le salutaire bandeau quêta main a déchiré ! Persuade-moi, fais-moi croire à l’existence d’un premier Moteur que la nature entière m’atteste ! Sans lui, j’allais croire que la vertu n’est qu’un nom, la conscience qu’un préjugé, la nature un fantôme ! Non, la nature n’est pas un fantôme, et quelque défiguré que soit l’ouvrage de l’Etre toujours le même, jamais homme vrai ne niera son authenticité. Je pense, donc je suis.

Qui donc peut échapper à ce raisonnement si simple, mais si invincible : « Je suis, mais je ne me suis pas fait. Où est mon Auteur ? » Le genre humain et la nature entière n’offrent à cette question qu’une solution raisonnable : « Je pense, donc je suis. » Entre penser et exister, il n’y a pas de différence pour mon âme. Et cette âme, quel empire matériel peut la soumettre ? Quelle puissance physique peut captiver ma pensée ? Ah ! ne consultons ni livres, ni sophistes, ni philosophes ! N’étudions que nous-mêmes, mais étudions-nous avec droiture et candeur ! Notre âme peut-elle être confondue avec notre corps périssable ?

O vous qui avez le malheur de le croire, je ne vous accablerai pas des absurdités sans nombre qui découlent de votre système. Je ne vous demanderai pas comment l’incalculable activité de l’âme peut se concilier avec la force d’inertie qui est le partage de la matière ? Comment un seul mot peut être composé d’un million d’idées ? Comment un objet unique n’occupe pas toute l’étendue pensante ? Ou comment, le seul objet n’en occupant qu’une partie, le sujet d’une perception peut être à la fois pensant et non pensant ?… Laissons ces discussions aux savans qui attendront longtemps encore les réponses des incrédules. Je ne vous presserai pas même de m’apprendre ce que les partisans de l’âme matérielle pensent prouver par leur hypothèse. Si, quand rien ne meurt dans la nature, l’âme peut mourir ? Et si la mort de tout être sensitif n’étant que la dissolution des parties, la pensée qui est une et qu’on ne peut se partager, peut se dissoudre et par conséquent périr ?

Non, je négligerai toutes ces inductions métaphysiques. Je me renferme dans les preuves morales. Je rentre dans mon cœur, que le spectacle de l’injustice et les efforts de l’oppression n’ont rendu que plus sensible et plus tendre, et pour qui le besoin d’adorer un Etre et d’aimer les autres est aussi essentiel que celui d’exister. Je l’interroge. Le sentiment, la voix de la raison, le cri de la nature m’inspirent et je dis :

Quel serait Dieu plus que le Dieu juste, ô Dieu paternel et tout-puissant ! Quel serait l’asile de ces infortunés que la tyrannie opprime à force ouverte ou que l’ignorance condamne sous le voile de la justice, si tu n’existais pas pour les dérober aux fureurs de l’homme ? Quel serait, aux yeux du commun des mortels, qui ne juge que sur des apparences d’ordre et de convenance, quel serait le prix de la vertu ? Quel encouragement lui resterait-il, si le feu qui l’alimente et l’anime, devait un jour s’éteindre dans le cercueil des temps ? S’il n’était entre le néant et le meilleur des hommes le plus humble, le plus sincère adorateur de l’Etre suprême, le plus religieux observateur des lois qu’il nous a prescrites, que le point fugitif de l’existence qu’on nomme la vie, où tant de tyrans oppriment et tant de méchans persécutent avec impunité ?… Loin de nous une doctrine qui n’est favorable qu’aux despotes et à la perversité des scélérats ! Si l’âme était mortelle, la vertu qui gémit ici-bas, — et un seul individu non coupable, n’est-il pas en droit de se plaindre, — la vertu croirait pouvoir accuser avec justice l’Être des êtres qui se dresse à son insu et contre son intérêt. Si l’âme était mortelle, la Providence semblerait une chimère et Dieu le plus affreux des tyrans, comme le seul irrésistible, le seul qu’on ne saurait fuir ?… Ah ! loin de nous ces affreux blasphèmes ! Voyez le peuple, c’est-à-dire l’espèce humaine presque entière, voyez le peuple sur la terre ! Il n’existe que pour sentir son néant. Mais dans la tombe, mais aux yeux du grand Juge, mais au pied de son trône, le dernier des hommes est égal au premier des Rois. Là seulement, l’égalité primitive est rétablie ; là, toutes les grandeurs de convention, tous les vains hochets de la vanité humaine disparaissent ; là, le prix des actions morales est seul évalué. À ce Tribunal unique, tous les humains peuvent être cités pour être jugés selon leurs œuvres, et le cœur de l’indigent l’emporte sur tout l’or des riches qui l’oppriment.

Mais si ce Tribunal n’existait pas, justice des hommes ! est-ce vous qu’il pourrait attester, cet infortuné que Dieu mit sur la terre comme une victime, Dieu qui lui doit le bonheur, puisqu’il le lui a rendu nécessaire ! Il vous invoquerait, vous qui vendez l’équité nationale pour quelques formalités, vous qui vous irritez ou vous apaisez avec des paroles et des apparences, vous qui ne savez que soupçonner ou frapper le faible pour servir et flatter le puissant ; vous qui découvrez le vrai coupable, quand l’innocent est mort, et qui ne daignez même pas gémir avec l’ombre de l’innocent que vous précipitâtes au tombeau ?

Hommes de fer ! Est-ce de vous qu’il attendra des consolations ou des menaces ? De vous qui vomissez tant de dénonciations téméraires, qui présentez tant de témoins absurdes, tant de calomniateurs effrénés ! De vous qui n’avez jamais laissé pénétrer jusqu’au fond de votre cœur les gémissemens de l’infortune ? De vous à qui l’on n’ose citer les malheurs, quand le malheureux n’a ni nom ni crédit ? De vous, pour qui les infortunés et les petits ne sont rien sur la terre, comme s’ils n’avaient pas de corps pour la douleur, de cœurs pour le désespoir, comme s’ils étaient d’une autre nature, comme s’ils étaient nés coupables !

Non, non, ce ne sont là ni ses dieux, ni ses asiles !… Religion sainte, religion pure, toi qui aimes tous les hommes et que tous les hommes doivent aimer ; toi, dont le despotisme a voulu s’aider pour asservir les mortels et qui protèges tous les droits légitimes, toi qui puniras plus sévèrement les furieux qui abusent de ses lois que les infortunés qui les ignorent, ouvre-moi ton sein ! Ouvre-moi les temples d’amour et de charité ! Laisse-moi l’accès de tes autels où la débauche, la violence, l’injustice sont rejetées ! Conduis-moi de ta main indulgente aux pieds de l’Eternel, du grand Rémunérateur, de l’infaillible Juge !… Puisque l’existence d’une âme innocente est pénible sur la terre, elle cessera de l’être un jour ; tes promesses ne sont point vaines ; puisque le premier Principe est intelligent, mon âme est immortelle.

Les générations se succéderont, les mondes s’altéreront, les philosophes et leurs livres et leurs systèmes, les sophistes et leurs erreurs et leurs blasphèmes s’abîmeront dans la nuit éternelle, mais mon âme surnagera pour recevoir le prix dû à ses souillures ou à sa pureté ! Mon âme surnagera, car elle est immortelle, puisque le juste vit obscur et que les grands criminels oppriment l’univers.

Mais, dans toutes les suppositions, dans celles mêmes qui seraient absurdes et coupables, l’homme juste devrait-il les envier ? Devrait-il murmurer contre le grand Ordre qui régit l’univers, dans lequel il est aisé d’expliquer les maux qui attristent l’humanité ? C’est, messieurs, ce qui me reste à examiner avec vous.


DEUXIÈME PARTIE

Ce n’est point un devoir de l’homme que de croire qu’il y a un Dieu. C’est une nécessité aussi grande pour celui qui a quelque logique que de croire à sa propre existence. Un homme sensé ne peut se dissimuler que tous les êtres doivent avoir une Cause et une Cause souverainement intelligente. Ce qui est de devoir, c’est de respecter le Moteur suprême, de se confier à lui, d’étudier les lois qu’il a données à la Nature, et, lorsqu’on ne trouve pas le nœud de quelque difficulté morale ou physique, de croire que l’Etre plus que puissant et plus que juste a toujours fait pour le mieux, quoique nous ne puissions pas toujours comprendre la cause et le motif de tous ses décrets ; parce que nous en comprenons assez pour être certains qu’il n’a rien fait sans raison ni avec injustice.

Et qui de nous oserait prononcer, en effet, que les révolutions dont nous croyons avoir le plus à gémir, ne sont pas nécessaires à l’harmonie de l’ensemble ? A Dieu ne plaise, ô mes frères, que celui qui porte l’empreinte de vos plaies dans son cœur, ait formé la vaine entreprise d’anéantir dans ses discours le mal qui pèse sur la terre ! Je connais, hélas ! des hommes vertueux, aux yeux de qui la société a changé de face par l’iniquité de leurs frères. Errans, calomniés, proscrits pour avoir trop aimé leur pays et leurs concitoyens, la maison qu’ils habitent leur paraît un cachot, leur lit un échafaud, leurs amis des traîtres. Sous les yeux des accusateurs ou des juges corrompus, ils disent : Le calme de mon visage sera pris pour l’insolence de la révolte, ou ma timidité pour lâcheté, pour remords…

Soit, et combien l’aggrave l’imagination, dont l’art est d’augmenter le bonheur des hommes heureux et le malheur des infortunés, l’imagination qui pour ceux-ci nie l’espérance et nourrit la crainte. Ah ! mes amis, je sens l’horrible poids de l’accusation dont on vous a souillés ! Moins vous le méritez, plus elle vous tourmente ! Le coupable s’y attend et est prêt à le supporter ; mais l’innocent en est foudroyé. L’injustice le déchire longtemps avant que le péril l’épouvante.

Non, non, je n’oserai pas même vous dire : Applaudissez-vous de vos désastres, comme un guerrier généreux expirant sur le champ de bataille s’applaudirait des blessures qui tout couvert de gloire ! Je ne soutiendrai pas que le monde, où la vertu peut perdre et perd en effet souvent sa cause, est le meilleur des mondes.

Mais si le malheur des citoyens vertueux, qui succombent dans la plus juste des défenses, était nécessaire au grand succès de la liberté contre le despotisme également réprouvé de Dieu et odieux aux hommes de bien, — et qui ne le perdra jamais, qu’il n’ait mis le comble à ses excès, à ses attentats, à ses outrages, — ceux qui envisagent d’un œil ferme et serein une autre patrie, ne peuvent-ils pas se consoler de survivre à celle où la Nature ne leur avait destiné qu’un passage ? Les âmes pures qu’indigne le spectacle de l’anéantissement presque universel de tous principes et de toutes mœurs, ne peuvent-ils pas, en étendant leurs vues, apercevoir dans la dernière période de la corruption le moment décrété par la Providence pour la régénération des hommes et des empires ? Savaient-ils, quand ils formaient des vœux plus ardens qu’éclairés pour hâter cette régénération, savaient-ils si nous étions seulement préparés aux remèdes ? Avaient-ils calculé s’il est dans l’ordre des choses que la maladie soit guérie en ce moment ? Qui de nous peut, sans une témérité coupable, sonder les jugemens de Dieu et censurer ou même deviner les motifs, le pourquoi à jamais ignoré des choses que d’un signe il a prescrites ?

Quelqu’un a-t-il vu l’enchaînement puissant et nécessaire des êtres décroissans par gradations, depuis la perfection infinie jusqu’au bord du néant, abîme immense pour l’imagination étonnée.

Omnia tempus habent et suis spaiiis transeunt universa snb cœlo. (Eccl. ch. VIII, v. 1 et 37.)

La Nature a ses raisons, et nous exigerions que l’homme, que la politique, que les empires n’en eussent pas ? Attendons tout et ne précipitons rien, mes frères ! Quand l’ordre général est sage, les vœux particuliers ne le sont pas. Donnons donc à nos plaintes les bornes que nous donnons à nos espérances.

Eh quoi ! ce sont des hommes trompés par le témoignage d’autrui et par leurs propres sens, dans les circonstances les plus communes de la vie, au point que ce qu’ils croient ne ressemble souvent à rien de ce qu’ils ont vu, ce sont eux qui voudraient régler l’univers et contrôler la Raison sublime qui préside à la Nature ? Notre intelligence a-t-elle donc plus d’une forme, et les combinaisons des circonstances ne varient-elles pas à l’infini ? Mesurons notre raison avant que de mesurer tout par elle. Alors, nous comprendrons que nos vains murmures sont autant de délires coupables d’un amour-propre exalté jusqu’à la démence, jusqu’à l’impiété. L’entendement humain, tout faible qu’il est, suffit ici pour nous convaincre.

N’admirons pas, disent les hommes en parlant des apparences d’ordre et de convenance démenties par quelque conclusion fâcheuse, n’admirons pas, car cela nous est nuisible ; ou dans une occasion différente, admirons, disent-ils, car cela nous est utile. Eh ! mes amis, désintéressez-vous et admirez tout simplement parce que la chose est admirable. Vous avez une singulière présomption, atomes de deux jours ! Vous vous croyez réellement les rois et le but de l’univers ! C’est pour vous que la terre produit, que les animaux existent, que les astres tournent ? Sirius fut fait, vous osez le croire, pour ajouter la valeur d’une bougie à notre illumination nocturne, et les innombrables étoiles de la voie lactée pour vous récréer la vue ! Votre orgueilleuse imagination destine tout pour vous jusqu’au Dieu suprême qu’elle voudrait diriger à son gré.

Ne le croyez donc point si déraisonnable, — vous qu’il a rendus capables de raisonner, — que d’avoir ainsi prodigué les œuvres de sa toute-puissance uniquement pour un des plus faibles ouvrages sortis de ses mains ! La position de votre globe, les bornes de vos facultés et de votre intelligence, les maux qui se mêlent aux biens dont vous jouissez, tout vous dit que vous n’êtes pas les rois du monde, ni même les premiers favoris du grand Etre. Vous n’avez nul droit de l’exiger. Ne vous enorgueillissez pas, mais ne vous avilissez pas non plus ! Vous êtes des citoyens notables dans une des plus petites villes de l’immense empire qu’on appelle l’univers. Celui qui fixa votre place la fit bonne et meilleure pour des êtres de votre espèce qu’aucune autre de celles que vous pouvez connaître et concevoir. Vous lui devez beaucoup de reconnaissance, car il vous a donné plus de bien que de mal, infiniment plus de momens où vous êtes contens de vivre que de ceux où vous voudriez mourir. Mais cette bienfaisance qu’il a exercée envers vous et qui doit vous prosterner aux pieds de son trône, il ne l’a pas eue pour vous seuls. Il l’a répandue avec profusion sur tous les êtres qu’il a rendus capables de sentir ; et nous ne savons pas où s’arrête dans la grande chaîne dus créatures cette heureuse propriété. Nous la voyons dans les animaux toute semblable à la nôtre, à quelques degrés de perfection près.

Idcirco unus interitus est hominis et jumentorum et æqua ulriusque conditio : sicut moritur homo, sic et illa moriuntur. Si inutile spirant omnia et nihil habet homo jumento amplius. Cuncta subjacent vanitati et omnia pergunt ad unum locum. De terra facta sunt et in terram pariter revertuntur. (Eccl. ch. III, v. 19.)

Nous pouvons la deviner, cette bienfaisance, jusqu’à un certain point, dans les plantes auxquelles l’amour même ne fut pas refusé. Nous ignorons si elle s’étend plus loin ; mais du moins parmi les êtres dont la sensibilité n’est pas équivoque, nous voyons que chacun sent par lui-même et que chacun doit a cette sensibilité mille plaisirs ; que chacun est doué d’organes propres à sa conservation et d’une intelligence qui, ne pouvant bien juger que celles de son espèce, doit se croire d’un degré très relevé. Nous ne pouvons pas savoir à quel point les abeilles, les fourmis, les castors et peut-être d’autres animaux moins supérieurs, se croient fondés à nous mépriser. C’est une fable d’un grand sens que celle des Compagnons d’Ulysse qui, métamorphosés, ne voulaient plus redevenir hommes. C’en est une non moins sublime que celle d’un poète moderne qui, dans un de ses discours où divers animaux, l’homme et des intelligences supérieures, disent chacun en particulier que tout est fait pour eux, et Dieu leur répond : J’ai tout fait pour moi seul !

Il fallait ajouter seulement qu’en faisant tout pour lui, Dieu a tout fait aussi pour les autres, et ce n’est pas un des moindres dons de sa bonté que cette étrange illusion qui fait que non seulement chaque espèce s’estime préférable aux autres, mais que, même dans chaque espèce, nul individu ne voudrait se troquer en réalité contre un autre individu. Chacun est au fond content de soi et de sa position, quoique chacun cherche à améliorer celle-ci selon les moyens qui lui ont été donnés et dont personne n’est entièrement dépourvu.

J’oserai me servir d’une comparaison triviale, mais sensible, pour envisager notre situation sous son véritable aspect. Si au lieu de regarder le monde comme notre empire, où tout nous semble mal, lorsqu’il n’est pas à notre gré, nous voulions le voir tel qu’il est, un grand hospice où chacun trouve le nécessaire et même le commode en payant son écot, et où il y a des logemens à tout prix, parce que tout le monde doit y trouver place, depuis l’homme et au-dessus, jusqu’à l’huître et au-dessous, nous ne blâmerions pas le maître qui cherche à contenter également tous les hôtes et qui ne peut empêcher que dans la foule quelques-uns d’entre eux n’incommodent leurs voisins. Peut-être est-ce moins à l’homme à se plaindre qu’à quelque autre animal que ce soit ; car, ayant plus de facultés, il tourmente plus qu’un autre ses confrères et tous les êtres doués de vie. Les hommes ont tué plus de serpens que les serpens n’ont tué d’hommes ; encore le reptile ne blesse, le plus souvent, qu’en se défendant. L’homme, comme le tigre, tue pour son plaisir. Les serpens siffleraient donc les philosophes qui soutiennent que nous devons trouver mauvais et déplacé dans ce grand appareil de l’univers ce que nous ne connaissons que comme nuisible, ou peut-être diraient-ils qu’il faut ôter du monde des créatures animées, surtout les hommes qui ne laissent aucun autre animal en paix.

Mais l’avocat des serpens aurait tort, comme nous les philosophes. Le monde ne doit pas être jugé d’après l’intérêt d’aucun individu ni d’aucune espèce ; toutes les espèces et tous les individus trouvent dans ses lois et leurs facultés les moyens de travailler efficacement à leur propre intérêt. Ce qui fait le bien de tous est la plus grande somme de bien possible. C’est une vérité qu’aucun homme de sens ne peut se dissimuler. On exagère, on peint les dangers qui nous environnent ; on tait nos plaisirs si multipliés ; on parle de nos malheurs ; on oublie nos félicités. On voit, nous dit-on, plus de vices, de crimes, de souffrances, que de biens et de vertus ; cela n’est pas vrai, car le monde dure et les sociétés subsistent. Or, si nous avions plus de mal que de bien, nous serions bientôt anéantis. S’il n’y avait pas plus d’hommes qui respectent les droits d’autrui qu’il n’y en a qui les violent, plus de pères qui élèvent leurs enfans que ceux qui les exposent ; plus d’époux qui se chérissent que de ceux qui se tourmentent ; plus d’enfans qui soignent leurs pères et qui les respectent que de ceux qui les abandonnent ; plus de citoyens qui secourent leurs semblables que de ceux qui les assassinent, nous nous entr’égorgerions tous et notre espèce n’aurait pas duré deux générations. Elle a duré, elle a multiplié ; elle a même étendu son domaine aux dépens des autres espèces ; elle multiplie encore. Il y a plus de bien que de mal surtout pour les hommes. Etre serait une ingratitude bien honteuse aux mieux doués d’entre eux, à ceux qui ont le plus de génie, s’ils affectaient de méconnaître ce bien dont ils jouissent et s’ils ne prenaient pas soin de le faire remarquer aux autres et de leur montrer que le mal moral n’est pas plus que le mal physique une question insoluble.

Des moralistes ont prétendu que c’est pour nous donner l’occasion d’exercer la bienfaisance que Dieu a permis qu’il y eût des malheureux. Ainsi, selon eux, l’Auteur de tout a sacrifié une partie du monde à quelques créatures privilégiées, afin de leur donner l’occasion de faire du bien et de jouir du plaisir qui en résulte… Oh ! combien cette préférence inique est indigne de la Majesté suprême, de l’incommensurable équité de l’Être des Etres !

Il y a des malheureux, parce que Dieu ayant accordé aux hommes la liberté et l’intelligence et les ayant mis à portée d’étudier et de reconnaître les lois physiques qu’il a données à la Nature pour le succès des travaux et la production des richesses, il y a des hommes qui s’appliquent moins à l’étude de ces lois ou au travail qu’elles prescrivent, tirent moins du produit de ce travail. Il y a encore des malheureux, parce que la conséquence nécessaire des lois physiques faites pour le bonheur et l’ordre général entraînent quelquefois des accidens particuliers. Le feu est bon et sert à mille usages, mais il peut brûler les négligens et avec eux ceux qui les approchent. Le bois et le fer sont très utiles pour nos travaux, mais ils peuvent blesser les maladroits, les étourdis ou ceux qui se trouvent à portée des imprudens. Les femmes sont fécondes, et c’est encore un bien qui perpétue les familles, mais elles peuvent avoir tant d’enfans que les pères seront embarrassés à les nourrir, et quand elles en auraient peu, la mort imprévue du père, qui est un accident naturel, peut encore les laisser dans l’infortune.

Il y a enfin des malheureux, parce qu’il y a des hommes ignorans ou méchans qui, n’usant pas ou abusant de leur intelligence, oppriment les autres et empiètent sur les droits de leurs semblables, ce qui, sans faire le bonheur des oppresseurs, fait le malheur des opprimés. Deux de ces sources de malheurs et de malheureux ont leur origine inévitable dans la nature des choses qui ne peuvent pas être en même temps d’une manière et d’une autre, ni réunir les propriétés opposées et incompatibles. L’homme est sensible. C’est un don suprême de la Divinité, mais il ne peut pas être sensible au plaisir sans l’être aussi à la douleur, et l’on ne pourrait le priver d’une de ces deux sensibilités sans lui ôter l’autre ; elles tiennent inséparablement à la même nature et aux mêmes organes. C’est la même faculté différemment exercée.

Les deux premières espèces de malheureux le sont donc par des accidens attachés à la nature des lois physiques qui n’ont pas pu être autrement qu’elles ne sont ; car Dieu, tout bon et tout-puissant, a certainement tout fait pour le mieux et réuni tous les biens qui n’étaient pas essentiellement incompatibles pour diminuer ces malheurs qui ne pouvaient être entièrement supprimés. Dieu attache à la bienfaisance un attrait naturel et doux, accompagné d’un plaisir très vif et très pur. Ainsi il n’a pas permis les malheureux pour faire exercer la bienfaisance ; mais, au contraire, il a mis le principe et le charme de la bienfaisance dans le cœur de l’homme pour soulager les malheureux. C’est pour ceux-ci que les bienfaiteurs ont été faits et la bonté du Ciel a permis qu’ils trouvassent les plus délicieuses récompenses dans l’accomplissement même du devoir qu’elle leur a imposé de diminuer les maux de leurs semblables.

Quant à la troisième partie des malheureux qui ne sont pas certainement nécessaires, car l’ignorance peut être dissipée et la méchanceté réprimée, Dieu a pourvu à son soulagement et Il sa diminution, d’où suivra quelque jour son extinction presque totale en ajoutant au sentiment général de compassion que leur malheur inspire un mouvement d’indignation contre les méchans qui permettent de nuire à autrui. On ne se borne pas à désirer de secourir les opprimés ; on veut les venger, et ce sentiment juste, à mesure qu’il s’éclairera, fera disparaître les oppresseurs de la surface de la terre, leur liera les bras et, après leur avoir ôté le pouvoir de nuire, leur en ôtera même la volonté. C’est encore pour arriver à ce but que Dieu a rendu très attrayantes les études qui manifestent les droits et les devoirs des hommes ou qui apprennent à soulager leurs maux. Les progrès dans ces études qui résultent du plaisir qu’on y trouve, étendent et étendront chaque jour le cercle de la bienfaisance, et diminueront sans cesse les maux de l’humanité.

Est-ce une chose difficile que de respecter les droits d’autrui, quand on s’est appliqué à les connaître ? Ce respect si naturel pour les droits de tous est cependant ce qui constitue la Vertu, et la Vertu pourrait faire disparaître presque tout le mal moral d’entre les hommes. Nous voulons tous qu’on respecte nos propres droits. Un sentiment intérieur nous crie que nous ne pouvons pas l’exiger, si nous violons ceux des autres. Nous nous sentons portés à réprimer l’injustice que nous voyons faire à un tiers. Quoi de plus simple que d’en conclure que nos injustices feraient naître le même mouvement chez les autres ? Il nous est donc manifeste que nous ne pouvons être injustes sans nous mettre en guerre avec tout le monde et que, seuls contre tous dans cette guerre, nous ne pourrions que succomber. Faut-il un grand effort pour préférer à cet état dangereux et pénible celui de la bienveillance universelle et de la paix intérieure ?

Il suffit donc des intérêts purement terrestres pour y inviter les hommes. Sans doute, le dogme de l’immortalité de l’âme est consolant et conforme à la raison, comme à nos désirs. Sans doute, il a une certaine élévation jusqu’à l’homme, élévation qui lui fait chérir la prolongation de son existence, s’occuper de ce qui sera quand il ne sera plus lui-même et bénir son Auteur. Mais nous pouvons conclure sans témérité, mes chers frères, de tout ce que nous venons de dire et de l’observation impartiale des choses humaines qu’une raison saine absoudrait la Providence de tout reproche, quand l’immortalité de l’âme ne nous serait pas démontrée, puisqu’il n’est pas vrai que, dans aucune hypothèse, le sort des méchans puisse être préférable à celui des hommes vertueux. Quand tout devrait mourir avec celui-ci, son état, même dans cette courte vie, serait le plus désirable de tous. Le préjugé contraire a sa source dans l’éclat qui éblouit les hommes et leur fait supposer que les grandeurs et les richesses, auxquelles il n’est pas sans exemple que les coupables soient parvenus, constituent le bonheur. Mais tous ceux qui ont essayé des unes et des autres, savent que les jouissances que donnent les richesses ou les grandeurs ne durent que quelques jours. L’habitude les rend bientôt insipides et ne laisse plus de sensibilité que pour les soins et les soucis qui accompagnent les grandes fortunes ou les positions élevées. Quand un célèbre millionnaire disait, au milieu de ses trésors que les chagrins ou les remords étaient venus corrompre : « Les pauvres riches sont bien malheureux ! » il le disait du fond du cœur, et ce mot peint l’ennui profond dont il était dévoré.

Juger du bonheur des hommes par leur opulence ou par le rang qu’ils tiennent, est donc en juger en aveugles, et quand il serait vrai que les méchans parviennent plus aisément aux grandes places, à la haute fortune, à ce qu’on appelle les plaisirs, que les gens de bien, il n’en faudrait pas conclure qu’ils sont plus heureux ni que leur sort est préférable.

Mais il est faux que le crime soit un bon moyen pour arriver à la richesse ou à l’illustration. Pour un scélérat parvenu, il y en a des milliers qui pourrissent dans la fange du mépris, du déshonneur, de la misère. Quand ils ont eu les plus grands succès, un seul accident qui les démasque suffit pour leur faire tout perdre sans retour. Ils marchent toujours sur le bord glissant d’un précipice. Ils le savent, et l’inquiétude, la crainte, la terreur qui en naissent empoisonnent leur existence et les rendent les plus malheureux des mortels. Cromwell, cet homme audacieux qui, citoyen obscur, changea la face de sa patrie et presque du monde, n’osait quitter deux jours son lit et sa chambre et ne se faisait raser que par ses enfans[10]. Thomas Koulikan, qui regorgeait d’or, de puissance, de succès, de victoires, ne laissait approcher de lui son meilleur ami qu’à dix pas. Le célèbre Anglais, vainqueur des Français dans l’Inde, conquérant du plus beau pays de l’univers, riche de 60 millions, triomphant des accusai ions qu’on avait élevées contre lui dans les tribunaux de sa patrie, croyait toujours voir deux nababs qu’il avait immolés dans l’Inde pour s’emparer de leurs trésors. Il portait partout l’image de ces deux princes expirans par ses ordres, et les remords lui rendirent la vie si insupportable que lui-même en termina le cours pour tâcher d’échapper à sa conscience qu’il n’avait su tromper comme la justice humaine[11]. Oh ! qui de nous envierait le sort de ces illustres coupables ? Qui de nous oserait soutenir qu’ils étaient heureux au milieu de leurs succès ? N’ont-ils pas assez trahi, par leur trouble et par leur effroi, le fatal secret de leurs tourmens et de leur infortune ?

Nul homme n’est complètement heureux. Le bonheur n’est pas compatible avec notre nature imparfaite, et Dieu, qui n’aurait pu nous rendre aussi parfaits que lui sans nous faire ses égaux, n’a pu réserver qu’à lui seul l’entière félicité qui est un attribut de l’entière perfection. Mais, selon les bornes de notre nature, il nous a départi beaucoup de biens, tous ceux même dont nous étions susceptibles, et il a tellement disposé ses lois que les meilleurs lots, la plus grande joie de l’esprit, le plus grand contentement de l’âme, les sensations les plus douces et les plus célestes si l’on peut parler ainsi, sont les plus dignes des hommes de bien et leur partage. C’est là ce qui constitue le vrai bonheur à la portée de l’homme sur la terre, et Dieu ne le refuse à aucun de ceux qui cherchent à s’approcher de lui par le cœur et mettent tous leurs efforts à se conformer à ses lois, dont la conscience et la raison sont les interprètes.

Quant à la grande fortune et aux places distinguées, qui ne sont à désirer qu’autant qu’on se sent le génie, les talens, et surtout l’activité nécessaires pour le travail immense d’administration qui y est attaché et les lumières indispensables pour employer, avec un juste discernement, au bonheur des autres hommes, ces grands moyens qui imposent de grands devoirs et exposent à de grandes punitions ceux qui ne remplissent pas ces devoirs, l’axiome de la justice divine et humaine : Il sera beaucoup demandé à ceux auxquels n’aura été beaucoup donné ; quant à ces postes éminens, à ces richesses que le vulgaire prend pour le bonheur, il est encore certain que, pour y parvenir, pour s’y maintenir ou pour s’y rétablir, lorsqu’on en a été privé par des revers imprévus, le moyen le plus sûr, loin d’être le crime, comme le supposent ceux qui croient à la prospérité des méchans, est au contraire la pratique de la vertu, la réputation de probité, d’activité, d’exactitude à ses devoirs.

Si l’on veut se convaincre de cette vérité, chacun de nous n’a qu’à se consulter soi-même et se demander lequel il choisirait pour lui donner une place de confiance, pour avoir affaire à lui dans le commerce ou pour toute autre relation de l’homme vertueux ou du malhonnête homme. Il n’est personne, sans doute, qui n’aimât mieux se fier à l’homme de bien, et les méchans même pensent ainsi pour les places dont ils disposent, car ils veulent être bien servis. De cette disposition générale, il résulte en faveur de l’homme estimable une sorte de bruit commun qui le porte aux emplois, qui lui attire les affaires avantageuses, qui lui prépare partout des amis et des protecteurs. L’homme, perdu de réputation, ne trouve rien de tout cela. Le méchant ne peut l’espérer qu’en affectant des vertus, car il faut au moins leur apparence pour réussir sans elles ; mais des vertus qui ne sont qu’apparentes se démentent bientôt, et l’indignation ne s’en élève que plus évidente contre ceux qui ont trompé l’opinion publique. Ainsi, le méchant n’est-il jamais sans danger. L’homme de bien, au contraire, qui ne se masque pas et ne montre que des vertus réelles, ne craint point de perdre l’estime universelle, qui est la base de ses succès. Les plus grands revers ne le dérangent que peu ; il lui reste toujours une foule de moyens pour se relever. La prospérité du méchant ne tient qu’à un fil, que le moindre accident peut couper, et qui ne se renoue jamais. Celle de l’homme vertueux est comme attachée à une barre de fer dentelée. Les événemens les plus contraires ne peuvent le faire reculer que d’un demi-cran. Le cran inférieur, qui est la bonne réputation, reste, jusqu’à ce qu’une impulsion nouvelle fasse regagner quelques nouveaux crans de fortune à celui qui a mérité que son nom le protégeât.

Convenez, ô mes frères, que, sous tous les aspects, et sans qu’il soit même besoin de la considération d’une autre vie, l’intérêt direct, visible, grossier même, des hommes, dans celle-ci, est de marcher d’un pied ferme dans le sentier de la Vertu, et qu’ainsi il est faux à tous égards que, dans ce monde, le sort des méchans soit préférable à celui des gens de bien. Eh ! Sans doute, Dieu veut et peut ajouter d’autres bénédictions à celle dont il les a comblés dans ce monde, mais du moins ne doivent-ils pas méconnaître celle-ci. Ils doivent, au contraire, en jouir avec reconnaissance, et se garder, lorsqu’ils en invoquent d’autres pour un autre temps, de paraître murmurer contre leur position dans cette vie, qui est la plus avantageuse que Dieu ait pu donner sur cette terre aux êtres sortis de ses mains avec notre nature. Plus vous y réfléchirez, et plus vous verrez que l’homme vertueux doit à la Divinité des actions de grâces perpétuelles, et non des regrets, des prières, des vœux impatiens.

Tout est mal, éliez-vous tentés de dire, dans vos chagrins et dans vos revers, et vous alliez les mériter ! Tout est mal, et le soleil vous éclaire, et, malgré les méchans, vous respirez l’air serein de la liberté ! Et vous avez encore le pouvoir sublime de faire des heureux ! Il y a du mal sans doute sur la terre, car il y a des méchans, et l’iniquité et les sophismes y introduisent la crainte et le désespoir ; mais j’écouterai ma raison et je serai bien ; la mort me placera dans le sein de la Divinité, et je serai mieux.

Elle-même a répondu d’une manière digne d’elle par la bouche du prophète Malachie aux objections qu’osaient lui adresser les vains murmures des hommes : « Vos paroles se sont élevées contre moi, dit le Seigneur, et vous avez répondu : Quelles paroles avons-nous proférées contre vous ?… — Vous avez dit : Celui qui sert Dieu se tourmente en vain. Quel bien nous est-il revenu d’avoir gardé ses commandemens et d’avoir marché tristement devant la face du Dieu des années ? Les hommes superbes, entreprenans, sont heureux, car ils se sont établis en vivant dans l’impiété, et ils ont tenté Dieu en songeant à se faire heureux malgré ses lois, et ils ont fait leurs affaires ! »

Invaluerunt supra me verba vestra, dicet Dominus, et dixistis : Quid locuti sumus contra te ? Dixistis : Vanus est qui servit Deo et quod emolumentum quia custodivimus precepta ejus et quia ambulavimus tristes coram Domino exercituum ? Ergo nunc beatos dicimus arrogantes si quidem ædificati sunt sapientes iniquitatem et tentaverunt Deum et salvi facti sunt… (Malachie, ch. III, v. 13 et sq.)

Voilà l’objection des impies proposée dans toute sa force par le Saint-Esprit. « À ces mots, poursuit le prophète, les gens de bien, étonnés, se sont parlé secrètement les uns aux autres. Le Seigneur a prêté l’oreille à ces choses et il les a ouïes. Il a fait un Livre où il écrit les noms de ceux qui le servent. « Et en ce jour où j’agis, dit le Seigneur des armées, c’est-à-dire en ce dernier jour où j’achève mes ouvrages, où je déploie mes miséricordes et ma justice, en ce jour, dit-il, les gens de bien seront ma possession particulière ; je les traiterai comme un bon père traite un fils obéissant. Alors, vous vous retournerez, impies ; vous verrez de loin les félicités dont vous serez exclus pour jamais et vous verrez quelle différence il y a entre le juste et l’impie, entre celui qui sert Dieu et celui qui méprise ses lois !

Tunc locuti sunt timentes Dominum unusquisque cum proximo suo ; et attendit Dominus et audivit et scriptus est liber monumenti coram eo timentibus Dominum et cogitantibus nomen ejus ; et erunt mihi, ait Dominus exercituum, in die quia ego facio in peculium, et parcam eis, sicut parcit vir filio suo servienti sibi dolor, et convertemini et videbitis quid sit inter justum et impium et inter servientem Deo et non servientem ei. (Malachie, ch. III, v. 13.)

« C’est ainsi que Dieu répond aux objections des impies : » Vous n’avez pas voulu croire que ceux qui me servent puissent être heureux ; vous n’avez cru ni à mes paroles ni à l’expérience des autres. Votre expérience vous a convaincus. Vous les verrez heureux, et vous, vous serez misérables…

« C’est ce que dit le Seigneur et il faut l’en croire, car c’est lui-même qui le dit, c’est lui-même qui le fait et c’est ainsi qu’il fait taire les superbes et les incrédules. »

Oh ! puissent-ils profiter de cet avis et prévenir sa colère ! Puisse la déplorable fatalité qui égare la raison par ses propres règles ! qui arme les mains de l’homme d’Etat, malgré ses résistances du cœur, puisse-t-elle cesser un jour ! Puissent ceux qui disposent quelquefois de la vie des hommes et qui peuvent abréger encore l’existence de cet être admirable qui ne paraît qu’un instant dans le temps, puissent ceux qui jugent et qui gouvernent leurs semblables, rentrer en eux-mêmes à l’idée du grand Juge ! Puissent-ils rendre aux hommes les droits que nous devons au Grand Etre et qui sont seuls garans des droits de nos chefs ! Puissent-ils craindre d’être traités comme les idoles des nations, pour lesquelles ceux mêmes qui les avaient faites ont cessé d’avoir aucun égard[12].

Alors, ils repousseront leurs flatteurs qui les outragent, puisqu’ils leur tendent un piège et comptent sur leur faiblesse ; qui les trompent plus que ceux qui les détrôneraient alors. Les oppresseurs, en pensant à ceux qu’ils ont opprimés, diront aux dénonciateurs téméraires, aux témoins absurdes, aux calomniateurs forcenés : « Vous avez accusé, vous avez poursuivi, vous avez perdu vos frères ; regardez-vous et voyez qui vous êtes ! Songez qu’ils étaient vos concitoyens, que leurs filles sont vos femmes, que vos fils devenaient leurs gendres, qu’ils ne faisaient qu’un peuple avec vous !

« Aujourd’hui, nous les avons chassés, parce que vous nous avez trompés et vous vous acharnez encore à leur perte ! Que nous demandaient-ils ? La paix et la justice. Ils ne nous demandaient qu’à subsister sans outrage, qu’à n’être pas traités comme de vils animaux qu’on frappe encore lorsqu’ils succombent sous le fardeau ; et nous les avons rejetés de notre sein, et c’est votre trame, et c’est votre ouvrage ! Dites, comment expierez-vous ce crime dont vous nous avez rendus complices ? Par quelles lois voulez-vous être jugés ? Par les lois de la nature ou par celles de nos institutions ? Choisissez, et partant, tirez votre arrêt ! Lisez la sentence dans vous-mêmes, car c’est en vain que vous vous débattez dans les chaînes de la conscience ; fatigués de vos efforts, vous retomberez toujours sur vos remords !

« Conseillers perfides, nous vous y laisserons en proie ; mais nous fuirons leur atteinte, nous réparerons les maux que nous avons faits, nous rendrons hommage à la vérité outragée… Vœux inutiles ; trop décevante espérance ! Vous n’êtes qu’illusion et mensonge ! Vous nous abandonnez, hélas ! Mais Dieu nous reste. Il nous offre ce royaume dont la vérité est la loi, dont la charité est le Roi, dont l’éternité est la durée[13].

C’est pourquoi, nous mettrons notre espoir dans la mort[14], et nous dirons à tous les événemens que l’injustice humaine ourdira : Ce que l’on m’a annoncé m’a rempli d’allégresse : j’irai dans la maison du Seigneur !

O Vous qui, par un décret des puissans, êtes bannis des lieux toujours aimables qui vous ont vu naître, qui ont allaité votre enfance, assuré votre jeunesse et qui semblaient ne demander le tribut de votre maturité que pour consoler votre vieillesse et prolonger sa durée, vous les fuyez, ces lieux chéris, ces lieux sacrés, vous êtes contraints d’abandonner vos maisons, vos familles et vos devoirs, mais le Seigneur vous ménage un asile. Invoquez-le dans la simplicité et la ferveur de votre âme et dites avec moi ces paroles de l’Ecclésiaste : « Ayez pitié de nous, ô mon Dieu, Seigneur de toutes choses ; regardez-nous favorablement et faites-nous voir la lumière de vos miséricordes[15] ! Renouvelez vos prodiges ; opérez des miracles qui n’aient point été vus ; glorifiez votre main et votre bras droit ; pressez le temps, hâtez la fin pour que les hommes puissent publier vos merveilles ; rassemblez toutes les tribus de Jacob, afin que les hommes connaissent qu’il n’y a pas d’autre Dieu que vous et qu’ils deviennent votre héritage, comme ils l’ont été dès le commencement ! Ayez pitié de votre peuple et d’Israël que vous avez traité comme votre fils ! Remplissez Sion de la vérité de vos paroles ineffables ! Rendez témoignage à ceux qui vous ont été fidèles et vérifiez les prédictions que les anciens prophètes ont prononcées en votre nom ! Récompensez ceux qui vous ont attendu longtemps ! Exaucez, ô mon Dieu, les prières de vos serviteurs.

Ainsi soit-il !


En émettant ces hautes pensées qui ont dû frapper le lecteur et qui présentent, dans les temps actuels, un intérêt tout particulier, — car nul n’a plus justement mis en relief la précarité du bonheur des méchans, les remords des grands coupables, le châtiment fatal des tyrans et la vengeance des opprimés, — Mirabeau n’a pas fait simplement œuvre d’écrivain, comme Diderot qui, dans sa jeunesse, à la demande de quelques ecclésiastiques épris de son talent, avait composé des sermons pour accroître ses ressources pécuniaires.

Je suis persuadé, après une lecture attentive du document inédit que je publie aujourd’hui, et après une longue étude des actes et du caractère de Mirabeau qui remonte à ma publication de la Mission secrète à Berlin[16], que le célèbre tribun avait réellement des convictions spiritualistes et croyait à l’existence de Dieu aussi bien qu’à une vie surnaturelle. J’ai déjà indiqué au début de ce travail les sentimens et les déclarations qui font de Mirabeau un déiste. Il avait reçu dans sa première éducation les conseils d’un pieux ecclésiastique, le P. Joubert, supérieur des Théatins, que le marquis de Mirabeau lui avait donné pour confesseur. Le P. Joubert ne niait pas que l’enfant n’eût un caractère rebelle et ne donnât, au point de vue religieux, que de médiocres espérances. Mais, doué d’une intelligence surprenante, épris d’un désir extraordinaire de savoir, écolier attentif, puis étudiant zélé, Mirabeau trouva, dans ses innombrables lectures et dans les notes immenses qu’il recueillit, non pas l’accroissement d’une foi juvénile, mais des idées profondes et sérieuses qui, en dépit de ses écarts de conduite, relevèrent son esprit et le soutinrent plus d’une fois, malgré ses défaillances.

Il le reconnaissait lui-même, et c’est ce qui explique son cri de douleur à La Marck : « Ah ! que l’immoralité de ma vie fait de tort à la chose publique ! »

Dans une lettre fameuse écrite à Frédéric-Guillaume II, lors de son avènement, il conclut ainsi : « Que l’Eternel, moteur des destinées humaines, veille sur vos jours ! Qu’il vous les accorde doux et actifs, c’est-à-dire remplis par le travail consolateur qui élève et fortifie l’âme ! » Et prêchant au monarque la tolérance, il ajoutait : « Donnez un démenti formel à ceux qui vous ont annoncé comme intolérant ; montrez-leur que votre respect pour les opinions religieuses remonte à votre respect pour le Grand Etre et que vous êtes loin de vouloir prescrire la manière de l’adorer ; montrez que, quelles que soient vos opinions philosophiques ou religieuses, vous ne prétendrez jamais au droit absurde et tyran nique d’y ranger les autres mortels ! » Spiritualiste et tolérant, tel nous apparaît Mirabeau. Dans un fragment inédit qui fait suite aux Conseils donnés à un jeune prince, j’ai trouvé la mention des vertus religieuses accolée à celle des vertus sociales et domestiques, et ces vertus sont appelées par lui : « obéissance, adoration, amour. »

On a cru que, parce qu’il était franc-maçon, il était naturellement athée. C’est la une erreur grossière. Il admettait, comme ses frères et compagnons, l’existence de la divinité signalée par le A grec dont on a fait plus tard un triangle, et le mémoire qu’il a écrit sur « l’Ordre des Francs-Maçons » pour le ramener à ses vrais principes et le faire tendre véritablement au bien de l’humanité, ne contient rien qui permette de lui supposer une absence réelle de sentimens spiritualistes ou religieux[17].

C’est au moment suprême, c’est-à-dire aux approches de la mort qu’il convient de juger les hommes et de voir de quelle façon ils ont affronté ce moment redoutable.

Ceux qui ont vu de près Mirabeau à son agonie, peuvent affirmer que ses sentimens, que ses pensées avaient pris alors une forme plus grave, plus étendue que d’ordinaire. C’était surtout, Cabanis son docteur, la marquise du Saillant, son excellente sœur, La Marck, Frochot, Pellenc, Lamourette et Comps qui recueillirent ses dernières pensées. Cabanis, qui se disait affranchi de toute opinion religieuse, reconnaît que Mirabeau devant l’inutilité de ses soins, pourtant assidus et minutieux, lui avait dit : « Tu es un grand médecin, mais il est un plus grand médecin que toi : l’Auteur du vent qui renverse tout, de l’eau qui pénètre et féconde tout, du feu qui vivifie ou décompose tout ! » Il est vrai que Cabanis rapporte d’autres paroles par lesquelles Mirabeau voulait pour ses dernières heures des fleurs, des parfums, de la musique pour entrer agréablement dans le sommeil éternel. Cette résignation païenne ne dura pas longtemps. Mirabeau avait demandé qu’on lui épargnât des douleurs inutiles, et il se fâcha et se lamenta lorsqu’on tarda à lui apporter l’opium qui aurait calmé ses douleurs. On lui a prêté des mots ridicules, comme ceux-ci : « Soutiens ma tête ! disait-il à son valet de chambre. Je voudrais pouvoir te la léguer ! » alors qu’il avait dit simplement : « Tu n’en porteras pas souvent une pareille ! » On a répété cet autre mot qu’il aurait dit en entendant le canon : « Sont-ce déjà les funérailles d’Achille ? » Si ce mot a été réellement prononcé, ce ne pourrait être que le résultat fatal de troubles cérébraux et du délire qui précédèrent la mort.

Tout ce qui a été écrit sur l’attitude théâtrale de Mirabeau, semblable au gladiateur romain qui meurt en artiste dans le cirque, a été inventé. Le vrai Mirabeau mourant, c’est celui qui crie sa douleur en ces termes : « J’ai encore pour un siècle de forces ; je n’ai pas pour un instant de courage, » puis converse gravement avec Frochot et Lamarck et leur confie ses dernières volontés politiques ; c’est celui qui remet à Talleyrand la copie du discours sur l’inégalité des partages dans les successions en ligne directe, dont Reybaz avait préparé le texte ; c’est celui qui reçoit l’archevêque de Toulouse, puis l’évêque constitutionnel de Lyon, Lamourette, qui lui servait de guide, lorsque venaient des discussions sur les matières religieuses. Avec ce dernier surtout, Mirabeau eut, avant de mourir, un assez long entretien particulier, et rien n’empêche de croire qu’il y eut de la part de l’agonisant, à ce moment suprême, des confidences ressemblant à une confession. Lamourette, en dehors de ses opinions politiques et du serment que les circonstances l’avaient amené à prêter, n’était point un prêtre suspect. Sans doute, il était sorti de la discipline ecclésiastique et de l’orthodoxie, en enfreignant les ordres du Saint-Siège, en entrant dans l’Eglise constitutionnelle. Mais il était demeuré un homme probe, discret et droit. Il rétracta d’ailleurs son serment le 7 janvier 1794 et mourut sur l’échafaud, victime de la frénésie révolutionnaire, sans se plaindre, et avec un grand courage. Les écrits religieux qu’il a laissés dénotent une piété sincère. S’il a été l’auteur de l’Adresse aux Français sur la constitution civile du Clergé, il a réparé ses erreurs par une fin intrépide. Tel était l’homme qui recueillit les dernières pensées de Mirabeau[18].

Il est vrai que lorsque le curé de Saint-Eustache, avec lequel il entretenait de bons rapports, se présenta chez lui, Mirabeau lui fit dire qu’il attendait l’évêque d’Autun et l’évêque de Lyon, ses amis ; mais ce n’était point par dérision ou par démonstration antireligieuse. Il avait formellement stipulé que ses restes devraient être inhumés dans la chapelle de sa maison d’Argenteuil, où il désirait qu’on rapportât les cendres de son père et celles de sa grand’mère. On sait comment l’Assemblée nationale, sur la proposition du duc Alexandre de La Rochefoucauld, décréta qu’il serait porté à l’église Sainte-Geneviève, devenue Panthéon, et avec quelle pompe extraordinaire eut lieu cette translation.

Il est bon de constater que Cerutti fut chargé de prononcer en l’église Saint-Eustache l’éloge de Mirabeau ; qu’une inscription élogieuse y fut placée en son nom par les soins de Palloy ; que le curé de Saint-Eustache et une partie de son clergé précédèrent le corps de.Mirabeau dans le cortège funèbre : qu’un service eut lieu dans l’église à huit heures du soir avec décharges de mousqueterie ; que le cortège alla ensuite avec le même clergé à l’église Sainte-Geneviève et que le curé de Saint-Eustache, qui présenta le corps du défunt, reporta le cœur à sa propre église, où il resta jusqu’à un nouvel ordre de la famille.

En outre, diverses oraisons funèbres furent prononcées dans l’église Saint-Thomas d’Aquin par l’abbé Audouin ; dans l’église des Carmes par Barbat-Duclosel ; dans l’église Saint-Philippe du Roule par Jacques Carré ; dans l’église Saint-Germain par l’abbé Leroi ; dans l’église cathédrale de Rouen par Larcher et par un autre orateur dans l’église de Lormans en Loiret.

On voit que les honneurs religieux n’ont pas manqué à la mémoire de Mirabeau, et qu’après ces démonstrations, il est difficile de croire que tous ces honneurs étaient rendus à un incroyant avéré.

Il est cependant un éloge auquel des historiens de valeur ont ajouté foi et qui n’a été qu’une sorte de mystification. Ruchez et Roux l’ont inséré dans l’Histoire parlementaire de la Révolution française, en disant que c’était un document précieux. C’est le prétendu mandement de l’évêque de Paris Gobel qui parut au lendemain de la mort de Mirabeau et produisit une certaine sensation[19]. Le contreseing de Courte-Queue, secrétaire, eût dû ouvrir les yeux même aux crédules, ainsi que des phrases de ce genre : « Le cantique national. Ça ira ! Ça ira ! qu’il nous eût été si doux de répéter avec vous, est remplacé par ce cri funèbre : Il n’est plus ! il n’est plus ! » L’évêque pleurait celui auquel il devait le bonheur « d’exercer canoniquement, disait-il, sur les bords fleuris de la Seine le ministère qu’il exerçait tristement et sans gloire dans les rochers et la neige éternelle de la Suisse ! » Il affirmait que Mirabeau lui avait dit : « Que vous importe que les biens du clergé soient à la disposition de la Nation ? Elle n’en disposera qu’en votre faveur. Que vous importe que le clergé soit ou ne soit pas propriétaire, pourvu que les individus possèdent les biens ! Vous êtes les individus, et vous les possédez. » L’éloge inouï de Mirabeau comme bon époux, fils tendre et respectueux, humble, doué de toutes les vertus privées, exempt de toute intrigue, étranger à tout parti, vertueux législateur, etc., aurait dû frapper aussi les esprits. Enfin, l’envoi de ce mandement épiscopal aux départemens, aux sections, aux cantons, aux municipalités, aux tribunaux, aux juges de paix, aux corps de gardes nationaux, à chaque prêtre assermenté, avec ces mots :


A Mirabeau, père de notre Eglise : Gobel reconnaissant.

prouvait bien que c’était là une audacieuse facétie. Cependant, on la prit au sérieux ; et de graves historiens l’ont considérée comme telle et en ont fait l’objet de leurs remarques attristées.

Mais ce qui fit vraiment contraste, ce fut l’appréciation haineuse de Marat dans l’Ami du peuple, qui remerciait « la Justice céleste » d’avoir achevé les jours d’un homme ennemi du peuple et victime de ses propres trahisons. Marat ne prévoyait pas qu’il serait lui-même frappé d’un coup de couteau vengeur et que sa dépouille infâme irait un jour remplacer celle de Mirabeau au Panthéon ! Voilà de ces traits qui ne peuvent partir que de la main d’un Dieu et devant lesquels s’incline l’Histoire émue et étonnée.

Camille Desmoulins a été très dur pour Mirabeau, car il a écrit que tout ce qui s’était fait de mal à l’Assemblée nationale avait été fait par lui, et que la patrie avait plus à en craindre qu’à en espérer.

Celui qui avait excité à la fois tant de haine et tant d’amour, qui avait remué tout un peuple et mérité que ce même peuple suivît en pleurant ses obsèques nationales, fut, comme l’a dit Gœthe, « l’Hercule de la Révolution. » Tout était grand et presque démesuré chez lui. Mais, à côté de défauts et de vices énormes, se trouvaient des qualités puissantes. Mirabeau avait du cœur et estimait les vertus qu’il se sentait incapable de pratiquer. Il reconnaissait devant ses intimes que les erreurs et les fautes de sa jeunesse et de son âge mûr coûtaient bien cher à la patrie et qu’il les expiait cruellement. Malgré ses déportemens et toutes ses faiblesses, il manifesta plus d’une fois des sentimens tendres et respectueux pour sa famille et pour les siens, ainsi qu’un dévouement absolu à ses amis. La vérité, c’est qu’il avait des idées franchement spiritualistes, mais qu’elles sortaient rarement de ce domaine pour pénétrer dans celui de la religion. Lucas de Montigny n’a pas hésité à en faire lui-même la remarque. « Ce n’est pas, ajoute-t-il, que nous admettions comme sa profession de foi à cet égard la théorie désespérante et les blasphèmes horribles qui ont été interpolés ou aggravés (par Manuel) dans deux passages du Recueil de Vincennes (Lettres à Sophie). Nous trouvons au contraire dans cette correspondance ainsi que dans plusieurs lettres inédites, l’expression d’une conviction véritable sur l’immortalité de l’âme. » Et Lucas de Montigny cite le passage suivant comme le corollaire du sermon composé par Mirabeau : « Qu’elle est sublime cette idée, l’immortalité de l’âme ! Sa source n’est pas dans un orgueil risible qui s’essouffle follement à percer un avenir que Dieu a couvert d’un impénétrable voile de ténèbres. Son principe est dans une simplicité de cœur, naïve et tendre. Celui qui, le premier, a deviné, ou plutôt senti, l’immortalité de l’âme, était sans doute une créature souffrante qui ne pouvait supporter la pensée qu’elle ne reverrait jamais ce qui lui avait été cher… Jamais ! perdu pour jamais ! Ces mots, en effet, brisent l’âme. Elle a besoin de les repousser par une conviction qu’elle reçoit sans la chercher et que la raison la plus sévère et la plus captieuse peut ébranler parfois, mais non pas détruire… » Enfin, dans un moment où, malade à Vincennes, il se croyait menacé d’une fin prématurée, Mirabeau écrivait dans une lettre qui avait un caractère testamentaire : « Dieu ! ô Dieu puissant, si j’ai nié la Providence, c’était pour n’être pas tenté de te croire complice des méchans ! Tu sais si j’étais de bonne foi ? Ta créature n’a pu t’offenser. Pourrais-tu t’irriter contre elle et la punir de la faiblesse de son entendement ! »

Je pourrais faire d’autres citations, mais celles-ci suffisent, je crois, pour démontrer que si Mirabeau n’avait en matière religieuse que des aperçus ou des sentimens vagues et superficiels, il n’en était pas moins un déiste convaincu. Il avait horreur du néant. Il confiait à l’avenir le soin de sa mémoire, ainsi que le prouve un de ses derniers écrits. Il aimait à citer la dédicace d’Eschyle : « Au Tempsv » et il disait : « Je serai moissonné jeune et bientôt. Le Temps répondra pour moi, car j’écris et j’écrirai pour le Temps, et non pour les partis. » Ces paroles semblent bien justifier le sermon qu’il a composé en 1782 sur « la nécessité d’une autre vie. »


HENRI WELSCHINGER.


  1. Mémoires de Mirabeau, t. IV, p. 174.
  2. Sa mère écrivait alors à M. de Malesherbes pour obtenir la mise en liberté de son fils victime d’une lettre de cachet : « Son père, aussi sévère envers lui qu’il s’est montré injuste envers moi, lui fait expier des fautes qu’il méritait d’autant plus d’indulger qu’elles n’ont eu pour objet qu’une dissipation d’argent assez commune aux enfans de son âge et de son état (2 janvier 1776.)
  3. Aussi, avait-il autorisé le curé d’Argenteuil à lui demander, dans sa propriété du Mavais, du pain, de la viande, des vêtemens et du linge pour les malades et les nécessiteux.
  4. Revue historique, t. XIII (1883).
  5. « La liberté, la plus illimitée de la religion, est à mes yeux un droit si sacré que le mot de tolérance, qui essaie de l’exprimer, me parait en quelque sorte tyrannique lui-même. » (Discours du 22 août 1789.)
  6. « La religion et la morale publique sont les deux bienfaitrices du genre humain. » (Discours du 30 octobre 1789.)
  7. Il avouera, le 26 novembre 1790, que la théologie n’entra jamais dans le plan de ses études, mais qu’il s’est fait éclairer « par des entretiens avec des ecclésiastiques instruits et d’une raison exacte et saine. »
  8. « Dieu a posé ce flambeau au milieu de l’univers pour être le point de ralliement et le centre d’intensité du genre humain. » (Discours du comte de Mirabeau le 14 janvier 1791.)
  9. « L’Évangile est une économie toute spirituelle offerte aux mortels en tant qu’ils ont une destination ultérieure aux fins de l’association ; il est proposé à l’homme comme une seconde raison et comme un supplément de sa conscience. » (Discours de Mirabeau le 14 janvier 1791.)
  10. Denys d’Halicarnasse se faisait brûler la barbe avec l’aide de ses filles, de crainte d’être égorgé par son barbier. (Cf. Tusculanes de Cicéron.)
  11. Mirabeau fait allusion ici à Robert Clive, le créateur de la puissance anglaisee aux Indes, célèbre par ses violences et ses exactions.
  12. « in idolis nationum non est respectus. (Sapientia, ch. XIV, 2.)
  13. Cujus lex veritas, eujus rex caritus, eujus modus æternitas. (Saint Augustin, epist. ad Marcollinum, III, 17.)
  14. Sperat autem justus in morte sua. (Proverb., ch. XIV, v. 32). Lætatus sum in his quæ dicta sunt mihi, in domum Domini ibimus. (Psaumes CXXI, v. 1.)
  15. Miserere nostri, Deus omnium et recipe nos et ostende nobis lucem miseratio num tuarum… (Eccl. ch. XXXVI, vers. 1 à 18.)
  16. Librairie Plon, in-8o, 1900.
  17. Mirabeau n’était pas souvent semblable à lui-même et écrivit plus d’une fois des choses fort contradictoires. Aussi, après avoir lu l’ouvrage capital de son fils sur la Monarchie prussienne, le marquis de Mirabeau ne trouvait à y blâmer que « le philosophisme » de l’auteur. Il regrettait que ce défaut éloignât de lui les gens sages. « Il attaque partout la catholicité ; il fronde partout la religion de ses pères et de son pays, et il m’a dédié cela à moi ! Or, il est à noter que, quand il a à dire une sottise, il abuse d’énergie et de ce qu’ils appellent éloquence. » Mais il faut reconnaître, avec M. de Loménie, que deux ans plus tard, c’est-à-dire en 17S9, Mirabeau ne parlait pas du culte catholique sur le même ton.
  18. La Gazette universelle a accusé Mirabeau « d’avoir fait le plongeon » dans ses derniers entretiens avec Lamourette.
  19. J. B. Gobel, chanoine de Porrentruy, évêque de Lydda en 1772 et suffragant de l’évêque de Bâle, pour la partie française de son diocèse, fut élu aux États généraux de 1789, et c’est lui qui fit voler dans la Déclaration des Droits de l’homme, la motion suivante : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses. » Après avoir fait preuve d’une réelle modération, il affecta des opinions avancées, accepta la Constitution civile du Clergé, fut élu évêque de Colmar, Langres et Paris. Il opta pour Paris et fut installé par Talleyrand, évêque d’Autun, en avril 1791. Il se lia avec les Jacobins, renonça le 17 brumaire an II à ses fonctions ecclésiastiques, et, compromis dans la faction Hébert et Chaumette, fut décapité le 24 germinal an II. Il avait, quelques jours auparavant, adressé à l’abbé Lothringer une rétractation formelle de ses erreurs.