La Sirène (p. 77-79).


XVI



IL se laissa tomber sur la chaise basse, affalé comme un homme malade, la mâchoire pendante ; sa longue figure avait une pâleur de papier.

La lumière de l’aube était suspendue aux murs de la case en rideaux vaporeux de satin rose et soufre. Sous les grands cocotiers du jardin, rampaient des ombres bleues qui avaient le chatoiement de la soie et qui s’étendaient sur le sol, sur le plancher jusqu’au lit où Marthe dormait sous la moustiquaire blanche.

Elle dormait ; et cependant, elle voyait le fantôme assit au fond de la pièce. Elle l’avait vu entrer et pouvait suivre chacun de ses mouvements.

Par la fenêtre, on apercevait des mineurs presque nus sur la route du chantier, revenant du bain en brillants accoutrements rouges, bleus et verts.

Dans les palmiers, de minces filets de fumée annonçaient le réveil de la vie du village… l’odeur ardente des bois odorants déchirés par le feu… La lumière incolore et pure du jour remplaçait l’éclatante et rapide féerie de l’aurore.

L’homme aux mains translucides leva les yeux sur Marthe, comme s’il cherchait de la sympathie. Il y avait dans son regard une joie timide.

Marthe lui sourit. Elle aurait voulu lui parler ; mais la paix du matin, l’heureuse lassitude de ses sens, une égoïste joie intérieure ne lui mettaient aux lèvres que des paroles indifférentes.

Et cet homme était là, qu’elle ne comprenait pas et dont la peine la troublait et l’irritait.

Il la regardait, humble, tremblant légèrement, comme un adolescent devant une femme et qui voudrait faire quelque confidence.

— Pourquoi viens-tu ? dit-elle.

— Je ne sais pas.

— Comme tu es pâle et défait… qu’as-tu ?

— Rien…

Elle l’observait, interdite. Il la regardait maintenant bien en face, avec un visage contracté el plus blême.

— Cette rose rouge, dit-il dans un effort, la rose…

— …

Il fixait toujours la jeune femme sur qui tombait un rayonnement spectral.

— La rose… Marthe. La vie n’est pas le soleil, ni la lumière… la vie, c’est cette rose.

Marthe, réveillée en sursaut, se tenait assise sur son lit cherchant avidement, dans la pénombre plaire, l’image disparue. Elle avait compris qu’une ardeur émouvante brûlait l’être mystérieux et que, du fond de l’au-delà, venait jusqu’à elle la magnificence de l’Amour.

Elle ferma les yeux. Des voix chantaient…

Ainsi, l’Amour dépassait les limites de la pauvre vie humaine. Il résistait à la Mort. Peut-être l’Amour était-il tout… le commencement et la fin, le bien suprême…

La révélation s’insinuait au tréfonds de son âme et précipitait les battements de son cœur.

L’Amour était le livre de la vie et la force qui gouvernait tous les mondes.

Avec quelle ferveur elle communiait avec l’au-delà…

Quand elle ouvrit les yeux, lasse du rêve extatique, elle vit une ombre noire qui s’avançait dans le jardin.