Un Episode contemporain de l'Histoire du Merveilleux - Le Spiritisme et les Spirites
- I. Révélations sur ma vie surnaturelle, par M. Daniel Dunglas Home, 1863. — II. Qu’est-ce que le Spiritisme, guide de l’observateur novice dans les manifestations des esprits, par M. Allan Kardec, 3e édition, 1862.
Sur la question du surnaturel considérée au point de vue théorique et dogmatique, il n’y a guère de discussion possible. On ne peut qu’affirmer ou nier. Placez deux adversaires sur ce terrain, ils s’escriment sans se joindre, l’un au ponant, l’autre à l’orient, et vous ne parviendrez pas à leur faire croiser le fer ; mais au point de vue pratique cette question se présente de nos jours sous une forme particulière. Nous ne professons plus pour les phénomènes qu’on nous donne comme surnaturels le même dédain que nos pères ; nous nous faisons au contraire un devoir et un plaisir de les examiner d’un esprit dégagé, de leur appliquer une critique impartiale, de voir s’ils ne renferment rien qui puisse nous instruire. Forts des progrès que nous avons faits récemment dans les sciences, encore étonnés des nouveautés merveilleuses que nous venons de découvrir et du jour inattendu sous lequel beaucoup de phénomènes se sont présentés à nos yeux, nous ne nous refusons point aux récits des gens qui nous affirment que tel fait vient de se passer hors des lois naturelles, comptant bien, si l’on a dit vrai, que ce fait prendra son véritable rang dans la nature. « Si l’on venait de toutes parts, disait Diderot, me raconter qu’un mort se promène à Passy, je ne me dérangerais pas pour l’aller voir. » Nous autres, nous irions à Passy, nous irions voir si ce miracle n’est point dû à une léthargie ou à une excitation galvanique, ou à toute autre cause assignable.
Au moment de parler d’une forme toute contemporaine de notre goût du surnaturel, reportons-nous à quelques années dans le passé. Quand le bruit se répandit vers 1854 que les tables tournaient par l’imposition des mains, il n’est guère, que nous sachions, d’hommes sérieux, d’ingénieurs, de physiciens, qui n’aient tenté à ce sujet quelque expérience. Qui eût voulu affirmer par exemple que l’électricité fut incapable de produire cette merveille ? Un courant qui aurait circulé dans un certain sens à travers la chaîne formée par les mains des opérateurs, un courant inverse dans la table, il n’en fallait peut-être pas plus pour que la table tournât. D’autres explications se présentaient. L’une des plus brillantes assignait pour cause au phénomène l’action involontaire produite par l’imagination des expérimentateurs sur les muscles de leurs mains ; la curiosité, l’attente, une sorte d’ennui nerveux, pouvaient donner aux doigts placés sur un objet quelconque, sur une table, sur un chapeau, des trépidations suffisantes pour mettre cet objet en mouvement. C’est même à l’efficacité de cette cause qu’il faut attribuer la vogue singulière qu’obtinrent parmi nous, pendant plusieurs mois et plus peut-être, les essais sur les guéridons et les chapeaux tournans.
Peut-être se rappellera-t-on aussi la fille électrique, Angélique Cottin ; il y a dix ans, elle vint de sa province à Paris avec ses parens, dont la probité et la bonne foi ne parurent pas douteuses ; il s’agissait de faire constater par des hommes compétens le pouvoir surnaturel qui lui était donné de renverser les tables sans les toucher et par la seule énergie de sa volonté. Ce prodige, où l’on pouvait soupçonner quelque effet magnétique, fit grand bruit dans Paris. L’Académie des Sciences ne dédaigna pas de nommer une commission pour examiner les faits[1]. Il fut reconnu que cette grosse fille, rusée sous une apparence de niaiserie, savait surtout lasser l’attention de son public et donner, quand on ne la regardait plus, un coup de genou dans le meuble qu’elle voulait renverser.
Que les tables tournantes aient obtenu l’honneur d’un examen sérieux, nous en donnons les raisons, et il n’y a rien là de bien étonnant. Ce qui est plus piquant peut-être, c’est que de cette origine soit née une sorte de doctrine, une théorie des esprits, qui a trouvé un nom tout neuf à se donner, le spiritisme, et qui a son chef, ses néophytes, ses publications. Ce n’est pas que le spiritisme, à proprement parler, nous apporte rien de nouveau. L’histoire du merveilleux a été faite plusieurs fois, et elle est assez uniforme; ce sont au fond les mêmes prodiges et les mêmes idées qui se reproduisent toujours, plus ou moins bien accommodés au goût du temps. On peut même remarquer que les acteurs qui remplissent de nos jours les principaux rôles sur la scène du surnaturel sont bien inférieurs à ceux qui les ont précédés. M. Home ne vaut pas Cagliostro, et les spirites ne sauraient se comparer aux illuminés de la fin du dernier siècle. Tels qu’ils sont cependant, nous devons à cet esprit de tolérance dont nous parlions tout à l’heure de nous en occuper quelques instans. Nous en trouverons l’occasion dans un livre récemment publié par M. Home sous le titre de Révélations sur ma vie surnaturelle et dans les écrits de M. Allan Kardec, directeur de la Revue spirite. Ce n’est point que les personnes méritent ici par elles-mêmes une étude particulière, et il ne s’agit nullement pour nous de les mettre en relief; mais la vie de l’un, les théories de l’autre nous fournissent, commodément groupés, les traits qu’il nous importe surtout d’étudier dans l’histoire contemporaine du merveilleux.
Commençons par M. Home, et voyons-le tel qu’il se montre à nous dans son livre; nous ne voulons pas le placer hors de ce cadre tracé de sa propre main. La célébrité qu’il a réussi à conquérir est composée de tels élémens que nous ne nous soucions d’y toucher qu’en le prenant pour seul guide. Cela suffit d’ailleurs au but que nous nous proposons; nous avons moins besoin de connaître en lui l’homme que le thaumaturge.
M. Daniel Home est Écossais, Édimbourg l’a vu naître; mais dès l’âge de neuf ans il passa aux États-Unis d’Amérique avec une tante qui l’avait adopté : c’est donc dans la patrie de Barnum qu’il s’est développé. Il était, dès son enfance, d’une santé si délicate et d’un tempérament si nerveux qu’on ne pensait pas qu’il fût possible de l’élever. Il montra bientôt une imagination exaltée et tournée au surnaturel. A treize ans, il eut une vision tellement distincte qu’elle peut être considérée comme un brillant début pour sa carrière. Il s’était lié à Norwich (Connecticut), où habitait alors sa tante, avec un autre enfant, chétif et mélancolique, nommé Edwin, et les deux jeunes amis causaient volontiers des histoires de revenans qu’ils avaient entendu raconter. Ils convinrent un soir que celui des deux qui le premier quitterait la terre viendrait, si la chose était possible, se présenter le troisième jour à son ami. Cette promesse mutuelle fut faite avec toute la solennité qu’elle comportait, et ils prièrent avec ardeur pour qu’elle pût s’accomplir. Deux mois plus tard, comme le jeune Daniel avait quitté Norwich et était allé s’établir à trois cents milles de là, à Troy, dans l’état de New-York, la convention faite entre les deux amis eut son effet. Daniel venait de rentrer un soir dans sa chambre et se mettait au lit, quand il vit soudain une masse noirâtre obscurcir la clarté de la lune, puis une lumière se dégager de ce brouillard, non point une lumière ordinaire, mais une lumière dont le livre des Révélations signale la nature toute spéciale; ce n’était rien moins en effet que la lueur que les esprits répandent ordinairement autour d’eux. L’enfant vit alors, au pied de son lit, l’image lumineuse d’Edwin, dont « la figure était plus nettement dessinée que si la vie l’eût animée. » Le fantôme leva son bras droit vers le ciel, fit trois cercles dans l’air et s’évanouit. Cela indiquait suffisamment qu’il était mort depuis trois jours, à pareille heure, et c’est ce qu’une lettre vint bientôt confirmer.
Lo jeune Daniel tenait de race. Sa mère, ainsi qu’il nous l’apprend, était une voyante. En cette qualité, elle connut qu’elle devait mourir prochainement, et en avertit son fils. Un jour, Daniel avait alors dix-sept ans, il eut un violent pressentiment que sa mère désirait le voir. Il habitait avec la tante qui l’avait adopté, mais sa mère était à douze milles de là. Il courut donc jusqu’auprès d’elle, et celle-ci, comme ayant conscience du motif qui amenait son fils, lui raconta la vision qu’elle venait d’avoir. « Votre petite sœur Mary (morte précédemment) m’est apparue, lui dit-elle, tenant quatre lis dans sa main. Après les avoir laissés glisser entre ses doigts l’un après l’autre, elle me dit, quand le dernier eut quitté sa main : — Et alors vous viendrez à moi ! — Je lui demandai si les quatre lis signifiaient des années, des mois, des semaines ou des jours, et elle me répondit : — Mois ! » Il est inutile de dire que cette prédiction s’accomplit ponctuellement. Daniel, qui, malade et alité, n’avait pu se rendre auprès de sa mère, apprit immédiatement par une apparition qu’elle avait quitté la terre, tandis que sa famille n’en fut instruite qu’une demi-heure plus tard par un télégramme.
Tels furent les débuts du spirite écossais, qui ne manquent point d’une certaine grâce sous la forme où il nous les présente. Cependant sa tante s’inquiétait de ces imaginations maladives; elle cherchait à calmer son neveu, sans pouvoir y parvenir. Ce fut bien pis quand les meubles se mirent à craquer et que le jeune Daniel commença d’entendre dans les tables des craquemens significatifs. La bonne dame, y voyant l’œuvre des démons, appela pour ramener le jeune homme à la raison les trois ministres du village, dont l’un était congrégationaliste, l’autre anabaptiste, et le troisième wesleïen. Tous trois y perdirent leur latin, et les tables de tourner et de se promener de plus belle. « Une fois, dit M. Home, pendant qu’une table était ainsi en mouvement, ma tante prit la bible de famille et la plaça sur le meuble, espérant qu’ainsi elle chasserait le démon; mais, à son grand étonnement, la table s’agita d’une manière plus gentille, comme si elle eût été flattée de porter un tel fardeau. Alors l’irritation de ma parente n’eut plus de bornes : bien résolue à mettre fin à ces mouvemens, elle se plaça elle-même avec colère sur la table; mais celle-ci s’éleva de nouveau au-dessus du parquet avec son vivant fardeau. » De pareilles scènes, où la gravité de la bonne dame devait être assez compromise, amenèrent une rupture entre le neveu et la tante. Désespérant de guérir le jeune halluciné, inquiétée dans sa foi religieuse, elle pria Daniel de quitter sa maison, et celui-ci se retira chez un de ses amis, à Willimantic. Il avait alors dix-huit ans.
Faut-il dans ces commencemens du jeune thaumaturge faire une grande part à l’exaltation cérébrale qu’amène chez certains malades l’excitation anormale des nerfs sensitifs? N’y doit-on voir que les études préparatoires d’un apprenti charlatan qui se fait la main en famille? C’est une analyse qu’il nous importe peu d’entreprendre. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’à partir de ce moment il devint brusquement « un homme public, » et qu’il acquit en peu de mois une grande notoriété. La presse américaine, qui va vite en besogne, donna aux premiers essais thaumaturgiques de M. Home un retentissement prodigieux. Or il ne faut pas croire qu’il fût facile à cette époque d’attirer l’attention des Yankees par des opérations de ce genre. L’Amérique venait d’être tout récemment envahie par les manifestations des esprits; plusieurs milliers de médiums des deux sexes se partageaient la curiosité publique; il y avait parmi ces sujets, paraît-il, de très belles femmes qui jouissaient d’un grand succès. Pour se faire une place brillante au milieu de tant de concurrens, il fallait une grande habileté. Les séances de M. Home n’avaient point lieu en public, mais dans la maison d’amis chez qui il s’installait pour quelques jours ou pour quelques mois, tantôt à New-York, à Boston, à Saint-Louis, à Buffalo, tantôt dans des villes secondaires. Des personnes choisies assistaient à ces séances, et en signaient les procès-verbaux, que la presse colportait de tous côtés. « Malade ou bien portant, dit M. Home, nuit et jour, ma vie intime était assiégée par toute sorte de visiteurs. Hommes et femmes de toute classe et de tout pays, médecins et savans, ministres de toute secte, artistes et hommes de lettres, venaient étudier cette question brûlante, l’action directe des causes spirituelles sur le monde matériel... Il vint des gens de l’extrême ouest et de l’Amérique du Sud, attirés par les récits des journaux. » Non-seulement la maison où M. Home descendait était assiégée de visiteurs, mais souvent des groupes de curieux se formaient au dehors, dans la rue, pendant tout son séjour. On l’appelait d’ailleurs de toutes parts, et il ne pouvait répondre à toutes les invitations qui lui étaient faites. M. Home prend soin de nous donner quelques échantillons des lettres qu’il recevait. Un docteur lui écrit : « Mon cher monsieur, je voudrais bien qu’il vous plût de me faire une visite, pour mon instruction et celle de quelques intimes, à votre loisir ou à votre première liberté. Je paierai toutes vos dépenses de voyage, aller et retour, celles de votre séjour parmi nous, et vous donnerai une rémunération de 5 dollars par jour, soit 50 pour les dix jours que vous nous resterez... Si mes offres n’étaient pas satisfaisantes, je vous saurais gré de nous indiquer vos propres conditions. » M. Home se hâte de répondre à ce grossier Yankee qu’il n’est pas un médium à gages, et qu’il viendra sans être payé.
Dans les premiers temps de « sa vie publique, » il avait songé à refaire son éducation, qui avait été fort négligée, ainsi qu’il nous l’apprend lui-même, à cause de sa mauvaise santé. La médecine l’attirait, et plusieurs fois, en venant à New-York, il annonça l’intention d’entreprendre sérieusement des études médicales; mais tantôt il en fut empêché par la maladie, car dès lors les médecins constataient qu’il avait un poumon fort endommagé, et il tombait par intervalles dans de grandes faiblesses; tantôt les exigences du rôle qu’il jouait l’entraînaient à de nouveaux voyages. M. Home ne manque point d’ailleurs de se louer des divers obstacles qui ont entravé son instruction, et il y voit le signe d’une élection particulière : les vaines notions d’une science positive ne peuvent que gêner la vie surnaturelle. Bientôt donc il renonça à tout ce qui n’était pas « sa grande affaire. »
Ainsi, pendant cinq années, de 1851 à 1855, il alla à travers l’Amérique, faisant tourner les tables et évoquant les esprits. Il perfectionnait pendant ce temps ses procédés et étudiait les pratiques les plus propres à frapper les imaginations, si bien que lorsqu’au mois de mars de l’année 1855 il s’embarqua à Boston pour se rendre en Angleterre, il était en possession d’un programme d’opérations savamment combiné et qui ne devait pas laisser de causer un certain émoi dans la vieille Europe. Dès son arrivée dans l’ancien continent, M. Home parcourut l’Angleterre, l’Italie, la France, la Hollande, l’Allemagne, la Russie, partout appelé par les hautes classes de la société, richement défrayé de ses voyages, ne faisant en chaque endroit que de courts séjours, frappant de grands coups par des séances décisives.
Rien de plus uniforme d’ailleurs que ces séances, dont les récits, rédigés et certifiés par une foule de témoins, remplissent le livre des Révélations. Huit ou dix personnes sont réunies dans un salon, le plus souvent à la campagne, le soir, par un clair de lune. Point de lumières, ou, s’il le faut, une lampe discrète. On a écarté soigneusement les gens de mauvaise volonté, car c’est une chose reconnue que les esprits éprouvent les plus grandes difficultés à opérer dans un milieu où ils trouvent des influences contraires, et où « des sentimens de scepticisme sont répandus. » Surtout point de savans; «leurs éminentes qualités se tournent contre eux dans cette nouvelle voie, où la matière est combinée avec le spirituel, » et plusieurs fois, alors qu’il se trouvait dans l’assistance quelque personne de ce genre qu’on désirait vivement convaincre, on ne put obtenir aucune manifestation. A ces causes, M. Home se faisait remettre d’avance la liste des invités et éliminait ceux qui ne devaient point apporter à la séance une émotion sympathique. Cependant les personnes présentes se sont placées au milieu de la chambre autour d’une table qui joue toujours le principal rôle dans ces réunions. Les mains forment la chaîne, et soudain la table tourne, puis s’élève à huit pouces du sol, puis s’abaisse doucement; ce sont les exercices préparatoires. Bientôt la personne que le médium désigne, mettant sa main sous la table, tandis que celles des autres assistans restent placées au-dessus, sent une sonnette qui lui est présentée doucement par une main surnaturelle. Et soudain, quelque soin qu’on prenne de laisser la sonnette immobile, elle s’agite d’une façon significative. — Les mains merveilleuses jouent un rôle brillant dans chaque séance. Chacun sent sur ses genoux, sur ses épaules, « le contact de la main spirituelle. » On peut même la toucher, et elle s’évanouit. Tantôt on sent cette main « humide et chaude et faite d’une chair extrêmement tendre; » d’autres personnes, en sentant cette étreinte, la trouvent « horrible et gluante. » Non-seulement on sent la main, mais on l’aperçoit; quelquefois elle se termine au poignet; dans d’autres circonstances, on voit une partie du bras et un commencement de manche qui se perd dans des draperies. Un jour, « toutes les personnes du cercle qui avaient une bague à leur doigt la sentirent délicatement retirée par la main d’un esprit; on vit ensuite la main paraître, chargée de toutes les bagues, et, se renversant, les répandre sur la table. » Hâtons-nous d’ajouter qu’on n’obtient de manifestations à la surface de la table qu’avec des initiés; dès que l’on n’a pas affaire à des croyans, les choses se passent sous le tapis.
Après la sonnette et les mains merveilleuses vient le tour de l’accordéon magique. Cet instrument s’élève du parquet et se présente de lui-même à la main d’un des assistans ; puis, sans aucun secours humain, il joue des airs, « non pas assurément dans toute la perfection de l’art, mais avec une habileté fort estimable. » Parfois c’est « un air sauvage coupé de transitions étranges et traversé de plaintes d’une douceur pathétique. » Souvent c’est un simple murmure, un « silence tissé d’une trame argentine, » une « note exquise qui va diminuant, diminuant à travers l’espace et les ténèbres de la chambre, jusqu’à ce que le son, parvenu aux dernières limites de la ténuité, se confonde avec le silence; » mais souvent aussi l’instrument exécute des morceaux plus brillans, par exemple un air où sont mises en scène les deux vies, celle d’ici-bas et celle qui vient après. La première de ces deux vies, dit un narrateur, « fut exprimée par des sons d’un désaccord pénible pour l’oreille; dans ma pensée, ce n’était pas rendre tout à fait justice à un monde qui, quoique susceptible de perfectionnement, ne laisse pas d’avoir quelques riches harmonies. Par bonheur pour nos oreilles, la première vie ne dura pas longtemps; la seconde lui succéda et fut rendue par une musique céleste, telle qu’il ne m’avait jamais été donné d’en entendre. » L’accordéon est l’instrument dont M. Home se sert en Europe; en Amérique, il employait une guitare. — Un nuage est venu cependant cacher la lune dont les rayons éclairaient la salle; les assistans sont plongés dans une obscurité complète. Le thaumaturge choisit ce moment pour une de ses plus brillantes expériences. Certain qu’on n’y voit goutte, il dit : « Tout me porte à croire que je vais être enlevé en l’air. » Il ajoute quelques instans après : «Je m’enlève. » Ces phénomènes d’élévation ou de lévitation, — c’est le mot consacré, — sont, dit M. Home, tout à fait indépendans de sa volonté; c’est à peine s’il en a conscience. «Je suis, ajoute-t-il, soulevé perpendiculairement, mes bras raidis et relevés par-dessus ma tête, comme s’ils voulaient saisir l’être invisible qui me lève doucement du sol. Quand j’atteins le plafond, mes pieds sont amenés au niveau de ma tête, et je me trouve comme dans une position de repos... Il m’est arrivé de rester ainsi suspendu pendant quatre ou cinq minutes. » Toujours attentif à porter la conviction dans l’esprit des spectateurs, qui à ce moment s’écarquillent les yeux, M. Home, dont la voix a des ressources savamment acquises, a soin de parler pendant son voyage aérien pour que le son de sa parole indique bien le chemin qu’il parcourt. Il ne manque jamais d’ailleurs de se munir d’un crayon avec lequel il fait au plafond des marques que chacun peut voir quand la lumière est revenue. Il a été donné à quelques-uns de toucher de plus près encore le phénomène de la lévitation; ce bonheur échut notamment au comte de B..., dans une séance donnée en 1857 près de Bordeaux. « Comme j’avais commencé à être élevé, dit M. Home, le comte quitta sa place, et, venant se placer au-dessous de moi, il saisit mes chaussures. Je repris alors mon ascension, le comte toujours cramponné à mes pieds, jusqu’à ce que mes bottines, qui étaient à élastiques, lui restassent dans les mains. »
Mais voici les grandes manifestations. Il ne suffit plus aux esprits d’agiter une sonnette, de faire vibrer un accordéon, de toucher les assistans de leurs mains surnaturelles, ni d’élever M. Home au plafond. Ils veulent parler. Des craquemens se font entendre dans les meubles, des frappemens retentissent dans les murs. M. Home demande à la table si quelque esprit est présent, et désire faire une communication. La table frappe vivement trois coups, ce qui veut dire oui dans son langage. « Qui est là? demande de nouveau le médium. » Cinq coups lui répondent, ce qui indique l’appel à l’alphabet. La conversation commence, assez lente d’abord, en raison d’un moyen imparfait, car il faut que chaque lettre s’accuse par le nombre de battemens qui en exprime le rang alphabétique; mais bientôt le médium dirige et gouverne l’entretien de manière à le hâter. Mille moyens ingénieux se présentent. Par exemple, « on épela les mots suivans : — Nous désirons que vous croyiez dans le... — On s’arrêta là. On demanda à l’esprit : — En quoi dois-je croire? Dans le médium? — Non. — Dans les manifestations? — Non. — À ce moment, l’investigateur fut doucement frappé sur le genou, et, comme il y porta la main, il y rencontra une croix que l’esprit y avait placée, et qui termina ainsi la phrase d’une façon significative. » Ainsi qu’on le voit, les esprits n’ont pas seulement leur alphabet, leur orthographe, leur grammaire; ils ont aussi des artifices de langage particuliers, leur rhétorique propre. On pourrait, en réunissant un certain nombre de traits épars dans le livre des Révélations, mettre dans tout leur jour les méthodes que M. Home emploie pour ne faire tenir aux êtres surnaturels qu’il évoque que des propos de nature à satisfaire et à étonner son public. On verrait avec quelle habileté il manœuvre sur le terrain mouvant où il s’est placé, avec quel art il provoque des personnes présentes les demi-confidences qui doivent servir de thème aux indications des esprits, avec quelle finesse il se sert des moindres ressources, comment il bat en retraite quand il s’est trop compromis, comment il se tire avec éclat d’un mauvais pas, tournant à son avantage ce qui a failli le perdre, comment il se ménage des prédictions brillantes et d’éloquentes évocations; mais nous en avons dit assez pour donner une idée générale de ces séances mystérieuses. Nous savons maintenant ce qui s’y passe, et nous avons pu même quelquefois, chemin faisant, toucher du doigt les procédés du thaumaturge.
Toute cette fantasmagorie a été trop percée à jour depuis quelque temps pour qu’il soit encore utile d’en étudier les ficelles. Nous tirerons un autre genre d’enseignemens de l’examen que nous venons de faire. Où veut en venir M. Home avec cet étalage de choses prodigieuses? Quel but se propose-t-il? De se faire une position dans le monde, dira-t-on, et d’exploiter la thaumaturgie!... Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Ainsi que nous l’avons déjà indiqué, ce n’est pas à ce point de vue que nous nous arrêtons. Nous nous bornons à regarder M. Home sous l’aspect où il veut bien se montrer. Quelle prétention affiche-t-il, quelle idée flatte-t-il dans le public auquel il s’adresse? Dans quels élémens cherche-t-il son succès? Voilà seulement ce qu’il importe d’examiner. M. Home prétend démontrer, il le déclare à chaque instant, la spiritualité et l’immortalité de l’âme. Il appelle ses opérations des « signes faits pour imposer aux hommes la croyance au spiritualisme. » Il affirme que, grâce à ses pratiques, beaucoup de personnes ont senti naître en elles une vive loi dans l’immortalité, « alors qu’elles n’avaient pu être persuadées par aucun autre moyen. » Ici il nous présente un jeune officier qui est « convaincu de la vie éternelle » par les faits que le médium lui fait voir et qui invite ses amis à un souper pour abjurer solennellement ses erreurs. Ailleurs c’est un gentleman qui s’écrie : «Je vois, je crois! » Ainsi M. Home est un défenseur « officieux » du spiritualisme. Je prêche, dit-il, « un spiritualisme révolutionnaire sur lequel les savans ne savent que bâiller. » Et c’est ici qu’éclate un contraste vraiment piquant entre la fin qu’il se propose et les moyens dont il use. M. Home veut établir la spiritualité de l’âme, et les procédés qu’il emploie ne lui paraissent jamais assez matériels pour y parvenir. Il lui faut des étreintes de mains, tantôt chaudes et tendres, tantôt horribles et gluantes; il imagine des tables frappantes; il se fait enlever lui-même en l’air. Tout cela est grotesque sans doute, mais instructif. Toute caricature en effet peut nous donner un enseignement, si nous ne nous bornons pas à en rire, et si nous voulons bien considérer le trait qu’elle exagère, le défaut qu’elle met en relief. Qu’on veuille donc bien, tout en partant des scènes qui viennent d’être décrites, en atténuer peu à peu les couleurs criardes, en adoucir successivement les tons jusqu’à oublier complètement le point de départ; on arrivera peut-être, en formant ainsi une série graduée d’images, à reconnaître dans quelques-unes d’entre elles certaines opinions qui nous entourent sans nous choquer, certains systèmes où se cache sous des dehors plus ou moins acceptés la même contradiction fondamentale qui éclatait tout à l’heure dans le modèle primitif. De tout temps, l’homme, pressé par un invincible aiguillon de sortir du domaine de la matière, s’est élevé à des conceptions métaphysiques et a conçu l’idée d’êtres spirituels. Êtres spirituels, disons-nous, bien que ces deux mots ne puissent être accouplés qu’avec certaines précautions! L’homme, dans la pratique de la vie et de la pensée, a été amené à donner à ses conceptions des formes définies et par cela même très arbitraires. Qu’il doive renoncer entièrement à cette méthode, qui osera le dire? Mais qu’il doive n’en user qu’avec une extrême prudence, qui osera le nier? Si une forme d’un certain ordre est nécessaire, comme il paraît, à nos conceptions spirituelles, nous ne saurions trop nous mettre en garde contre les contradictions auxquelles cette nécessité nous pousse. A ce titre, il n’est point inutile qu’on mette parfois sous nos yeux, dans des exemples ridicules, cette équivoque qui consiste à donner une forme matérielle à des êtres spirituels. C’est en effet cette équivoque fondamentale que nous retrouvons à chaque pas, plus ou moins déguisée, dans l’histoire de la pensée humaine. Que de tentatives laborieuses, que d’efforts énormes pour concilier ce qui est inconciliable, pour enfermer le oui et le non dans un même mot, pour mettre le jour et la nuit dans un même lieu et un même instant! De là tant d’imaginations fabuleuses, tant de créations chimériques qui s’évanouissent quand on les regarde en face, parce que, n’ayant pour objet que ce qui n’est pas matériel, on les a taillées cependant en pleine matière, et qu’ainsi leur raison d’être est en même temps leur raison de n’être pas dans la forme où on nous les présente. Nous n’avons pas, bien entendu, la prétention d’indiquer ici, au pied levé, quelles précautions il convient de prendre pour concevoir sainement des êtres spirituels. Nous n’apportons point un critérium dans cette question délicate; nous signalons seulement quelques excès au sujet desquels tout le monde sera sans doute du même avis. Restons donc sur le terrain où nous sommes placé, terrain commode, où nous n’avons guère de contradicteurs à rencontrer, et où il n’est pas nécessaire de garder toujours son sérieux.
On a vu la mission que s’est donnée M. Home, qui est de prouver l’existence des esprits en montrant leur incarnation, en les faisant agir et parler, en agissant et parlant pour eux. Quand je dis qu’il s’est donné cette mission, on comprend bien qu’à l’entendre il l’a reçue. Il n’agit que sous le souffle céleste; il est à cet égard d’une « passiveté complète. » La faculté médianimique, c’est-à-dire le don de communiquer avec les esprits, est d’ailleurs chez lui tout à fait intermittente ; elle l’abandonne pendant des mois, pendant des années entières; elle lui revient sans qu’il en puisse découvrir aucune raison. Elle le quitte quelquefois quand il est trop accablé par la maladie; quelquefois aussi elle le soutient dans ses souffrances. « Fréquemment, durant mes plus graves accès de maladie, mes douleurs ont été soudainement calmées d’une façon mystérieuse, et bien des fois, lorsque je n’osais me remuer dans mon lit, craignant d’augmenter mon hémorragie pulmonaire, ma tête a été doucement soulevée, et mon oreiller arrangé par des mains invisibles! » Il a d’ailleurs le pouvoir médianimique à un si haut degré, qu’il le communique par momens à diverses personnes, témoin un jeune officier anglais de l’armée du Canada, qui, pour avoir fréquenté M. Home, vit tout à coup sûr son bureau sa plume se dresser d’elle-même et tracer sur le papier des communications surnaturelles. La protection divine, qui couvre M. Home, le garantit naturellement contre les dangers auxquels il est exposé. C’est ainsi qu’il nous raconte quelque part avec émotion l’histoire d’une énorme branche de chêne, dont la chute inexpliquée faillit lui couler la vie et ne le laissa vivant que par miracle. Cette branche joue un certain rôle dans l’œuvre de M. Home. On y tailla un billot « de trois pieds huit pouces de haut sur trois pieds de diamètre, » qui accompagna le médium dans quelques-uns de ses voyages et qui devint le siège de manifestations prodigieuses. Il arriva notamment à M. Home, faible et maladif, de soulever cette grosse masse comme une plume, alors que deux hommes vigoureux pouvaient à peine l’ébranler.
On a déjà vu comment M. Home sent instantanément que telle ou telle personne vient de mourir au loin. Son livre est plein de récits de cette nature. Il a dans certains cas la prescience, ce qu’il appelle « le souvenir du futur. » Il opère aussi, quand l’occasion s’en présente, des guérisons miraculeuses. Une mère, dont le fils était sourd depuis quatre ans par suite d’une fièvre typhoïde, vient le trouver, le suppliant de guérir son enfant. « C’était en vérité une entrevue embarrassante pour nous deux, la mère priant pour la guérison de son enfant, et moi ne sachant nullement comment je pouvais servir à le délivrer de cette ancienne et complète surdité; le malade avait été soumis aux traitemens des premiers médecins de Paris, qui avaient fini par juger le cas incurable. Elle prit place sur une chaise près d’un sofa, sur lequel je m’assis, en priant le fils de se mettre à ma gauche. Celui-ci était dans sa quinzième année, d’une stature élevée pour son âge et d’une complexion délicate, avec de grands yeux bleus, dont le regard profond semblait vouloir suppléer au sens perdu. La mère me fit le récit complet de la maladie de son enfant depuis la première attaque de la fièvre jusqu’à la perte complète de l’ouïe. Pendant qu’elle me décrivait les diverses opérations chirurgicales auxquelles on avait soumis le malade, mes sympathies s’étaient soudainement réveillées, et, passant involontairement mon bras autour du corps de l’enfant, je l’avais ramené vers moi, sa tête appuyée à mon épaule. Alors, et pendant que sa mère me racontait quelques détails des plus pénibles, je passai ma main sur la tête du jeune garçon, qui tout à coup, se relevant vivement, s’écria : Maman, je t’entends!... Depuis ce jour, il n’a cessé d’entendre parfaitement. »
M. Home, comme on le pense bien, en s’attribuant un rôle surnaturel, a toujours cherché l’appui de la religion. Il se rencontra toutefois des momens où le fanatisme de certaines populations lui fit courir des dangers réels. Il en fut ainsi notamment à Florence dans l’année 1856. Le bruit s’était répandu parmi le peuple que le thaumaturge « administrait les sacremens de l’église aux crapauds pour obtenir, au moyen d’évocations, la résurrection des morts. » L’excitation populaire fut grande, à ce que nous apprend le livre des Révélations, et M. Home, après avoir été victime d’une tentative d’assassinat, dut, sur l’invitation du ministre de l’intérieur, cesser de se montrer dans les rues de Florence. Cette même année, il passa plusieurs mois à Rome et demanda à se faire catholique. Il y eut pendant plusieurs semaines « de sérieuses délibérations de la part des autorités cléricales, » émues à l’idée d’introduire ce bizarre néophyte dans le sein de l’église. Il y fut admis cependant, et vint à Paris avec des lettres de recommandation pour l’abbé de Ravignan. Ses rapports avec l’illustre jésuite furent bons dans les commencemens. M. Home était alors dans une période de calme : il paraissait avoir renoncé à toute pratique extraordinaire, et le prêtre essaya de le maintenir dans ces dispositions; mais le médium ne tarda pas à avoir de nouveaux accès de surnaturel. M. de Ravignan lutta quelque temps contre le mal; enfin, fatigué des rechutes incessantes de son pénitent, il abandonna une brebis si compromise et si compromettante. Il cessa de voir « ce fameux médium américain, qui eut, nous dit l’abbé de Pontlevoy, biographe de M. de Ravignan, le triste talent de tourner autre chose que des tables et d’évoquer les morts pour servir de spectacle aux vivans. »
M. Home, repoussé par M. de Ravignan, changea de confesseur; par prudence il tut le nom de son nouveau guide spirituel. Il y eut alors dans un certain monde quelque désir de savoir qui avait accepté cette charge dangereuse. À ce propos, M. Home nous dénonce le subterfuge dont usa une jeune dévote pour satisfaire à cet endroit sa curiosité. « Comme elle avait entendu dire que le nouveau confesseur était un homme distingué, elle fit visite à plusieurs célébrités cléricales, et après quelques minutes de conversation elle demandait brusquement à chacun : Ainsi donc vous êtes le confesseur de M. Home? Elle tomba ainsi sur le véritable, qui fut trahi par son embarras. » Quoi qu’il en soit, il est certain que M. Home ne put réussir à se concilier ni la bienveillance, ni même la neutralité du clergé. Les prêtres catholiques se montrèrent en général aussi sévères à son égard que les clergymen protestans. Le médium ne manque point d’en témoigner son profond étonnement en plusieurs endroits de son livre; il ne s’explique pas que l’église refuse le concours d’un auxiliaire si utile, qui possède les moyens de combattre le scepticisme des masses, et de faire « palper » aux indifférens les vérités éternelles!
Au milieu des voyages qu’il faisait sans cesse d’Angleterre en France, de France en Italie, se trouvant à Rome en 1858, M. Home se maria. Il avait été amené chez une dame russe, la comtesse de Kouchelef. « A minuit, dit-il, nous passâmes dans la salle à manger, et je fus présenté à une jeune dame que je n’avais pas encore vue et qui était la sœur de la comtesse. Une impression étrange s’empara soudainement de moi, et je sentis que cette jeune personne devait être ma femme. Pendant que nous étions à table, elle se tourna vers moi et me dit en souriant : M. Home, vous serez marié avant la fin de l’année. Je lui demandai comment elle le savait, et elle répondit que c’était une superstition russe, lorsqu’un monsieur était placé à table entre les deux sœurs... Douze jours après, nous étions fiancés... Au mois de juin, nous partîmes pour Saint-Pétersbourg, accompagnés par M. Alexandre Dumas, qui devait servir de parrain à mon mariage... Nous fumes mariés le 1er août, d’abord dans la chapelle particulière de mon beau-frère, d’après les rites de l’église grecque, et puis à l’église de Sainte-Catherine d’après les rites de la foi catholique romaine. » Mme Home fut bientôt initiée par son mari à la pratique des visions. Elle était dès lors atteinte, comme celui-ci, d’une de ces phthisies pulmonaires qui s’allient souvent à une grande exaltation cérébrale, et elle se trouvait ainsi toute disposée à subir facilement l’influence du milieu où son mariage la plaçait. En France, en Angleterre, en Russie, elle assista aux séances médianimiques, et joua son rôle dans les manifestations surnaturelles. Elle est morte à vingt-deux ans, dans le courant de l’année 1862. Le livre des Révélations contient, dans un chapitre intitulé In memoriam, deux notes écrites sur cette jeune femme par deux amies. On éprouve à la lecture de ce chapitre une impression singulière. Le personnage de Mme Home y est drapé et arrangé avec un soin particulier. L’auteur du livre ne pouvait rencontrer un plus heureux sujet pour consacrer sa puissance par un exemple décisif, pour montrer que son « spiritualisme révolutionnaire » donne, comme il l’annonce, les preuves de la vie éternelle. Est-ce à dire que nous prendrons pour vrai le portrait qu’on nous trace? Ce n’est point ce que nous entendons; mais ce personnage de convention n’est, hélas! que trop vraisemblable par certains côtés. Cette jeune malade a une foi sincère, on doit le croire aussi, dans les pratiques auxquelles elle assiste; elle a en même temps une sérénité d’âme que rehausse la conscience de sa mort prochaine; elle s’éteint doucement, et l’idée de la mort lui est familière et gracieuse. Son existence, au milieu de ses souffrances, était, nous dit une des deux amies, « un hymne de chaque jour; » de même la mort est pour elle « un poème. » Dans cet état, elle pense sans cesse à revenir sur la terre et ne perd pas de vue les moyens qu’elle aura de s’y manifester. « Elle reçut mon adieu, dit encore son amie, et elle pressa ma main dans sa main amaigrie en ajoutant dans son joli anglais : — Sentez-la, sentez-la bien, afin que vous puissiez vous la rappeler quand je reviendrai près de vous! » Qu’on fasse aux artifices de l’auteur telle part que l’on voudra, on sent qu’il y a dans ce chapitre In memoriam des traits pris dans la nature, et on ne peut se défendre d’un certain trouble en voyant au moyen de quel alliage impur s’obtient parfois le calme devant la mort.
Nous n’avons guère trouvé dans le livre de M. Home qu’un détail incessant de pratiques surnaturelles. S’il pense à les grouper tant bien que mal autour d’un centre commun, il n’a point souci d’établir une doctrine. M. Home n’est qu’un praticien; mais nous allons rencontrer une théorie des esprits dans M. Allan Kardec. M. Kardec écrit beaucoup, et il est le grand patron de tout un genre de littérature. S’il fallait lire, pour se rendre compte de son entreprise, les divers volumes qu’il a publiés, le Livre des Esprits, le Livre des Médiums, les Réfutations des Critiques contre le Spiritisme, les Voix du Monde invisible, surtout la Revue spirite, ce serait une grosse affaire. Heureusement M. Kardec nous a donné, dans une brochure intitulée Qu’est-ce que le Spiritisme? un résumé de sa doctrine. Ce petit livre affecte une forme élémentaire, et s’adresse aux novices, aux débutans, à ceux qui désirent être initiés. Dans quelques entretiens familiers, M. Kardec démontre à un visiteur supposé l’utilité de son œuvre, et combat les objections qu’il rencontre le plus ordinairement dans le public. Il donne ensuite les principes de sa théorie sous forme d’articles numérotés pour le soulagement de la mémoire et la facilité de la discussion. Dans une troisième partie, il aborde les principales questions qui ont occupé de tout temps l’humanité, et montre comment le spiritisme fournit pour tous ces grands problèmes des solutions commodes et expédientes, alors que tous les philosophes y ont perdu leur métaphysique.
De fait, ce petit livre ne manque point d’intérêt, et il offre un genre tout particulier d’utilité que l’auteur n’a point cherché. On y trouve une parodie vraiment instructive de l’effort que tant de cerveaux ont fait pour convertir en réalités leurs imaginations. On y surprend dans leur naïve bonhomie ces procédés d’explications qui n’expliquent rien, et qui, mieux déguisés ailleurs, affectant dans des systèmes en renom des allures transcendantes, n’en aboutissent pas moins à des tautologies. Il nous semble enfin qu’un exposé rapide de la doctrine spirite est de nature à rendre bien des faiseurs de systèmes moins présomptueux dans leurs visées, plus sévères sur le choix de leurs argumens, plus prudens dans leurs créations, moins tranchans sur les privilèges et les immunités des conceptions spirituelles. Nous n’avons pas besoin d’ajouter d’ailleurs que toutes les indications qui vont suivre sont scrupuleusement tirées de la brochure Qu’est-ce que le Spiritisme?
Il y a dans l’homme trois parties essentielles : d’abord l’âme ou esprit, principe intelligent en qui résident la pensée, la volonté et le sens moral, ensuite le corps, enveloppe matérielle, lourde et grossière, qui met l’esprit en rapport avec le monde extérieur. Outre cette enveloppe, l’esprit en a une seconde, semi-matérielle, qui l’unit à la première, et à laquelle on donne le nom de périsprit. Le périsprit est une enveloppe « fluidique, » impondérable, servant d’intermédiaire entre l’âme et le corps. Ni l’âme n’est localisée dans une partie du périsprit, ni l’être fluidique qu’elle forme avec le périsprit n’est localisé dans une partie du corps. Les deux êtres, l’être fluidique et l’être corporel, sont semblables, et se pénètrent l’un l’autre dans leur ensemble. La naissance les réunit, la mort les sépare. Que vous semble du périsprit? L’invention du périsprit ne laisse pas d’avoir son mérite, et voilà, sans qu’il soit besoin d’autre secours, bien des difficultés aplanies. Quand je dis invention, ce n’est pas que la chose soit précisément neuve; mais M. Kardec utilise cette conception avec tant d’aisance, qu’il lui donne tout le piquant de la nouveauté.
A bien compter, on trouverait encore dans l’homme un quatrième élément. C’est un lien fluidique qui unit le périsprit au corps. Ainsi avant la naissance d’un homme et dès qu’il est conçu, l’esprit qui est encore errant dans l’espace tient par ce lien fluidique au corps auquel il doit s’unir. Ce lien se resserre de plus en plus à mesure que le fœtus se développe. Ce n’est point d’ailleurs sans de graves raisons que M. Kardec établit entre les deux élémens qui s’unissent cette espèce de chaîne de sûreté. La mesure est sage. Les facilités que le périsprit donne à l’âme pour sortir du corps sont incontestables; je ne parle point ici de la grande séparation, de la mort, mais de certaines escapades que l’âme se permet quelquefois, pendant le sommeil notamment ou dans les phénomènes somnambuliques. La commodité qu’elle y trouve est extrême, puisque l’âme, à tout prendre, en s’isolant du corps, garde une enveloppe «fluidique, » il est vrai, mais fort présentable, une forme semi-matérielle qui lui conserve tous les dehors de l’humanité. Le lien fluidique empêche ces fantaisies, ou, s’il est assez relâché pour les permettre, il assure du moins la réintégration de l’âme dans son domicile ordinaire. Quel trouble en effet si un esprit, au retour d’une excursion, ne pouvait retrouver son enveloppe corporelle! Quel quiproquo s’il entrait dans celle du voisin! Mais heureusement « pendant la vie, à quelque distance qu’il se transporte, l’esprit tient toujours au corps par un lien fluidique qui sert à l’y rappeler dès que sa présence est nécessaire; ce lien n’est rompu qu’à la mort. » En cela, M. Kardec est d’accord avec M. Home, qui nous montre par un exemple, dans le livre des Révélations, l’utilité de ce précieux accessoire : il arriva, pendant que le médium dormait, que son esprit fit une de ces excursions dont je parlais tout à l’heure; cet esprit eut conscience à un certain moment de sa position singulière, et vit son corps devant lui étendu sans mouvement sur le lit; « le seul lien qui joignît encore les deux formes semblait être une lumière argentée qui procédait du cerveau; » un être surnaturel qui accompagnait l’esprit de M. Home dans son voyage nocturne lui dit alors : « Le lien qui unit les deux formes viendrait-il à être coupé, vous ne rentreriez plus dans votre corps ; cependant, comme je vous l’ai dit, cela ne sera pas. » — Il faut toutefois avouer, pour être juste, que la théorie du lien fluidique est seulement ébauchée par M. Kardec, et qu’il ne paraît pas y attacher une importance capitale; ce n’est dans l’ensemble de ses conceptions qu’un détail sur lequel nous pouvons glisser pour revenir aux parties essentielles de sa doctrine,
A la mort, l’esprit quitte le corps, mais il conserve son périsprit, cette sorte de corps « éthéré, vaporeux et de forme humaine. » Il se débarrasse de l’enveloppe grossière, mais il en garde une seconde, « comme lorsque nous quittons un vêtement de dessus pour ne conserver que celui de dessous, comme le germe d’un fruit se dépouille de l’enveloppe corticale et ne conserve que le périsperme. » Dans cet état, les esprits peuplent l’espace et vivent autour de nous et au milieu de nous. Ils se transportent partout avec une grande rapidité; ils pénètrent tout sans qu’aucune substance leur fasse obstacle, mais ce sont des êtres « concrets et circonscrits auxquels il ne manque que d’être visibles pour ressembler aux humains. » Ils ont toutes nos perceptions, mais à un degré bien plus subtil que nous. « La vue chez eux est plus perçante, » et elle n’est point, comme chez l’homme, circonscrite dans un organe particulier : « c’est un attribut de tout leur être, ainsi que toutes les autres sensations. » Les esprits sont donc répandus autour de nous, vivent à nos côtés, s’occupant de nos affaires qui ont été les leurs, nous « coudoyant » sans que nous les sentions, du moins à l’état normal; mais on conçoit facilement que la substance du périsprit, qui est d’ordinaire invisible pour nous, « puisse subir des modifications qui la rendent perceptible dans certains cas, comme la vapeur lorsqu’elle est condensée. » Tout est donc disposé, on le voit, pour que les communications entre notre monde matériel et le monde spirituel soient aussi faciles que possible; il n’y a eu besoin à cet effet que du périsprit et de quelques abus de langage.
Mais, objecte un des visiteurs que M. Kardec nous présente dans ses dialogues familiers, de ce que nous concevons une chose comme possible, il n’en résulte pas qu’elle existe. — Sans doute, répond M. Kardec, toutefois « c’est déjà un grand point. » Et dans cette réponse simple et sans apprêt il nous paraît trahir un des secrets de sa méthode; pour lui, chose rêvée est plus qu’à moitié vraie. Toutefois c’est aux faits qu’il appartient surtout de répondre. Voyons donc, avec M, Kardec, comment s’opèrent les communications de l’homme avec les esprits.
En quelques rares circonstances, les esprits se manifestent d’eux-mêmes; mais d’ordinaire les manifestations n’ont lieu que par le concours des médiums, qui sont des personnes douées d’une faculté organique spéciale. N’est pas médium qui veut; tout le monde ne va pas à Corinthe. En posant ce principe, M. Kardec n’a pas, que nous sachions, indiqué les rapports qu’il a pu remarquer entre les dispositions organiques des individus et leur faculté médianimique; il établit seulement qu’elle est tout à fait indépendante de leur état intellectuel ou moral, et « qu’on la trouve très développée chez les plus indignes comme chez les plus dignes. » Il est cependant une disposition morale que M. Kardec exige de ses médiums, il faut qu’ils soient modestes et dociles; ils ne sauraient trop se garder de l’orgueil. « Ce sentiment, ajoute-t-il, est malheureusement excité par les éloges dont ils sont l’objet; quand ils ont une faculté un peu éminente, on les recherche; ils finissent par croire à leur importance, ils se regardent comme indispensables, et c’est ce qui les perd. »
Quant aux procédés de communication, ils varient; certains esprits frappent des coups, répondent par oui ou par non, désignent les lettres qui doivent former les mots. « Les coups peuvent être obtenus par le mouvement de bascule d’un objet, d’une table, par exemple, qui frappe du pied. Souvent ils se font entendre dans la substance même des corps, sans qu’il y ait dans ceux-ci aucun mouvement. » Mais ces méthodes primitives sont lentes et se prêtent difficilement à des communications d’une certaine étendue. On les a remplacées par l’écriture, qu’on obtient d’ailleurs de diverses manières. « On s’est d’abord servi et l’on se sert encore quelquefois d’un objet mobile, comme une petite planchette, une corbeille, une boîte, à laquelle on adapte un crayon dont la pointe pose sur une feuille de papier. La nature et la substance de l’objet sont indifférentes. Le médium place les mains sur cet objet, auquel il transmet l’influence qu’il reçoit de l’esprit, et le crayon trace des caractères.» Comme cette disposition ne présentait en somme qu’une sorte de porte-crayon un peu compliqué, on a supprimé des intermédiaires inutiles et mis le crayon dans la main même du médium. C’est par ce moyen que s’obtiennent journellement, sous la dictée des esprits, de volumineuses dissertations que la Revue spirite enregistre et propage. Là aboutit l’œuvre de M. Kardec. La Revue spirite, alimentée par les séances que donne son directeur, est une petite fontaine de morale pratique, qui coule sans aucun effort, et qui rachète son origine suspecte par la parfaite banalité de ses leçons.
Ce n’est point que M. Kardec, en renonçant aux fantasmagories de M. Home, renie les origines du spiritisme; il défend vivement les tables tournantes contre les interlocuteurs de ses dialogues. « Ne se pourrait-il pas, dit l’un de ceux-ci, que les tables fussent préparées? — Il faudrait, dit M. Kardec, un mécanicien bien ingénieux pour leur faire faire tout ce qu’elles font, et jusqu’à présent on ne connaît pas le nom de cet habile fabricant, qui devrait cependant avoir une bien grande célébrité, puisque ses appareils sont répandus dans les cinq parties du monde! — Mais, ajoute l’interlocuteur, un célèbre chirurgien a reconnu que certaines personnes peuvent, par la contraction d’un muscle de la jambe, produire un bruit pareil à celui que vous attribuez à la table : d’où il conclut que vos médiums s’amusent aux dépens de la crédulité publique. — Quelle robuste envie de mystifier il faudrait avoir, répond encore M. Kardec, pour faire craquer son muscle pendant plusieurs heures de suite, quand cela ne rapporte rien que de la fatigue et de la douleur! Sans compter que le muscle craqueur n’expliquerait que bien peu des phénomènes observés ! — Vous voyez pourtant que la mode des tables tournantes est passée. — C’est qu’il en est sorti toute une doctrine, et que le spiritisme, après une période de curiosité enfantine, est entré dans le domaine des gens sérieux. »
Cependant le directeur de la Revue spirite n’attache à ces phénomènes primitifs qu’un intérêt médiocre; il n’accorde que peu d’attention aux faits physiques, aux coups frappés, aux mouvemens des corps. Il ne paraît pas tenir beaucoup non plus aux médiums qui dessinent sans connaître les élémens du dessin ou qui jouent du piano sans avoir jamais appris la musique. Le médium écrivain, voilà sa spécialité. Il y a d’ailleurs deux variétés de médiums écrivains. « L’esprit agit quelquefois directement sur la main du médium, à laquelle il donne une impulsion fébrile, tout à fait indépendante de la volonté, et sans que celui-ci ait aucunement conscience de ce qu’il écrit : c’est le médium écrivain mécanique. D’autres fois l’esprit agit sur le cerveau; sa pensée traverse celle du médium, qui alors, bien qu’écrivant d’une manière involontaire, a une conscience plus ou moins nette de ce qu’il écrit : c’est le médium intuitif; son rôle est exactement celui d’un truchement transmettant une pensée qui n’est pas la sienne et que pourtant il doit comprendre. Quoique dans ce cas la pensée de l’esprit et celle du médium se confondent quelquefois, l’expérience apprend facilement à les distinguer. »
Ce qui importe surtout, c’est de distinguer les esprits entre eux et de savoir à qui l’on a affaire; il ne s’agit pas de croire aveuglément tout ce qu’ils nous disent, car les esprits, en passant de cette vie dans l’autre, sont encore tout imprégnés des passions et des erreurs terrestres, et si quelques-uns profitent de leur nouvelle position pour s’instruire et s’améliorer, il y en a beaucoup qui demeurent absolument tels qu’ils étaient sur la terre. C’est dire qu’il y en a beaucoup d’ignorans, de grossiers, d’étourdis, de fourbes, d’hypocrites et de méchans ; il y a aussi parmi eux de faux savans, des raisonneurs creux et de mauvais plaisans qui ne demandent qu’à se moquer de tout. Il est même à noter, et c’est, nous dit M. Kardec, une des remarques du spiritisme pratique, que ce sont ces esprits de qualité inférieure qui se communiquent le plus volontiers; ce sont eux seuls d’ailleurs qui produisent les manifestations grossières, les bruits étranges, les coups dans les murs, les mouvemens d’objets matériels sans cause apparente. Quant aux bons esprits, ils ne s’occupent pas plus de ces jongleries « que nos savans de faire des tours de force. » Ces esprits supérieurs, les seuls avec qui nous ayons intérêt à communiquer, ne se prodiguent point, ne se produisent qu’à bon escient; ils ne s’attachent point dans ce qu’ils disent au détail des choses et ne voient pas les affaires humaines par le menu; ils évitent de répondre aux questions que leur pose une curiosité indiscrète; ils aiment à rester dans le domaine de ces idées générales qui forment la littérature du spiritisme. Avec ceux-là, le médium ne court aucun danger; mais encore faut-il qu’il ait soin de bien vérifier l’identité des esprits qui se présentent à lui, car les esprits moqueurs sont toujours là prêts à donner le change aux médiums; les bévues sont à craindre, et il faut éviter de prendre don Quichotte pour Bayard ou M. de La Palisse pour saint Augustin.
Ainsi ce qu’il faut rechercher, et ce que recherche M. Kardec, ce sont les leçons données par les esprits supérieurs. Il s’efface d’ailleurs et se contente de recueillir ce qu’ils ont dicté. Ces dictées, nous l’avons dit, sont d’ordinaire d’assez fades homélies; les esprits supérieurs ne soignent point assez leur style et ne paraissent pas se piquer d’originalité. On trouve pourtant çà et là dans leurs discours quelques indications, qui ont bien leur prix, sur la théorie de l’univers, sur l’histoire de l’humanité, sur la vie future, sur les rapports du spiritisme avec la religion. La certitude de tous ces enseignemens repose en grande partie, pour M. Kardec, sur ce fait qu’ils viennent des esprits : il est vrai d’un autre côté qu’il considère l’existence de ces enseignemens comme prouvant par elle-même l’existence des esprits; mais nous ne lui ferons point cette chicane : il nous répondrait que ce n’est point là le seul exemple d’un système si logiquement construit et si bien fermé que tout s’y tienne et qu’on puisse indifféremment y prendre l’objet prouvé pour la preuve ou la preuve pour l’objet prouvé. Voyons donc quelques-uns des enseignemens que donnent les esprits.
Les différentes planètes qui circulent dans l’espace sont peuplées comme notre terre. Les observations astronomiques induisent à penser que les milieux où vivent leurs habitans respectifs sont assez différens pour nécessiter des organisations corporelles différentes; mais le périsprit s’accommode à la variété des types, et permet à l’esprit qu’il recouvre de s’incarner à la surface de planètes différentes. L’état moral, intellectuel et physique de ces mondes forme une série progressive dans laquelle notre terre n’occupe ni le premier ni le dernier rang; elle est cependant un des globes les plus matériels et les plus arriérés. « Il en est où le mal moral est inconnu,... où les arts et les sciences sont portés à un degré de perfection que nous ne pouvons comprendre,... où l’organisation physique n’est sujette ni aux souffrances, ni aux maladies,... où les hommes vivent en paix, sans chercher à se nuire, exempts de chagrins et de soucis. »
Demeurons néanmoins sur cette terre et examinons les hommes. Nous avons déjà indiqué les principes de la physiologie spirite, qui trouve dans l’homme le corps, l’esprit et le périsprit, sans compter le lien fluidique. On a vu comme le périsprit facilite l’incarnation; rien d’étonnant dès lors qu’il mène le spiritisme à affirmer les incarnations successives. Cette croyance se base d’ailleurs sur le raisonnement suivant : les esprits ou âmes doivent évidemment, si la justice n’est pas un vain mot, être absolument égaux entre eux; or nous en voyons sur la terre à des degrés d’avancement très différens, et nous constatons entre eux des inégalités notoires : c’est donc que nous les rencontrons dans des périodes différentes de leur avancement général, dans des incarnations plus ou moins voisines de leur début. Tous les problèmes physiologiques ou sociaux s’expliquent, à la lumière de ces principes, sans aucune difficulté, et il n’y a guère de question qui ne se trouve résolue en même temps qu’elle est posée. — Pourquoi y a-t-il des enfans bons dans un milieu pervers et malgré les mauvais exemples, tandis que d’autres sont vicieux dans un bon milieu et malgré les bons conseils? Pourquoi deux enfans d’un même père sont-ils l’un intelligent et l’autre stupide? Cette différence est le résultat des progrès accomplis dans les existences antérieures. — Pourquoi trouve-t-on chez certaines personnes nées dans une condition servile des instincts de dignité et de grandeur, tandis que d’autres, nées dans les classes supérieures, ont des instincts de bassesse? Ce sont des souvenirs intuitifs de la position sociale qu’elles ont occupée et du caractère qu’elles ont montré dans l’existence précédente. — Quelle est la cause des sympathies et des antipathies qui se manifestent souvent entre des personnes qui se voient pour la première fois? C’est un ressouvenir confus des amitiés ou des haines d’une vie antérieure. « Ces sentimens peuvent aussi avoir une autre cause. Le périsprit rayonne autour des corps comme une sorte d’atmosphère imprégnée des qualités bonnes ou mauvaises de l’esprit incarné. » Quand deux personnes se rencontrent, leurs fluides tendent-ils à se confondre, l’impression est agréable; tendent-ils à se repousser, l’effet est contraire. C’est ainsi également que l’on peut expliquer le phénomène de la transmission de la pensée. Par « le contact des fluides,» deux âmes se comprennent sans parole. — Pourquoi les uns naissent-ils dans la pauvreté alors que d’autres sont dans l’opulence? Pourquoi y a-t-il des gens qui naissent aveugles, sourds, muets ou affectés d’infirmités incurables, tandis que d’autres sont doués de tous les avantages physiques? Pourquoi y a-t-il des idiots et des crétins? Ce sont souvent des expiations, souvent aussi des épreuves que les esprits choisissent d’eux-mêmes, parce qu’ils y voient un moyen de hâter leur développement. Le crétinisme est une punition infligée à des esprits qui ont abusé de leur intelligence; les muets sont ceux qui ont trop parlé dans une autre vie, et qui ont voulu, dans leur existence nouvelle, se ménager les moyens de réfléchir. — « Pourquoi trouve-t-on au milieu des sociétés civilisées des êtres d’une férocité pareille à celle des sauvages? Ce sont des esprits très inférieurs, sortis des races barbares, et qui ont essayé de se réincarner dans un milieu qui n’est pas le leur et où ils se montrent déplacés, comme si un rustre était tout à coup transporté dans le grand monde. » — Ces pourquoi se multiplient sans fin, et trouvent toujours une réponse aussi facile.
Voici maintenant une ethnologie qui se présente dans les conditions les plus simples : « D’où vient le caractère distinctif des peuples? Il vient de ce que des esprits ayant à peu près les mêmes goûts et les mêmes penchans s’incarnent dans un milieu sympathique où ils trouvent à satisfaire leurs inclinations. » Ainsi voilà qui est entendu : les esprits badins et gouailleurs se font de préférence Français; ceux que leur passion porte à discourir de l’objectif et du subjectif optent pour l’Allemagne; ceux qui aiment à donner le knout se font Moscovites; ceux qui aiment à le recevoir. Polonais. — Comment se fait le progrès des peuples? « A mesure qu’une génération fait un pas en avant, elle attire par sympathie de nouveaux arrivans plus avancés; » ce peuvent être ceux qui ont jadis vécu dans le même pays, s’ils se sont eux-mêmes perfectionnés; ce peuvent être aussi des étrangers; « un Chinois par exemple, qui a suffisamment progressé et ne trouve plus en Chine un milieu correspondant au degré qu’il a atteint, s’incarne chez un peuple plus parfait. » — Comment les nations dégénèrent-elles ? « Si la majorité des nouveau-venus se trouve d’une nature inférieure, les anciens s’en allant chaque jour et ne revenant plus dans un milieu plus mauvais, la nation dégénère et finit par s’éteindre. » — Nous citons longuement, mais nous nous serions reproché d’écourter cette théorie ethnologique, qui nous paraît, en son genre, un petit chef-d’œuvre.
M. Kardec et ses adhérens n’ont point manqué d’adresser aux esprits mille questions sur leur existence pendant les intervalles de leurs vies terrestres, sur le temps où ils mènent, à proprement parler, la vie spirite mais ils se montrent fort réservés dans leurs réponses. Tout au plus donnent-ils quelques indications sur les instans qui suivent la mort. « Au moment de la mort, tout est d’abord confus ; il faut à l’âme quelque temps pour se reconnaître ; elle est comme étourdie, et dans l’état d’un homme qui sort d’un profond sommeil et qui cherche à se rendre compte de sa situation. La lucidité des idées et la mémoire du passé lui reviennent à mesure que s’efface l’influence de la matière dont elle vient de se dégager et que se dissipe l’espèce de brouillard qui obscurcit ses pensées… La durée du trouble qui suit la mort est très variable ; elle peut être de quelques heures seulement, comme de plusieurs jours, de plusieurs mois et même de plusieurs années… La sensation qu’on pourrait appeler physique est celle d’un grand soulagement et d’un immense bien-être ; on est comme délivré d’un fardeau, et l’on est tout heureux de ne plus ressentir les douleurs corporelles que l’on éprouvait auparavant… Dans sa nouvelle situation, l’âme voit et entend ce qu’elle voyait et entendait avant la mort, mais elle voit et entend de plus des choses qui échappent à la grossièreté des organes corporels… Dans la mort violente par accident, l’esprit, dégagé à l’improviste, reste d’abord persuadé qu’il n’est pas mort, et cette illusion peut durer plusieurs mois. Dans cet état, il va, vient, et croit vaquer à ses affaires comme s’il était encore de ce monde, fort étonné qu’on ne lui réponde pas quand il parle. » Hors de là, les esprits s’expliquent peu sur leurs occupations extra-terrestres. Quelques renseignemens font augurer qu’ils ne restent pas dans l’oisiveté, ni même dans la pure méditation, et qu’ils ont des occupations assez semblables aux nôtres. On peut, pour se les figurer, se reporter à cette conception antique qui nous montre
……………. L’ombre d’un cocher
Qui, tenant l’ombre d’une brosse,
Nettoyait l’ombre d’un carrosse ;
C’est assez, nous avons fini. Nous ne prétendons pas avoir tracé du spiritisme une esquisse bien complète ; mais le trait principal s’accuse assez nettement. En résumé, on a vu que, depuis les grossières pratiques de M. Home jusqu’aux dictées médianimiques de M. Kardec, le spiritisme emploie un même procédé : il cherche en pleine matière les moyens de s’élever au monde spirituel. Quelle est la valeur de son effort ? Celle à peu près de l’effort que le baron de Münchhausen fit, au dire de la légende allemande, pour sortir d’un marais où il était embourbé. Cet illustre personnage saisit, comme on sait, sa perruque à deux mains, et la tira si fort de bas en haut qu’il parvint presque à s’extraire du bourbier !
Sur quel pied le spiritisme vit-il avec la philosophie et la religion ? Il a demandé leur amitié sans pouvoir l’obtenir. Il ne paraît pas cependant jusqu’ici qu’elles aient songé à lui déclarer la guerre ; mais de plus mauvais jours peuvent arriver pour lui. Voici déjà que vient de paraître un livre où M. Kardec est rudement traité par une plume catholique ; ce sont les Superstitions du paganisme renouvelées ou le Spiritisme dévoilé par un esprit de ce monde. Cet esprit de ce monde voit dans les séances médianimiques la participation manifeste des démons, et conclut en prédisant au spiritisme le sort d’Ochosias, roi de Juda, qui fut frappé de mort pour avoir voulu consulter Belzébuth. Le spiritisme fera donc bien de se prémunir contre les dangers qui peuvent l’assaillir de plusieurs côtés à la fois. S’il veut assurer son salut par quelque moyen ingénieux, il pourrait méditer cet exemple tiré de l’histoire du même baron de Münchhausen. Le noble sire vit un jour s’élancer contre lui d’un côté un tigre furieux, de l’autre un serpent boa à la gueule béante ; sans perdre un instant la tête, il attendit de pied ferme, et au moment où ses deux ennemis allaient l’atteindre il fit en l’air un bond si prodigieux qu’il leur échappa, pendant que le tigre allait s’engloutir dans la gueule du serpent.
- ↑ Voyez, dans la Revue du 1er mars 1854, les Sciences occultes au dix-neuvième siècle.