Un Doyen de la Faculté des Lettres de Paris - Joseph Victor le Clerc

JOSEPH-VICTOR LE CLERC
DOYEN DE LA FACULTE DES LETTRES DE PARIS

C’est surtout quand il s’agit des grands travaux d’érudition que les bons esprits sont fondés à se plaindre de ce qu’il y a parfois de superficiel dans les maximes de notre temps. Ces travaux, n’étant susceptibles d’aucune application pratique et ne s’adressant qu’à une élite d’hommes instruits, ne sauraient avoir dans le public ni lecteurs ni approbateurs. Les institutions qui autrefois fournissaient à de telles études de rares facilités, comme les corporations universitaires et les ordres religieux jouissant de grands loisirs, ont disparu ou changé de caractère. Les classes qui avant la révolution apportaient aux patientes recherches un docte contingent de travailleurs, clergé, magistrature, barreau, sont absorbées maintenant par les fonctions ou les passions de leur ordre, et ne trouvent plus de temps pour les occupations désintéressées. L’état, qui s’imagine avoir remplacé avec avantage les mécanismes indépendans de l’ancien régime par des ministères et des administrations, ne sait pas se comporter comme il faut envers ces délicates études. Plus soucieux d’encourager ce qu’on appelle le talent, apprécié du grand nombre, que de montrer son estime pour des œuvres essentiellement aristocratiques, l’état est presque toujours en pareille matière un juge distrait, frivole ou peu sûr. Enfin les nouvelles conditions que les transformations économiques du siècle ont amenées pour la vie matérielle sont tout à fait contraires aux occupations de recherche pure. La noblesse de ces recherches est de n’avoir presque aucune valeur vénale, de répondre à la demande d’un petit nombre de lecteurs. Celui qui s’y livre a d’ordinaire très peu de besoins ; il en a cependant. Le séjour à Paris lui est presque indispensable ; une vaste bibliothèque, des voyages littéraires lui sont nécessaires. Que deviendra-t-il dans un état social où des politiques qui se croient profonds ont visé systématiquement à rendre la vie chère et à faire de Paris une ville inhabitable pour quiconque ne mène pas une vie de luxe ? La conséquence de ce régime sera, si l’on n’y prend garde, un grand abaissement pour les parties les plus importantes de la culture de l’esprit.

Il y a satisfaction du moins, sur le seuil de ce triste avenir, à reposer sa pensée sur la vie tranquille d’un homme éminent qui traversa des jours meilleurs. M. V. Le Clerc a été proclamé par un de ceux qui l’ont le mieux connu, M. Naudet, le vrai bénédictin de notre âge. Sa paisible retraite de la Sorbonne fut pour nous durant des années le sanctuaire de la recherche savante et libre. Sa vie innocente et pure a été, malgré la différence des croyances religieuses, une image fidèle de ces vies saintes et graves dont le XVIIe et le XVIIIe siècle nous ont légué le souvenir comme une leçon éternelle de sérieux et de sincérité. Un sculpteur de rare mérite, son confrère à l’Institut, M. Guillaume, nous a rendu sa belle tête, toujours calme et pensive, sa bouche fine et souriante, ses yeux pleins de douceur. Nous voudrions aussi le montrer tel qu’il nous apparut tant de fois dans sa vieillesse respectée, ne vivant que de la passion du vrai, ferme en toutes ses convictions, décoré de la double noblesse de la science et de la vertu. Puissions-nous le rendre à la mémoire de ceux qui l’ont eu pour maître ou pour ami et le peindre à ceux qui ne l’ont pas connu en traits assez justes et assez vrais pour que cette peinture soit aux uns une consolation, aux autres une excitation à l’imiter !


I

Joseph-Victor Le Clerc naquit à Paris le 2 décembre 1789. Enfant unique d’une modeste famille d’ouvriers, il perdit son père en très bas âge. On était au plus fort de la tourmente révolutionnaire ; sa mère se trouva réduite à une grande pauvreté. C’était une femme courageuse et dévouée ; elle s’imposa les plus durs sacrifices pour donner de l’éducation à l’enfant dont la nature respectueuse et honnête se laissait déjà pressentir.

Dans l’ordre des études littéraires, la révolution avait tout détruit. Les anciennes institutions avaient disparu, les nouvelles n’étaient pas encore créées. Quelques survivans de l’Université de Paris et des congrégations religieuses vouées à l’enseignement cherchaient avec une louable ardeur à recueillir les débris du naufrage et à relever les études classiques. L’école centrale du Panthéon, installée dans les bâtimens de l’ancienne abbaye Sainte-Geneviève, rendait de véritables services. Au premier rang parmi les écoles secondaires qui suivaient les cours de cet établissement était l’institution de M. Dabot. C’était une maison sérieuse et austère, où les délicatesses qui ont été introduites depuis dans l’éducation étaient inconnues. M. Dabot ne négligeait rien pour exciter parmi ses élèves l’ardeur du travail et l’émulation du succès. Ayant eu connaissance des efforts de la pauvre veuve et des dispositions de l’enfant, il adopta en quelque sorte celui-ci. Victor Le Clerc était dès lors tel que nous l’avons vu plus tard, sédentaire, se mêlant peu au mouvement de la vie extérieure, uniquement attiré par l’étude. Vers le même temps, M. Dabot s’associait un de ses élèves, dont le nom par une alliance de famille devint inséparable du sien, M. Hallays. Une vive sympathie existait déjà entre le jeune Le Clerc et le jeune Hallays. Celui-ci, un peu plus âgé, était le protecteur de son petit camarade, pauvre, craintif et souffreteux. Les succès de l’enfant recueilli par cette bienveillance éclairée furent éclatans. D’illustres amitiés commençaient en même temps pour lui. M. Villemain et M. Naudet étaient à divers titres ses condisciples ou ses émules. Deux fois de suite, en 1806 et 1807, l’élève Victor Le Clerc obtint le prix d’honneur au concours général. Ces récompenses avaient alors une grande valeur officielle. Un décret inséré au Moniteur du 5 septembre 1806 conféra au lauréat une place gratuite à son choix dans l’une des grandes écoles spéciales du gouvernement.

Mais la vocation de M. Le Clerc était écrite d’avance. L’enseignement n’était pas pour lui un pis aller ; il l’aimait pour lui-même, il le préféra à tant d’autres carrières plus brillantes. De 1808 à 1815, il fut attaché d’abord comme maître surveillant, puis comme professeur à l’école où il avait fait ses études, et qui était devenue le lycée Napoléon. En 1815, il succéda à M. Villemain dans la chaire de rhétorique au lycée Charlemagne. Pour réussir en ce genre de professorat, il avait à surmonter beaucoup de difficultés. Ses allures graves et solennelles, contrastant avec sa jeunesse, sa mise surannée, un bégaiement qu’il sut dompter à force de volonté, ses habitudes et, si j’ose le dire, ses coquetteries d’érudition minutieuse devaient surprendre un jeune auditoire. Sa classe était un docte commentaire que peu d’élèves étaient capables d’apprécier, et néanmoins aucun professeur n’était plus respecté. On n’avait pas encore vu dans l’Université d’enseignement aussi solide. Bien des noms célèbres figurent dans la liste de ses élèves ou, si l’on veut, de ses auditeurs ; il en est deux qui effacent tous les autres : M. Michelet eut M. Le Clerc pour professeur de rhétorique en 1815 ; M. de Rémusat fit toutes ses études au lycée Napoléon sous sa direction et en recevant de lui des soins, particuliers.

Ce serait méconnaître ce qui fit la véritable grandeur de M. Le Clerc que de prétendre qu’à cette époque il fût exempt des défauts de l’école d’où il sortait. Respectueux pour ses maîtres, M. Le Clerc adopta d’abord tout d’une pièce la discipline qui lui fut enseignée. Sauveurs courageux des épaves d’un monde disparu, les fondateurs de l’Université de France, à côté de rares qualités, d’un goût vif pour les études classiques, d’un sentiment de l’humanisme qui était presque une foi, offraient dans leur culture intellectuelle des lacunes qui venaient moins de leur faute que des vices du temps. La langue et la littérature grecques étaient peu comprises ; le travail de critique des textes était négligé ; l’histoire s’enseignait selon des données trop convenues ; l’éducation se donnait comme si tous les élèves eussent été destinés à être des hommes de lettres ou des professeurs. M. Le Clerc entra d’abord dans cette tradition. Ses premiers essais furent profondément empreints de l’esprit du moment. On croyait trop alors à la poésie qu’encouragent et récompensent les académies. Hésitant sur sa vocation, M. Le Clerc cueillit quelques-unes de ces palmes dont lui-même plus tard sembla peu se soucier[1]. Des jeux littéraires alors fort à la mode le tentèrent, et on n’est pas peu surpris d’avoir à compter au nombre des œuvres de l’infatigable érudit un poème en vers grecs du dialecte éolien dédié à Mme de Rémusat : Lysis, poème trouvé par un jeune Grec sous les ruines du Parthénon et traduit en vers français par l’éditeur, et, sous le titre de De officiis ad pueros, une traduction en vers latins des quatrains de M. Morel de Vindé sur la Morale de l’enfance. Il se rapprochait déjà des lettres savantes par sa traduction en vers du joli poème latin intitulé Pervigilium Veneris. L’exemple de Boissonade, de Coray, de Gail (il ne voulait pas qu’on oubliât ce dernier) l’entraînait en même temps vers l’étude de la langue grecque. La Chrestomathie grecque, les Pensées de Platon sur la religion, la morale et la politique, comptèrent parmi les ouvrages qui contribuèrent le plus à introduire l’étude du grec dans l’Université. La nouvelle édition avec d’utiles additions de la Grammaire latine de Port-Royal, la Rhétorique extraite des meilleurs écrivains anciens et modernes, furent également des services rendus aux études. À travers quelques préoccupations scolaires, le futur érudit s’y laissait deviner. La bibliographie surtout était dans ces premiers travaux d’une exactitude et d’une richesse qu’on n’était pas habitué à trouver dans de simples livres de classe ou dans des jeux d’esprit.

Une question posée par l’Académie française amena M. Le Clerc à s’occuper de travaux plus élevés. L’Académie avait mis au concours pour 1812 l’éloge de Montaigne ; M. Le Clerc et M. Villemain concoururent, le prix fut décerné à M. Villemain ; toutefois l’ouvrage de M. Le Clerc fut mentionné honorablement. Un peu de déclamation, un certain dédain pour le moyen âge, dont l’étude devait être plus tard l’occupation et l’honneur de sa vie, déparaient cet essai de jeunesse ; mais les plus nobles sentimens, un attachement filial au XVIIIe siècle, dont il partageait l’enthousiasme philosophique, y répandaient beaucoup de chaleur et de vie. Les principes de M. Le Clerc étaient dès lors arrêtés. Il s’avouait hautement le disciple de cette grande école française qui a tant fait pour la raison et pour l’humanité. Dans la maison de Mme de Rémusat, il avait pu voir quelques-uns des derniers représentans de cette forte génération que des pygmées et des déclamateurs se vantaient témérairement d’avoir dépassée, entre autres Morellet, alors dans son extrême vieillesse, qui lui parlait d’original de Fontenelle, de Montesquieu, de Voltaire. Ce fut M. Le Clerc que l’on chargea de liquider la succession littéraire du judicieux abbé. Les Mémoires sur le XVIIIe siècle et sur la Révolution, avec leurs divers supplémens, parurent par ses soins et avec des notes de lui. Il recueillait encore la meilleure tradition du passé par M. Daunou, qui avait pour lui une bonté paternelle, par le philanthrope éclairé Morel de Vindé, qu’il visitait souvent dans son riche domaine de La Celle Saint-Cloud, par l’abbé L’Écuy, le dernier abbé général de l’ordre de Prémontré, homme d’une rare instruction en histoire littéraire, qui ne contribua pas peu à la grande érudition ecclésiastique de M. Le Clerc. Divers recueils, entre autres la Quinzaine littéraire, le Lycée français, fondé par MM. Ch. Loyson, Villemain, Patin, recevaient en même temps de lui une collaboration active et variée.

L’érudition qui causait aux élèves du lycée Charlemagne tant d’étonnement fut enfin appelée à des emplois plus dignes d’elle. M. Royer-Collard, alors tout-puissant dans les choses de l’instruction publique, ne pouvait négliger un sujet de si rare mérite. En 1821, M. Le Clerc fut nommé maître de conférences à l’École normale. L’école bientôt après fut supprimée par suite de mesquines susceptibilités. En 1824, M. Le Clerc fut appelé à la chaire d’éloquence latine à la Faculté des lettres de Paris. Il ne chercha pas à rivaliser avec les maîtres célèbres qui vers le même temps inauguraient à la Sorbonne une brillante forme d’enseignement. Si le cours qu’il fit pendant dix années n’eut ni l’éclat ni la célébrité des cours de MM. Guizot, Cousin, Villemain, il n’en eut pas non plus les dangers. Ce ne fut pas sa faute si, par suite de ces enivrans succès, l’enseignement supérieur en France s’est renfermé dans un cercle de brillantes généralités dont on s’est figuré qu’il ne peut sortir sans déchoir. Une solide connaissance historique de la prose latine, voilà ce qu’il aspirait à donner. Ce qu’il rappelait, c’était un savant de la solide école hollandaise, un Ruhnkenius, un Wyttenbach. Son cours fut pour lui-même un précieux exercice. Il y acquit cette admirable connaissance de l’antiquité qui devait être plus tard le secret de la supériorité de ses travaux.

Deux entreprises utiles, bien qu’elles appartiennent à des genres dont les vrais principes n’étaient pas alors connus en France, furent vers ce temps la principale occupation de M. Le Clerc. En 1826, il donna une édition de Montaigne. L’habitude de traiter les grands écrivains français comme des classiques dont on poursuit les moindres variantes d’orthographe n’existait pas encore. M. Le Clerc n’examina pas toutes les questions compliquées auxquelles donne lieu le texte de Montaigne ; mais les efforts qu’il fit pour expliquer l’origine des idées de l’illustre sceptique gardent tout leur prix. La grande édition des œuvres complètes de Cicéron, que M. Le Clerc publia de 1821 à 1825 en collaboration avec plusieurs de ses maîtres, de ses condisciples, de ses élèves ou de ses amis, Gueroult, J.-L. Burnouf, Naudet, Th. Gaillard, Ch. de Rémusat, fut aussi une bonne fortune pour les lecteurs instruits. Par son goût littéraire et le tour particulier de son esprit, M. Le Clerc semblait désigné pour être l’interprète de ce grand et beau génie qui a donné aux théories morales de l’antiquité leur forme sinon la plus originale, du moins la mieux appropriée au goût français. Les philologues universitaires à cette époque avaient le tort de ne pas recourir aux manuscrits. Pour la constitution du texte, le travail de M. Le Clerc a été dépassé par les critiques allemands ; mais la traduction, le commentaire, les dissertations renferment d’excellentes parties. C’était justement le moment où les œuvres de Cicéron s’enrichissaient de précieux débris arrachés aux manuscrits palimpsestes par les soins d’Angelo Mai et d’Amédée Peyron. Un des plus beaux écrits de Cicéron, le Dialogue de la république, sorte d’éloquent appel en faveur de la cause perdue du patriotisme et des vieilles institutions au moment où elles allaient disparaître, sortait, pour ainsi dire, des limbes du néant. M. Villemain venait d’en donner une traduction pleine d’élégance et d’éclat ; M. Le Clerc reprit le travail, et ce fut là, dans le champ des études antiques, son principal titre ; La critique du cardinal Maï n’était pas toujours égale à son ardeur pour retrouver les pages oblitérées de l’antiquité ; la façon dont il avait constitué le texte laissait à désirer. M. Le Clerc, sur ce point, commença l’œuvre de la grande science avec beaucoup d’érudition et de bonheur.

Le projet qui le préoccupait alors était une histoire générale de la littérature latine. On peut dire que le sujet était complètement traité dans son esprit ; il n’y avait pas une partie de ce vaste ensemble qu’il n’eût approfondie. Aux livres il voulut joindre la leçon vivante des voyages. Deux fois, en 1827 et en 1831, il visita l’Italie, la première fois en compagnie de MM. Adrien de Jussieu et J.-J. Ampère, la seconde fois avec M. Valéry. Il noua les relations les plus fructueuses avec les savans de ce pays, surtout avec le cardinal Mai. Ses compagnons cependant profitèrent plus que le public du fruit de ses voyages. Ampère lui dut une partie de ce savoir profond qu’il avait de l’Italie antique. Quant à M. Valéry, il reçut de M. Le Clerc plusieurs de ces indications d’histoire littéraire, de ces charmantes citations, de ces réminiscences pleines d’agrément, qui font de son livre le meilleur guide du voyageur instruit en Italie.

M. Le Clerc compléta plus tard la série de ses voyages littéraires en visitant les savans. les bibliothèques, les universités de Belgique, de Hollande, d’Angleterre et de Suisse. Il n’alla jamais en Allemagne. Il tenait de son éducation certaines préventions contre la science allemande, lesquelles ne cédèrent qu’à l’expérience répétée qu’il fit plus tard de la solidité des travaux historiques et philologiques d’outre-Rhin. Son vaste savoir se dépensait sous les formes les plus variées. Il fut un collaborateur excellent de la Revue encyclopédique, de la Biographie universelle de Michaud, de l’Encyclopédie des Gens du monde, pour les articles de littérature ancienne. Il donnait en même temps au Journal des Débats des études de critique savante, que les hommes lettrés appréciaient. Ce n’était pas le genre un peu superficiel qui a prévalu depuis pour ces sortes d’écrits ; c’étaient de vrais articles critiques, nourris d’analyses et de jugemens. L’avenir préférera peut-être ces solides essais à Ses morceaux où l’envie de briller n’est pas dissimulée, et où la première règle est d’oublier le livre dont on parle pour montrer son talent. On écrivait alors pour un public soucieux du vrai, non pour des lecteurs indifférens à l’instruction et désireux surtout d’être amusés.

Bientôt des devoirs plus graves vinrent le chercher et furent pour lui le commencement d’une nouvelle vie. En 1832, il fut nommé doyen de la Faculté des lettres de Paris en remplacement de M. Lemaire. En 1834, l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres l’appela dans son sein, pour remplir la place devenue vacante par la mort de Charles Pougens. Ces nouvelles occupations l’obligèrent de quitter l’enseignement ; il renonça aussi peu à peu à la presse, et ne songea plus qu’à l’approbation de ses confrères. Quoique la littérature latine fût encore sa principale occupation, on peut croire que déjà il avait renoncé au vaste livre d’ensemble qu’il avait projeté. Il voulut au moins publier quelques parties de ses recherches, et de 1835 à 1837 il lut à l’Académie deux mémoires sur les Annales des pontifes et sur les Journaux chez les Romains. M. Le Clerc abordait ici un des problèmes les plus difficiles de la critique, un de ces problèmes d’origines qui demandent des dons particuliers et un certain tour d’esprit auquel nulle érudition ne supplée. L’école à laquelle appartenait M. Le Clerc s’exagérait le degré de créance que mérite la vieille histoire romaine. Oublieuse de ses gloires passées, la patrie de Beaufort, de Lévesque de Pouilly, de Barthélémy (telle avait été la décadence des études !), considérait comme une partie de l’orthodoxie classique, au moins aussi intolérante que l’orthodoxie religieuse, de croire à Romulus et à Numa Pompilius. Une complète ignorance de ce qui constitue la nature de la légende, une inintelligence absolue des procédés par lesquels se forme l’histoire populaire, faisaient tenir pour des rêveries les principes nouveaux que la critique allemande avait introduits. La France, étant le pays le moins riche en légendes, le pays qui s’est le plus éloigné de ses origines philologiques et mythologiques, ne pouvait créer ni la philologie ni la mythologie comparées. Wolf, Niebuhr, Bopp, Grimm, Strauss, ne pouvaient naître en France ; les questions d’origines devaient trouver chez nous défiance et défaveur. Notre droit philosophique et nullement traditionnel, notre manière d’expliquer par des combinaisons réfléchies l’établissement du langage, des croyances, des lois, des coutumes, nous rendent sur ce terrain inférieurs à l’Allemagne, laquelle parle encore la même langue qu’aux jours les plus antiques, connaît et aime ses vieilles fables, ses vieilles lois, ses vieilles coutumes, vit encore, si l’on peut ainsi parler, sur le vieux tronc aryen, tandis que l’empire romain est pour nous le terme extrême au-delà duquel nous ne remontons plus. M. Le Clerc, plein des idées du XVIIIe siècle, ne pouvait d’abord admettre des conceptions qui souvent, il faut le dire aussi, se présentaient sous des formes blessantes et avec beaucoup d’exagérations. A travers les défauts de Niebuhr, il ne sut pas voir son génie ; il ne distingua pas dans l’œuvre de ce grand homme les vues générales, qui sont admirables, et les hypothèses de détail, qui sont très souvent contestables. Bientôt du reste l’Académie, par une lumineuse divination, allait tirer notre savant maître de recherches où il n’avait pas tous ses avantages, et l’appliquer au genre de travail pour lequel la nature semblait l’avoir particulièrement doué.


II

En 1838, une place devint vacante dans la commission chargée de rédiger l’Histoire littéraire de la France. On sait les fortunes diverses de ce grand recueil, l’un de ceux qui font le plus d’honneur à notre patrie. Le projet d’un vaste répertoire où tout Gaulois, tout Français ayant tenu la plume aurait sa biographie et sa bibliographie critique, remonte aux premières années du XVIIIe siècle. Deux religieux bénédictins de la congrégation de Saint-Maur, dom Roussel et dom Rivet, en eurent simultanément l’idée ; mais dom Roussel mourut avant d’avoir rien publié. Dom Rivet, relégué à cause de son ardeur pour la cause janséniste à l’abbaye de Saint-Vincent du Mans, reçut communication des papiers de son confrère et commença l’exécution. Un prospectus ou spécimen parut en 1728. Le premier volume, commençant par Pythéas de Marseille, fut publié en 1733. Les neuf premiers volumes (1733-1750) furent tout entiers l’œuvre du consciencieux Rivet. Il fallait du courage pour entrer dans cette mer infinie : d’heureuses illusions sans lesquelles il est douteux qu’on se fût engagé dans une telle œuvre soutenaient les travailleurs. On espérait arriver jusqu’aux temps modernes, faire l’histoire de MM. de Port-Royal, dire combien on les admirait, venir même jusqu’au XVIIIe siècle. Voltaire écrit à Cideville le 6 mai 1733 : « Les infatigables et pesans bénédictins vont donner en dix volumes in-folio, que je ne lirai pas, l’Histoire littéraire de la France. J’aime mieux trente vers de vous que tout ce que ces laborieux compilateurs ont jamais écrit. » L’ingrat ! les bénédictins s’occupaient déjà de lui et préparaient sa notice. Dans les portefeuilles de dom Rivet et de ses collaborateurs, que possède l’Institut, se trouve une note d’une respectable écriture sur « le sieur Arouet, jeune poète d’une grande espérance. »

La mort de dom Rivet faillit être un coup mortel pour l’Histoire littéraire. L’attention publique n’était plus en France aux recueils savans. Une brillante école laïque sécularisait l’histoire, mais en même temps la rendait parfois superficielle. Voltaire, Montesquieu, fermaient le règne de l’in-folio ; la valeur des recherches de source était peu comprise ; la critique, devenue frivole, se montrait injuste ou dédaigneuse pour les doctes recueils. Les querelles du jansénisme d’ailleurs troublaient profondément la congrégation de Saint-Maur ; des discordes, des procès et comme un sentiment lointain des orages du siècle pénétraient en ces cloîtres paisibles. Les tomes X, XI, XII, par dom Poncet, dom Clément, dom Clémencet, dom Colomb, parurent à d’assez longs intervalles de 1750 à 1763. Qu’on était loin de l’espérance naïve qui avait pu faire croire aux fondateurs de l’ouvrage qu’ils arriveraient jusqu’aux temps modernes ! La fin du tome XII atteignait l’an 1167 ; on n’avait pas encore pu y donner place à la notice sur saint Bernard. Le découragement prit alors les vénérables solitaires. Le siècle ne prenait nulle garde à eux. Voltaire avait tué toute érudition par son aimable bon sens, son adorable esprit, sa facile résignation à ne pas savoir ce qui demande peine et labeur. Les libraires accueillirent avec bonheur dom Clément le jour où il vint leur annoncer l’abandon de l’ouvrage qu’ils s’étaient engagés à imprimer. Cependant, comme les articles de saint Bernard et de Pierre le Vénérable étaient faits, on les publia (1773). Ce fut le dernier adieu des savans rédacteurs à un public qui ne voulait plus de leurs judicieuses recherches. Quarante ans s’écoulèrent avant que l’on songeât de nouveau en France à ce grand monument national. On n’y pensait guère qu’en Allemagne. En 1772, le savant Ernesti écrivait à Paris pour en réclamer la suite au nom de toute l’Europe lettrée.

La louable idée de reprendre nos grandes annales littéraires vint du gouvernement impérial. Un arrêté du 27 mai 1807 ordonna de continuer l’œuvre commencée par dom Rivet, et chargea de ce soin l’Institut de France, comme la seule compagnie permanente qui pût mettre l’ouvrage au-dessus des chances, d’interruption. La troisième classe de l’Institut, depuis Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, fut naturellement désignée pour le travail. Cette compagnie se trouva d’abord médiocrement préparée à l’ouvrage dont on la chargeait ; le treizième volume ne parut qu’en 1814. Un survivant de la congrégation de Saint-Maur que l’Académie possédait, dom Brial, fit peu de chose pour le recueil, occupé qu’il était de la collection des Historiens de la France. Le véritable restaurateur de l’œuvre à ce moment difficile, où il s’agissait de renouer les traditions, fut Daunou. L’esprit juste et clair de cet honnête homme, ses anciennes études ecclésiastiques, l’indépendance de son jugement, faisaient de lui le vrai continuateur laïque de l’œuvre bénédictine. Il est permis de dire cependant que le travail n’atteignit pas entre ses mains toute la perfection dont il était susceptible. Ce fut M. Le Clerc qui y porta définitivement la précision et la richesse de la grande érudition. Après dom Rivet, il fut le plus laborieux, le plus dévoué, le plus savant collaborateur qu’ait eu l’Histoire littéraire.

Au premier coup d’œil, rien ne semblait le désigner pour ce travail. Jusque-là les littératures anciennes, surtout la littérature latine, l’avaient occupé tout entier. Jamais cependant corps savant n’obéit à une intuition plus heureuse que celle qui guida l’Académie le jour où elle porta ses suffrages sur Victor Le Clerc. L’Académie vit avec une justesse parfaite que toutes les études historiques se tiennent, et que, pour bien traiter le moyen âge en particulier, la première condition est la profonde connaissance de l’antiquité. La méthode avec laquelle les littératures grecque et latine ont été étudiées depuis le XVe siècle est le modèle de toute recherche critique. En outre la littérature du moyen âge a ses racines dans l’antiquité : souvent elle est une décadence de l’antique ; même quand elle est originale, l’antiquité reste la mesure à laquelle il faut la rapporter. L’antiquité est une règle toutes les fois qu’il s’agit des ouvrages de l’esprit ; une irréparable lacune frappe les travaux sur le moyen âge et l’Orient qui ne procèdent pas d’humanistes exercés.

Telle est la raison de ce fait qui surprit beaucoup de personnes, à savoir qu’un philologue classique assez circonscrit jusque-là dans ses goûts, transporté à l’âge de cinquante ans dans le champ des études du moyen âge, s’y trouva du premier coup un critique excellent. D’autres plus jeunes, formés par les leçons de l’école des chartes, l’eussent surpassé peut-être comme paléographe pour la publication des textes inédits ; mais personne n’eût si bien rempli l’objet principal de la collection, qui est le jugement des textes eux-mêmes. L’étude du moyen âge, quand elle est exclusive, est dangereuse. Elle entraîne presque toujours en des admirations exagérées. Tantôt on ne voit que les douceurs de la piété chrétienne, on n’entend que les soupirs mystiques des saints et des saintes ; on oublie le code féroce de l’inquisition, ces massacres, ces atrocités de la persécution religieuse qui n’ont jamais été égalés. Le juste et bon saint Louis, la pure et touchante Marguerite de Provence, nous voilent des scènes d’horreur comme les règnes de Dèce et de Dioclétien n’en connurent pas, des entraves sociales d’une insupportable pesanteur. D’autres fois on s’enthousiasme pour les poèmes chevaleresques, on proclame que ce sont là nos épopées, on soutient que nous eûmes des Achilles et des homérides pour les chanter. On oublie que la forme de cette poésie resta toujours imparfaite, que l’arrêt de mort qui l’a frappée ne peut être de tout point injuste. Ce qui empêche de mourir, c’est le rayon divin de la beauté, ce quelque chose de gracieux, de serein, de charmant, que la Grèce eut en partage, et que le moyen âge, si l’on excepte peut-être les troubadours provençaux de la belle époque, ne connut guère avant Dante et Pétrarque. L’inspiration religieuse au moyen âge fut admirablement grandiose ; mais l’élégance, la liberté de la vie, manquèrent ; l’art et la littérature, qui sont le reflet de la vie, ne pouvaient avoir une finesse que la société n’avait pas ; le style et le goût firent défaut presque en toute chose. Les chansons de geste ne valent pas plus Homère que les voussures sculptées d’une église gothique ne valent les frises du Parthénon. Le Parthénon ne serait pas le Parthénon, s’il n’était en marbre penthélique ; le précieux de la matière est la condition de tout chef-d’œuvre. Des lourdauds héroïques ne remplaceront jamais dans le culte littéraire de l’humanité les formes divines du monde épique de la Grèce. Ces héros carlovingiens sont honnêtes assurément, loyaux, créés d’une seule pièce, mais ils n’ont ni grâce, ni attitude ; ils ne sauraient fournir le sujet d’une frise, d’un vase peint. Ajoutez le manque de lumière, de gaîté, l’énorme chaîne créée par des dogmes terribles, la surveillance jalouse de l’église, une complète laideur chez le paysan, une grande platitude chez le vilain ; vous aurez le secret de la médiocrité à laquelle les œuvres du moyen âge semblent condamnées. Encore si elles étaient simples et vraies ; mais non, leur défaut est le plus souvent une déplorable afféterie, une choquante subtilité, une sorte de gaucherie pesante. Il y a des exceptions à tout cela ; la chanson surtout sut trouver quelques accens dont l’harmonie suave égala presque les rhythmes de la lyre antique ; jamais pourtant hors de la Provence et de l’Italie le génie barbare ne fut assez fort pour arriver au grand style, pour s’affranchir complètement de l’espèce de fatalité qui condamna nos ancêtres, sans distinction de classes, à n’être le plus souvent que des bourgeois dans le royaume de la beauté. Voilà en quel sens le moyen âge est une déchéance, une éclipse dans l’histoire de la civilisation, en quel sens aussi la renaissance fut un légitime retour à la grande tradition de l’humanité. C’est ce que comprenaient bien nos anciens, Fleury, les bénédictins, Daunou. L’étude du moyen âge ne faussa jamais leur jugement, car ils le comparaient toujours à l’époque saine et classique, aux pères de l’église en fait de christianisme, aux grands écrivains grecs et latins en fait de littérature. Ils n’aiment pas le moyen âge, et néanmoins ils l’étudient avec un soin minutieux, car pour les natures studieuses et savantes le goût personnel n’est rien ; pour elles, tout ce qui vient du passé est également digne d’intérêt.

Ce fut ce qui arriva pour M. Le Clerc. Cet humaniste, nourri de la plus fine fleur de l’élocution antique, ce professeur d’un goût essentiellement classique, ce critique dominé jusqu’à l’excès peut-être par les idées littéraires des anciens rhéteurs latins, laissa là tout à coup ses auteurs favoris pour une littérature qu’il trouvait barbare et rebutante, pour des chroniques mal écrites, des scolastiques arides, des vers latins détestables, des sermons souvent ridicules. Exemple frappant d’une vie partagée entre deux objets poursuivis tous les deux avec la même passion ! A peine désigné par l’Académie, il se mit aux recherches avec ardeur. La commission apprécia bientôt du reste son collaborateur nouveau. Presque le lendemain de son admission, M. Daunou ayant résigné ses fonctions « d’éditeur, » c’est-à-dire de secrétaire de la rédaction, ce titre fut déféré à M. Le Clerc. L’Histoire littéraire fut dès lors son travail par excellence, son occupation de tous les instans, son œuvre, sa vie. Vers le même temps, M. Paulin Paris apportait à la commission sa profonde expérience des sources manuscrites, sa rare connaissance de nos vieux poèmes ; M. Fauriel, sa vive intelligence de la littérature populaire, le sentiment profond qu’il avait des origines, son goût pour les problèmes difficiles d’histoire littéraire ; M. Littré, son esprit philosophique et son immense savoir. Une ère nouvelle sembla s’ouvrir pour le recueil, et sûrement dom Rivet, reparaissant dans le docte cabinet où se conservent ses papiers et où se réunissent ses continuateurs, eût été satisfait de voir au bout d’un siècle son esprit si bien compris et son œuvre en si bonnes mains.

On venait de livrer au public le tome XIX, avec lequel on croyait avoir presque atteint la fin du XIIIe siècle. M. Daunou avait annoncé résolument que le tome XX serait le dernier consacré à ce grand siècle. Il avait compté sans le zèle de ses successeurs. D’énormes supplémens arrivèrent de toutes parts ; les annales littéraires de ce siècle mémorable ne finirent qu’avec le tome XXIIIe, et Dieu sait combien nos volumes futurs renfermeront encore d’additions et de rectifications. C’est que le XIIIe siècle est à beaucoup d’égards le XVIIe siècle du moyen âge. Comme le XVIIe siècle, il hérita d’une brillante époque antérieure, il vit la France exercer en Europe un ascendant universel ; sur sa fin, il inclina vers la décadence. Comme le XVIIe siècle aussi, le XIIIe siècle eut une conscience historique très claire, et légua une image très ferme de lui-même à la postérité. Certes au XIIIe siècle il est permis de préférer le XIIe. Le XIIe siècle fut vraiment le grand siècle créateur du moyen âge, le moment d’épanouissement du génie français. Le temps de Louis le Jeune, de Suger, de Philippe-Auguste, est bien plus éveillé que celui de saint Louis. Alors naissent la scolastique, l’architecture gothique, les grands poèmes de geste, l’Université de Paris, la vraie France avec sa claire notion de l’état laïque. L’administration de Suger et le règne de Philippe-Auguste sont le point culminant de la première gloire française, une image de ce que seront plus tard les règnes de Richelieu et de Louis XIV. Le XIIIe siècle vit plutôt avorter des espérances que naître des grandes choses. Il ne sut pas faire une chanson de geste qui fût un chef-d’œuvre, il ne sut pas tirer une science vraie de la scolastique, il ne sut pas élever l’architecture gothique à la hauteur d’un art délicat. A partir de saint Louis surtout, un esprit étroit, mesquin, pesant, borné, enlève la couronne du génie à la. France et la transfère à l’Italie. Mais dans cette décadence encore que de fécondité ! Si la forme littéraire est médiocre, quelle énergie dans les caractères, quelle hauteur dans les sentimens, que de naïveté, que de foi !

Les premiers travaux de M. Le Clerc dans l’Histoire littéraire attirèrent justement son attention sur ce que le XIIIe siècle eut de plus grand, je veux dire sur les derniers et héroïques efforts que firent les Latins en Palestine pour garder une souveraineté que la force des choses leur arrachait. Ses articles sur Nicolas de Hanapes, le dernier patriarche de Jérusalem, à la fois guerrier, martyr, inquisiteur, et avec cela le plus doux des hommes, sur les relations de la prise de Saint-Jean-d’Acre, sur Jeanne, comtesse d’Alençon, sur les lettres de Marguerite de Provence, nous introduisent dans ce monde de saints et de saintes que Louis IX créa autour de lui, monde si hautement caractérisé par le courage, la douceur, l’humilité simple et grande, une sorte de mélancolie profonde et touchante. Quel récit que celui de la dernière prise de Saint-Jean-d’Acre, tableau inouï de l’agonie pleine de rage d’une troupe de moines et de chevaliers voyant se serrer autour d’eux le cercle fatal : au milieu de la bataille, les prédications enthousiastes de moines fanatiques, le massacre avançant d’heure en heure, des frénétiques qui se ruent pour chercher la mort, les religieuses qui se mutilent la figure avec des couteaux pour éviter le harem ! Pendant ce temps, Nicolas de Hanapes est entraîné vers la mer, jeté dans une chaloupe ; il exige qu’on y admette tous ceux qui voudront s’y sauver ; la chaloupe coule. — Entre toutes ces notices, la plus intéressante cependant fut celle que M. Le Clerc consacra au dominicain Brocard. Brocard est le meilleur des écrivains sur la Palestine au moyen âge. C’est un homme exact, de grand sens, relativement éclairé et même tolérant, le dernier de la famille de ces hardis voyageurs monastiques qui sont une des gloires du XIIIe siècle. M. Le Clerc corrigea en ce qui le concerne une foule de méprises, et montra où il fallait chercher le véritable texte de son ouvrage. Le récent éditeur de Brocard, M. Laurent, a repris le travail et confirmé les découvertes de M. Le Clerc. — Comme pour faire voir que rarement dans l’humanité les grandes choses se passent sans petitesses et sans impostures, un cantique que chantaient les pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle et un itinéraire de ces mêmes pèlerins lui fournirent l’occasion de montrer comment le pèlerinage de Galice vint du même esprit que les croisades et par quelle série de pieuses supercheries on réussit à le rattacher à l’histoire fabuleuse de Charlemagne. Peu d’articles sont plus importans à lire pour se rendre compte des principes de critique qu’il faut appliquer à l’hagiographie et aux chansons de geste.

Les vies de saints et de saintes échurent en général à M. Le Clerc. C’était là au XIIIe siècle un genre de littérature bien épuisé, donnant lieu à mille plagiats, abondant en déclamations, en lieux communs, et, selon l’ingénieuse comparaison de M. Le Clerc, « en fraudes pareilles à celles de la statuaire antique, qui, sans rien changer à l’attitude ni aux draperies de ses héros, substituait à la tête d’un empereur proscrit celle d’un autre tyran qui régnait encore. » Ce sont partout les mêmes apparitions, les mêmes vertus, les mêmes miracles. Des biographies pieuses de personnes qui n’ont pas été canonisées, en particulier de quelques saintes flamandes et brabançonnes, sœurs aînées d’A Kempis, ont plus d’accent et forment de jolis tableaux de sainteté douce et tranquille. La notice de M. Le Clerc sur Marguerite de Duyn, prieure de la chartreuse de Poletin, est pleine d’un sentiment très juste de la mysticité chrétienne. Cette recluse nous a laissé une apocalypse fort curieuse et des méditations, écrites en partie en français, qui rappellent sainte Thérèse et Marie d’Agreda. La vie de Béatrix, vierge d’Ornacieu, permet aussi d’étudier de près ces illusions d’une affectueuse piété, ces rêves touchans, même quand ils font sourire, d’une recluse qui eût été une mère excellente et qui remplace les sentimens qui ne sont pas à sa portée par une dévotion tendre et presque maternelle. M. Le Clerc ajouta une page importante à l’histoire du christianisme en explorant cette province peu connue du monde mystique.

Quand M. Le Clerc entra dans la commission de l’Histoire littéraire, les notices sur les grands scolastiques étaient, déjà faites. Dans ses articles sur Humbert de Prulli, Pierre d’Auvergne et Raymond de Meuillon, il eut cependant à raconter plus d’un épisode curieux de l’histoire du thomisme. Son étude sur Raymond de Meuillon le conduisit à une découverte curieuse, c’est que les œuvres de ce Raymond avaient été traduites en grec sous ses yeux. A propos de Jofroi de Waterford, il groupa d’autres faits qui mirent dans un grand jour les rapports des dominicains avec Constantinople et la connaissance que quelques membres de cet ordre purent avoir de la langue grecque. Ce fut le germe de recherches qu’il fit ou qu’il encouragea sur l’étude du grec en Occident durant le moyen âge. Les sermons furent aussi l’objet de ses recherches les plus suivies. Il prouva qu’on les prononçait souvent en langue vulgaire. Il fallut le courage de notre savant maître pour lire et analyser ces fastidieux répertoires d’allégories puériles, de calembours, d’historiettes inconvenantes, de recettes presque mécaniques, qui entretinrent si longtemps dans le clergé la routine et la paresse d’esprit. Le plus singulier de ces manuels ou recueils de topiques est le Dormi secure ; M. Le Clerc montra que ce titre naïf avait été ajouté à un recueil plus ancien par les premiers typographes, jaloux de spéculer sur l’envie de dormir du curé arrivé au samedi soir sans avoir préparé son sermon.

Ses études sur l’histoire du droit canonique furent des plus approfondies. La fin du XIIIe siècle et le commencement du XIVe furent l’époque où les légistes prirent le pas sur les théologiens. Guillaume Durant ! , dit le Spéculateur, Provençal, qui joua en Italie un rôle de premier ordre et fut le bras droit de dix papes durant un espace de trente ans, Jacques de Revigni, Pierre de Sampson, d’autres encore, tombèrent en partage à M. Le Clerc. Sa notice sur Guillaume Duranti en particulier est un morceau capital. Les statuts et l’histoire intérieure des ordres religieux lui étaient merveilleusement connus. La puérilité des discussions ne le rebutait pas, et il exposait la controverse des barrés, dont l’objet était de savoir si le manteau d’Élie eut des barres, avec autant de plaisir que les plus intéressantes questions de littérature. Les statuts synodaux et autres actes ecclésiastiques lui montrèrent l’église se resserrant, se fortifiant, devenant de plus en plus tyrannique contre les juifs et les hérétiques, supprimant la Bible, amoindrissant l’enseignement. Les registres de visites de l’archevêque de Rouen, Eudes Rigaud, lui offrirent la plus riche source d’informations authentiques sur les mœurs du clergé. Il combattit les puériles idées qu’on s’est faites sur le moyen âge en l’imaginant comme une époque de mœurs pures et de docile soumission. Il montra qu’en fait de révolte, d’opposition au clergé, de déclamation souvent injuste contre les prélats et contre Rome, le XIIIe siècle n’eut rien à envier au siècle de Luther. Une bonne fortune sous ce rapport lui fut réservée. Le curieux poème de Gilles de Corbeil, médecin de Philippe-Auguste, intitulé Girapicra ad purgandos prœlatos, encore inédit, vint le trouver ; il en donna la première analyse étendue, et le rapprocha de tant d’autres piquantes satires que les hommes les plus attachés au christianisme dirigeaient alors contre le clergé. C’est quand on a su entendre ce cri universel de réprobation que l’on comprend combien la réforme était près d’aboutir au XIIIe siècle, et que l’on est surpris de la voir tarder encore deux ou trois siècles à se faire. Les terribles mesures par lesquelles l’église défendit son pouvoir furent la cause de ce retard. Le cardinal Galon, l’un de ceux contre lesquels est dirigée la Girapicra, fit exécuter jusqu’à douze mille hérétiques.

Ces terribles annales de l’inquisition furent étudiées par M. Le Clerc avec un soin minutieux. Il réfuta une erreur fort répandue, selon laquelle l’inquisition n’aurait jamais légalement existé en France. Il montra les rigueurs qu’elle exerça, même dans la France du nord, et considéra ces rigueurs comme une des causes qui changèrent en triste médiocrité un des plus brillans éveils intellectuels qui furent jamais.

Mais ce fut surtout l’Université de Paris qui fournit à M. Le Clerc un sujet favori d’études savantes. Il y porta une sorte de piété filiale. La rue du Fouarre, le clos Bruneau et Garlande, toute la montagne latine, ces rues étroites, ces hautes maisons, avec leurs voûtes basses, leurs cours humides et sombres, leurs salles jonchées de paille, étaient pour lui comme une patrie. Jamais, personne n’a si bien connu l’histoire de l’enseignement au moyen âge. Jamais on ne mit si bien en lumière le rôle capital que l’Université de Paris joue dans l’histoire, tout ce qu’eut de profondément révolutionnaire cette première fondation d’un centre puissant d’opinion, qui à deux ou trois reprises gouverna l’église et l’état, gourmanda le roi, gourmanda le pape, dirigea les conciles, envoya des ambassadeurs aux nations étrangères, inaugura la force de la publicité, et proclama l’idée toute française des droits du talent. Habet magnam audientiam, dit d’elle le concile de Constance. Sans aucune exagération, M. Le Clerc put considérer l’Université de Paris comme l’une des origines de la démocratie moderne et comme ayant éminemment contribué à établir chez nous le principe de l’égalité. Dans cette singulière compagnie de maîtres et de disciples, nulle distinction entre les roturiers et les nobles, les pauvres et les riches ; unité de costume, justice sévère dans les examens, gratuité des cours, pauvreté pour tous, pour tous la même paille. On ne se rappelle pas assez que la moitié de Paris, depuis Philippe-Auguste jusqu’à Charles VII, fut une école ou plutôt une république où régnait le seul mérite, qui montra, bien avant la découverte de l’imprimerie, le pouvoir de la parole, exprima la première l’idée de la souveraineté du peuple, donna par l’esprit d’équité qui présidait à ses leçons, à ses examens, à ses élections, une grande leçon de morale. L’élection à la pluralité des suffrages, l’obtention des bénéfices au concours, étaient les règles de cette institution qui fut au XIVe siècle l’âme des mouvemens du tiers-état. M. Le Clerc vivait des souvenirs de ce glorieux passé. Il fut fier le jour où les délégués d’une université d’Ecosse vinrent le consulter sur un point de règlement qui divisait les fellows. On s’imaginait, à ce qu’il paraît, au fond de l’Ecosse, sur la foi de ce nom bizarre d’Université de France imaginé par Napoléon pour désigner son administration de l’instruction publique, que la vieille Université de Paris existait encore à quelques égards, et l’on s’était dit que toutes les universités de l’Europe ayant été fondées ad instar Parisiensis studii, le meilleur moyen de régler le différend était de s’informer des usages de Tuniversité-mère. Hélas ! les députés ne trouvèrent rien qui ressemblât à l’antique alma mater ; ils trouvèrent du moins un docte héritier des Du Boulay, des Crevier, qui sut résoudre leurs doutes. De sa mansarde, sous les hauts toits de la Sorbonne, M. Le Clerc semblait le dernier de ces maîtres laïques qui revendiquèrent au XIIIe siècle la liberté de travailler aux choses de l’esprit hors du cloître et de l’école épiscopale. C’étaient là ses ancêtres, et sa joie était grande quand il pouvait réparer quelques-unes des injustices de l’histoire envers ces pauvres et modestes fondateurs à qui nous devons tant.

Cela lui fut donné plus d’une fois. Grâce surtout à la connaissance qu’il avait du riche fonds des manuscrits de Sorbonne, qu’on peut appeler les archives des débats de l’Université de Paris au XIIIe et au XIVe siècle, il ajouta des traits de première importance à l’histoire de la lutte des mendians et de l’Université sous saint Louis. Guillaume de Saint-Amour, Gérard d’Abbeville, Godefroi des Fontaines, lui durent de sortir de l’obscurité où les avaient relégués le mauvais vouloir de leurs puissans rivaux et la timidité de leurs successeurs. Ses recherches approfondies l’amenèrent sur ce point à de précieuses découvertes ou à des rectifications équivalant à des découvertes. Le caractère sérieux, ferme, dur, presque terrible de cette grande école gallicane du XIIIe siècle sortit vivement de ses travaux. Il retrouva jusqu’aux chansons par lesquelles les étudians se vengeaient des intrigues de leurs ennemis et du mauvais vouloir de Blanche de Castille ; il montra avec exactitude le rôle de saint Thomas et de saint Bonaventure en ces querelles. Il fit bien plus encore. Le plus important, après Guillaume de Saint-Amour, de ces rudes lutteurs qui soutinrent sous saint Louis les droits de la pensée naissante, ce Sigier, que Dante place dans le paradis à côté d’Albert de Cologne et de Thomas d’Aquin, avait été tellement trahi par la renommée des siècles suivans, que le passage de la Divine Comédie qui le concerne passait pour une énigme. Avec une prodigieuse érudition aidée d’un jugement pénétrant, M. Le Clerc retrouva les titres de cette gloire oubliée, reconstruisit la biographie de Sigier, montra son rôle dans les écoles de la rue du Fouarre, retrouva ses écrits, reconnut l’esprit de son enseignement. Ce Sigier, qui, selon Dante, « syllogisa d’importunes vérités, » fut un vrai libéral, presque un républicain ; il fit un cours de politique qui laissa chez plusieurs de ses auditeurs une profonde impression ; il fut le maître de Pierre Du Bois, le conseiller intime et le publiciste de Philippe le Bel. Son principe était que « de bonnes lois valent mieux que de bons gouvernans. » L’idée qui manque le plus au moyen âge avant Philippe le Bel, l’idée de « la chose publique » ou de l’état, Sigier la développa avec une netteté qui surprend.

Cette pénible naissance de la société laïque, cette lente émancipation du mondain, longtemps étouffé sous le poids colossal d’un culte impérieux, M. Le Clerc aimait à l’étudier dans les faits les plus divers. Les chroniques, qui furent pour la plupart dévolues à son examen, lui en fournirent souvent l’occasion. Il y remarquait curieusement tout ce qui pouvait éclaircir les origines de l’esprit moderne. À côté de l’histoire monacale, dure et malveillante pour tout le monde, excepté pour les protecteurs du couvent, il trouve déjà des chroniques laïques bien supérieures, où l’on voit la critique se dégager peu à peu des liens de l’ancienne abnégation claustrale. La curiosité maligne, qui est déjà presque de la liberté chez Baudouin de Ninove, les expressions sévères de Geoffroy de Courlon sur la papauté, les jugemens sur l’église qu’on remarque dans les chroniques fabuleuses, telles que la chronique dite de Rains, celle dite de Baudouin d’Avesnes, sortes de romans historiques faits pour le peuple, étaient pour lui des signes de l’émancipation de l’histoire. Gotfrid d’Ensmingen, notaire du sénat de Strasbourg, est bien plus remarquable. Deux cent trente ans avant Luther, l’insurrection religieuse éclate chez lui avec une vigueur toute germanique. Guillaume de Nangis n’offrit rien à M. Le Clerc qui le distinguât des autres moines historiens ; mais à diverses reprises il signala le fait singulier de son dernier continuateur, le carme Jean de Venette, professant les doctrines les plus démocratiques et écrivant déjà l’histoire avec un plein sentiment des droits du peuple.

La poésie latine fut aussi le partage de M. Le Clerc. Quand le moyen âge veut imiter les rhythmes de l’antiquité classique, il réussit bien rarement. Ses hymnes liturgiques assujetties à la prosodie de l’antiquité, ses poèmes solennels, comme celui de Jean de Garlande, ont quelque chose de faible, de banal, d’écolier. Il faut faire des exceptions pour Vital de Blois, Guillaume de Blois, Matthieu de Vendôme, qui, par une vraie connaissance de la poésie classique, surtout de Plaute, arrivèrent à produire deux ou trois scènes du meilleur comique. Quant aux pièces latines où, renonçant à la quantité, les poètes se conformèrent aux rhythmes de la poésie vulgaire, elles sont bien supérieures. Quelques hymnes à la Vierge sont d’une harmonie charmante. Dans les cantilènes profanes éclatent déjà toute la légèreté, toute la finesse de l’esprit français. Tel recueil de chansons latines du XIIIe siècle, — les Carmina Burana par exemple, — égalent par la variété des strophes, par la gaîté de la phrase dominante, par l’heureux agencement des refrains, tout ce que les chansonniers modernes ont fait de plus exquis. Ce sont le plus souvent des chansons d’étudians, de clercs ribauds, de truands, de cette burlesque familia Goliœ, sur le compte de laquelle on mettait toutes les bouffonneries ; d’autres fois, des satires spirituelles contre les désordres des moines et du clergé, contre l’avarice et les exactions de la cour de Rome, contre les vices du siècle ; parfois d’innocentes plaisanteries, d’inoffensives histoires de curés à la façon de Gresset. M. Le Clerc aimait ces témoignages de la vieille liberté cléricale ; il aimait à plier son style grave à redire les folies des « goliards, » leurs tensons, leurs chansons d’amour, leurs chansons à boire, leurs messes burlesques, leurs parodies souvent risquées. Il plaçait très haut la Confessio Goliœ, petit chef-d’œuvre sur lequel la chronique de frà Salimbene, publiée depuis, a fourni des renseignemens décisifs. Il fit rechercher en Allemagne le Gaudeamus, le chant des anciennes fêtes universitaires. Plus d’une fois, en traitant de ces libres monumens de la gaîté du moyen âge, quelque fine malice, quelque sourire discret, se mêlaient à son exposition savante ; il se retenait avec art dans la carrière glissante où les chansonniers du temps de saint Louis ne surent pas toujours s’arrêter.

Il porta les mêmes qualités dans la longue étude qu’il consacra aux fabliaux en langue vulgaire. Les fabliaux sont peut-être le plus riche héritage que nous ait légué le vieil esprit français. L’abondance, la hardiesse, le naturel, l’originalité de nos aïeux dans ce genre de poésie familière, sont chose admirable. Il est vrai que l’Italie les a surpassés par la science du style et l’habileté de la mise en œuvre ; mais il ne faut pas oublier que, si Boccace et les auteurs des nouvelles italiennes ont montré beaucoup plus d’art que nos conteurs du XIIIe siècle, ils leur ont tout emprunté pour le fond des idées. Quand La Fontaine croit tout devoir à Boccace, il se trompe ; il ne fait que reprendre à l’étranger ce que l’étranger avait pris à nos vieux conteurs gaulois. Ceux-ci, on ne le conteste pas, avaient eux-mêmes reçu des sujets de toutes mains ; les romans de l’antiquité, l’Orient, la mythologie, les vies des saints, furent par eux mis à contribution ; mais ils inventèrent beaucoup aussi. Des fabliaux qu’on peut admirer encore, Saint Pierre et le Jongleur, les Deux Chevaux, Guillaume au faucon, le Vilain qui conquit le Paradis par plaid, la plupart des petits drames où agissent et parlent les bourgeois, les vilains, sont le produit du sol de la France, l’œuvre de ses poètes populaires. La vogue qui leur fit faire le tour de l’Europe était due à la facilité, à la clarté, à l’enjouement, à l’esprit libre et vif qui les animaient. M. Le Clerc retrouva chez ces conteurs oubliés les vrais ancêtres de Rabelais, de La Fontaine, de Molière, de Voltaire. Après Fauchet et Caylus, il prouva d’une manière triomphante qu’au moyen âge tout le monde s’approvisionna en France d’historiettes, d’anecdotes, de contes, de facéties, de même que, jusqu’à ces derniers temps, la France fournit à l’Europe toute sa petite littérature amusante de vaudevilles et de romans. Il montra parfaitement pourquoi les auteurs de ces compositions parfois charmantes, toujours très gaies, ne devinrent jamais des artistes ni des écrivains. Leur situation sociale, qui les réduisit au rôle de mendians, de bouffons et de parasites, leur interdit toute noble visée. De là tant de bassesses et de trivialités, de « vilenies, » comme on disait, où la délicatesse du goût ne corrige pas la licence des sujets. La façon dont M. Le Clerc sut concilier avec les justes exigences du langage poli la nécessité, dans un ouvrage d’érudition, d’être complet reste un vrai tour de force. La partie sacerdotale des innombrables contes qui amusaient les châteaux et les veillées bourgeoises dut surtout être fort abrégée. Les contes dévots sur la Vierge, les anges, les saints, compositions bizarres, mêlant l’amour à la dévotion, où le rire confine à la prière, la farce au sermon, étaient peut-être pour le jongleur une expiation de ces crudités toutes profanes. Elles ne le sont guère pour nous, par le talent y manque d’ordinaire, bien qu’il y ait là plus d’une histoire touchante, animée par une vraie tendresse de cœur.

Les poésies morales et didactiques, les nombreux « doctrinaux, » les « sommes » ou encyclopédies en vers, furent aussi analysés par M. Le Clerc. Ce genre ingrat a bien rarement produit des chefs-d’œuvre ; pour examiner avec autant de soin d’interminables rapsodies, il fallut cette précieuse qualité qui rend l’érudit indifférent à la beauté ou à l’ennui du texte qu’il étudie. Les peines du savant critique furent mieux récompensées dans l’examen des poèmes de circonstance, pamphlets en vers qui étaient récités sur les places, et qui souvent rappellent les charges les plus plaisantes de nos petits journaux comiques. C’étaient les gazettes du temps, gazettes de carrefour, ouvrages de publicistes peu exercés, mais toujours précieux à consulter, parce qu’on y trouve l’impression du moment sur les mille petits faits qui frappèrent le peuple et furent pour lui l’histoire. Tout le monde y comparaît. Pour les rois, pour les prélats, pour les grands, il y a des complaintes funèbres, des saluts d’heureux avènement, des récits de guerre et de tournois, mais aussi de sévères leçons ou de piquantes railleries. On se moque de leurs fragiles traités de paix, de leur confiance aveugle dans ceux qui les. flattent, de leurs terreurs devant les envoyés de Rome. Plusieurs de ces ouvrages, comme le poème de Jordan Fantosme sur la conquête de l’Irlande, le poème sur la mort de saint Thomas de Cantorbéry, composé par Garnier de Pont-Sainte-Maxence, remontent au XIIe siècle. D’autres sont relatifs aux luttes de la France et de l’Angleterre à partir de Philippe-Auguste. L’antipathie des deux royaumes s’y montre au naturel. Tantôt l’auteur est Anglais ; alors il entasse contre la France les railleries triviales, les reproches puérils, en ce français dégénéré qui se parlait au-delà de la Manche. Tantôt le trouvère tourne en dérision les prétentions du roi d’Angleterre et commet des fautes de français pour faire rire ses auditeurs aux dépens des Anglais. La satire sur la médiation de Louis IX entre Henri III et ses barons, le traité burlesque appelé la Chartre de la paix aux Anglais, la pièce intitulée le Privilège aux Bretons (vers 1234), sont des parodies politiques où l’ironie n’est pas sans finesse. Le prestige toujours grandissant du roi de France, les luttes des barons d’Angleterre contre leur royauté, la popularité des grands révoltés Foulques Fitz-Warin, Simon de Montfort, comte de Leicester, toutes les affaires des règnes décisifs de Jean sans Terre et de Henri III sont écrits là en traits vifs et profonds. Ce sont aussi des pièces historiques du plus haut intérêt que le Dit de vérité, touchante requête en vers de l’Université contre les puissans ennemis qui l’attaquaient auprès de Blanche de Castille et de saint Louis ; la Complainte et le Jeu de Pierre de la Broce, expression des sentimens : populaires sur la mort d’un ministre bourgeois sacrifié aux rancunes aristocratiques ; la Complainte de Jérusalem (vers 1223), cri éloquent d’une âme chrétienne, ardente pour la croisade, mais animée contre le clergé et la cour de Rome de la haine la plus violente, comparant les prélats au traître Ganelon, appelant de ses vœux un Charles Martel assez fort à la fois pour se mettre à la tête des croisés et pour réformer le clergé.

Rien ne rebutait notre savant maître ; il ne s’épargnait aucun des travaux qu’il pouvait éviter aux autres. Pour dispenser désormais d’y revenir, il étudia avec autant de soin qu’il eût fait un grand poème « les fatrasies, » joyeusetés et poésies burlesques de tout genre que le moyen : âge nous a laissées. « Tout est pur pour les purs, » dit l’Écriture ; on peut dire aussi que tout est sérieux pour l’homme sérieux. Au milieu des amphigouris, coq-à-l’âne, jeux de rimes, grimoires, parodies des offices et vies de saints, M. Le Clerc trouvâtes origines du Charlemagne héroï-comique, que l’Italie n’a pas inventé ; il trouva ces jolis « tournois » burlesques, et surtout Audigier, cet incroyable poème qu’on peut appeler le poème du laid, où le noble moyen âge semble se tourner lui-même en dérision et traîner dans la boue ce qu’il adorait ; il trouva surtout ce curieux Dit d’aventures, raillerie des poèmes chevaleresques, sorte de Don Quichotte où les « bourdes » des conteurs d’aventures sont raillées sur un ton qui rappelle tantôt Cervantes, tantôt les plaisantes assurances de véracité de l’Arioste. Pas une des données des littératures modernes, pas une machine poétique, pas un épisode amusant ou émouvant des poèmes romantiques que notre XIIIe siècle n’ait possédés. Par quelle fatalité a-t-il pu se faire qu’avec tant de spirituelles inventions il n’ait su ni produire un chef-d’œuvre durable, ni se préparer pour le siècle suivant des continuateurs ?

C’est le problème que M. Le Clerc examina sous toutes ses faces dans le discours préliminaire à l’histoire des lettres en France au XIVe siècle. Avec le tome XXIIIe, on avait fini le XIIIe siècle. On allait aborder le XIVe siècle, époque bien plus difficile en un sens, car les anciens bibliothécaires l’ont beaucoup moins étudiée que le XIIe et le XIIIe. L’usage des bénédictins fut, en tête de chaque siècle, déplacer un discours général sur l’état des lettres et des écoles, afin de donner ainsi place à des considérations d’ensemble que ne pouvaient renfermer les notices séparées. C’est encore dom Rivet qui publie en 1750 le discours sur l’état des lettres en France au XIIe siècle. En 1824, M. Daunou fit paraître le discours sur le XIIIe siècle ; la commission confia à M. Le Clerc le discours sur le XIVe. M. Le Clerc donna à cet ouvrage des propositions jusque-là inusitées. Le XIVe siècle est en littérature bien inférieur au XIIe et au XIIIe. La langue, déjà fort abaissée sous les successeurs immédiats de saint Louis, perd sous les Valois toute régularité, toute dignité littéraire. L’esprit poétique est mort, toute originalité philosophique a cessé, la science fait très peu de progrès, la France n’occupe plus dans les lettres la première place qu’elle avait tenue jusque-là, l’Italie la dépasse de beaucoup. Brunetto Latini, mort en 1294, n’est en rien supérieur à ses maîtres de France ; Dante, Pétrarque, sont de tout point supérieurs à leurs contemporains de deçà les monts. Mais l’intérêt que le XIVe siècle n’a pas en littérature, il l’a en politique. C’est un siècle d’action et de révolutions. « Il commença, dit M. Le Clerc, beaucoup de choses dont quelques-unes ne sont pas encore achevées. » Philippe le Bel et son triompher durable sur la papauté altière du moyen âge, la fondation d’une royauté administrative, la naissance de l’état, d’importantes victoires du droit civil sur ce qu’on appelait la loi divine, la constitution régulière des états-généraux, la papauté rendue française pour plus d’un siècle, le grand schisme d’Occident, les révolutions démocratiques de Paris, le rôle politique joué par l’Université, assurent à ce siècle une place distincte dans l’histoire des progrès de la France. Ce caractère imposa à M. Le Clerc une méthode un peu différente de celle qu’avaient suivie dora Rivet et M. Daunou. Son discours fut moins exclusivement littéraire ; il s’y préoccupa des hommes et des choses autant que des livres, il suppléa par l’étendue des vues d’ensemble à l’intérêt qui pourra manquer aux notices particulières dont se composeront les volumes suivans. Il résulta de là un vaste exposé plein de choses neuves et rares. Nous ne prétendons pas que ce grand ouvrage soit sans défauts : il porte certaines traces de fatigue ; M. Le Clerc le termina d’une plume déjà parfois appesantie par l’âge. La vieillesse, loin de nuire à la maturité de son jugement, l’avait perfectionné ; mais il lui était devenu difficile d’éviter quelque prolixité, quelques embarras de style. Tel qu’il est, le discours sur le XIVe siècle est un trésor de science historique, une des œuvres de critique les plus solides de notre temps.

M. Le Clerc débute par le tableau de l’état religieux et politique du monde. Il montre l’abaissement de la papauté, devenue l’otage de la France, la corruption de l’église, les tentatives avortées de réformes, les ordres religieux en leur plus grande décadence, les rivalités et les haines des dominicains et des franciscains. Plus de saints, plus de croisades, plus de mysticité ! L’église règne par la terreur ; elle s’arme d’un droit redoutable, établit des lois de procédure odieuse, pose en principe que dans les matières de foi être soupçonné, c’est être criminel. Elle se décime elle-même ; la rivalité des dominicains (les jésuites d’alors) et des franciscains (représentant la partie indisciplinée de l’église) ouvre un sanglant martyrologe où l’on voit un ordre religieux en poursuivre un autre avec presque autant de férocité que s’il s’agissait d’infidèles ; au milieu de tout cela, cette papauté d’Avignon, à la fois intelligente et immorale, libérale et simoniaque, légère et cruelle, — Bertrand de Got biffant sur les registres du Vatican les actes de Boniface VIII et fort embarrassé quand le roi Philippe le Bel demande les os de ce pape pour les brûler comme ceux d’un hérétique, — l’Italie réclamant à grands cris la papauté, qui allait se détacher d’elle, et qu’elle regagne pour son malheur. La clé de l’histoire de la papauté est en ce siècle décisif. La lutte des clémentins et des urbanistes est la page d’histoire la plus importante à étudier pour quiconque veut concevoir l’histoire de l’église latine sur un plan philosophique.

Le gouvernement civil, à l’ombre de cette grande et glorieuse royauté française que nulle autre n’a égalée, fait d’immenses progrès. Philippe de Valois, après Philippe le Bel, traite le pape d’hérétique et menace de le faire « ardre. » Au pouvoir ecclésiastique, le roi de France oppose un droit égal, venant aussi de Dieu ; aux conciles, il oppose les états-généraux ; aux officialités et à l’inquisition, la justice séculière ; aux écoles épiscopales et monastiques, les universités et leurs collèges ; aux bibliothèques latines des chapitres et des abbayes, des collections profanes rendues quelquefois publiques et où les livres en langue vulgaire sont nombreux. En tête de ce grand mouvement brille le nom de Philippe le Bel, qu’à l’étranger on appela Filippo il Grande. M. Le Clerc fit à beaucoup d’égards l’apologie du souverain qui, par un appel hardi à la France, porta le coup mortel à la papauté des Grégoire et des Innocent. Avec Philippe le Bel, le budget fit son entrée dans le monde ; cette entrée ne pouvait être aimable, un concert de malédictions devait l’accueillir. L’opinion superficielle a pour habitude d’accepter volontiers les bienfaits de l’état et de tonner contre les charges imposées par l’état. Les procédés financiers de Philippe le Bel furent odieux, mais jamais mesure fiscale n’est populaire. Le procès des templiers fut un échafaudage d’iniquités, de subtilités, de barbaries ; mais, qu’on y songe, supprimer une milice de célibataires détenant en mainmorte une portion considérable de la richesse nationale et devenue sans objet depuis la perte de la terre sainte, était sûrement une excellente idée. Or les principes du temps ne laissaient au roi qu’un moyen pour supprimer cette milice : c’était de prouver qu’elle était imbue d’hérésie, accusation qui ne pouvait se soutenir que par des tortures et des faux témoins. Les vieilles institutions s’arrangent d’ordinaire de telle façon qu’on ne peut les attaquer sans être violent.

Les belles ordonnances des successeurs de Philippe le Bel prouvent bien que le règne de ce prince fut l’avènement d’une grande. génération d’hommes d’état. M. Le Clerc crut devoir être beaucoup plus sévère pour les Valois. Son patriotisme si profond ne pouvait pardonner à la dynastie brillante, mais frivole, qui, par sa vanité et son étourderie, faillit perdre la France telle que l’avait faite le génie de la première branche des Capétiens. Naturellement il admettait une exception pour l’honnête Charles V. Il montra les solides résultats du travail littéraire de ce règne pour la prose politique française et pour le bon sens public. En somme, malgré toute sorte de décadences, la France était grande encore. Des princes du sang, hommes aimables, gens d’esprit, amateurs éclairés, faisaient de Paris le centre de la mode. Le conseil du roi, le parlement, comptaient de sages clercs, et inauguraient le règne d’une haute classe administrative éclairée ; le ministre a désormais un rôle distinct ; le roi n’est plus seulement entouré de nobles et de moines ; l’esprit gallican se renforce ; la judicature s’améliore. Si la noblesse est fort abaissée, si elle manque déplorablement à ses devoirs, la bourgeoisie, la nation, suit un progrès lent, mais sûr. Tandis que, dans les fabliaux du XIIIe siècle, le roturier est toujours lâche, avare, ridicule en amour, ordurier, n’ayant de goût que pour de sottes et honteuses histoires, maintenant le bourgeois, l’auteur du Ménagier de Paris par exemple, est bien plus délicat, plus noble qu’un gentilhomme comme Latour-Landry. Le fils du roturier arrive à tout par l’instruction. La littérature du tiers-état commence. Les principes les plus nets de ce que nous appelons le libéralisme et même la révolution sont hardiment proclamés. Un chancelier de France, Miles de Dormans, évêque de Beauvais, voulant calmer en 1380 une sédition parisienne, crie tout haut : Etsi centies negent reges, régnant suffragio populorum. Le mot de « tyran » devient français. Grâce à l’Université, Paris est la ville de la doctrine, la ville des livres, sinon la ville du génie. Les fondations de collèges, qui ne furent jamais plus nombreuses qu’en ce siècle, sont une cause puissante d’affranchissement pour la bourgeoisie ; on arrive à être chef d’ordre, évêque, cardinal, pape même, par l’Université. Nicolas Oresme, Etienne Marcel, Robert Le Coq, sont des caractères d’un genre nouveau auxquels les siècles antérieurs du moyen âge n’ont rien à comparer. Ils font revivre ces types perdus de l’orateur politique, du publiciste, du tribun populaire, que la France n’avait jamais connus jusque-là.

Voilà des résultats qui consolent l’historien de ne trouver guère en ce XIVe siècle que des écrivains sans art, des poètes médiocres et une langue qui périt. D’ailleurs les âges de décadence d’une littérature sont souvent ceux où elle exerce le plus d’influence sur les étrangers. De même que l’art italien, au temps des Rosso et des Primatice, rayonnait plus hors de l’Italie qu’au temps de Raphaël, de même le XIVe siècle, qui vit la fin de la belle littérature française du moyen âge, fut justement l’époque où les compositions françaises firent le tour du monde et furent le plus traduites ou imitées. M. Le Clerc saisit cette occasion pour présenter dans toute sa force la thèse qu’il avait déjà plusieurs fois exposée, savoir la priorité de la littérature française du moyen âge. Ce fait général que toutes les littératures modernes de l’Europe ont commencé par être tributaires de la nôtre, il l’établit d’une façon décisive pour l’Angleterre, l’Allemagne, la Flandre, la Suède et l’Islande, l’Espagne et l’Italie, même dans une certaine mesure pour la Grèce, c’est-à-dire pour presque tous les pays chrétiens qui eurent au moyen âge une littérature. Oui, ces noms tant vantés de Chaucer, de Wolfram d’Eschenbach, sont des noms de « translateurs, » de gens qui passèrent leur vie à exploiter les inventions de nos poètes. Cette poésie chevaleresque et romantique du moyen âge qui enchantait Walter Scott vient toute du français. Cette charmante littérature italienne elle-même, ces œuvres exquises de Pétrarque, de Boccace, de l’Arioste, sortent directement de notre poésie provençale, de nos chansons de geste ou d’aventures, de nos lais, de nos fabliaux. La mise en œuvre fut d’ordinaire supérieure aux originaux, M. Le Clerc ne le nia jamais, il le montra même admirablement : une des meilleures pages qu’il ait écrites est celle où il explique, par une étude ingénieuse des autographes de Pétrarque, les raisons qui privèrent nos vieux poètes de toute science délicate en fait de style ; mais l’invention ou plutôt l’art de frapper les sujets, de les rendre populaires, de les faire accepter, ne saurait leur être refusé, lis ont fourni la matière poétique à l’Europe entière jusqu’à Shakspeare, jusqu’à Cervantes, jusqu’au Tasse ; ils n’ont été réellement détrônés que par le goût du temps de Louis XIV. Toute l’analyse de la littérature italienne du XIVe siècle que fit à ce sujet M. Le Clerc est un chef-d’œuvre. Les rapports de Pétrarque et de Boccace avec la France et en particulier avec Paris, la façon dont ces habiles écrivains bénéficièrent d’un passé littéraire glorieux que la France ne soutenait plus, sont exposés dans la perfection.

M. Le Clerc ne porta-t-il pas cependant quelque exagération en sa thèse ? N’accorda-t-il pas à la France des dons de création qui ne semblent pas lui appartenir ? Ne tomba-t-il pas quelquefois dans un défaut trop habituel à ceux qui écrivent l’histoire littéraire, l’amour-propre national ? Fit-il assez grande la part de la Provence, alors bien peu française ? Mit-il assez haut les dons du génie, qui change en or tout ce qu’il touche ? Ne prit-il pas quelquefois à l’égard des littératures étrangères, en particulier de la littérature italienne, un ton de rivalité dont la vraie critique doit être exempte ? Cela peut être. Et d’abord, il ne vit pas que nos grandes épopées du moyen âge étaient germaniques de génie, que jamais la Gaule pure ni la Gaule transformée par Rome n’eussent produit de tels chants ; il n’essaya pas d’analyser le composé ternaire qu’on appelle « France, » pour voir duquel de ses trois composans sortaient ces œuvres admirables. — Sans doute, toute production originale du moyen âge, art gothique, scolastique, chanson de geste, naît en France ; mais qu’était cette France où naissaient de si beaux fruits ? Un pays dominé par la grande féodalité germanique. Le don particulier du sol français est justement que toutes les plantes, même exotiques, y prospèrent mieux que dans leur sol natal. Quand est-ce que commence vraiment la littérature propre de notre pays ? Quand l’esprit gaulois prend-il le dessus sur la lourde couche germanique qui l’écrasait et le rendait grave malgré lui ? Entendue de la sorte, la littérature française commence avec la première chanson narquoise, avec le premier fabliau grivois. Alors la chanson de geste devient un genre ennuyeux ; elle se sauve quelque temps par l’ironie : on continue de chanter Charlemagne, mais pour violer sa majesté, pour la tourner en dérision ; puis on passe à des genres de littérature mieux appropriés au vrai goût national. — M. Le Clerc ne reconnut peut-être point non plus suffisamment l’étendue de ce que nos poètes empruntèrent. L’originalité bretonne des romans du cycle d’Arthur ne se montra jamais à lui ; il ne vit pas qu’avec ces nouveaux sujets un genre nouveau d’imagination et de sentiment s’introduit dans notre littérature. Ce sont là des omissions d’importance secondaire. Les parties positives de la thèse de M. Victor Le Clerc sont toutes vraies. Avant de posséder des littératures nationales, l’Europe latine eut une littérature commune, un art commun que tous adoptèrent ; cette littérature, cet art, où l’initiative germanique avait une très grande part, naquirent sur le sol français ; cela est hors de doute, et c’est là ce qui permet de dire qu’avant la renaissance italienne du XIVe et du XVe siècle il y eut au XIIe siècle une vraie renaissance française, éminemment créatrice, originale, dont le règne de Philippe-Auguste peut être considéré comme le point culminant, et par laquelle nous avons été une fois les maîtres de l’Italie. Hélas ! bientôt les choses devaient changer de face. Avec des poèmes tels que Baudouin de Sébourg, nous touchions à l’Arioste ; il ne fallait pour arriver au but qu’un peu de travail, quelques exigences délicates de la part du public, du sérieux de la part des trouvères. Nous manquâmes le but après l’avoir presque atteint ; l’histoire de notre première littérature fut l’histoire d’un triste avortement. Voilà ce que produisirent l’inquisition, la bigoterie, une dynastie médiocrement douée, l’esprit borné d’une noblesse sans distinction ni goût du beau, de funestes guerres mettant en question l’existence même de la nation.

Tel est l’ensemble de ce que M. Victor Le Clerc fit pour l’histoire littéraire, et encore nous omettons d’importans travaux, ses notices sur Daunou et sur Fauriel, ses devoirs « d’éditeur, » impliquant la distribution du travail, la coordination et la révision des manuscrits de ses confrères, auxquels il faisait toujours d’importantes additions, la correction des épreuves, la rédaction des préfaces, des index et de ces belles tables bibliographiques dont les bénédictins nous ont donné le modèle, la réimpression du tome XI de l’ancienne collection, lequel était devenu introuvable et auquel, tout en respectant scrupuleusement le texte des bénédictins, il fit en appendice de précieuses annotations. En même temps il provoquait par tous les moyens qui étaient à sa disposition la recherche des textes nouveaux. Il dirigeait pour une grande part le vaste travail d’enquête que le gouvernement du roi Louis-Philippe, avec une libéralité qu’on ne peut assez reconnaître, faisait faire sur nos antiquités littéraires. Il prenait une part considérable aux travaux des comités historiques établis près le ministère de l’instruction publique, et à ceux du conseil de la Société de l’histoire de France. Nommé par M. Villemain président de la commission chargée de faire exécuter le Catalogue général des manuscrits des bibliothèques de départemens, il revit le premier volume de cette grande collection, y fît des rectifications considérables et y inséra, sur un important ouvrage grammatical dont la bibliothèque de Laon possède le manuscrit, un mémoire où se retrouve le latiniste consommé. L’imprimerie impériale, lors de l’exposition universelle de 1855, ayant résolu de donner comme spécimen de ce qu’elle savait faire un texte de l’Imitation de Jésus-Christ, M. Le Clerc dirigea et surveilla cette magnifique édition. Il y ajouta de précieuses notes sur l’âge et l’origine du livre, qu’il attribuait à la plus belle époque du moyen âge, et qu’il croyait être sorti, pour la plus grande partie du moins, d’une plume française. Sans vouloir trancher la question, M. Le Clerc osait dire que quand un bon paléographe voudrait la traiter d’après les manuscrits et en s’aidant des résultats acquis sur l’histoire littéraire du moyen âge il arriverait à des résultats définitifs.


III

Jamais carrière fut-elle mieux remplie ? Et cependant nous n’avons dit encore que la moitié de la vie de notre savant maître. Son passage au décanat de la faculté des lettres fut marqué en traits non moins durables que son passage dans la commission de l’Histoire littéraire. Il porta dans ces fonctions sa parfaite droiture, son dévouement sans bornes- au bien et au vrai. Les examens pour la licence et le doctorat devinrent, grâce à lui, de très solides épreuves qui élevèrent sensiblement le niveau des études universitaires. Jusque-là les thèses pour le doctorat, à très peu d’exemples près, étaient d’insignifiantes compositions, dénuées de toute valeur le lendemain du jour de la soutenance. Par l’influence de M. Le Clerc, les thèses devinrent des livres ; il ne fut plus permis de se renfermer dans le cercle commode des redites et des lieux communs ; apporter à la faculté quelque chose de nouveau fut une condition de rigueur. Au début de la carrière universitaire, si souvent fermée aux recherches de la science pure, l’usage plaça ainsi pour le professeur l’obligation de se livrer au moins une fois à l’examen approfondi d’une question importante. L’approbation de M. Le Clerc, la recommandation dont il accompagnait son rapport au ministre fut la porte de toute vie consacrée à l’enseignement élevé. M. Cousin, à qui M. Le Clerc laissait en général la direction des thèses philosophiques, établit la même règle pour les études qui relevaient de lui. Ainsi se forma cette remarquable collection de monographies, qui ont renouvelé chez nous l’histoire littéraire et philosophique, et à laquelle l’Allemagne n’a rien à opposer. Tout y figure, l’antiquité dans ce qu’elle a de moins connu, le moyen âge, vers lequel le savant doyen se plaisait particulièrement à conduire les jeunes travailleurs, l’Orient même dans une certaine mesure, les littératures modernes enfin pour leurs questions les plus délicates. La part de M. Le Clerc en ces travaux était très grande : il indiquait le sujet, fournissait les renseignemens sur les sources, revoyait et corrigeait les essais des candidats. Le jour de la soutenance était une vraie fête de l’esprit. Dans une chétive salle d’entre-sol, que la ténacité de M. Le Clerc aux anciens usages ne permit jamais de changer, se groupait autour d’une table toute la noble Sorbonne d’alors, MM. Cousin, Villemain, Fauriel, Saint-Marc Girardin, Guigniaut, Patin, Damiron, Ozanam. La belle et souriante figure de M. Le Clerc, animée par la discussion, semblait au milieu de ce cercle illustre une apparition des temps anciens. Sa parole, tour à tour grave et enjouée, intervenait à chaque instant dans la dispute pour la soutenir, la diriger, quelquefois la passionner. Sa verve intarissable, son érudition étincelante, faisaient la suite, et, si j’ose le dire, la trame de ces belles argumentations. Il y portait un mélange singulier d’agrément et d’austérité, un tact exquis, une manière de louer et de blâmer si fine, si juste, si heureuse, que même ses sévérités les plus vives étaient respectueusement acceptées. De tels actes publics pouvaient durer six heures sans que l’on s’en fatiguât. On sortait de ces brillantes séances vivement excité aux travaux solides ; c’était là pour la jeunesse studieuse la meilleure des écoles.

La fermeté de M. Le Clerc pour maintenir les droits et les libertés du corps enseignant égalait son zèle pour conserver la force des études. Dans le conseil académique de Paris, dans le conseil général de l’instruction publique, ses vues furent toujours sages et libérales. En 1848, sans toucher à la politique ni profiter en rien d’une révolution qu’il n’avait certes pas appelée, il évita l’esprit de réaction, accueillit les espérances du temps. Un jour qu’un de ses confrères à l’Institut s’exprimait sur les questions brûlantes avec beaucoup de violence : « Vous venez de prouver, cher confrère, lui dit-il, qu’on peut être honnête sans être modéré. » Il se montra sympathique aux efforts de quelques jeunes écrivains de l’Université qui, dans un recueil appelé la Liberté de penser, eurent le courage d’exprimer des opinions sincères avec beaucoup de franchise. M. Le Clerc fut peut-être le seul homme chez qui la révolution de 1848 ne laissa aucune trace, qui se retrouva le lendemain ce qu’il avait été la veille. La même chose était arrivée à M. Daunou, lequel sortit des prisons de la terreur aussi ferme, aussi confiant dans les principes qu’il l’était en 1789. Quand vint le triomphe complet de la réaction, M. Le Clerc résista de toute sa force, défendit les jeunes gens qui s’étaient compromis et ne négligea rien pour contre-balancer les efforts systématiques que l’on fit pour détruire l’Université. Un homme de moindre autorité eût été emporté par la force des temps. M. Le Clerc ne recula pas ; on le respecta, et au milieu de l’abaissement général la Sorbonne resta ce qu’elle avait été auparavant. S’il ne se fit pas plus de mal en ces années funestes, c’est en grande partie à M. Le Clerc qu’on le doit. Il s’exprimait sur la nouvelle loi de l’instruction publique de la manière la plus vive ; il la regardait comme la destruction des études, et ne cessa de protester que quand le mal eut été en partie réparé.

Il allait ainsi vers la vieillesse, soutenu par ses nobles études, entouré d’anciens amis, M. Hallays, M. Viguier, et d’une jeunesse laborieuse qui cherchait à réjouir ses dernières années. Il suivait avec une sollicitude paternelle ceux qu’il avait choisis ; leurs succès étaient les siens. A l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres en particulier, il voulait des jeunes gens ; il pensait que les académies ne doivent pas être des sénats servant de retraite aux savans émérites, et que l’Académie des Inscriptions, cumulant le double héritage de l’ancienne Académie et des bénédictins, le doit moins qu’aucune autre. Son autorité dans la compagnie était de premier ordre ; nulle parole n’était plus écoutée que la sienne. Par son influence dans les élections, par les sujets de prix qu’il fît proposer et qui presque tous se rapportaient à ses études favorites, il laissa dans ce grand corps un souvenir qui ne s’effacera pas.

Ce qui caractérisa M. Le Clerc, ce fut la faculté de s’améliorer sans cesse. Il fut continuellement en progrès sur lui-même, ses idées s’élargissaient chaque jour. Les préjugés qu’il avait puisés dans sa première éducation contre la critique allemande s’étaient presque effacés. Ses études approfondies sur les poèmes et les chroniques du moyen âge lui avaient fait comprendre l’essence de l’histoire populaire. Dans certaines questions, surtout en celles qui touchent à l’authenticité des ouvrages anciens, il n’abandonna jamais tout à fait les habitudes un peu confiantes de notre vieille école ; mais la bonne foi, l’amour de la vérité, l’amenèrent, en ses derniers temps, à rendre justice au génie critique de l’Allemagne et aux patientes recherches que les universités des pays germaniques ont portées dans toutes les branches du savoir[2]. Ce fut surtout en trouvant les savans allemands si zélés pour notre vieille littérature du moyen âge, si empressés à reconnaître sa priorité, si dégagés de ces partis de vanité nationale qui l’avaient choqué chez les Italiens, chez les Espagnols, qu’il rendit les armes et reconnut la justesse de leurs méthodes. Cela était d’autant plus méritoire que les opinions universitaires étaient, si l’on ose ainsi dire, sa religion ; les abandonner dut être pour lui le plus difficile des sacrifices : il le fit à la vérité.

Il pratiquait une tolérance absolue. Sa philosophie était celle de ses auteurs favoris, celle de Cicéron tempérée par celle de Montaigne : il était sceptique, non-seulement à l’égard de la religion révélée, mais à l’égard de toute philosophie dogmatique. Il ne s’interdisait pas de sourire discrètement de l’espèce d’orthodoxie philosophique que M. Cousin, dans la deuxième moitié de sa vie, essaya de fonder. Dans les thèses philosophiques, il accueillait volontiers par quelque léger sarcasme les prétentions intempérantes des jeunes gens à démontrer l’indémontrable ; mais la sincérité touchante de M. Damiron, sa vie si pure, le frappaient de respect. Les jeunes ecclésiastiques, d’un autre côté, trouvaient chez lui la réception la plus empressée. Un moment, quand il put espérer que l’école des Carmes, sous la direction de l’abbé Cruice, renfermait un germe de bonnes études, il encouragea les efforts qui s’y faisaient. Un de ses amis les plus chers était Ozanam ; il ne partageait pas ses convictions religieuses, mais il aimait son goût pour les lettres, sa chaleur de cœur, sa belle imagination. Le ferme jugement, la solide connaissance de l’antiquité et la droiture de M. Havet obtenaient de lui la même sympathie.

La vie de famille se borna pour lui au culte de sa mère. Déjà parvenu à la vieillesse, il avait pour elle la respectueuse obéissance d’un enfant. Sa bonne et fidèle nature semblait le destiner à d’autres affections et à d’autres devoirs. Sous les préoccupations de l’érudit passionné, il put dissimuler, plus d’un regret ; mais il eût cru trahir sa mère en contractant des liens en dehors d’elle. Pour elle, il dérogea même à ses habitudes les plus chères ; il quitta sa Sorbonne et acheta une maison de campagne au Plessis-Gassot, près d’Écouen. Après la mort de Mme Le Clerc, il donna la maison à la commune pour servir d’école. Hélas ! il avait compté sans « cette administration que l’Europe nous envie. » Pour accomplir cette donation, il eut à traverser tant d’enquêtes, de papiers de justice, de formalités, qu’il eut peine à en sortir.

Sa vie était d’une extrême sobriété, ses mœurs furent toujours d’une pureté austère. Logé sous les combles de la Sorbonne, il habitait en quelque sorte au milieu des livres, qui débordaient de toutes parts. Cette belle cour, avec ses majestueux pavillons et ses nobles portiques, ces vieux escaliers avec leurs rampes formées de poutres massives qu’ont foulés tant de graves et laborieuses générations, étaient pour lui l’univers. Ennemi de tous les changemens matériels, il contribua beaucoup à en écarter le marteau destructeur. Il n’allait pas dans le monde, le commerce de l’antiquité lui suffisait ; ses sorties se bornaient à se promener seul dans quelque allée du Luxembourg. Il quittait le moins possible sa solitude, peuplée par les souvenirs de tous les âges et embellie par les fleurs les plus exquises de toute littérature. On respirait en montant chez lui l’étude et la gravité. Sa porte était ouverte à tous ; sa figure sérieuse, qui paraissait ressuscitée d’un autre siècle, eût bientôt écarté l’importun et l’oisif. Au premier coup d’œil, il pouvait sembler sévère ; mais quiconque aimait l’étude le trouvait bientôt plein d’aménité, de bonhomie et de finesse.

Il fut le dernier des sages à l’ancienne manière, et plaise au ciel que ceux qui souriront de tant de simplicité nous fassent une France comme celle de ces pédans d’autrefois ! Son désintéressement allait jusqu’aux attentions les plus délicates. Il ne mettait pas de bornes à sa charité. Outre la somme considérable qu’il remettait chaque année au curé de Saint-Étienne-du-Mont, sa domestique avait ordre de ne refuser aucun mendiant. Plusieurs pauvres honteux du quartier vivaient de ses aumônes. Ses amis furent plus d’une fois chargés par lui de porter à des misères cachées des secours dont l’origine devait toujours rester inconnue.

Son patriotisme était profond ; c’était, à vrai dire, sa seule passion. Il n’entrait pas dans les divisions de partis. Tout gouvernement établi était à ses yeux légitime dès qu’il faisait le bien. Un jour qu’on parlait devant lui des sermens de fidélité : « Ah ! quand donc, dit-il, aurons-nous aussi un gouvernement qui nous soit fidèle ? » Son bonheur était de contribuer à la gloire de la France. Sous le vieillard de soixante-dix ans, on sentait encore l’enfant reconnaissant pour la société qui l’avait élevé, lui avait donné des titres de noblesse et une tradition à continuer.

Les premières atteintes de la vieillesse vinrent pour M. Le Clerc vers 1857. Une attaque de diplopie inspira dès lors à ses amis certaines inquiétudes. Quelques parties de son grand discours sur le XIVe siècle n’étaient encore qu’ébauchées. Il craignit un moment de ne pouvoir le terminer, et prit des mesures avec le plus jeune de ses confrères pour que, s’il venait à mourir, l’ouvrage fût achevé et publié dans l’esprit qui avait présidé à sa rédaction. Le discours parut au commencement de 1863. Ce fut pour M. Le Clerc un moment de vive satisfaction. Il eut même encore le temps de revoir ce grand ouvrage et d’en faire une édition séparée, hors de la collection de l’Académie[3]. Le travail de cette révision le fatigua beaucoup ; il n’y survécut que deux mois. Le vendredi, 27 octobre 1865, il assista pour la dernière fois à la commission de l’Histoire littéraire, il lut sa notice sur Guillaume de Nangis. Quelques jours-après, il fut frappé chez son libraire d’un coup subit dont l’extrême gravité ne tarda pas à être reconnue. Il garda néanmoins presque toute sa conscience, exprima le désir que M. Hauréau lui succédât dans la commission de l’Histoire littéraire, comme membre et comme éditeur, et fit prier M. le ministre de l’instruction publique de venir recevoir de lui quelques indications et quelques papiers qu’il jugeait utiles pour le bien de l’enseignement public. Il expira le 12 novembre 1865, âgé de soixante-seize ans.

L’amitié et la reconnaissance dictèrent ses dernières volontés. Il légua toute sa fortune à l’associé et au continuateur de celui à qui il devait son éducation. La suite montra combien il avait bien placé ses sympathies. M. Hallays-Dabot fit don à la bibliothèque de la Sorbonne de la bibliothèque de son savant ami. Grâce aux sages mesures prises par M. Léon Renier, bibliothécaire de l’Université, cette précieuse collection aura son catalogue distinct et restera ainsi un trésor pour l’histoire littéraire. Par une décision de M. le ministre de l’instruction publique, l’appartement de l’illustre doyen a été rattaché au local de la même bibliothèque, sous le nom de Salles Victor Le Clerc. Son image, déjà placée au milieu des jeunes gens laborieux qui fréquentent ce lieu d’étude, présidera à leurs travaux et sera pour eux un encouragement à bien faire. Qu’ils ne# s’attendent pas toutefois aux récompenses de cette vie heureuse et honorée. L’âge d’or des bons esprits est passé ; notre siècle dur et borné n’accueille guère que ceux qui l’amusent, le flattent ou le trompent. L’obligation ou l’état se trouvera de plus en plus de n’appeler à ses fonctions que des hommes contre lesquels personne n’ait d’objection, c’est-à-dire des hommes médiocres, changera tout à fait la situation de ceux qui se vouent aux travaux de l’esprit avec l’amour pur de la vérité. Il est vrai que, quand on a cet amour, on se console facilement de n’avoir pas d’autre récompense.


ERNEST RENAN.

  1. La Mort de Rotrou, poème ; la Mort de Rotrou, chant lyrique ; Brennus ou les Destinées de Rome, dithyrambe ; diverses pièces dans le Lycée français, 1819-1820.
  2. Voyez sur ce point et sur bien d’autres l’excellent éloge de M. Le Clerc prononcé par M. Guigniaut, dans la séance du 3 août 1866 de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.
  3. Deux volumes grand in-8o, chez Lévy frères.