Un Concours pour Charenton




UN CONCOURS

POUR

CHARENTON











UN CONCOURS
pour
CHARENTON




La grande cour de l’hospice. — Au fond, un banc de pierre. — Les fous vont devisant sous les marronniers. — Deux heures sonnent à l’horloge du directeur.

Scène PREMIÈRE


un fou, venant par le fond.

Mes amis, mes chers amis, je vous apporte une fâcheuse nouvelle : notre pauvre Ladislas est guéri et quitte l’établissement.

les fous, accourant.

Ladislas guéri ! Est-il possible ?

le fou.

Oui, messieurs, Ladislas guéri de la façon la plus complète, guéri sans rémission, guéri sans espoir de rechute ; vous m’en voyez aux larmes ! C’était un si beau toqué ! Hier encore ; il était là dans cette cour, — extravaguant comme pas un, — divaguant comme vous tous ensemble, — tirant la langue aux gardiens, — tantôt à quatre pattes, tantôt les jambes en l’air, — aujourd’hui gai comme une noce, demain plus triste qu’un enterrement. Oh ! les affreux tordions ! Oh ! les joyeuses grimaces, et quel drôle de pistolet cela faisait ! Vous souvient-il de la nuit où on alla le dénicher à la plus haute cime de ces arbres, — alors qu’il voulait décrocher la grande ourse pour en faire une résille à ses affreux cheveux rouges ? et cette fameuse semaine où, pendant quatre jours et très-sérieusement, il se crut une des nièces du cardinal Mazarin ! Avec quelle bonhomie il nous priait, en rougissant, de ne pas regarder quand il quittait ses chausses ; et quelle noble giffle il allongea à ce gardien mal appris, assez indiscret pour jeter un regard sur la correspondance amoureuse qu’il avait avec Louis XIV ! (Rires dans la foule.) Dire que nous le perdons aujourd’hui et pour toujours ! Pauvre ami ! pauvre Ladislas !

les fous, d’un ton lugubre.

Pauvre Ladislas !

le fou
.

À cette heure, il n’est déjà plus des nôtres ; les médecins ont signé son laissez-passer, et M. le directeur vient de le recommander au conducteur chargé de le ramener dans sa famille. Il va rentrer dans la vie raisonnable et sérieuse. Adieu cette douce oisiveté qu’il avait au milieu de nous ! Adieu le pain frais et la couchette en fer ! Adieu ce cher cabanon aux murs blancs, où l’on rêve en liberté, le nez au ciel, les mains aux poches ! Adieu ces beaux jardins de la fantaisie, où l’on s’égare à travers les plates-bandes et les roses mousseuses ! Adieu les gambades, la vie de joyeuse paresse, les francs rires et les bonnes tristesses ! On a coupé les ailes à cet ange, et pouf ! le voilà retombé dans le monde réel des pieds-bots et des culs-de-jatte. Ladislas est mort ! Ladislas est mort ! (Chanté.) Nous n’irons plus au bois ; les lauriers sont coupés. — Adieu, pauvre Ladislas !

les fous, sanglotant.

Ladislas est mort ! Adieu, Ladislas !

(Passe Ladislas dans le fond, — confus et la tête basse. Il marche entre deux gardiens qui le reconduisent poliment jusqu’aux portes de l’hospice.)


Scène II


le fou, d’un air fort gai.

Or çà, messieurs, ne croyez pas que tout s’arrête ici, et que je vous laisse à cette heure vous occuper de vos plaisirs et vaquer à vos distractions. Nenni ! nenni ! nous avons d’autres hannetons à fouetter pour l’instant. Ouvrez l’oreille, je vous prie, et fermez la bouche, je vais parler. (À un fou qui le mord jusqu’au sang :) Mon cher Toby, abstenez-vous d’enfoncer vos crocs dans mon épiderme ; c’est une charmante fantaisie, et je la conçois, mais c’est gênant pour l’orateur. Donc, seigneurs de Charenton, il s’agit de savoir quel sera le nouvel hôte du cabanon Ladislas.

les fous

Tiens ! au fait, le cabanon Ladislas ?

le fou

M. le directeur a reçu du dehors plusieurs demandes à ce sujet ; mais comme il n’y a qu’une place pour tous ces pétitionnaires, il nous laisse le soin de juger qui sera le plus digne de l’occuper. Remarquez, je vous prie, que votre état est le plus doux du monde, comme il est dit chez le docteur Erasme, et qu’un cabanon est la plus jolie retraite pour un homme d’esprit ; à preuve il signor Torquato Tasso qui voulut y finir ses jours. Ici l’on vit isolé du monde, de ses embûches, de ses tentations : pas de femmes ! point de journaux ! point de politique ! pas d’abus ! Sans travail et sans fatigue, on est toujours assuré du pain et du beurre quotidiens ; on ne tient nul compte du qu’en pensera-t-on et des absurdes convenances de la vie. Si nous rions des lubies de nos voisins, c’est toujours en cachette, et nous nous prêtons à leurs jeux très-sérieusement et de bon cœur. Chez nous, toutes les fantaisies ont droit d’asile et de respect ; faire à sa guise, voilà la loi de notre maison. Des hommes éclairés vous entourent et sont là pour empêcher tout accident dans l’accomplissement de vos fantaisies : jetez-vous par les croisées, vous tombez dans les bras moelleux d’un gardien ; plongez dans le grand bassin, on vous repêche sur le coup ; si le désir vous vient de vous pendre un peu, quelqu’un est toujours là pour délier la corde ; toutes choses qu’on ne fait pas dans l’autre monde. Pour finir, nous sommes très-heureux.

voix et trépignements dans la foule.

Très-heureux, très-heureux ! — Bravo l’orateur ! — Vive Charenton ! — Restez donc tranquille, mon pauvre Toby, vous me faites mal !

le fou

Donc, messieurs, nous allons nous ériger en tribunal et trier, comme en Sorbonne, les candidats dignes de figurer au milieu de nous et de participer à notre bonheur. Je choisis, pour former le tribunal à cette session, les quatre plus beaux toqués de la maison : le Coucou, l’ante christ, le duc de Guise et le Fleuve des Amazones. Je suis fier d’avouer, amis, que le choix était difficile dans ce bouquet de têtes extravagantes. (Satisfaction générale.) Les autres pensionnaires assisteront à l’examen, dont je m’institue président. Le vice-roi des Indes sera notre huissier, et ce banc notre tribunal. — MM. les examinateurs s’allongeront à mes pieds dans une pose servile, et n’ouvriront jamais la bouche. Hip ! hip ! hurrah ! frappez les trois coups : vice-roi des Indes, introduisez les candidats.


Scène III


Entrent un amoureux, un musicien, un poëte, un boursier, un savant, un homme arrivé. — Un petit rentier vient ensuite, se débattant entre deux fous.
le président, au rentier qui veut parler.

Patience mon ami, votre tour viendra ! — En commençant, je ne saurais recommander à messieurs du tribunal assez de discernement et de sévérité ; quant à vous, candidats, soyez clairs et brefs ; ne bégayez pas en parlant et tâchez de ne pas vous fourrer les doigts dans le nez, comme il se pratique dans tous les examens. — Approchez, jeune homme, et dites-nous vos titres d’admission.

l’amoureux, s’avançant.

Je suis amoureux, monsieur. (Hilarité générale.)

le président, avec un sourire

Donnez quelques détails au tribunal.

l’amoureux

Je suis amoureux, messieurs, d’une femme à qui je n’ai parlé et ne parlerai sans doute de ma vie. Je ne l’ai vue qu’une fois, à la fenêtre d’un wagon, dans un train express qui croisait le train où je me trouvais, et depuis… j’en suis fou. (Signe de sympathie dans le public.) Je passe mes jours à songer à elle et mes nuits à en rêver ; je ne sais plus travailler et suis tombé dans une affreuse misère. J’ai l’habitude de pleurer sans cesse, mais cette dernière consolation m’est refusée : les voisins d’à côté, des curieux ou des bonnes gens, sont toujours à cogner à ma porte pour connaître mon mal ou le calmer. J’ouvre parfois ma fenêtre pour éteindre à la brise nocturne les ardeurs de mon sang ; les voisines d’en face, dont la pudeur a des yeux de lynx, m’ont fait signifier l’ordre détenir ma croisée fermée. Quand je vais par les rues, pâle et désespéré, les sergents de ville me suivent dans la crainte d’un mauvais coup. J’ai des élans de joie ou de douleur qui troublent la solennité ou la tranquillité des lieux où je me trouve ; bref, le monde me gène et je le gène. Ici, du moins, j’aurai le pain et le lit assurés. Je pourrai crier, appeler, hurler, déchirer ma poitrine, arracher mes cheveux, me rouler sur le sol, sans que personne m’arrête, rêver sans que personne me trouble, pleurer sans que personne me console ! (Il pleure, tout le monde pleure.)

le président, essuyant ses yeux.

Allez, malheureux jeune homme, votre affaire est entendue, le tribunal décidera. (Au petit rentier qui veut parler.) Mon cher ami, si vous continuez, je vous fais bâillonner.

le poète, s’approchant :
I

Socrate prétend qu’ab ovo
L’homme porte dans le cerveau
Un tout petit grain de folie,
Et je trouve, en y songeant bien,
Que, pour nous venir d’un païen,
La maxime est assez jolie.

II

Pour ma part, j’ai souvent cherché
Quel était le démon caché
Qui me torturait la cervelle ;
Socrate a mis mon crâne a nu,
Et mon mal, longtemps inconnu,
C’est un Grec qui me le révèle.

les fous

Que dit-il ? Que dit-il ?

le vice-roi des Indes.

Au nom du dieu Vichnou, faites silence, tas de peuples !

le poète.

Vous voyez en moi, messieurs, un grand poëte, l’auteur des Chansons d’un Fou, où je prouve comme quoi

Raphaël, le Dante, Fiésole,
Grands artistes, grands écrivains,
Tous ont été des fous divins,
Tous ont porté la camisole.

le président.

Un poëte ! Un de ces hommes qui passent leur vie à trouver des syllabes ayant une même consonnance, des phrases qui n’aient qu’un certain nombre de mots, des mots n’ayant qu’un nombre fixé de lettres. — C’est cela, n’est-ce pas ? — Bien ! fort bien ! — Une lubie comme une autre. — Avez-vous d’autres titres à la sympathie du tribunal ?

le poète.

Que vous dirai-je, messieurs ! Je crois que mieux que personne je suis né pour Charenton ; excentrique d’idées et de gestes, mon existence ne ressemble en rien à celle du vulgaire ; je vais par la vie à cheval sur une chimère, un oiseau bleu dans chaque poche ; je cours les rues grimaçant, gesticulant, composant. J’ai des attaques d’épilepsie ou d’enthousiasme à chaque heure du jour. Les relations sociales m’assomment : je rêve aux étoiles, — ce qui est de votre état ; — je parle tout seul et très-haut, — comme on fait chez vous ; — mes chausses sont trouées, mes ressources usées ; chacun me montre au doigt et me parle avec un sourire de pitié railleuse. Les plus bienveillants me traitent d’insensé ; mais, ma foi, je m’en moque ; c’est un titre qui en vaut un autre.

Pas de fausse pudeur, allons !
Portons hardiment ces galons
Que personne ne nous dénie,
Et disons, sans plus de chagrin :
Il s’en faut peut-être d’un grain
Que je sois un fou de génie.

Je demande un cabanon ! (Applaudissements de la foule.)

le fleuve des amazones

De ma source à mon embouchure, sur mes flots ou le long de mes rives, je n’ai jamais vu un…

le président

À d’autres, messieurs les candidats. (Au vice-roi en lui désignant le petit rentier.) Que Votre Majesté se charge de cet homme et le fasse taire ! — En place, messieurs ! — Qui êtes-vous, mon petit ami ?

le musicien, fredonnant.

La fa ré mi la si do ré, je m’occupe de musique, si si ut mi, on m’empêche de chanter, mi sol ut, de chanter, et comme c’est une habitude, do ré fa si, que j’ai prise, la la si si ut ut re re, je me réfugie auprès de vous, sol sol do do. — Connaissez-vous ma grande sonate en la ? Je vais vous la dire : Broum, broum, froum ! (Rires universels.)

le président

Voilà un malheureux dans un bien triste état.

le coucou.

De mémoire d’oiseau, coucou ! coucou ! je n’ai jamais, coucou ! coucou ! vu son pareil ! coucou !

le savant, s’approchant.

Moi, monsieur, je m’occupe de science.

le président.

Un savant ? fort bien ; je vous félicite, mon petit homme, vous avez eu de fiers toqués dans votre partie. On m’a parlé d’un savant passant trente années de sa vie dans une balance, afin de connaître les lois de là pondération. Êtes-vous de cet acabit ?

le savant

Je suis un grand chimiste, couronné par toutes les académies ; je passe mes jours et mes nuits, penché sur des creusets et des alambics, à m’empoisonner en détail pour l’amour de la science ; je me suis quatre fois bridé la figure, dix fois roussi les cheveux ; je mets le feu chez moi tous les jours régulièrement ; en fin de compte, ma famille, mes amis, la police s’opposent à mes expériences à cause de quelques misérables distractions qui me caractérisent ; et, ma foi ! je viens chercher ici un laboratoire et la vie indépendante. (Les fous le considèrent avec effroi.)

le duc de guise

Par ma balafre ! messeigneurs de France, voilà un homme dangereux, et je prop…

le président

Il suffit, monsieur le savant ! Voici, messieurs, un nouveau candidat qui me paraît mériter toute notre attention. — Quel singulier bonhomme ! Mouvements nerveux, gestes saccadés, tout d’une pièce, le col droit, il m’a l’air d’être en bois et à ressorts : crac ! il ouvre la bouche ! crac ! il élève le bras ! Il va parler : attention !

le boursier

Trente-cinq Strasbourg !… Vingt-deux Orléans !… Qui veut des Strasbourg, bourg, bourg, bourg… (Les fous hochent la tête d’un air de pitié.)

le président

Ne le contrarions pas, il est peut-être méchant. (Haut.) Oui, mon ami, des Strasbourg, bourg, bourg, je conçois, je conçois ; mais parlons raison un instant. Vous désirez habiter Charenton, n’est-ce pas ? On gêne vos habitudes au dehors, hein ?

le boursier

Qui veut des Mulhouse à terme… 32 40… prime, report, report, prime… prime… prime… report… report…

le président.

Sans doute, sans doute ; mais encore faut-il savoir si…

le boursier.

Si mes valeurs sont bonnes ? Excellentes, mon cher, excellentes. Prenez mes Strasbourg.

le président.

Impossible d’en tirer un mot : qu’on l’emmène et qu’on le surveille !

l’antéchrist.

En vérité, je vous le dis, amen, amen, dico vobis, je crois que…

le président

À vous, monsieur, quelle est votre maladie… pardon ! votre profession ?

l’homme arrivé

J’ai quarante ans, un nom et une position dans le monde, deux ordres étrangers sur la poitrine, mes entrées un peu partout. En deux mots, je suis ce qu’on appelle un homme arrivé. Pour acheter ce titre, vous ne sauriez croire toutes les privations que je me suis imposées, tous les amis que j’ai sacrifiés, toutes les joies que je me suis interdites. Depuis vingt ans, je n’ai pas été moi-même pendant une heure. Toujours le sourire postiche aux dents, l’air compassé, l’échine basse, la bouche close, le cœur et le visage aussi ; je suis le Masque de fer du dix-neuvième siècle, le martyr des convenances sociales et de mon ambition. Je suis l’homme arrivé ; arrivé à quoi ?… à regretter cette jeunesse dont je n’ai jamais usé, ce beau temps que j’ai perdu, ce sang généreux et vermeil que j’ai laissé moisir dans mes veines ! — Aujourd’hui, mon masque me pèse, — ma gourme me travaille ; toutes les folies humaines, l’amour, la fougue, la jeunesse, le besoin des cris sans cause, des gambades sans raison, tout cela m’est monté au cerveau. — Que je me laisse aller à ces accès de fièvre chaude dans le monde, le monde étonné me reniera et m’enverra à Charenton ; j’aime mieux y venir de plein gré. Allons, messieurs, un cabanon pour l’homme arrivé ! Un cabanon !! un cabanon !!! — Plus de gène ! Plus de contrainte ! Plus de masque ! Plus rien ! — Allez ! une gambade ! Allez ! une cabriole ! et vive la gaîté ! Houp la la, la la, lonlaire ! (Il danse en criant. — Danses et cabriolades générales des fous, du tribunal, des candidats.)

le président, faisant une gambade.

Soyons sérieux, mes amis, soyons sérieux. — Tiens ! qu’est devenu mon tribunal ? tous partis ? Le Coucou est monté sur un arbre, et chante de sa voix la plus perçante ; le Fleuve des Amazones se promène gravement, un bateau en papier sur la tête ! Pauvres garçons ! quels écervelés ! C’est égal, reprenons la séance ; — en place ! en place ! (Les fous reprennent le cercle. — On amène le petit rentier.)

le petit rentier, suffoquant de colère.

Enfin, je vais pouvoir parler !

les fous.

Oh ! là là ! La singulière tête ! Quel air bête et majestueux ! Et ce nez, et ces lunettes vertes, et cet habit bleu, et comme il se mouche, et comme il prise ! (Ils se tordent de rire.)

le rentier.

Au nom de la liberté publique, je proteste contre les lazzis dont on m’accable et les violences qu’on me fait.

les fous.

Bravo ! bravo ! L’est-il assez, mon Dieu ! l’est-il assez !

le rentier.

Voyons, monsieur le président, vous qui m’avez l’air raisonnable…

le président.

De quoi s’agit-il, mon ami ? — Vous désirez un cabanon, n’est-ce pas ?

le rentier.

Mais, sac à papier ! je ne suis pas fou et n’ai pas envie de l’être. J’étais venu au parloir pour parler à l’économe, un de mes amis, quand un de ces messieurs est venu me dire qu’on me demandait. J’ai cru avoir affaire à une personne sérieuse. Je l’ai suivie, et j’ai vu trop tard que j’étais tombé entre les mains de fous. (Hurlement de colère dans la foule.)

le président, d’un ton sec.

Sachez, l’homme, qu’il n’y a pas ici un seul fou ; vous êtes chez des fantaisistes ; mais, morbleu ! ne parlez pas de folie, ou je vous fais hallebarder par mon duc de Guise.

le rentier, effrayé.

Mais enfin, messieurs, que voulez-vous faire de moi ? — Je m’appelle Timoléon ; je suis un honnête rentier de la rue Saint-Denis ; je me lève à huit heures et me couche à dix. Après déjeuner, je vais entendre tirer le canon du Palais-Royal, en regardant jouer les enfants. Je suis électeur. Le soir, je fais mon domino avec l’adjoint. Vous voyez donc que je n’ai en moi aucun symptôme. (À un fou.) Finissez donc, monsieur, vous m’arrachez ma perruque. Je demande qu’on me rende ma liberté, ou j’appelle à l’aide.

le président.

Mes amis, assurez-vous de ce pauvre diable, et le liez fortement pendant que le tribunal va délibérer.

le rentier, effaré.

Mais cette plaisanterie est de très-mauvais goût… Vous attentez aux droits sacrés de l’homme… Messieurs, je suis père… Messieurs, ma femme va m’attendre ! Au secours !

le président.

Qu’on le bâillonne.

le rentier

Au secours ! à moi ! au sec…

le président.

Or çà, messieurs de Charenton, et vous postulants, oyez la décision du tribunal.

Article 1er. — Les folies de l’amour, de l’argent, de l’art et de l’ambition étant des maladies toutes spéciales et très-graves, qui troubleraient la paix de notre maison, les candidats l’amoureux, le poëte, le musicien, le boursier, l’homme arrivé, le savant, tous hommes d’un contact dangereux, sont déboutés de leur demande et renvoyés chez eux. Charenton contient des maniaques et des fantaisistes, mais la place des vrais fous est au dehors.

les fous.

Bravo ! bravo !

le président.

Article 2. — M. Timoléon, dit le petit rentier, nous paraissant gravement atteint, mais d’une folie douce et inoffensive, vulgairement appelée crétinisme, sera porté en triomphe dans le cabanon Ladislas, qui lui revient de droit. C’est un des gâteux les mieux réussis que j’aie jamais vus… Dixi !


(Hurlements et trépignements de joie. — Les candidats refusés s’éloignent d’un air triste. — Les fous portent en triomphe le malheureux Timoléon au cabanon Ladislas. — Le président fait la culbute sur le tribunal. — Cris, gambades, cabrioles, tableau.)


fin