Trois Filles de leur mère/Chapitre 7

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VII

« Où en étions-nous ? fit-elle. Je ne sais plus. Je me sens autrement que d’habitude. Qu’est-ce que tu m’as fait boire ?

— Mais rien.

— Tu dis rien ? quand j’ai bu ton foutre par la bouche et par le cul ? Je suis saoule. Dis-moi où j’en étais de mon histoire.

— Tu me disais qu’à treize ans tu jouissais comme une femme et qu’avec ta motte rasée tu faisais…

— Des gousses ! des gousses ! Oui, et ça m’éreintait parce que je ne savais pas me retenir. Je me rappelle une dame qui n’était pas belle, mais qui avait un coup de langue… Ah ! la vache ! Elle m’écartait à cheval au-dessus de sa figure pour ne pas en perdre une goutte. Elle me faisait jouir trois fois de suite et chaque fois elle me tirait plus de foutre que je n’en avais dans le corps. À la troisième fois, je tremblais sur mes jambes comme si elle suçait mon sang.

« Et d’ailleurs, j’avais des gousses de toutes sortes : une jeune fille anglaise, qui ne se déshabillait pas et qui se branlait en me donnant des baisers d’amour sur la fente ! Une grosse femme qui se faisait gousser sur le dos et dissimulait sa première jouissance afin de jouir deux coups pour le même prix ! Une môme de quatorze ans qui ne savait pas encore décharger et que son ami nous a fait travailler pendant une heure, à maman et à moi, et comme elle avait le chat couvert de salive, elle lui a fait croire qu’elle mouillait ! Enfin une tribade, comme on dit, qui s’habillait en homme et qui m’enculait avec un godmiché pendant que maman l’enculait avec un autre.

« Et j’étais toujours pucelle ! Il paraît que ça ne gênait personne. Maman le dit souvent que pour les putains ça ne sert à rien d’avoir un con. »

Charlotte rit elle-même de sa phrase. Son rire était si franc qu’il me fit sourire, bien que la maxime fût absurde ; mais elle prit ce sourire pour une approbation, et, se vautrant sur le lit les bras étendus, les cuisses en l’air :

« Ah ! que je suis contente, fit-elle, de me montrer telle que je suis et de tout dire, toute la nuit ! À chaque saloperie qui sort de ma bouche, il me semble que je suis plus propre, que je fais ma toilette…

— Ceux qui ont inventé la confession le savaient bien.

— Mais aussi… (et elle rit encore) à chaque saloperie que je te dis, j’ai envie d’en faire une autre.

— Ceux qui désapprouvent la confession prétendent que tu as raison.

— J’avais une copine que sa mère forçait de se confesser tous les samedis. La pauvre gosse n’a jamais pu se confesser sans se branler et elle se dépêchait vite de décharger avant de recevoir l’absolution. Sinon elle était tellement excitée par ce qu’elle venait de dire qu’elle allait se faire baiser en sortant de l’église.

— Charlotte ! tes mains sur la table ! comme on dit aux écolières.

— Mais c’est que moi aussi j’ai encore envie…

— Je t’assure que tu es folle. Retiens-toi un quart d’heure.

— Tant pis pour toi ! soupira-t-elle. Tu sais ce que tu risques d’entendre. »

Et, les mains sous la nuque, les jambes croisées, elle continua :

« À propos d’église. Au fait, je ne te l’ai pas dit, mais tu le devines bien : j’avais quatre fois plus d’enculeurs à treize ans qu’à dix. À cet âge-là j’avais “le trou du cul solide” comme dit Ricette, et maman ne me rationnait plus les coups de queue comme auparavant.

« Je dois tout à maman, même le caractère que tu me vois et je n’avais que treize ans quand elle me l’a donné. Il paraît que je pleurais trop ; ça m’abîmait les yeux ; et puis ça inquiétait maman ; elle avait peur que je me fiche par la fenêtre. Alors elle m’a appris… »

Charlotte s’interrompit et changea de posture :

« Elle est épatante, maman. En huit jours elle m’a fait un caractère nouveau comme elle m’aurait fait une nouvelle robe.

« Pendant une semaine, elle a couché seule avec moi, ne recevant les michés que dans l’après-midi. Elle m’a dit que j’étais assez grande pour tout savoir puisque je déchargeais comme une femme ; et qu’à mon âge c’était ridicule de n’avoir pas d’instincts vicieux ; et qu’elle voulait me donner au moins un vice, mais qui me servirait toute ma vie.

« Comment s’y est-elle prise ? Elle jouait avec moi (on est si gosse, à treize ans !). Elle me branlait en me traitant de tous les noms que tu ne donnerais pas aux raccrocheuses de matelots qui pissent dans la main d’un homme pour un sou. Et comme mon plus grand plaisir était de me faire branler par maman, les mots qui me dégoûtaient ont fini par m’exciter. Les mots et les choses. Je ne t’en dis pas plus ; mais tu ne perds rien pour attendre. Je recommencerai tout à l’heure.

« Donc, à propos d’église… (nous en sommes loin !) un de mes amants eut cette année-là une fantaisie : celle de m’enculer dans une église de campagne. Devines-tu pourquoi ?

— Parce que tu étais pieuse ?

— Justement. Il a su que je faisais tous les jours une prière à la Sainte Vierge et que j’entrais souvent à l’église comme ça, pour rien, pour dire une petite prière. Alors, il m’a proposé… Et, toute pieuse que j’étais, j’ai dit oui tout de suite. C’est qu’aussi… »

Elle rêva un instant.

« C’est qu’aussi, mes prières, tu sais… Je lui disais tout à la Sainte Vierge, comme à toi. »

Je ne pus m’empêcher de sourire à cette phrase.

« Alors, poursuivit-elle, la Sainte Vierge savait bien que je me faisais enculer depuis l’âge de huit ans, puisque je lui demandais tous les jours de me protéger par là comme par la bouche, de choisir mes amants, mes gousses et de me faire jouir autant, aussi fort que possible. Aussi, j’ai pensé que ça ne l’étonnerait pas, la Sainte Vierge, si elle me voyait… Un petit vicaire à qui j’ai raconté ça un soir dans mon lit m’a dit que j’avais fait ce jour-là un sacrilège épouvantable. Je ne m’en doutais guère.

« C’est même une des journées les plus gaies de ma vie. Nous sommes partis seuls en auto. Mon ami était assez jeune. En arrivant au village où il était connu, il s’est fait remettre les clefs de l’église par le bedeau, sous prétexte de montrer le monument à une jeune fille. J’avais l’air sage comme une pensionnaire. Et je n’ai guère changé, d’ailleurs. Regarde-moi. Est-ce que j’ai une tête de putain ?

— Oh ! pas du tout !

— Maman le dit toujours : “Charlotte trouverait plutôt un mari que de se faire raccrocher en tramway !” Et depuis une heure que je te demande de me traiter comme une salope, tu ne peux pas.

— Non, mademoiselle. Continuez l’histoire de vos dévotions dans cette église de campagne. Vos cheveux noirs sont les plus longs et les plus beaux du monde. Vous avez l’air d’une Madeleine.

— C’est la première fois que tu m’appelles putain ! » fit-elle en riant.

Mais je la ramenai à son récit.

« Donc, vous entrez tous deux avec les clefs de l’église. Je pense que vous fermez la porte à l’intérieur ?

— Oui. Et nous avons fait ensuite toute une scène, tant nous étions gais. Je me suis agenouillée dans la chapelle de la Vierge. Il est venu à moi : “Vous priez, mademoiselle ? — Non, monsieur, je me branle. — Et pourquoi vous branlez-vous ? — Parce que mon bouton me démange et autre chose itou que je n’ose vous dire. — Pourquoi tout cela vous démange-t-il ? — Parce que je ne peux pas me mettre à genoux sans avoir envie qu’on m’encule.” J’étais gosse ! on m’aurait fait jouer du matin au soir. Il s’est mis derrière moi ; mais les prie-Dieu d’église sont mal compris pour enculer les petites filles.

— Tu as des mots, Charlotte.

— J’avais le trou du cul trop bas. Je me suis mise alors sur une marche de l’autel où je me trouvais juste à la hauteur.

— Les marches de l’autel sont mieux comprises pour enculer les petites filles ?

— Oh ! on dirait qu’elles sont faites pour ça ! Nous étions si bien en place qu’aussitôt enculée j’ai eu envie de jouir, et j’ai tant déchargé, mais tant ! que j’ai remercié la Sainte Vierge, croyant que je lui devais mon plaisir.

« Après ça, qu’est-ce que j’allais faire du foutre que j’avais dans le cul ? Il n’y a pas de bidets dans les églises et les bénitiers sont trop hauts. C’est mal placé, vraiment, ces cuvettes-là. En soulevant au hasard le couvercle d’un prie-Dieu, j’ai trouvé un mouchoir neuf, qu’une vieille dévote avait mis là pour pleurer ses péchés le dimanche suivant. Au lieu de larmes, il a reçu mon foutre, son mouchoir et je me suis proprement torché le derrière avec. Aimerais-tu ça, de m’enculer dans une église, toi ? Je recommencerai si tu veux. »

Charlotte s’agitait. Elle remuait les jambes et devenait très rouge.

La brutalité de ses deux dernières phrases me fit comprendre qu’une nouvelle crise était proche. Le ton de son récit changea brusquement, comme son visage. Âpre, douloureuse, un peu haletante, elle reprit.

« Crois-tu que cela ne m’arrivait pas souvent de jouir pendant qu’on me fourrait une queue dans le derrière ? Tous les jours ; même avec les vieux. Et c’est grâce à maman, à elle toute seule.

« Pour mieux m’entraîner, elle s’est mise à faire du chiqué devant moi. Je m’y laissais prendre comme les hommes et je faisais comme elle mais de tout mon cœur. À treize, à quatorze ans déjà, je pouvais jouir par le cul, sans me toucher. Et plus on me limait, plus j’avais de plaisir.

« À quinze ans, j’étais toujours pucelle. Maman continuait de me raser la motte et le con, mais elle laissait pousser les poils que j’ai dans la raie des fesses. Rien ne faisait tant bander les hommes que de me voir par-devant une moniche de gosse et par-derrière un trou du cul d’enculée, avec des poils noirs autour, où tout le monde fourrait sa langue, ses doigts, sa queue et ce qu’on voulait.

« Le mardi gras, on m’a fait faire un costume d’arlequin, avec un losange qu’on pouvait relever au milieu du cul pour que je ne me déshabille pas. J’ai soupé avec sept hommes et une femme nommée Fernande, qui était à poil. Maman était là aussi. À cause de mon dernier pucelage, elle ne me laissait pas souper seule. Les sept hommes ont parié qu’ils m’enculeraient chacun trois fois et que j’aurais assez de foutre dans le derrière pour emplir une coupe de champagne ; et Fernande a parié de la boire, cette coupe-là, si on tenait le pari.

« Maman a répondu tout de suite qu’elle en avait fait autant à mon âge, que j’étais assez grande pour soutenir ça et qu’elle se chargeait bien de faire bander chaque homme trois fois s’il y en avait un qui flanchait.

« Moi, je n’avais pas été enculée plus de treize fois par jour ; mais j’étais grise, j’étais excitée, et puisque maman le voulait bien, j’ai dit : “Chiche !” en levant mon petit losange pour ouvrir mon trou du cul.

« Ça n’a l’air de rien ; mais vingt et une enculades, ça dure de une heure à quatre heures du matin. »

Charlotte, de plus en plus agitée, m’enjamba, se coucha sur moi et me dit avec une sorte de triomphe :

« Hein ! tu ne veux pas me traiter de salope ! et je…

— Non. Tais-toi ! »

Elle était dans un tel état d’exaltation qu’il fallait de toute nécessité la satisfaire ; mais, pour cela, j’aimais mieux ne pas entendre son nouvel accès de frénésie.

Pendant les quelques secondes où elle fut occupée à me faire pénétrer en elle, je pus lui maintenir ma main sur la bouche ; mais dès qu’elle se sentit accouplée solidement, elle se délivra du bâillon et ne cessa plus de frémir.

Charlotte m’enjamba.

Elle ne me toucha d’abord que des cuisses, puis frotta sur mon sexe les poils de sa vulve et se retroussa le torse en creusant les reins pour éloigner son visage. Et elle ne cessa plus de frémir.

De la tête au ventre et jusqu’au bout des doigts, elle tremblait.

Lentement, elle devint de plus en plus belle.

« La première série de sept va vite ; la seconde est lente ; la troisième n’en finit pas. Ce qui m’a le plus éreintée, c’est que j’étais dans un cabinet de restaurant où il n’y avait même pas de canapé. Trois heures la pine au cul sur le parquet ou sur la table, il y a de quoi tomber en faiblesse.

« Enfin, j’ai gagné le pari, et Fernande l’a gagné aussi… Je lui ai… rempli jusqu’aux bords… Oh ! je te le dirai jusqu’à ce que tu cries ! Voilà ce que j’ai fait à quinze ans ! Je me suis fait enculer vingt et une fois de suite et j’ai empli de foutre une coupe de champagne et je l’ai donnée à boire et je l’aurais bue… Mais qu’est-ce qu’il te faut donc que je t’avoue pour que tu m’appelles salope ? »

Elle retomba sur le lit, aussi faible et brisée que si elle venait de revivre son récit. Je crus qu’elle s’apaisait. Je répondis à voix basse :

« Rien. Tais-toi. Dors. Je vais éteindre. »

Alors elle se souleva sur un coude et reprit, mais d’un ton si calme que je la laissai parler. Je ne soupçonnais pas ce que j’allais entendre.

« Connais-tu M… (elle me le nomma) qui est… (elle me dit son titre) à Aix ? L’avant-dernière année, j’avais dix-huit ans. Il m’a prise pour la première fois un soir de juin. Je le voyais vicieux. Il avait un grand chien avec lui. Je lui ai proposé de sucer le chien.

— Charlotte !

— C’est mauvais, du foutre de chien et c’est fatigant à sucer parce qu’ils n’en finissent pas de décharger, les pauvres cabots ! mais j’étais habituée, va ! et dans le métier de putain, un lévrier vous dégoûte moins qu’un magistrat. Malheureusement, cet homme-là n’avait jamais vu son chien sucé par une fille et ça l’a tellement excité que, pendant quinze dimanches de suite, jusqu’à la fin de septembre… »

Elle s’interrompit en secouant la tête avec un soupir comme si elle perdait le souffle.

« Je te demande pardon… Écoute… Tu ne peux pas te figurer… Il avait une maison de campagne avec une basse-cour… Le dimanche, il donnait congé à ses gens, même au jardinier… Il m’emmenait… je restais seule avec lui… toujours à poil et mes cheveux sur le dos… c’était en été… Pour quoi faire ? L’amour ? Ah ! non ! pas avec une putain ! Il s’amusait le dimanche à voir une fille de dix-huit ans avaler le foutre de tous les animaux.

« En quelques jours, un charpentier lui a dressé un cadre en bois de chêne comme ceux où l’on enferme les vaches et les juments pour la saillie. Mais lui, au lieu d’y mettre la femelle, il y attachait le mâle, et quand l’étalon ou le taureau était ligoté, je passais dessous… Pour les chevaux je n’avais pas la bouche assez grande, mais avec la langue et les mains… »

Elle me vit pâlir et, obéissant encore à cette révolution astrale de son caractère qui, autour du mot « putain », passait régulièrement de la région plaintive à la zone exaltée ; elle s’anima de phrase en phrase.

« Tu le sais bien que j’ai bu du foutre de cheval et du foutre d’âne, du foutre de taureau, du foutre de chien, du foutre de cochon. Au quatrième dimanche, il m’a donné un bol où il avait branlé un animal ! et j’ai bu ! et j’ai su dire que c’était du foutre d’âne. Je connais mieux les foutres que les vins. J’ai vidé plus de couilles que de bouteilles dans ma putain de vie.

« Et c’est rien que tout ça, même du foutre de cheval, pourvu qu’on n’avale pas de travers. On se met la tête par-dessus, tu comprends ? Entre le poitrail et le membre. Comme ça on reçoit la douche sur le palais, pas dans la gorge et on ne s’étrangle pas. J’avalais tout. Après, tu peux me croire, je n’avais plus soif.

— Je t’en prie, tais-toi ! Cette histoire est pire que tout !

— Oh ! non ! ce qu’il y a de pire c’est le foutre de bouc ! Je suis pourtant courageuse quand je me branle, mais… ah ! quelle infection que ce foutre-là ! J’ai failli dégueuler, il a fallu que je crache. Alors quand mon amant… je veux dire mon miché… a vu que le premier jour ça me rendait malade, il a voulu que son bouc serve tout de même à quelque chose, et, pendant quatre ou cinq dimanches, après que j’avais sucé l’âne, le taureau, le porc et les chiens, il me faisait monter par le bouc, moi toute nue à quatre pattes dans l’herbe du jardin… Tu ne veux pas m’appeler salope ? Mais j’ai joui, tu m’écoutes ? J’ai joui pendant que le bouc m’enculait.

« Et j’ai fini par en boire, du foutre de bouc, les derniers dimanches… Écoute-moi… Regarde-moi… Je l’ai bu cinq fois, le foutre du bouc ! Pour me récompenser, son maître m’a acheté un singe qui m’enculait aussi et que je suçais comme un homme… Du vingt août à la fin de septembre ce que j’ai pu faire, tu ne le croirais pas !

« C’est alors qu’il s’est fatigué de me voir sucer le membre des mâles et qu’il a imaginé de me faire gousser les femelles. Il en avait trois : une chèvre, une génisse et une ânesse. Je leur faisais minette à genoux. Aussitôt après, il enfilait celle que j’avais léchée et il déchargeait, disant qu’il aimait mieux jouir avec une bête que de donner son foutre à une putain comme moi, mais que je pouvais le chercher avec ma langue, son foutre, dans le con de la génisse ou de l’ânesse… ou dans leurs trous du cul quand il les enculait.

— Tu délires ! tu rêves ! tu inventes !

— Sur la tête de maman, je te jure que c’est vrai ! Veux-tu la preuve ? Fais-le devant moi et je te dirai d’avance comment ça se passe. Tu sais que tu n’en sais rien. Est-ce que je le saurais, moi, si je ne l’avais pas fait cinq dimanches de suite ? Dans le con de la bête, le foutre s’enfonce, il faut le repêcher avec le doigt ; mais par le cul, il sort tout seul. La langue suffit !…

— Charlotte, je ne peux plus. Assez ! Assez !… Ne me dis plus rien ! Dors ! Couche-toi. Calme-toi !… Je ne sais comment te parler… Tu es folle, tu es belle, tu m’aimes, tu ne baises pas… Tu m’aimes et tu fais plus d’efforts pour me répugner que tu n’en ferais pour séduire personne…

— Jamais tu ne mettras plus ta bouche sur ma bouche.

— Non.

— Dis que je suis une salope.

— Non, parce que tu es belle. Roule ta beauté dans l’ordure, ce sera toujours ta beauté.

— Crie que je suis une salope quand même.

— Tu es une pauvre fille ! lui dis-je. Quoi que tu hurles contre toi, je ne crois rien, je n’entends presque rien. Tu ne m’inspires que deux instincts : du désir malgré toi ; et beaucoup, beaucoup de pitié. »

Deux instincts ? J’en éprouvais trois. Le plus faible était le désir ; le plus lourd, celui que je taisais. Ne croyez pas que ce fût le dégoût. Charlotte me donnait tant de pitié que j’en avais de reste pour couvrir de ce manteau sa vie tout entière, sa vie inconnue. Mais mon instinct le plus fort, c’était le sommeil.

Les émotions bouleversées que nous laissent les heures tragiques éblouissent nos cerveaux, nos cœurs, nos mémoires. Shakespeare seul, je crois, a écrit le mot sleepy après une scène effroyable. C’est le mot suprême. J’avais envie de dormir. De dormir. De ne pas rêver. De reculer même les songes. De dormir comme un mort.

« Je ferai tout. Je te défie de trouver quelque chose que je ne fasse pas avec toi, pour toi, sous toi. Ordonne-moi ; tu verras comme j’obéirai ! »

Elle tremblait de la tête aux pieds. Sa manie ne m’effrayait plus parce qu’elle avait cessé d’être mystérieuse ; et ce qui me frappa d’abord, c’est que Charlotte devenait de plus en plus belle à mesure que son délire augmentait.

Très grave, prenant même une expression tragique, et se tenant écartée de mon visage, pour témoigner qu’elle n’était pas digne d’un baiser, elle cessa pour un temps d’imaginer tout ce que je ne lui demandais pas ou de me laisser entendre ce qu’elle pourrait faire et (j’ai déjà dit quel instinct logique ont les esprits simples) elle reprit son élan sur la réalité.

« Tu m’encules, dit-elle. Tu m’encules pour mon plaisir, mais c’est mon métier. Une fille qui gagne sa vie avec son trou du cul, voilà ce que je suis. Qu’est-ce que c’est qu’une salope, si ce n’est pas moi ? J’ai vingt ans, je viens chez toi sans te connaître, je me mets à poil, je me branle, j’ouvre mes fesses et je te dis : “Encule-moi !” Et tu m’encules trois fois comme une putain que je suis ! Et plus tu m’encules, plus je t’aime ! »

Sur ce mot, elle retomba contre moi, la bouche à mon épaule et prit un accent plaintif.

« Je t’en supplie… Tu vois, je ne me touche pas et je vais jouir. Mais pendant que tu bandes dans mon cul, dis-moi… dis-moi… ce que tu feras tout à l’heure… dans ma bouche… je t’en supplie ! dis-le-moi quand je déchargerai… Dis-moi : “Salope ! je te… je te…” Et je te répondrai : “Oui ! oh ! oui !” »

Puis, comme si cette idée même ne suffisait plus à son exaltation, elle s’écria presque en pleurant :

« Non, je t’aime trop maintenant… Ce ne sera pas assez… Tu me le feras d’abord ! tu me le feras cette nuit ! Pour oublier les autres, je veux que tu me le fasses. Mais ensuite… demain.., tu me montreras que je suis la dernière des putains… Tu ramèneras ici une de tes amies ; tu la baiseras devant moi sans même regarder si je me branle ou si je pleure…

— Tu crois ça ?

— Et quand tu l’auras enculée, c’est elle qui me…

— Tu ne diras plus un mot ! criai-je la main sur la bouche.

— Je jouis ! je jouis ! » fit-elle entre mes doigts.

Cette fois, Charlotte, en jouissant, poussa des cris d’assassinée qui m’épouvantèrent ; puis elle tomba dans une torpeur soudaine et si profonde qu’elle s’endormit sur la place.

Pâle comme le jeune homme du Rideau cramoisi je cherchais à l’éveiller de cet évanouissement quand j’entendis frapper trois petits coups à la porte d’entrée.

J’allai ouvrir et je vis Teresa en chemise :

« Tu la coupes en morceaux ? » fit-elle avec un visage de jeune maquerelle en bonne humeur qui me choqua, me rassura, me laissa muet.

Je la conduisis dans la chambre et lui montrai le corps de sa fille. Du premier coup d’œil, elle vit les petits tremblements qui agitaient la hanche comme le flanc d’un cheval, et, sans inquiétude aucune, elle revint avec moi dans la pièce voisine en fermant la porte.

« Qu’est-ce qu’elle a ? dis-je.

— Puceau ! répondit Teresa.

— Ça c’est raide, par exemple ! J’ai vingt ans, je suis à un âge où on se laisse intimider par toutes les femmes qu’on ne connaît pas. J’ai eu depuis douze heures une femme inconnue, deux jeunes filles et une gosse, je n’en ai pas raté une…

— Non, mais penses-tu qu’on nous rate ? dit Teresa toute joviale.

— J’ai tiré six coups…

— Alors… Ça fait trois avec Charlotte. Et tu me demandes ce qu’elle a ?… Ne prends pas cet air stupéfait comme si tu allais me dire : “Je pense qu’il lui en faut davantage.”

— Merci de m’avoir soufflé.

— Je t’ai envoyé Charlotte, la dernière de mes filles, parce que c’est une compagne idéale pour les hommes fatigués.

— Merci encore.

— Tu venais d’avoir trois odalisques. Je me suis dit : “Cette bonne Charlotte le sucera : ils causeront pendant une heure et ils dormiront ensuite.” Charlotte est la douceur même. Elle est née pour dormir à côté d’un homme.

— Ah ! çà ! mais tu es aussi folle qu’elle ! car elle est folle, ta fille, folle à lier. Avec son air candide et las, elle est nymphomane, elle est onaniste, elle est masochiste à un point inouï, elle est tout ce qu’on veut en “iste” et en “mane”…

— Elle est tout ce qu’on veut comme tu dis ! fit Teresa qui se montait. On la moule comme de la pâte. Si elle est toquée cette nuit, c’est toi qui l’as rendue toquée. Est-ce que j’ai joui dans ton lit ? Est-ce que je pouvais deviner qu’en donnant mes restes à ma fille, tu allais me la foutre en chaleur ? »

D’un sourire, elle adoucit la violence de ses paroles et rentra dans la chambre à coucher.

Ôtant sa chemise qu’elle jeta sur un fauteuil, elle se coucha nue auprès de Charlotte, la prit dans ses bras, l’éveilla, et, dès ses premiers mots, je compris qu’elle savait mieux que moi ce qu’il fallait lui dire.

Charlotte ouvrit des yeux égarés. Sa mère la secoua des deux mains et lui dit avec une brusquerie aimante :

« Qu’est-ce que tu fous là, petit chameau ?

— Maman ! fit Charlotte, les bras au cou, et avec une voix d’enfant.

— Crois-tu que tu peux m’embrasser avec cette bouche de putain ? Qu’est-ce que tu viens de faire ? Ta langue sent le foutre.

— J’en ai bu ! dit Charlotte en faisant les doux yeux.

— Saloperie que tu es ! Pourquoi ne couches-tu pas chez ta mère ? Pourquoi est-ce que je te trouve à poil à trois heures du matin dans le lit d’un jeune homme que tu ne connais pas ? Qu’est-ce que tu mérites ? »

Assis au pied du lit, j’écoutais ce dialogue avec une sorte d’ahurissement.

Faut-il rappeler ici que j’avais vingt ans et Charlotte aussi. Qu’une jeune fille de vingt ans domine comme il lui plaît un jeune homme de son âge ? Et sous mes yeux je voyais gronder Charlotte comme une petite fille !… Et cette Charlotte qui luttait dans mes bras quand je la traitais en femme, trouvait tout naturel que sa mère lui parlât comme à une enfant de sept ans ?

Teresa me jeta un regard qui signifiait :

« Veuillez garder le silence ! » ou peut-être « Fous-moi la paix ! » Le vocabulaire des regards est assez incertain. Puis elle reprit :

« Qu’est-ce que tu es venue foutre ici ? Réponds !

— Je suis venue me faire enculer, soupira Charlotte.

— Et il a bien voulu enculer une putain comme toi ?

— Il ne veut pas que je sois une putain, dit-elle vivement, les yeux fermés. La première fois il m’a enculée pendant que je me branlais, il a joui dans mon cul. La seconde fois, j’ai déchargé plus vite que lui ; alors j’ai retiré la pine de mon cul, je l’ai mise dans ma bouche…

— Quelle salope !

— Oh ! pas assez ! fit Charlotte avec une torsion du corps qui m’effraya. Je lui ai demandé de me… (et elle parla si bas que je n’entendis rien). Et quand il m’a enculée la troisième fois je ne me touchais pas, j’étais excitée, j’avais envie de jouir par le cul et je voulais qu’il me dise ça quand je déchargerais…

— Tu n’as pas honte ?

— Si, j’ai honte. Mais j’ai envie qu’il me le fasse. Et il est plus vache que moi ; il n’a jamais voulu le faire, ni le dire, ni rien ! rien ! rien ! »

Alors, comme une infirmière ou une religieuse parle au chevet d’une malade qui n’entend pas, Teresa me dit tout haut et sans aucun étonnement :

« Elle a encore besoin qu’on la branle. »

Toute nue, la mère de Charlotte se leva, sortit, entra chez elle et revint aussitôt portant un objet enveloppé de papier.

Puis, avec l’autorité d’une belle-mère qui soigne sa fille devant son gendre, elle me dit :

« Laisse-moi faire maintenant. On ne te demande rien. Tu as tiré six coups ; repose-toi, et reste au pied du lit. »

Teresa ne m’avait pas inutilement prévenu ; car le dialogue se haussa d’un ton dès les premiers mots.

De sa voix tremblante et plaintive que je n’entendais plus sans frisson, Charlotte gémit en se tirant les chairs :

« Regarde, maman, ce qui me sort par le trou du cul. J’ai la raie des fesses pleine de foutre, et il ne veut pas dire que je suis une putain.

— C’est que tu n’en as pas fait assez.

— Mais c’est lui ! Moi je ferais tout.

— Il ne sait pas que tu es la dernière des salopes.

— Oh ! tu me le dis et tu me branles… Il n’y a que toi qui me comprennes, maman ! Il n’y a que toi ! »

Tout ce qui précédait m’avait fait croire que Teresa entendait branler sa fille pour la soulager ; mais je n’étais pas si novice que l’Italienne le voulait dire, et, sans rien laisser paraître de ma surprise, je vis à n’en pas douter que tout au contraire elle ne masturbait la pauvre Charlotte que pour la remettre en folie. Les jeunes filles m’ont déjà compris. Expliquons à d’autres lecteurs qu’au lieu de hâter le spasme elle le retardait indéfiniment, en le faisant espérer d’un instant à l’autre.

Et cette manœuvre m’étonna plus que toute la scène précédente ; si bien que je ne compris plus rien à ce qui se passait et que je devins curieux de savoir où Teresa voulait en venir.

« Montre-lui, disait Charlotte en haletant, montre-lui que je suis la dernière des salopes. Tu me l’as dit que j’ai une bouche de putain et que ma langue sent le foutre. Dis-moi de la lui fourrer dans le derrière, ma langue ! ou à toi devant lui, puisqu’il ne veut pas ! mais toute ma langue ! toute ma langue dans le trou !

— Tu serais contente ?

— Oh ! oui !… Et autre chose… Je voudrais qu’il t’aime devant moi et puis qu’il me marche dessus. Tu serais sa maîtresse et moi sa putain. Pourtant tu le vois si j’ai envie de sa queue ! mais je te mettrais moi-même sa queue dans le corps, je lui lécherais les couilles pendant qu’il t’enculerait et ensuite, je ferais… je ferais les deux choses…

— Dis ce que tu feras, dis-le tout haut.

— Je lui sucerais la queue après sans l’essuyer et tu me chieras dans la bouche le foutre que tu aurais dans le cul !… Oh ! maman !… Oh ! maman ! pourquoi est-ce que je ne jouis pas ? »

Je savais bien pourquoi, et la scène devint claire quand, d’un mouvement spontané, Charlotte se jeta la tête entre les cuisses de Teresa comme pour y chercher la source de sa propre volupté. Le mouvement était prévu, c’est évident.

« Moi, d’abord ?

— Oui, tout de suite !

— Et ça, que j’avais apporté pour toi ! »

Elle développa de son papier l’objet qu’elle avait pris chez elle : c’était un godmiché assez gros, usé, déteint.

Charlotte rit ; cet incident arrêtait une minute sa crise de nerfs ; elle se coucha devant moi, pour me dire… mais sur un tout autre ton, avec naturel et gaieté, comme si c’était la chose la plus simple du monde :

« Encule maman. »

Teresa ne protesta point.

« Encule maman, répéta Charlotte. Je lui ferai minette en même temps. Je te sucerai la queue après. J’aurai son foutre. J’aurai le tien. Je serai la plus heureuse des trois. »

Comme elle attendait ma réponse, Teresa éclata de rire et dit à sa fille :

« Regarde-moi ce grand gosse qui croise les jambes parce qu’il a tiré six coups et qu’il ne bande plus ! »

Et je n’avais encore rien dit quand Teresa elle-même fut sur moi :

« Essaye de ne pas bander sous mon ventre ! Essaye donc de ne pas bander pour mon cul ! »

J’hésitais à lui dire que la scène précédente, au lieu de me tenter, m’avait refroidi. Et je fis bien de me taire, car ma lutteuse me défiait à bon escient. Teresa ne fit presque rien pour réveiller mes sens. Elle les attira « sous son ventre » comme elle disait ; mais avec une science du contact qui me parut merveilleuse.

Sitôt que je fus en état, Charlotte reparut au comble de l’excitation. Je lui aurais fait moitié moins de plaisir en la possédant elle-même qu’en prenant sa mère devant elle.

« Ma langue la première ! dit-elle. Tiens, regarde comme j’encule maman avec ma langue, regarde !… Et mets ta queue, maintenant, je lui ouvre les fesses… Ha ! ha ! je te disais tout à l’heure que je gagnais ma vie avec mon trou du cul ; mais non, je suis encore au-dessous de ça, je suis celle qu’on prend pour lécher le derrière et pour ouvrir les fesses de la femme qu’on encule, voilà ce que je suis ! »

Puis, comme Teresa se retrouvait sur moi en ouvrant les cuisses à la bouche de sa fille, Charlotte, de plus en plus nerveuse, lui dit :

« Tu parleras, maman ? Tu parleras ? Lui, je le connais, il ne dira rien. Mais je ne pourrai pas. Alors toi… toi parle tout le temps ! Si tu te tais une seconde, je m’arrête et je me branle. »

Teresa devait être habituée à ce caprice de Charlotte, car elle ne cessa pas un instant de parler :

« Vite, ta langue ! et je te défends bien de te branler quand tu me fais minette. Et qu’est-ce qu’il te prend de m’attaquer le bouton comme ça ? Est-ce que tu veux me faire jouir en quinze secondes ? Est-ce que tu as un client qui t’attend derrière la porte et que tu n’as pas fini de sucer, dis, putain ? Ne te presse pas tant. Lèche-moi les babines. Tu reviendras au bouton quand je te le dirai. »

Elle me jeta un regard qui signifiait : « Voilà comment il faut lui parler ! » et elle continua sans interruption :

« Quelle pourriture que cette Charlotte ! Il y a des enfants qu’on nourrit au sein, avec du lait ; moi je l’ai nourrie au cul, avec du foutre, et maintenant qu’elle a vingt ans, elle me fourre encore sa langue dans le derrière. Comment une salope pareille a-t-elle pu sortir d’un chat comme le mien ?

« À qui ferait-on ce que je viens de te faire ? J’entre chez ton amant, je te le prends sous tes yeux, dans ton lit, et, pendant qu’il me fait mouiller, tu viens me lécher le cul, mais tu es au-dessous des putains. Une raccrocheuse ne ferait pas ça.

« Ainsi, tu es cocue ! et dès la première nuit ? Tu passes tes journées à te branler devant tes sœurs en pleurant que c’est malheureux d’avoir tant de michés et de se finir toute seule. Cette nuit, tu as trouvé une queue qui t’a fait jouir ! eh bien, regarde où elle est, cette queue-là, elle est dans mon cul jusqu’à la racine ; je ne t’en laisse que les couilles à lécher.

« Ta langue au bouton, maintenant, sale gousse ! mais pas si vite ! ralentis ! Il m’encule très bien, ton amant, et j’ai plus envie de jouir que lui… Qu’est-ce que tu as ? Tu penses au foutre que je vais te pisser dans la bouche, cochonne ? Et ça te fait trembler ? Si j’étais sur toi, tu verrais comme je te frotterais les poils sur le mufle pour t’apprendre à lécher un cul !… Va donc, va, tu l’auras, mon foutre… Ce n’est pas pour toi que je mouille, c’est pour la queue de ton amant qui me rend folle !… Plus fort, ta langue ! plus vite !… oui ! encore ! où tu es ! ah ! salope ! salope !… Ah ! il me branle les tétons pendant qu’il m’encule !… Et quelle putain que cette Charlotte quand elle a soif ! Est-ce toi qui lui caresses les couilles pour qu’il bande si dur jusqu’au fond ?… Ah ! petite chienne ! tu me fais jouir aussi… Tiens ! le voilà, mon foutre ! le voilà, mon foutre ! et barbouille-toi la gueule dedans, sale garce ! vache ! cochonne ! salope ! chameau ! putain ! »

Charlotte, ivre de ce qu’elle buvait, « se barbouilla la gueule dedans » selon la forte expression de sa mère, et ce qui suivit fut si rapide et j’étais moi-même tellement égaré que je ne pus rien empêcher avant de reprendre mes sens. Je voudrais avoir mal vu, mal entendu. Cela m’apparut comme une hallucination.

Après avoir perdu conscience, je rouvris les yeux et je vis d’abord Charlotte accroupie, tenant à la main… je n’ose plus terminer les phrases… Elle était triomphante ; elle était enragée ; elle criait à sa mère :

« Tu la vois ! tu la vois ! »

Et elle lécha ce qu’elle tenait ; je me souviens qu’elle le lécha de toute la longueur de sa langue avant de le sucer.

Puis elle cria plus fort en agitant ses cheveux :

« Son foutre, maman ! son foutre que tu as dans le cul ! Chie-le-moi dans la bouche devant lui pendant que je me branle et qu’il m’appelle salope quand je déchargerai !

— Devant lui ? fit Teresa.

— Oui ! oui ! devant lui ! plein ma bouche ! » dit Charlotte, les yeux hagards.

Une folle par amour est le personnage le plus tragique dont je puisse concevoir la vision. Quel est l’homme assez grossier pour ne pas frémir en lisant les chansons obscènes d’Ophélie ? Et quel autre homme ou quelle femme ne comprendrait pas pourquoi, au milieu de la scène suivante, en passant devant une glace je me vis blanc comme un linceul ?

J’essaye de rassembler mes souvenirs…

Teresa était plus inquiète de moi que de sa fille et, sans rien entendre à mes sentiments, elle me dit à voix basse :

« Allons, quoi ? T’as jamais vu ça ?… Eh bien ! maintenant tu diras que tu l’as vu… Non ? Tu n’y tiens pas ? Tu viens de jouir ?… Mais c’est pour elle, voyons ! et si elle te dégoûte, dis-le-lui, tu l’exciteras. »

L’exciter ! Mais elle était en pleine démence !

Debout, Charlotte s’était enfoncé le godmiché dans le derrière et elle l’agitait de la main gauche en se branlant de la droite par-devant, les cuisses écartées, le ventre en mouvement… comme une jeune aliénée se masturbe devant le visiteur inconnu qui ouvre la porte de son cabanon ; c’est-à-dire qu’elle se branlait directement vers moi, avec une expression mélangée d’impudence et de douleur.

J’avais vu à quinze ans… Je raconte cela pour retarder un peu la fin de cette horrible scène qui m’est pénible à écrire… J’avais vu, dans un jardin, une jeune fille se branler vers moi dans la même posture, mais gaiement et par moquerie, et je ne savais pas que c’est le geste des folles. Je le sais maintenant.

Charlotte, toujours debout et le doigt sous le ventre, ne disait plus que des ordures, d’une voix saccadée. Je les passe. Elle termina ainsi :

« Depuis deux heures j’en ai envie… Il ne veut pas… Ma bouche le dégoûte… Montre-lui, maman… Comme je m’y prendrais sous lui… Comme je sais bien… sans faire de taches… »

Lorsque j’entendis ces mots misérables « comme je sais bien… sans faire de taches… » Mais pourquoi souligner les mots d’une pareille scène ! Ceux-là m’ont paru les plus tristes de tous, et Charlotte les disait pourtant avec une sorte de ferveur.

Elle entra dans la salle de bains, s’étendit nue sur le carrelage de céramique en se relevant sur un coude, la tête renversée, la bouche ouverte, et se masturba d’une main avec frénésie. Elle ne paraissait pas sentir le froid du sol.

Les scènes vraies sont plus difficiles à raconter que les inventions, parce que la logique de la vie est moins claire que celle d’un conte. Vous croyez qu’ici le point culminant dut être l’acte dont je fus témoin ? Pas du tout. Et je ne sais si je pourrais faire comprendre pourquoi.

D’abord, je m’y attendais depuis un quart d’heure, et ce que j’imagine est en général plus intéressant que la réalité.

Ensuite, il est juste de dire qu’en cette circonstance, le rôle le plus infâme, celui de Teresa, fut tenu avec une prodigieuse adresse féminine. Le rôle fut « sauvé ». C’est ce que, probablement, je ne saurai pas décrire.

Teresa avait un corps admirable ; je l’ai déjà dit. Elle était fille d’acrobates, ainsi que vous l’apprendrez bientôt. Elle s’y prit exactement comme un gymnaste qui répète un exercice avec sa partenaire, mais un exercice classique et elle me regardait d’un visage tranquille comme si son acte lui paraissait plus naturel que mon trouble…

Cinq minutes plus tard, j’étais seul.

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