Trois Filles de leur mère/Chapitre 12

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XII

Trente heures s’étaient écoulées depuis la scène précédente. Teresa et ses filles avaient passé la nuit dans la banlieue chez une parente un peu putain, elle aussi, et d’autant plus empressée à les recevoir. Mais je savais déjà qu’après une assez longue discussion à laquelle toutes quatre avaient pris part, Teresa s’était rendue aux volontés de Mauricette. Je savais même en quels termes elle avait capitulé.

Ainsi que Mauricette l’avait bien prévu, Teresa s’était écriée :

« J’aime mieux le sucer que le vendre, ton pucelage, ma gosse ! J’aime mieux ouvrir la bouche dessous que de tendre la main à côté. Et ça n’empêchera rien. Je te le recollerai. Donne le vrai, nous vendrons le faux et tout le monde sera content. »

Ces sortes de cadeaux coûtent fort cher à ceux qui les reçoivent ainsi. Les moralistes s’accordent sur ce point : quand un jeune homme se laisse donner par une mère le pucelage d’une fille qu’elle espérait vendre, il doit une assez belle bague à la jeune personne, un présent de la même importance à la mère et une action de grâces à Dieu.

Si la jeune fille a deux sœurs, c’est plus amusant, et plus cher encore. Une bonne fortune ainsi triplée ruine en six semaines un étudiant.

Mais autant les jeunes gens grugés gardent l’amertume d’avoir été dupés, autant les autres ont de plaisir à se dépouiller librement pour ces courtisanes sans calculs qui donnent tout, risquent tout, semblent ne rien attendre et nous devoir chaque jour quelque tendresse de plus. Ah ! qu’elles ont parfois de délicatesse à recevoir, ce qu’elles n’ont pas espéré, à multiplier leur reconnaissance comme pour repousser la nôtre et à ne modérer que leur surprise en présence de nos cadeaux, par une sensibilité suprême de leur tact !

Le rendez-vous était pris, non plus chez moi, mais chez Teresa dont l’installation venait d’être terminée. Je traversai le palier à dix heures du soir.

La mère et les filles me reçurent toutes nues, ce qui me donna moins d’étonnement que d’embarras.

Connaissez-vous une situation plus digne de pitié que celle d’un jeune homme chambré par quatre femmes auxquelles il a dit : « Je t’aime » et qu’il ne peut aborder avec une respectueuse et lointaine déférence par cette raison que leur nudité l’invite à quelques approches ?

Quand je les eus embrassées toutes avec divers attouchements que la morale chrétienne réprouve mais que les femmes nues accueillent assez bien, Teresa prit Mauricette par les épaules et, avant toute autre question, elle me dit :

« C’est vrai que tu as réussi à te faire sucer la queue par cette gosse-là ? Et que tu lui as déchargé dans la bouche ? Et qu’elle a tout avalé ? Elle qui n’avait jamais pu ! Est-ce que tu es sorcier ?

— Non ; mais c’est plus facile avec elle qu’avec Votre Altesse, madame. »

Mauricette fut ravie de cette réponse, et Teresa, les mains sur les hanches, reprit avec bonne humeur :

« Voilà ce que je me fais dire ? À moi qui ai sucé trois mille hommes dans mon existence !

— Pas celui-là, dit Lili. Tu es la seule de la famille qui ne connaisse pas le goût de son foutre. Même Ricette ! même Ricette l’a sucé avant toi ! Ça c’est épatant !

— Et tu veux me dépuceler cette enfant ! poursuivit Teresa.

— Oh ! là ! là ! Cette enfant, répéta Lili. Si j’avais autant de poils au ventre qu’elle en a entre les fesses…

— Ta gueule, toi ! blanc de bidet ! C’est sérieux de prendre un pucelage. Regarde Charlotte, si elle a envie de rire. »

Et Charlotte, qui retenait ses larmes, se jeta sur un divan pour pleurer. Je pris cette occasion de la rejoindre et de lui dire quelques mots affectueux. Elle était si pitoyable… Mais Teresa m’interrompit :

« Laisse donc ! Tu ne connais pas Charlotte. Quand elle aura fini de pleurer, elle se branlera, et quand elle aura fini de jouir, elle aura envie de pleurer. C’est comme ça du matin au soir, je crois qu’elle jouit des larmes et qu’elle pleure du foutre. Mais tiens ! mais tiens ! qu’est-ce que je disais ? »

Et en effet Charlotte, essuyant ses larmes de la main gauche, avait déjà la droite entre ses cuisses. Au mot de sa mère, elle ouvrit les yeux, vit les nôtres fixés sur elle et dit en se relevant :

« Oh ! si vous me regardez tous… »

Mollement, elle glissa la main dans un tiroir, y prit deux godmichés qu’elle se planta l’un après l’autre par-devant et par-derrière, puis, recouchée sur le divan, mais les cuisses très écartées, elle remit son doigt en mouvement et dit avec un triste sourire aux lèvres :

« C’est plus curieux, maintenant ? »

On la laissa tranquille. Teresa reprit Mauricette par les épaules, lui arrangea les cheveux et lui redressa la taille comme si elle l’offrait à un riche amateur, et elle répéta :

« Tu veux me dépuceler cette gosse qui a quatorze ans !

— Oui, c’est juré entre elle et moi. Nous avons une dispense de l’archevêque.

— Mais entre toi et moi, qu’est-ce qui sera juré si je te la donne ?

— Je ne sais pas du tout. Dis-le.

— Tu ne vas pas faire un enfant à cette enfant-là ? Elle décharge comme une enragée. Ça prendrait du premier coup, tu m’entends ? Gare à toi, j’aurai la figure dessous et si tu lui lances une goutte de foutre, je te châtre.

— Ne fais pas ça. Je jure d’être sage.

— Alors, où te finira-t-on ?

— L’embarras du choix…

— Ma bouche ? Voilà une occasion.

— Ah ! cria Mauricette. J’en étais sûre ! C’est parce qu’il aura la queue toute rouge de mon sang ! C’est pour ça ! Je lui avais bien dit que tu n’en perdrais pas une goutte ! Que tu fourrerais ta langue dedans ! Que tu aurais la bouche pleine de sang et de foutre !

— Hein ? Crois-tu qu’il est temps de la dépuceler ? me dit simplement Teresa.

— Oh ! oui, qu’il est temps ! répéta la petite. Maman, laisse-moi lui dire un mot pour lui tout seul. »

Pour être sûre de me parler en secret, Mauricette m’entraîna dans une autre pièce et ferma la porte. Si nous nous embrassâmes, je le laisse à penser.

« Ma nuit de noces ? dit-elle gentiment.

— La mienne aussi.

— Tu m’aimes bien ? Je t’aime tant !

— Je t’aime de tout mon cœur.

— Tu vas me faire mal ?

— Mauricette !

— Dis-moi que tu me feras plus mal qu’hier ! Plus mal qu’hier ! Enfonce tout ! Déchire-moi ! Fais-moi saigner comme un bœuf ! »

Elle allait continuer sur ce ton, peut-être, quand la porte s’ouvrit. Teresa reparut et, comme si elle avait entendu la première phrase de Mauricette :

« Ne vous excitez pas, mes enfants ! Je ne vous marierai qu’à minuit !

— Oh ! pourquoi ? fit Ricette avec colère.

— Et vous êtes vraiment aussi gosses l’un que l’autre si vous ne devinez pas pourquoi ! »

Comme mon éducation lui importait moins que celle de sa fille, ce fut à Ricette qu’elle s’adressa :

« Comment ! une grande fille comme toi, tu ne réfléchis pas qu’au premier coup les hommes se retiennent moins bien qu’au second ? Et tu crois qu’on va te dépuceler comme on passe à travers un cerceau de papier ? Depuis le temps qu’on t’y fourre les doigts, penses-tu que tu serais encore pucelle si je ne t’avais pas fait un pucelage en cuir, comme le trou du cul ? »

Ricette rougit, piquée de recevoir une leçon devant moi ; mais Teresa n’avait pas fini.

« Qu’est-ce qui arrivera si je vous laisse faire ? Ou bien après cinq minutes d’efforts il jouira dans tes poils et tout sera manqué. Ou bien il sera tellement énervé de se retenir qu’au moment où il entrera… Tiens ! ah ! tiens ! Tout pour toi !… Je lui couperai les couilles, mais trop tard. As-tu compris ? »

C’était le langage de la sagesse avec un vocabulaire qui, pour n’être pas celui des sermons, avait néanmoins de la force et même une certaine éloquence. En criant ce : « Tiens ! ah ! tiens ! », Teresa ignorait sans doute qu’elle introduisait une prosopopée dans son discours, mais il n’est pas nécessaire de connaître par leurs noms les figures de rhétorique pour les mettre, comme Bourdaloureau, au service de la persuasion.

Fut-ce l’apostrophe, l’hypothèse, l’exhortation ou la prosopopée qui l’emporta ? Je ne sais. Ricette baissa la tête et demanda seulement :

« Alors ! Qui aura le premier coup si je n’ai que le second ?

— Rentrez. On tirera au sort. »

— Oh ! cette fois la rhétorique manquait trop à une telle réponse. »

Mauricette devint furieuse et passa brusquement aux pires excès de langage :

« Ah ! non ! Vous vous foutez de moi toutes les trois ! C’est mon amant ! C’est moi qui l’ai trouvé ! C’est moi qui l’ai fait bander la première ! J’ai eu l’honnêteté, la connerie de vous le dire et depuis trois jours vous mouillez dessus, et ce soir où il me dépucelle, il faut encore que j’aie vos restes ? »

Et comme Teresa souriait sans émotion ni surprise, Mauricette, folle de colère, fit alors une scène effroyable. Les paroles passent tous les actes. Je n’avais jamais imaginé qu’une fille, même dressée aux vices, pût dire de pareils mots à sa propre mère. Elle articulait au hasard, d’une voix sans suite, sans raison, pour la joie de lancer les injures dans le désordre et l’incohérence où elle les avait mâchées :

« Ne me touche pas ! Je t’emmerde ! Je t’emmerde ! Et je foutrai le camp cette nuit ! Je t’emmerde, sale vache ! Sale grue ! Sale gousse ! Sale enculée ! Sale maquerelle ! Sale putain ! Tu ne veux pas qu’on t’appelle comme ça ? Putain ! Putain ! Putain ! Putain ! Putain ! Putain ! Putain ! Putain ! Putain ! Putain ! Fille de putain ! Mère de putains, gousse de putains, branleuse de putains. Je ne suis pas une putain, moi, je suis une pucelle ! Tu as laissé vendre ton pucelage par ta putain de mère, mais moi je ne suis pas une andouille comme toi ! Je ne te laisse pas vendre mon pucelage, je le donne ! Tiens, regarde-le, sale maquerelle ! Regarde-le ! ma garce ! Tu en voulais cent louis, tu n’en auras pas cent sous ! Tu n’en auras que du foutre et du sang dans la gueule ! »

Debout, les cuisses écartées, la tête en avant, elle ouvrait des deux mains les lèvres de son sexe. Puis elle les referma et parla plus vite de la même voix sourde et haineuse :

« Oui, j’en ai assez de montrer mes nichons dans ton bordel d’enculées ! dans ton bordel de suceuses et de putains à tout faire ! J’en ai assez de te voir à table ramener un filet de foutre à la pointe de ton cure-dents et rire quand tu ne sais plus qui tu as pompé ! J’en ai assez de coucher dans les draps où il n’y a pas une place de sèche, parce que tout le bordel y décharge, les michés, les maquereaux, les gousses et les putains ! J’en ai assez de trouver sur ma toilette une serviette où il y a de la merde, chaque fois qu’un de tes amoureux s’est essuyé la pine dedans. Vache ! Ordure ! Fumier ! Chameau ! Fille de garce ! Moule à bittes ! Gueule de chiottes ! Marchande de chaude-pisse ! Lécheuse de derrières ! Avaleuse d’étrons ! Bouffeuse de vérole ! Compte sur moi maintenant, ma salope ! Compte sur moi pour friser les poils de ta connasse ou pour te passer le bâton de rouge sur le trou du cul ! Je ne veux plus de ta langue ni de tes sales tétons pour me torcher ! Et je te chie ! Je te chie maman ! »

Ce dernier mot, de « maman » me fit tressaillir. Mauricette faillit venir à moi, mais voyant l’ahurissement avec lequel je l’écoutais, elle tourna court et se jeta sur un lit, la tête dans l’oreiller.

Durant toute cette terrible scène, je n’avais regardé que Mauricette. Quand je levai les yeux et les mains vers Teresa pour l’empêcher de tuer sa fille, comme je pensais qu’elle allait le faire, je la vis aussi tranquille que si elle avait dirigé une répétition de théâtre. Elle frappait sa paume du bout des doigts pour simuler sans bruit un petit bravo et elle dit tout bas avec un long sourire étonné de ma pâleur :

« Est-ce que tu ne comprends pas ce qu’elle veut ? »

Où avais-je l’esprit, en effet ? Je n’y pensais pas. Mais la phrase était claire, je répondis précipitamment :

« Non ! oh ! non ! Jamais devant moi !

— Bien. Va-t’en. Laisse-moi seule avec elle.

— Pas ce soir, je t’en prie. Pas ce soir. »

Teresa poussa un soupir et, avec une patience qui ne lui était pas coutumière, elle dit entre ses lèvres :

« Ah ! les amoureux !… Eh bien ! reste, toi. Mais tu seras sage ! C’est promis ? »

Et je demeurai seul avec Mauricette.

Il y eut vingt minutes d’entracte, puis nous rentrâmes et, sans élan mais sans bouderie, la mère et la fille s’embrassèrent comme si rien ne s’était passé.

Et ainsi qu’une élève du Conservatoire saute de la tragédie à la comédie, Mauricette, aussi gaie maintenant qu’elle venait d’être furibonde, improvisa un boniment forain avec une étonnante facilité de parole :

« Madame et mesdemoiselles, voici la jeune sauvagesse annoncée à l’extérieur. Elle se présente à vous toute nue selon la mode de son pays. Rien n’est faux ni truqué ; prenez l’objet en main ; les cuisses ne sont pas rembourrées ; le ventre est garanti, mesdames, en véritable peau de pucelle ; il y a un peu de crin dans les fesses, mais c’est pour l’ornement. Vous voulez tâter les nichons, mademoiselle ? Tâtez, ça ne coûte rien. Tirez les poils, voyez qu’ils ne sont pas collés, ni sur le con, ni sous les bras. C’est la vraie, l’inimitable, la célèbre Mauricette dont vous avez vu le nom sur l’affiche.

« Cette jeune sauvagesse, mesdames et monsieur, a des particularités tout à fait extraordinaires. Elle fait l’amour par le trou du cul… Vous n’avez pas bien compris, mademoiselle ?… Quand elle a sur elle un homme qui bande, elle ne baise pas comme vous, elle se retourne avec grâce, elle prend délicatement la queue et elle se la met dans les fesses comme toutes les femmes de la famille, ce qui ne l’empêche pas de décharger mieux que vous, mademoiselle, avec moniche sans poil ! Qu’est-ce que vous avez à vous tordre ! Quand on rit devant la sauvageonne, elle devient enragée et mange les petites filles sous le ventre. »

Lili était malade de rire. Charlotte riait aussi, mais Teresa était la plus heureuse des trois ; évidemment, la scène précédente n’avait eu pour elle aucune espèce d’importance. Mauricette, animée par le succès, reprit son monologue de parade :

« La sauvagesse que vous avez sous les yeux, mesdemoiselles, porte son pucelage entre les pattes. Il ne se voit pas, tellement sa taille est cambrée par l’habitude qu’elle a de présenter son derrière. Mais pour un léger supplément de cinquante centimes par personne, elle va vous montrer le phénomène de près… Tout le monde a payé ?… Nous avons l’honneur de vous présenter le pucelage de la sauvagesse. Approchez. N’ayez pas peur, il est très rouge, mais il n’est pas méchant. La jeune indigène s’adonne à la masturbation avec les raffinements féroces des jeunes filles cannibales ; elle se met de la moutarde au bout du doigt quand elle se branle, et alors… Oh ! madame, vous croyiez que son pucelage rougissait par pudeur ? Non, c’est l’onanisme qui le fait rougir. N’y touchez pas, mademoiselle ! vous allez la foutre en chaleur ! Regardez, mais ne touchez pas ! Et maintenant écoutez, mesdames et monsieur, le programme de la séance.

« À la fin du spectacle, dépucelage solennel de Mauricette devant l’honorable assistance. La jeune sauvagesse se présentera en levrette… Cela vous choque, mademoiselle ? Les jeunes filles qu’on encule aiment cette posture-là. Elle se présentera donc en levrette sur la figure de sa maman et entre ses deux sœurs, émues, qui vont sangloter, se branler, s’embrasser, pousser des cris… Mais ceci n’est rien, mesdemoiselles. Nous commençons la représentation par un numéro inédit, un exercice tout nouveau que la célèbre Mauricette a répété hier et qu’elle donne au public pour la première fois.

— Sucer ? cria Lili qui battit des mains. Oh ! ça, pour Ricette, c’est plus épatant que de la dépuceler.

— Oui, mesdames, l’affiche ne ment pas. Pour la première fois, la jeune sauvagesse va sucer publiquement un homme. Au lieu de le faire décharger en l’air, elle le laissera jouir dans sa bouche ; et au lieu de cracher comme vous faites (c’est très vilain, mademoiselle), la célèbre Mauricette avalera le foutre en se léchant les lèvres avec un gracieux sourire, pour avoir l’honneur de vous remercier.

— Crois-tu que c’est une fille du cirque, celle-là ! » me dit Teresa toute fière.

Sans doute, mais c’était aussi la seule des trois qui eût appris le français dans un pensionnat avec assez de littérature pour donner à son bagout le tabarinesque.

Vivement, Ricette vint me chuchoter quelques mots à l’oreille. Je lui répondis : « Si tu le veux. » Alors, tout haut, spontanément, devant moi, devant ses sœurs, elle fit à la mère une sorte d’amende honorable.

« Tout à l’heure, j’ai été vache avec toi, maman. On fera la paix comme ça : il va te baiser la première.

— Moi ? fit Teresa.

— Oui, toi sur moi, comme ensuite moi sur toi. Et je le finirai dans ma bouche, maman ; et j’aurai ton foutre en même temps que le sien.

— Hein ! Quel amour de gosse ! me dit Teresa en la serrant dans ses bras. Vois-tu que je la connais mieux que toi ? »

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