Trois-six-neuf
euls peuvent parler du déménagement les
sédentaires par goût, dont je suis. Encore
faut-il qu’ils aient acquis, en dépit d’un fort
attachement au lieu qu’ils habitent, l’accoutumance
de le quitter. Accoutumance plutôt que
contrainte. Un fatalisme calme, l’expérience de
la chance et de son contraire, tels sont les meilleurs,
les plus recommandables des agents d’expulsion.
Quand un logis a rendu tout son suc, la simple prudence conseille de le laisser là. C’est un zeste, une écale. Nous risquons d’y devenir nous-mêmes la pulpe, l’amande, et de nous consommer jusqu’à mort comprise. Plutôt repartir, courir l’aventure de rencontrer, enfin, l’abri qu’on n’épuise point : tous les périls sont moindres que celui de rester.
En foi de quoi j’ai donc déménagé, et non par caprice. Par force souvent, d’autres fois par hygiène morale. Si le fonds mobilier, pas bien lourd, que je traîne y a gagné horions et cicatrices, tant pis pour lui. Le contact relativement fréquent avec les paniers à livres et à vaisselle, avec la paille, par l’usage hachée, qui sent la cave et l’écurie, avec les hommes bardés de la taillole en laine à triple tour, experts à charger sur leur dos, d’une seule prise de catch, bahuts et buffets, avec leur casse-croûte et leur litre de vin violet ; bref la connaissance d’une corporation qui manie adroitement l’armoire à glace et le petit bateau en verre filé m’est profitable. Et quel message qu’un tremblement de terre !
À qui ne les voit qu’une fois en trente ans, l’aspect des déménageurs, leur présence et leurs actes sont rébarbatifs. En tout il faut l’entraînement. Puis vient, après lui, une sorte de délectation. Celle-ci naît parfois, sans qu’on l’attende, du pire moment, je veux parler de la dernière heure de transfert. Les voitures chargées partent : l’une convenable, de construction assez récente, et même automobile ; les deux autres sont d’infâmes tapissières, scellées avec des cordes, attelées de bêtes tristes. Vous restez seul, — vous, moi, nous, les migrateurs, — dans le logis que vous trahissez, parmi les fétus de paille, les clous tordus, un cadre qui n’a que trois côtés. Ce tabouret dépaillé ? On le laisse, la concierge en fera ce qu’elle voudra. Les murs, étrangement sonores, vous rejettent vos dernières paroles. « Où est la chatte ? Sous la baignoire. La chienne éternue. Naturellement, elle a pris froid, depuis cinq heures du matin tout est ouvert. Mais non, voyons, c’est à cause de la poussière remuée. C’est bien la dernière fois que je choisis des papiers de tenture aussi clairs, regarde les panneaux que le soleil a décolorés…
« Prends la chatte, donne-moi la laisse de la chienne. Oui, mais qui est-ce qui va porter l’ex-voto de Notre-Dame-de-Liesse ? — Pas moi, madame ; un coup que je le casserais, madame m’en dirait !… — Descendons, descendons, on gèle ici… — Où est-ce qu’on va déjeuner, en attendant l’arrivée des voitures ? Oh ! on a le temps d’y penser… »
Entre les deux domiciles, il n’y a plus que le trajet en taxi. Un grelottement d’exilés nous secoue. La chatte a faim : la chienne réserve son opinion. Une vie commence ce soir, dans un lieu inconnu, dans les lits froids que nous napperons à la hâte…
Oui, mais c’est une vie nouvelle, le soleil qui marquera sur le mur un chemin nouveau, des sons nouveaux au lever du jour, une chambre de travail qui regarde le sud…
En route, en route ! Notre aventure d’un arrondissement à l’autre vaut une traversée. « Tiens bien la chatte, ne lâche pas l’ex-voto, attache le vieux baromètre autour de ton cou avec la laisse de la chienne, comme ça tu auras les mains libres ; pose la couverture sur mon épaule pendant que tu payes le taxi et ne t’inquiète pas du reste… En route ! Mais qu’est-ce que tu as pu mettre de si lourd dans cette valise ? » Depuis quarante-huit heures aucun de nous n’a dormi. N’importe, les horizons vierges sont ouverts… En route !
J’ai des amis qui peuvent passer pour sains d’esprit, sauf qu’à l’idée de déménager ils serrent les paupières, remontent les épaules et mettent les mains sur les oreilles, ni plus ni moins que sur le pont des Arts par un jour de grand vent. Les bibliophiles souffrent, préventivement, plus que les autres, en pensant au déménagement. Le collectionneur de porcelaines rares souffre moins, parce qu’il sait, — dût sa maison crouler, dût l’étage supérieur abriter une école de danse et un conservatoire de chant, — il sait qu’il mourra, plutôt que de déménager.
Certains sont, depuis vingt ans, à la veille d’une décision. « Lucienne avait trouvé ces temps-ci quelque chose de vraiment tentant ; mon Dieu, ce n’était pas le rêve, mais enfin… Et puis, ma foi, nous avons laissé passer l’occasion… » Ceux-là, leur cas relève du masochisme, et je ne m’intéresse pas à eux. Je me rappelle encore trop, et non sans mépris de moi-même, le temps où je couvais comme une maladie, dans un logis nouveau, mon refus d’emménager et de déménager. J’étais là entre des rideaux pliés et sommeillants, des caisses closes, un sommier-divan, un tapis roulé qui venait de loin et refusait de faire un pas de plus, et une perpétuelle envie de pleurer, aussi difficile à maîtriser qu’une incontinence. Je couchais sur un bord du sommier-divan, je déroulais le matin un coin du tapis, j’entrebâillais un rideau plié qui entrechoquait ses anneaux de cuivre avec un bruit d’almée. Il faisait nuit dans la salle à manger et les cabinets sentaient la fuite de gaz.
Un jour, l’honorabilité, la mienne, prit le dessus. En une semaine le bouge, l’appartement d’après le crime, la case pour divorcée pauvre, la couveuse à spleen devint un « petit troisième » assez laid et accueillant. La commode-toilette qui, fermée, injuriait la vue, disparut comme un mauvais songe, et son fidèle seau en émail bleu la suivit. Je sacrifiai à mes exigences d’hygiène une petite chambre où je portai la douche en collier et la verveine en frictions, et j’adoptai mon premier appartement. Ainsi le chien nouveau, qui n’est pas encore heureux, se résigne, rapporte la balle et ne se trompe pas de coussin.
J’ai traité ici de masochistes ceux qui, horrifiés par la seule idée de déménager, se penchent sur le cataclysme comme ils monteraient sur la tour pour jouir du vertige derrière une balustrade. Ce genre de pervers enfante un sous-genre de sédentaires, dont le caractère est de visiter des appartements à louer. Il me fut donné d’accompagner un de ces spécialistes, de le voir mesurer en tous sens panneaux et issues, compter ses pas, ouvrir les bras : « Un mètre soixante-cinq… J’ai un mètre soixante-cinq d’envergure… La bibliothèque tiendrait juste… Mais le vaisselier ? Le vaisselier remet tout en question. »
Il arpenta longuement le logis vide et sortit perplexe. Dehors, je vis qu’il épongeait ses tempes moites ; aussi lui demandai-je s’il se sentait souffrant : « Nullement, me dit-il. C’est de penser que, si je déménageais, mon beau service bulle-de-savon, que j’ai rapporté de Venise, — avec quelle peine ! — pourrait finir en pièces et fragments dans cette halle, dans ce… bazar, ce… Je ne trouve pas de mots… » Ainsi dans un temps heureux et lointain, le Français sans souci se créait des risques de pure imagination, dont il s’allégeait à volonté. Je n’ai jamais goûté de tels jeux. Le faux-semblant ne me dit rien. Ce me fut bien assez que d’arriver d’un village, d’une vie rurale où, chacun naissant dans la maison et le jardin patrimoniaux, le déménagement se concevait à peine, sauf qu’on y appelait la mort « un déménagement en quatre planches ». À ma conception, d’abord épouvantée, du changement de logis, se lia peu à peu, quand je vins à Paris, l’idée de libre choix, de fantaisie, le rêve de la facilité : « Comment, je pourrais, si je l’exigeais, habiter dans Paris une boutique, ou une chapelle désaffectée, ou une maisonnette au bord du Bois ? » En fait, j’échouai dans un petit troisième à douze cents francs, rue Jacob, entre deux cours.
Il faut regarder à habiter un bâtiment sis entre deux cours. Je vous parle le langage de l’expérience. C’est un genre de logis difficile. S’en tirent à leur avantage ceux qui font du logis leur atelier, quelle que soit leur profession. Métier contre appartement hostile, c’est presque toujours le métier qui triomphe, exception faite pour l’écrivain qui est nerveux, aisément désolé par les ombres funestes, les cris intempestifs, la voix du perroquet et la litanie de la T.S.F. Qu’il ne s’établisse donc pas légèrement entre deux cours, sous peine de subir les résonances exceptionnelles, l’écho, les lumières réverbérées, toutes causes qui obsèdent l’esprit et le troublent d’illusions.
Marguerite Moreno, qui excelle à imprégner de sa personnalité forte un appartement et même une case d’hôtel, qui est capable de dompter l’inertie d’un « studiotoutconfort », de redonner la vie à un entresol aussi passif qu’un vieux cheval, Moreno elle-même a plié bagage et fui un immeuble moderne qui jouissait, si je puis écrire, de trois « corps » identiques, très hauts, d’un gris oppressant, et séparés par des cours. Quand j’allais la voir, je me trompais de « corps » et de cour et d’escalier. J’ai toujours eu peur des jumeaux. Elle trouvait des paroles pour me rassurer et se convaincre. « Tu vois, j’ai l’eau chaude à toute heure, et tu vois comme cette salle de bains, lavable elle-même, est pratique, et tu vois tous ces placards dans l’épaisseur des murs, et… » À bout de démonstrations et d’évidences, elle quitta la place et fit bien. C’est la bonne manière d’agir, plutôt que d’attendre des informations péremptoires telles qu’un mauvais petit crime voisin, une maladie à longue incubation, un serpent python lové sous l’oreiller, malencontres qui vous obligent à vous écrier : « Ah ! voilà donc pourquoi je ne me plaisais pas dans cette maison ! »
À ma première maison parisienne, j’étais comme les adolescents qu’on surmène en vue d’un examen. Trop de choses à apprendre, et principalement qu’une fenêtre, en s’ouvrant, démasque d’autres perspectives qu’un bosquet, qu’un massif d’hortensias, laisse entrer d’autres génies familiers que la voix d’un jardin, une hirondelle étourdie, une liane de glycine. Combien d’ombre sur mes premières notions !… Un seul repère blanc ; le poêle de la salle à manger, en faïence, et son tuyau moulé à la ressemblance d’un tronc de palmier. J’allais manger sur mes genoux plutôt que de soutenir la présence du poêle au long cou, idole sans tête assise dans sa niche arrondie.
La chambre à coucher, je ne m’y risquais guère que la nuit à cause de l’armoire à glace. Je n’ai pas rencontré, depuis, une armoire à glace aussi triste. Celle-là, coiffée d’un petit motif chiffonné et illisible en noyer sculpté, troublée en travers de son tain grisâtre d’un pli comme une onde vivante, je fus longtemps avant d’oser la chasser… J’avais d’ailleurs assez à faire avec un ténébreux cabinet-alcôve dont les deux portes jouaient toutes deux à la fois d’une manière inopinée, s’ouvraient, dévoilaient un confus amas de malles vides, de lit-cage rompu, de fauteuils manchots penchés, attentifs, au-dessus d’un guéridon à la renverse qu’ils venaient probablement d’assassiner. Profonde alcôve, convulsive paire de portes, ils étaient peu armés contre vous, mes vingt ans qui venaient de perdre, entre autres égides, la tutélaire armoire du logis natal, en palissandre doublé de thuya blanc, imprégnée d’ordre provincial, de brins de lavande et de roses rouges effeuillées.
La plupart des maisons qui bordent la rue Jacob, entre la rue Bonaparte et la rue de Seine, datent du XVIIIe siècle. J’étais bien trop jeune, lors de mon premier emménagement, pour leur en faire un mérite. Je les voyais tristes, et je les comparais à ces filles de bonne famille qui mettent toute leur vertu à rester vertueuses. Quelque ami érudit avait beau me remontrer qu’un président de Rosambo, le sculpteur Pajou, un roi de Danemark avaient vécu, étaient morts rue Jacob, je l’écoutais froidement, et je ne m’attachais même pas à révérer le fantôme léger d’Adrienne Lecouvreur. Le souvenir de Mérimée, mon défunt voisin, me fut plus agréable, et je l’aimai mieux quand je sus que de son vivant il n’était pas mieux logé que moi.
Je succédais à un maniaque coupable d’avoir collé pendant trente ans sur les corniches, portes, moulures, baguettes, bordures de mon premier appartement, mille fois mille petits losanges multicolores. Papillotant héritage dont une lessive eut raison, et qui ne me hanta pas longtemps. Un fou ne laisse rien de lui-même entre les murs qu’il a battus de sa folie, pour cette raison simple qu’il réside, en pensée, bien loin d’un lieu réel. Le seul danger que j’aie couru rue Jacob était l’attrait de l’ombre, les invites de la tentante claustration. J’y entrevis la richesse de ce qui est noir, confiné, favorable à d’immobiles ébats, et, au mépris de mes vingt ans, je n’aimai plus que les brèves échappées d’air libre, quelque rafale de grêle printanière se ruant par la fenêtre ouverte, l’odeur vague des lilas invisibles venue d’un jardin voisin.
Ce jardin, je n’en pouvais entrevoir, en me penchant très fort sur l’appui de la fenêtre, que la pointe d’un arbre. J’ignorais que ce repère de feuilles agitées marquait la demeure de Remy de Gourmont et le jardin de son « Amazone ». Beaucoup plus tard, je franchis la palissade du jardin, je visitai le petit temple qu’éleva « à l’Amitié » Adrienne Lecouvreur. Garé du soleil, ce jardin ne veut, encore aujourd’hui, nourrir qu’un lierre de tombeaux, des arbres âgés et grêles, et ces plantes aqueuses qui croissent en couronne à l’intérieur des puits.
Rue Jacob, je ne me souviens pas d’avoir fait autre chose qu’attendre. À qui attend, tout autre occupation est superflue. Vingt ans est un âge où l’on se passe de tout, sauf d’attendre ce qui viendra. Tout vient toujours, et j’étais portée à tenir pour prodiges et présages les plus médiocres incidents. Tels furent le passage de la rive gauche à la rive droite, et la conquête d’un atelier de peintre au sixième étage, où j’emménageai éblouie. Que dirais-je maintenant de lui, sinon que l’été y consumait tout vifs ses locataires, et que l’hiver y entrait en maître ? Où peignaient, à cette époque, les peintres auxquels le snobisme arrachait leurs légitimes ateliers pour y faire, sans peinture, du pittoresque à peu de frais, les meubler essentiellement d’un banc de jardin, d’une table de réfectoire, de trois peaux de chèvre façon ours, et d’une chasuble ancienne ? Blasée assez vite sur les joies qu’apportent toit de vitres, froide lumière du nord et réactions thermométriques, je disposai à mon usage un refuge… sur le palier. Sur ce palier terminal assez large, préservé du va-et-vient, je choisis de m’asseoir, de disposer une table, une lampe à pétrole, — et le chat, qui me suivit. Peut-être fuyait-il les mêmes fléaux que moi…
Ce beau chat a laissé un petit nom dans la littérature : Kiki-la-Doucette. Méprisant, — pour cause, — les tourmentes sexuelles, il parlait fort bien, entendait mieux encore, distinguait l’eau de Vittel de l’eau de la ville, et mangeait les petits pois un à un, longuement. Une cuillerée de petits pois l’occupait une demi-heure. Silencieux, lui et moi, sur notre palier, nous avions toujours l’air d’attendre. Hors ce chat, je ne signalerai pas d’objet d’art dans cet atelier environné de trois petites pièces. Un ameublement de salle à manger par Dufayel, cuir et clous, un mauvais piano droit, quelques faux tournesols et des fauteuils en bois de chez Bing, voluptueux chacun autant qu’un pal… Laissons dormir ces prodiges d’impersonnalité, ces brise-bise, ce laqué, ce portrait, — le mien, — en robe préraphaélite, par un jeune turc, bref, cet ensemble si parisien… J’étais trop provinciale pour oser rassembler tout ce qui m’eût, autour de moi, chaudement rappelé ma province bien aimée.
À quelque cinq cents mètres de mon deuxième logis m’attendait une troisième halte. Celle-là fut le champ de timides expériences, le témoin de mes premiers mouvements pour rompre une coque. De pareils mouvements semblent aussi privés de sens traduisible que le sont les saccades d’une chrysalide habitée… Mais la simplicité dans la vie quotidienne ne vient que lentement, et par étapes. En matière de décor intime, je n’en étais encore qu’à l’excentricité, qui souvent convient aux timides. Sous l’excentricité, ils croient dissimuler leur fond de bonne volonté timorée et leur respect humain. Que penser de la balustrade en bois peint que je plantai au milieu du salon, et qui le divisait en deux ?… Une balustrade, et bien massive, pareille à celles qui bornent les villas de banlieue, une balustrade pour que les jeunes filles s’y croisent les bras et y rêvent, pour que les enfants s’y campent à califourchon et sifflent. Saugrenue, presque intolérable, la balustrade blanche semblait apportée là par un raz de marée, un précurseur de Chirico, un songe…
— Tiens ! Que fait là cette balustrade ? disait-on en entrant.
Je baissais le nez, je me mordais un ongle :
— Une idée comme ça… Oh ! je reconnais que c’est raté. Je l’enlèverai.
Ni ornement, ni accessoire d’usage pratique, l’objet gâtait irrémédiablement, à tous les yeux, la pièce principale. À tous les yeux sauf aux miens, qui lui pardonnaient son caractère inexplicable, sa manière abrupte d’aboutir au milieu de la cheminée en marbre, de gêner la table, de couper la respiration du visiteur. Je promettais de l’enlever, je ne l’enlevais point. Le nouvel immeuble n’était pas laid. Il avait été habité par un Hérédia très foncé, sans parenté avec le poète du même nom. Derrière la façade bourgeoise, — deux étages seulement, — un calme jardin caché, un petit hôtel accroupi se taisaient.
Tout était acceptable, un peu morne, solide. Si bien que j’achetai, — symbole d’installation durable autant qu’aspiration vers l’élégance, — pour ma table une lampe « modern style » dont l’ampoule était gainée de fleurs de lilas en verre moulé. J’avais vu la pareille, un jour que sa porte restait ouverte, chez mon voisin d’en dessous, le prince Bibesco.
En bas de la sage maison un enfant de trois ans, l’enfant unique des concierges, entretenait, pour ma joie et mon réconfort, une atmosphère de lutte et de mordant d’humour. Potelé, blondin, bouclé, il inspirait confiance aux inconnus qui le nommaient « petit ange ». Mais ses parents le regardaient consternés et sa mère rougissait devant lui, tant il montrait de dédain goguenard pour l’espèce femelle. Si elle chuchotait avec une voisine, le « petit ange » les interrompait : « On le sait, de quoi que vous parlez ! Vous parlez encore de votre derrière ! »
Par des cris de renardeau et des paroles sans ménagement, il savait remontrer à sa mère, lorsqu’elle rentrait du marché, que « c’est t’honteux, vraiment t’honteux de laisser tout seul un enfant de c’t’ âge-là ! » Et il se tenait éveillé, exprès, une partie de la nuit. Épiant dans l’obscurité les sons et les mouvements qui venaient du grand lit de ses parents, il s’écriait :
— Ah ! ah ! Je vous entends ! Je vous entends !
Âgé de quatre ans et un quart, il partit vers l’aventure, entraînant un complice plus jeune. On les retrouva avenue Niel, et le pionnier avoua qu’il avait médité de mettre à sac l’étalage des jouets de Noël, dans les magasins de l’Économie ménagère. Pour le coup, il reçut le fouet, sans broncher ni gémir, et, reculotté, cota à son prix la correction :
— Bien battu, dit-il.
Parce que je l’appelais sans rire « Monsieur », il me témoignait quelque estime. Il tint à me dire adieu, sur le chemin de son exil, quand son père, décidant que « le gamin avait assez fait rigoler le monde comme ça », le mit au vert chez un cousin fermier. Notre pauvre surmâle en revint un an plus tard, vermeil, robuste et dénué de tout intérêt. Il disait : « Bonjour, madame. Merci, madame. » Il récitait des fables. Il avait égaré son mystère. « C’est un bon petit gars, à présent, vous voyez ! » me dit son père avec orgueil. Mais brusquement sa mère fondit en larmes, comme une amoureuse à qui l’on eût ôté un chenapan adoré. Après la visite que me rendit le petit garçon, ma bonne à tout faire hocha le front et émit à son sujet un pronostic lugubre : « J’ai l’impression que c’est un homme fichu… » La carrière des grands aventuriers est brève.
Certains de mes changements de domicile ont emprunté un caractère, dirai-je, explosif. Je les comparais autrefois à ces éclatements qui sur l’écran abattent un pan de montagne, creusent la place d’un étang, disloquent un barrage… Mais la modestie m’est venue avec les années, et le sens des comparaisons justes. Où je disais catastrophe, je me borne à dire changement. J’en étais à une balustrade, énigme puérile que je pensais ôter d’un salon qui la trouvait incongrue. Je n’en eus pas le temps : tout avec elle se dispersa autour de moi. Au bord de la mer un « bouchon » de brume parfois nous couvre, nous tient au sein de limbes opaques, nous plaque craintifs et aveugles contre un versant de falaise, puis la brume se lève et nous laisse comme nus, humides, sur une planète éclatante où tout est neuf. L’explosion dispersa, à très petit bruit, une fragile demeure, ses hôtes, son climat sentimental, ses meubles et ses bibelots. Je dus m’occuper de repêcher un peu de superflu ici, un peu de nécessaire là… Le geste du collecteur d’épaves nous est instinctif.
De même que je sus, plus tard, amener au bout d’un crochet à congres des débris venus sur la houle d’équinoxe, — un tonnelet de rhum, une fois, et une caissette de chocolat décomposé par le sel, et un joli petit escalier en acajou, — je sus, dans l’écume de mon modeste cyclone personnel, haler le restant d’un mobilier. Il y a, d’un naufrage à l’autre, des analogies ; l’escalier, relief d’un yacht luxueux fracassé, m’avait fait horreur, ma ferveur du repêchage prit en aversion superstitieuse les objets mobiliers qui allaient, — lampe, fauteuils, vases, — par paires. Foin des bessons, des sosies, haro sur tout ce qui était couplé… Je serais allée, Dieu me pardonne, jusqu’à vouloir une tourterelle dépareillée. On revient, et c’est tant mieux, de tels enfantillages.
En attendant une durable embellie, je n’avais qu’à fuir les murs que je rendais responsables, les chambres chargées de signification, et des sièges quadrupèdes capables de brouter les tapis pendant la nuit. En route ! En route pour la troisième fois, tenant par la bride un troupeau éclairci, amaigri… Où est-il, le bureau à cylindre trop grand pour moi ? Il a péri sur les chemins. Bon vent à l’ensemble canné, faux Louis XVI, à la commode-toilette et à son indicible odeur de célibataire et de peigne mouillé… Trois déménagements valent un incendie, dit le proverbe. Quoi, un seul incendie pour neuf années de jeunesse ? C’est un minimum de flammes. Au bout de ce bail, je repartais, sans regrets de quitter le bord nord de Paris, Levallois fumeux et proche, visible au-delà des fortifications. Ces anciennes « fortifs », lisière montueuse plantée d’arbres, excavée de ravins verdoyants, et sa population oisive et vautrée, fournissaient à plein rendement la littérature, à l’époque…
Cette fois, je ne partais pas sans but ni boussole : je visais un rez-de-chaussée.
Autrefois, bon nombre de rez-de-chaussée étaient réservés à l’amour, clandestin ou non. Noirs, la lampe allumée en plein jour, mal aérés ; noirs, étincelants çà et là d’une paillette de feu sur un flacon, sur un tison ; assez confusément noirs pour que l’hôte et la visiteuse ne voulussent atterrir que sur la plage vaguement phosphorescente d’un divan, — telles le roman et la réalité nous peignirent les garçonnières. Puis une hygiénique ascension hissa celles-ci au faîte lumineux des immeubles modernes, et la garçonnière se fit studio. Une si grave décision rompit bien des charmes.
Ce que l’amour préfère, le chaste travail le réclame. Il choisit, lui aussi, de verrouiller la porte, d’allumer en plein midi la lampe, de déployer les rideaux et de faire silence. Nous ne sommes pas jolis, quand nous écrivons. L’un pince la bouche, l’autre se tette la langue, hausse une épaule ; combien se mordent l’intérieur de la joue, bourdonnent comme une messe, frottent du talon l’os de leur tibia ? Nous ne sommes pas, — pas tous, — élégants : la vieille robe de chambre a nos préférences, et la couverture de genoux, brodée à jours par les braises de cigarettes… « Vite mes savates ! je sens le poème ! » s’écriait une écrivaine, d’ailleurs charmante et pleine de talent… Le rez-de-chaussée cache nos tics et les favorise, il amende certains traits de notre caractère. Voisins pointilleux pour notre voisin, son piano, son enfant et son chien, nous supportons au rez-de-chaussée le gros canon de la porte cochère, qui secoue notre sommier et tire du lustre une plainte de cristal. Quand sonne la cloche fêlée des poubelles, elle ne nous éveille qu’à demi : « Il n’est que six heures ! » et nous nous rendormons.
Trois, six, neuf… Après mon troisième déménagement, l’idée de transfert me trouvait calme et aguerrie. Je considérais d’un front serein ces dislocations qui rebroussaient le poil de la chatte (ce n’était pas, hélas ! toujours la même chatte) et tiraient quelques larmes à mon unique servante : « Madame a beau dire, notre nouveau quartier n’est pas central ! »
Ayant repêché, parmi mes biens terrestres fort légers, mon portrait par Ferdinand Humbert, une litho de Forain où je n’avais qu’un œil, la photographie du portrait de Renée Vivien par Lévy-Dhurmer, un service à poisson qui n’a jamais rencontré chez moi de turbot à sa taille, une petite gouache où mes dix-huit mois brillent de tout leur éclat, mon sac de billes en verre (je les ai toujours), des livres et ma lampe à fleurs de lilas en verre mauve, je m’en allai. Un petit arbre japonais nain, qui n’aimait par les déplacements, mourut, lui, d’avoir changé de domicile.
Vous ne trouverez plus, rue de Villejust, à la place de la maison que j’habitai, qu’un immeuble luxueux, assez récemment bâti. De mon temps c’était une maison qui plaisait par son aménité modeste, son charme batignollais. Passé la porte cochère, vous découvriez que sa cour ombreuse communiquait, par une grille légère, avec l’immeuble qui porte, avenue du Bois, le numéro 23. Les deux cours ombragées valaient un jardin : marronniers, massifs de silènes roses et de myosotis bleus. Lanka, la chatte blanche de Robert d’Humières, descendait de son ciel persan, s’asseyait au centre du massif rose et reposait sur toutes choses environnantes le regard de ses yeux surnaturellement bleus. Ainsi elle exposait sa blancheur à l’admiration bruyante des passants ; un télégraphiste s’écriait : « Une ouppe, une ouppe à poudre ! » ; le concierge facétieux l’appelait Noiraude, et je murmurais pour Lanka quelque chanson blanche. C’est plus que n’en pouvait supporter cette créature d’argent filé et de saphir. Sous l’hommage trop direct, elle frémissait de tout son pelage et rejoignait, par une fenêtre ouverte presque en face de la mienne, le maître qu’elle aimait d’un amour unique.
Je n’avais de ma vie habité seule. Dès la première nuit que je passai dans ce rez-de-chaussée, j’oubliai la clef sur la serrure à l’extérieur. Ce n’était pas seulement négligence, mais confiance. Jamais je ne me fiai à un abri autant qu’à celui-là qui coûtait dix-sept cents francs par an. Sur la rue, une pièce s’ouvrait au plein soleil. Car l’hôtel des Leroy-Beaulieu, en face, bas et retiré au fond d’une cour, me laissait tout le bénéfice de l’ouest. Quand je vous aurai confié que deux autres pièces complétaient mon domaine, je ne vous aurai expliqué ni dépeint son charme, et je serais bien embarrassée de le faire aujourd’hui. Tantôt soulevée d’une allégresse nouvelle, tantôt assoupie dans une sécurité sans borne et sans motif, je sais que je voulus vivre et mourir là. Le matin, j’écoutais les attelages, retenus sur la pente, ralentir leur trot devant ma fenêtre avant de tourner le coin de l’avenue, et le soleil abordait mon lit. Quand je songe au broc d’eau froide, au broc d’eau chaude près de la margelle du tub, devant un feu de bois et de charbon, je me dis que ce confort-là m’eût suffi pendant des années… Un savon sphérique, anglais et noir, sentait le goudron et la rose, et le soleil dansait dans l’eau…
Oui, je voulus vivre et mourir là, battre le Bois par tous les temps, ouvrir ma fenêtre pour regarder passer les cavaliers quotidiens, et les cavalières, toucher de la main les oreilles du cheval que le « fils Millevoye » amenait au trottoir pour me dire bonjour, me récrier devant la mule ravissante montée par Menabrea, admirer la belle allure d’Iza de Comminges et le chic d’Arthème Fayard. Polaire passait quelquefois par là pour regagner les écuries de Mme Hensmann, qui lui louaient une étonnante jument isabelle presque rose, dont la crinière et la queue noires touchaient quasi la terre. Les premières amazones à califourchon — dont j’étais — regardaient avec étonnement cette guêpe à cheval, sa longue jupe, son sourire de suppliciée et le catogan qui, resserrant ses cheveux courts sur sa nuque, découvrait — rare spectacle ! — deux petites oreilles parfaites. Je voulus m’assurer pour longtemps la jouissance de cet accoudoir, ce modeste poste de guet au-dessus d’un mouvement luxueux, ce calme au sein duquel, étonnée, je voyais luire au loin et palpiter je ne sais quelle flamme tranquille qui se fût promise à moi, couchée en rond dans mon âtre bordé de marbre blanc… J’écrivis à Mme W…, propriétaire américaine et invisible, pour lui dire mon désir de vieillir sans bruit rue de Villejust, à la faveur d’un bail de vingt ans, de trente ans… Elle me fit répondre que le tutélaire immeuble était promis à la démolition et qu’un honnête dédommagement serait versé, trois mois plus tard, à tous les occupants…
Je ne me résignai pas gaiement, car je sentais le prix de ce que j’allais perdre. Je m’étais crue arrivée, arrimée, et ma halte la meilleure ne durait que depuis deux ans et demi… Diable soit de Mme W… et de ses opérations immobilières ! Nous étions, chez elle, un petit lot de locataires, gens de peu de bruit, de peu d’argent, contents de respirer l’air du Bois, son parfum de catalpa au printemps, son jaune arôme de feuilles chues à l’automne. Et nous aurions, tous, bien voulu que cette dame américaine nous oubliât là, entre nos cheminées à feu de bois, nos tubs, nos becs Auer et nos marronniers à fleurs roses.
Déménageant, emménageant, je me flatte d’y avoir appris dix sortes de sagesses au moins, — et tout autant de déraisons. Condamné par l’hygiène, c’est pourtant à ce bas étage, sourd aux orages d’été, clos aux ouragans d’hiver, que je me fiai, pour son caractère d’illusoire lieu d’asile, avec l’espoir d’y tenir secret, un jour, un bonheur qui serait enfin le mien.
— Les Ternes ! Voilà un quartier ! Les huîtres portugaises y sont à neuf sous la douzaine, pas les plus grosses naturellement ; la viande de boucherie y est bien avantageuse aussi. C’est à considérer.
Quelle est la vieille voix sage qui me catéchisait ainsi ? Une voix, un visage presque oubliés. La voix d’une dame âgée qui m’apprit la recette du « café au lait de concierge », succulent petit déjeuner, goûter de gourmand… Voit-on encore cette sorte de vieilles dames qui finissent seules leur vie et cherchent leur raison de vivre dans la sociabilité ? Celle-là comme bien d’autres vivait d’approcher son semblable. Sans quitter son petit « chapeau fermé » à grappes de cassis, elle savait faire ici une piqûre de cacodylate, là un lait de poule, ailleurs tirer les cartes, rouler les cigarettes, accompagner au piano… Une vieille dame gaie, de qui je n’imaginais la triste existence qu’avec un frisson. C’est elle qui cherchait à me consoler de quitter la rue de Villejust. Je refusais d’abandonner mon quatrième appartement, je repoussais le riant avenir nourri d’huîtres à neuf sous les douze, je pleurais en secret mon paradis à dix-sept cents francs de loyer, le voisinage du Bois, de Robert d’Humières, de Renée Vivien, et même celui d’une pension-restaurant, retirée au fond d’une allée à jardinets. Après un bon dîner simple, la familiale pension se changeait en petit tripot, où le « pot » mêlait les louis aux billets de banque… Ce poker-là ne m’était pas accessible, mais quelquefois, par condescendance et désœuvrement, la patronne m’initiait au bésigue.
Elle jouait tous les jeux à bout de bras, sa corpulence exceptionnelle la tenant loin de la table. Jamais auberge silencieuse n’abrita une plus vive frénésie de jeu. Quatre pokéristes surtout, une femme et trois hommes, arrivaient vers cinq heures d’après-midi, dînaient peu, passaient la nuit, prenaient le chocolat à deux heures du matin et la soupe à l’oignon à huit heures, se lavaient les mains, buvaient un whisky-soda à onze heures, rentraient chez eux vers midi pour le bain et la sieste, et recommençaient. Leur plaisir avait toutes les apparences de la résignation, et ils n’échangeaient que les mots strictement nécessaires. Le gagnant ne semblait jamais plus gai que le perdant. Je ne les connaissais ni ne les aimais. Mais, de les trouver fidèles à leur jeu et à leur silence, je les croyais épris de mortification parce qu’ils ne riaient pas, et mystérieux parce qu’ils se taisaient. Valaient-ils les dix lignes que je leur consacre ? Oui, si l’on m’accorde que ces souvenirs, fermés aux premiers rôles, admettent, parmi des décors qui fondent comme capucins de cartes, les comparses, les figures collées à la toile de fond, les petits personnages qui ont passé muets, ou proféré d’une voix blanche trois mots, parfois sibyllins.
— Vous savez, les Ternes, c’est mieux qu’ici, insinuait la vieille dame. On construit sans arrêt. Vous avez maintenant, pour des prix imbattables, des installations princières dans les deux mille cinq, deux mille huit. » Je n’eus jamais d’appétit pour les lambris princiers. Les Ternes… Pourquoi pas le Grand-Montrouge ? J’envisageais l’inévitable avec découragement. C’est pourquoi j’aboutis à une zone intermédiaire, péreirienne autant que ternoise, qui se réclame d’un sergent héroïque, d’un Sénoch canonisé, d’un Bayen qu’enjambe le château des Ternes.
— Comme ça, conclut la voix sage et âgée, avec les tramways, vous voilà par le fait à vingt minutes de la Madeleine.
Pareil argument me laissa sans réplique, moi qui n’allais jamais à la Madeleine, sinon par gourmandise, chez Hédiard.
Le grignotage des parcs privés, à Paris, est à peu près achevé. Vers 1908 un jardin admirable régnait au flanc du château des Ternes. Que de violettes sauvages au printemps, sous sa futaie… Une rue le mutila. Puis sur le restant du parc on éleva encore vingt immeubles… En même temps que les arbres on abattait des nids, et encore des nids… C’est dans cette dévastation que je campai le mien : un rez-de-chaussée à peine figé. L’architecte constructeur me fit remarquer qu’en abaissant jusqu’au trottoir une des trois fenêtres de façade je disposerais d’une entrée particulière… Il faut dire qu’à l’époque la vogue de l’atelier d’artiste pâlissait devant celle du rez-de-chaussée jouissant d’une entrée particulière. Plaisir de vanité plus encore que de commodité. « C’est idéal, ma chère, on ne passe pas devant la loge des concierges ! Pour les chiens, c’est le rêve ! » Je me blasai vite sur l’agrément d’envoyer ma chienne… rêver sur le trottoir sans passer devant les concierges. Aussi bien la bouledogue tenait à honneur de sortir en sautant par la fenêtre et de rentrer par le même chemin. C’est la chatte qui fit, de l’entrée privilégiée, le plus grand usage. Elle noua des relations de quartier, tutoya trois petits chiens noirs, tout harnachés, comme pour le cirque, de rubans et de sonnailles. Tantôt elle les giflait et tantôt les accueillait, maniérée, assise en lapin et les pattes de devant hautes. Gifles et grâces en pure perte, d’ailleurs : les shipperkes n’ont jamais rien compris à l’espèce chat.
Il reste toujours à peu près imaginaire, notre logis de prédilection. Mes déménagements n’ont pas poursuivi la réalisation d’un songe, mais bien plutôt renoncé chaque fois à lui. Une maison natale, même bien-aimée, n’existe jamais tout à fait réellement, puisque nous la voyons avec nos yeux d’enfants, vastes et déformateurs. Si je savais peindre, j’aurais essayé de peindre le logis que j’eusse voulu habiter. Élaboré lentement, par engouements fragmentaires, il était à faces multiples comme les yeux de la mouche. Je ne suis pas bien sûre de ne pas multiplier, encore aujourd’hui, ses facettes… À l’une d’elles s’agrippait un myrte double, étoilé de ses fleurs comme un firmament. S’il vit encore, il continue à fleurir follement, et je sais que par les nuits d’été sans lune sa blancheur éclaire un mur de granit gris, qu’elle couvre jusqu’au toit. Une autre façade élue possède un « couvert » de treilles serrées, opaque et froid, qui défie les pluies drues. Une autre façade porte au flanc une prodigieuse petite source, qui depuis des siècles bout au fond d’une sorte de bénitier, déverse inépuisable un excès d’eau sous la forme d’une draperie liquide dont le bord s’effrange, une tunique de naïade qui toujours et toujours pend du même côté de la margelle. L’ayant rencontrée une seule fois, je possède et emporte la source partout avec moi.
J’ai aussi frotté d’immatériel torchis rose une façade méridionale, sèche, craquelée, qui sent le pain chaud et le romarin, et qui s’exfolie pour ménager cent petits gîtes aux lézards plats… Mais il n’y a de perfection qu’en ce qui échappe à la mesure humaine : l’entrée de ma maison idéale je l’ai autrefois empruntée à la mer. J’y accédais par un chemin, bien réel, qui coupait un pré de mer ras et salé, chemin foulé, entretenu par les pieds de l’homme et du mouton, bordé de lyciets, de troènes, de chèvrefeuilles, de tamaris amaigris par le vent breton. L’air d’été, en Bretagne, est bleu le matin, et emprunte son odeur aux roses blanches sauvages, qui fleurissent sans tige, ouvertes sur l’herbe courte, comme la rose des tapis persans. Le long du sentier réel tout m’était capture et butin, de la fleur à la mûre. Mon profitable songe ne commençait qu’à une certaine excavation de rocher, en bordure immédiate de la mer. Chaque flux l’emplissait, la peuplait ; elle restait pleine pendant la basse mer. La pureté de l’eau, sa couleur bleue et verte, le vert-bleu féerique des algues portaient à l’extrême la transparence ombreuse, la tromperie illimitée de la cavité. Dès que je projetais mon ombre sur son miroir, un vol de crevettes jouait sur son fond rose et vert, gagnait la protection d’une des parois, la plus accidentée, la plus couverte de végétation. En juillet, le soleil de midi poignardait presque verticalement l’eau immobile, et je descendais en pensée sur les paliers des algues à travers zostères et fucus, fougères et mousses violâtres. Un sillage de poisson minuscule, deux doigts noirs et effilés de petite pieuvre tâtonnante, un essor de crevettes, la palpitation d’une houppe consciente, rose comme l’aurore, berçaient sans l’obscurcir l’eau illuminée. Que de vie… De très petits trigles bleus et or, épines au front et aux ouïes, se posaient d’algue en algue comme des colibris. Une crevette, à la suprême ramille d’un fucus, figurait le rossignol isolé de cet éden…
Le fond de mon puits s’entrebâillait en grotte d’un pied à peine de hauteur. Sous la voûte qui brillait sourdement de tous les verts et de tous les bleus, un hôte rêvait, qui n’était pas toujours le même. J’y ai vu un crabe militairement bleu et rouge ; une pieuvre qui, dès que mon regard l’atteignait, se résorbait, cessait d’être présente ; un congre, toutes dents visibles, un gros trigle au front déprimé… Quelle que fût la bête, son alcôve la couvait étroitement, limitait, d’une lèvre protectrice, l’ombre et la lumière et je faisais un de ces vœux qu’on n’avoue à personne. « Que je vive dans un pareil gîte ! Que j’en puisse sortir comme s’il m’enfantait ! Que j’y rentre comme si je retournais à un temps d’avant la naissance !… »
Une dame naïve, que j’ai connue, s’obstina pendant trente années à relever cavalièrement, sous une plume d’autruche, le bord gauche de tous ces chapeaux, s’imaginant qu’ainsi elle était le portrait vivant de la Grande Mademoiselle. Il ne faut pas s’étonner si, par le moyen d’un papier-velours vert olive, j’espérai transformer en grotte marine un rez-de-chaussée des Ternes… Hors cette grotte, je ne vois rien qui m’ait paru digne, un temps, d’être habité, sauf un nid de troglodyte, que je ramassai vide. Son intérieur exactement sphérique, foré d’une entrée minuscule, fleurait le foin, le parfum aussi d’un brin de serpolet sec, emmaillé à l’herbe fine et à des fils de crin. J’habitai ce nid l’espace de quelques semaines ; puis j’y renonçai. Ce ne fut pas le moins pénible de mes déménagements.
Des fougères en pots, des reines-des-prés, des rosiers nains, les végétaux résignés et sans fleurs que nous nommons pêle-mêle « plantes vertes », quelques pieds de primevères poilues, et du lobélia et du calcéolaire, — je n’oubliais pas, au printemps, trente centimètres carrés de myosotis et ces petites banquettes rectangulaires, en forme de tarte aux pommes, bien fleuries de marguerites rouges ; — tels furent les meubles dont j’emplis la pièce d’entrée, avec le vain espoir qu’elle me rappellerait ma grotte marine. Mais mon jardin s’obstinait doucement à jaunir, puis mourir. Et moi-même…
Mais je ne tentais pas d’évasion. Une certaine sorte d’inertie n’est pas mauvaise, lorsqu’elle ne désespère pas. Polaire avait coutume de s’en remettre à Dieu, et sa foi obscure s’exprimait en paroles ingénues : « C’est quand on est au fond de cent pieds de … que, tout d’un coup, quelque chose vient vous en retirer. » Elle ne se trompait pas : une miséricorde supérieure l’a finalement retirée de cent pieds de vie pénible.
Le souffle toujours imprévu, le brûlant oxygène qui donne vie et couleur aux femmes, bouscula mes jardinets cloîtrés, enflamma mon refuge olivâtre ; les jours et les nuits crépitèrent de téléphone. Un vif bonheur, un malheur éclatant me menacèrent ensemble. Sous leur poussée j’hésitais, tant je me sentais avide de témoigner à l’un la même révérence et le même intérêt qu’à l’autre. De cette exceptionnelle saison du cœur date l’ère de mes gîtes exceptionnels.
Et pour commencer j’acceptai d’aller, dans le seizième arrondissement, habiter un des « chalets suisses » dont le XIXe siècle en sa première moitié ensemença le village de Passy. Construits légèrement, assurés pour cinquante années, bon nombre durèrent un siècle. Rue des Perchamps j’avais déjà connu l’un d’eux, sorte de bungalow exhaussé sur une galerie de bois à balcon. Il régnait sur un jardin de trois mille mètres, livré aux arbres âgés, aux églantiers, aux noisetiers aveliniers et aux chats affranchis…
Le chalet qui s’entrouvrit pour moi et joua comme un piège était tout semblable, dans ses dimensions modestes, à un accessoire de décor suisse. Il avait, du décor théâtral, la fragilité et le bon style alpestre, les auvents ajourés de trèfles, les balcons et les charpentages à fleur de brique. La vigne vierge pourvoyait au reste, en rideaux et guirlandes. Ce chalet meublait le fond d’un jardin entouré de jardins, et son romantisme helvétique bénéficiait d’une légende : c’était à un peintre jaloux, épris de son modèle, que le petit enclos devait sa porte cochère et sa serrure, toutes deux de métal massif.
La première fois que je passai la lourde porte, il faisait nuit lumineuse, mois de juin, acacias en grappes, lampes rouges étouffées derrière les rideaux. Une vaste pleine lune, posée sur la corne du toit, semblait prête à chanter. Les jardins environnants cachaient les murs. Je m’arrêtai au bord de ce leurre, de cet excès de charme, de ce guet-apens. Peut-être était-il encore temps de rebrousser chemin ? Mais déjà l’hôte venait au-devant de moi…
Dans le chalet, pénurie et superflu s’accordèrent pour entretenir mon enchantement. La salle de bains se tenait sous un hangar, et n’avait été prévue qu’à l’usage des chiens du logis. L’ancien atelier du peintre, isolé du chalet, se parait de boiseries Louis XV, mais son plafond laissait filtrer la pluie. Une galerie-bibliothèque ne contenait guère que des auteurs latins reliés en veau, et quelques tomes dépareillés de Mémoires divers — la provende littéraire, en somme, des châteaux de province, où l’on se couche à neuf heures… Envieuse des chiens, je voulus aussi une salle de bains. Vœu imprudent ! dès qu’un corps de métier y porta la main, le chalet défaillit çà et là, revendiquant ses droits de décor usé, son comique de féerie et d’illusion. La moindre intervention du plombier requérait d’urgence le maçon, l’humidité et le clair de lune des contes de Perrault coupaient le courant électrique. À l’équinoxe d’automne, de grands pans d’auvents, percés de trèfles, volaient avec les feuilles et les ardoises. J’allumais alors un feu de bois, et je travaillais en attendant la fin de la bourrasque, la fin de la mauvaise saison, la fin d’un somme heureux… Aucune maison ne me conseilla si fidèlement l’attente. Quelqu’un, — peut-être le beau modèle séquestré, — avait dû attendre longuement dans la même chambre, devant un feu de bois, et je prenais ma faction en patience.
La naissance d’un enfant, les deux premières années de la Grande Guerre, des lettres qui ne venaient pas, qu’importe ce que j’ai attendu sous les murs friables du chalet, puisque à peine comblé le sentiment d’attente renaissait de lui-même ? Pour l’attente nocturne la barre d’appui était à la hauteur des bras croisés. Pendant l’attente diurne tout me venait en aide : l’immobilité sévère de la chatte, l’hésitation des larmes de pluie, le bâillement des chiens… Soudain une lettre tombait dans la boîte aux lettres, les chiens bondissaient comme appelés, et la maison tout entière et moi-même nous cessions d’attendre, de craindre et d’imaginer.
Je dois beaucoup au chalet de Passy. Sous ses balcons et ses trèfles, j’ai mené une vie véritablement féminine, émaillée de chagrins ordinaires et guérissables, de révoltes, de rires et de lâcheté. Là me vint le goût d’orner et de détruire. Là je travaillai, le besoin d’argent aux trousses. Là j’eus des heures de paresse. Cottage innocent et fleuri par beau temps, les nuits longues et les ciels fermés changeaient le chalet en « petite maison du crime », s’aidant du noir hangar béant, de quelques vitres aveuglées, d’un cellier qui sentait la carotte pourrie.
Jamais maisonnette en voie de s’anéantir n’accusa une vitalité aussi persistante, ne l’exprima avec une telle variété. Les bêtes y prospéraient, s’y multipliaient, les chats battaient des narines à l’odeur du rat jaune, et les rats jaunes ne craignaient que les hiboux. J’eus un voltigeant écureuil, deux couleuvres dont une vipérine au ventre rose, deux lézards verts. Les premières semaines d’une petite fille nouveau-née s’y chauffèrent au soleil de juillet… Vermoulu, condamné, spongieux jusque dans sa charpente, le chalet ne parlait que d’avenir, et de prolifération. Mais…
Mais un jour que je rentrais courant sous un orage d’été, je gravis le premier étage pour changer de vêtements. « La curieuse illusion d’optique, me dis-je. On jurerait que cette grosse pluie d’argent traverse la salle de bains. » C’est qu’un angle du chalet venait de choir dans le fond du jardin. Briques minces, poutres de peu de poids, leur chute avait fait moins de bruit que le tonnerre. Et comme la Grande Guerre n’était pas finie, les locataires rivalisaient de dénûment, souvent, avec les propriétaires. La propriétaire du chalet suisse, manquant d’argent pour les réparations urgentes, dénoua le bail et… je me remis en quête d’un autre toit, à défaut d’un autre chalet. Non que l’espèce helvétique en soit complètement éteinte. Le mien, coupé par une chaussée, fit plus tard un bien petit tas de matériaux effrités. Mais j’en sais un ou deux, cernés, menacés par le ciment, qui tiennent encore. Jusqu’à la fin ils gardent leur flore et leur faune, leur figure ambiguë, mi-éden mi-maison d’assassinée, et leur charmant brin de clématite au front.
Dépossédée encore une fois, perdis-je courage ? Que non. On perd courage et patience, lorsqu’on ne déménage que deux fois en un demi siècle. Mais les migrateurs de mon espèce, qui ne s’embarrassent ni d’éclairages sous corniches, ni de peintures décoratives, ni de lustrerie, vous troussent une installation en quarante-huit heures. Plus d’une fois j’ai mystifié des amis, braves névropathes que mes propres déménagements agitaient d’horreur au point de les empêcher de dormir, et qui venaient chercher leur frisson chez moi, dans le nouveau domicile, à même les paniers de livres, les meubles à la renverse et mes collaborateurs odorants, les déménageurs.
— Ah ! quel cauchemar, soupiraient-ils.
— Oui. Allez-vous-en. Revenez ce soir vers six heures. Vous m’aiderez ?
— Oh ! bien volontiers, ma pauvre amie ! Ah ! quel…
— Vous l’avez déjà dit. À ce soir.
Sur le coup de six heures, les tapis déroulés, trois paires de rideaux suspendues, les lampes enfourchées sur les prises, je me donnais l’air de lire ou de travailler, d’être là depuis dix ans. La bouledogue et la chatte me prêtaient leur malicieux concours, celle-ci calme à sa toilette, celle-là ronflant dans sa corbeille. Les autres petits génies subalternes, tels que fauteuils et presse-papiers en boules de verre, jouaient à s’y méprendre leur rôle dans un touchant tableau d’intimité ancienne et immuable… Et mes amis de rire…
Il me fallait un septième domicile, c’est-à-dire une petite demeure qui contentât le goût, pris au chalet, d’un univers minuscule et clos, où je ne rencontrasse pas « des gens » dans l’escalier. J’en eus un, n’importe lequel. Une maison basse d’Auteuil me fit signe. Elle cachait un jardin, et devant elle verdoyait le fouillis, le taillis, le ravin luxuriant et souillé des fortifications. Par-delà le ravin, c’était le Bois… Quoi, le Bois serait aussi à moi ? Je sonnai.
Une jeune femme, jolie, maquillée, ouvrit et dit d’un ton incertain : « Je vais voir. » Elle m’abandonna dans un salon qui, quoique meublé, semblait vide, et qui ne s’intéressa pas à moi. Agile dans sa jupe de fillette, la jeune femme revint, guidant une personne en peignoir de pilou gris et noir, qui avait les yeux bandés. Le bandeau rebroussait sur son front une houppe de gros cheveux poivre et sel, inégaux, raides, et elle tâtait l’air, en marchant, de deux petites mains ridées, d’une délicatesse émouvante. Elle dit :
— Madame… À qui ai-je le plaisir…
Je retins une exclamation de surprise, car je reconnaissais en même temps le son de la voix, les petites mains, un menton que l’âge touchait à peine, les dents bien rangées, et je dis : « Ève… »
J’avais devant moi Lavallière, presque aveugle par accident, reléguée au fond de la cécité, sans fard, frisure ni henné, perdue dans une robe de chambre pour vieux monsieur pauvre, trop longue et trop large, un vêtement de hasard comme ceux qu’on jette sur les rescapés de l’incendie ou de la noyade… Dès que je me nommai, elle se récria, m’expliqua en hâte qu’elle achevait de guérir. L’instinct puissant de la coquetterie la redressait, elle s’agitait dans le vaste et déplorable vêtement comme une hirondelle prise dans un rideau, afin que je la devinasse svelte, vive, gracieuse. Elle me parla de son prochain entresol : « Champs-Élysées, au-dessus de Panhard, ma chère ! »
Elle voulut me reconduire jusqu’au seuil, et dit en étendant sa petite main d’aveugle : « Ah ! il pleut ! Encore ! » et de cette main me jeta un baiser qui se trompait de direction…
Peut-être eût-il mieux valu qu’elle fût pour moi la dernière, cette vision de Lavallière frappée passagèrement dans ce qu’elle avait de plus beau : ses yeux mobiles, légèrement divergents, lumineux. Par chance, elle guérit. Je la revis, avant ce qu’on nomma sa conversion, dans la même petite maison du boulevard extérieur que je devais habiter peu d’années.
Un matin je la rejoignis sur les fortifications d’Auteuil, bosquets accidentés où poussaient l’acacia et l’érable. Lavallière y bondissait avec son chien. Je crois qu’elle était heureuse, ce matin-là, de me montrer qu’il n’était question ni de bandeau ni de robe de chambre en pilou, ni d’âge mûr. Elle portait un costume de jersey couleur de cigare clair sur un sweater d’un bleu doux, un petit feutre masculin havane, sous le bord duquel ses yeux ressuscités brillaient de jeunesse. Sauf la figure, le cou et les mains, tout son corps mince et agressif restait indiscutablement jeune. Elle me parlait théâtre, et encore théâtre, passionnément. Soudain elle s’interrompit, releva son sweater sur sa transparente chemise, me montra qu’aucune ceinture, aucun soutien-gorge ne déguisait son torse de jeune fille. Elle pressa d’une main son petit sein bien placé et s’écria, d’un ton de désespoir et de récrimination indicible : « Enfin, c’est pourtant du vrai, tout ça ! C’est bien moi ! J’existe ! »
Je lui succédai dans la maison du boulevard, durant qu’elle emménageait aux Champs-Élysées, et elle m’invita à déjeuner dans son nouvel entresol. Un jeune décorateur avait décidé que la table à manger fût soutenue par des cariatides démesurées, massives, en bois sculpté, de manière que les convives n’eussent d’autre choix que de se meurtrir les rotules, ou de se tenir loin de leur assiette. Lavallière, pour ne rien perdre du soleil, voulut prendre le café assise par terre, les bras noués autour de ses genoux. Ainsi elle était obligée de lever vers nous ses yeux tantôt gais, tantôt pleins d’une supplication obscure. Fréquemment elle touchait et dérangeait d’une main inquiète ses cheveux redevenus noirs, mais qui sous le rayon de soleil révélaient une couleur artificielle opaque et violâtre.
J’habitai donc, après elle, sa maison. À cause des temps difficiles, — la guerre ne voulait pas finir, — j’y respectai ce qu’elle avait laissé. Un batik ocre et noir resta aux murs de la chambre à coucher, un autre batik blanc et rouge drapait abondamment trois fenêtres. Une moquette imitait le dallage blanc et noir. Un lit-divan très bas, houssé de dentelle d’or ternie, offensait le toucher, et les jours humides l’odorat. Nulle part je ne vis une matière luxueuse ou simplement solide, un tapis d’honnête qualité, un sommier ensemble élastique et ferme, un revêtement de bonne peinture. Lavallière possédait-elle, à l’époque, quelques-uns de ces bijoux qu’une comédienne emporte, authentiques, au sein de la fiction, le solitaire de poids qui jette ses feux sur tous les gestes d’un drame et hallucine le spectateur ? Probablement, mais je n’en suis pas sûre. Sa stature de fillette, si gracieuse sur la scène, limitait son avenir de comédienne, et elle s’en rendait compte :
— Cheirel peut jouer les mères, disait-elle ; Lender peut jouer les mères, mais pas moi… Quand j’aurai soixante ans, si je veux jouer une mère, tout le monde rigolera. Alors quoi ? il faut que je meure ?
Elle mourut au monde et à la scène, en effet.
La dernière fois que je la vis, chez des amis communs, son entrée nous fit sourire de plaisir. Un couturier avait inventé pour elle une sorte de sarrau d’écolière, en satin noir, la taille basse et froncée, des manches longues ; l’empiècement montait jusqu’au cou et s’épanouissait en collerette également froncée. Les pieds d’enfant, les jambes qu’aimait Paris étaient heureusement visibles sous cette courte robe-tablier, dont la doublure rose paraissait par échappées sous l’ourlet de la jupe, à l’envers de la collerette, au bout des manches et à l’intérieur des poches, froncées elles aussi, dans lesquelles Ève Lavallière enfonçait d’un air gamin ses petits poings. Triste-gaie, vieille-jeune, elle eut ce soir-là tantôt vingt ans et tantôt soixante… Comme j’étais sur son chemin quand elle s’en alla, je lui dis une banalité sincère :
— Vous êtes ravissante dans cette robe… Que c’est charmant, ces petites poches doublées de rose !
— Oui, dit-elle. Et puis, c’est bien utile…
Elle me tendit courageusement ses mains délicates, tout en petits osselets visibles, en tendons, en veines sombres, arborescentes et gonflées sous une peau froissée irrémédiablement :
— … pour cacher ça, acheva-t-elle.
Elle sauta sur un pied, fit une volte de ballerine et disparut.
Une malléabilité singulière caractérise l’hôtel particulier, quand il aime les familles. La plupart de nos petites maisons de Paris vont s’éliminant, de par l’action du temps et celle de la pioche. Leur édification procédait d’un égoïsme intransigeant qui était l’égoïsme à deux. « Un nid, un véritable nid ! » s’écriait-on. Mais c’était des nids où l’on pondait peu. Après essai, leurs occupants s’apercevaient que le nid pour deux eût fait l’affaire d’une dame seule ou d’un célibataire, dès que se posait « la question de l’enfant ». C’est que la question de l’enfant posait elle-même la question de la chambre d’enfant. L’étroitesse des logis fait les ventres avaricieux. Çà et là on rencontre des maisons favorables à la géniture, dont la vocation se révèle à l’usage. Elles débordent de bonne volonté, je dirai même d’élasticité. Ici se creuse la place imprévue d’un petit lit, là peut s’ouvrir une fenêtre. Un cabinet de débarras monte en grade, mérite de recevoir et de couver un blanc cocon couché dans son berceau. La maison prédestinée semble s’élargir comme fait une poule sur ses poussins…
Ce n’est pas ainsi qu’il en fut pour l’ex-maison de Lavallière. De n’être pas aimé, sans doute, ce petit hôtel s’était recroquevillé. Une âme trouble, sollicitée par la foi, mais avide de briller encore, désespérée d’habiter un corps vieillissant, dessillée et puérile, avait langui entre ses murs. Mais aucune hostilité ne me venait de lui. Je le sentais fragile, et je protégeais comme je pouvais la demeure qui me protégeait peu. Dès le premier son des alertes nocturnes, de 1915 à 1918, j’ouvrais les fenêtres, — il importait de sauver les vitres, — et je me recouchais. Autour de moi cette maison où j’étais seule, — l’homme dans l’Est, l’enfant aux champs, — résonnait comme un tonneau vide quand les avions de bombardement passaient au-dessus d’elle. J’admirais que ma chatte âgée, une grande persane bleue, eût l’air de les voir et de suivre leur vol à travers le plafond. Elle ne manifestait pas d’épouvante, l’excès de bruit lui infligeait seulement un tournoiement du regard. En dehors de l’affection qu’elle me portait, cette chatte de grand caractère ne nouait d’amitié qu’avec des Auteuillois de bonne souche, choisis parmi ceux qui disaient : « Je vais à Paris, vous n’avez pas de commissions ? » Ils tâtaient leurs poches avant de partir, recensaient leurs clefs, leur portefeuille, s’interrogeaient : « Voyons, est-ce que je prends le 16, ou bien le métro ? »
Mes voisins aimaient les bêtes, poils et plumes. La chatte se rendait chez eux en franchissant le mur, bleue, fluide et longue comme un ruisseau. Jalouse, ma servante de ce temps-là hochait le front : « Un des fils des voisins prend notre chatte sur son lit. L’autre fils la dessine. Et ils ont un ami qui la tire en photo sur cartes postales ! Nous ne pouvons pas lutter. »
Comment le petit hôtel devint veuf de son maître, l’événement n’importe guère à des souvenirs qui cherchent leur chemin de nomades parmi les seuils, les vestibules, la secrète influence d’une orientation, le travail malaisément déchiffrable du hasard, l’œuvre accomplie sur moi par les prédécesseurs qui ont, dans chaque nouveau logis, couché leur insomnie au long d’une muraille, attendu près d’une fenêtre, le front sous le rideau. Ce que je m’étais évertuée trois ans à lui donner, le petit hôtel le perdit en un mois. Le rez-de-chaussée redevint humide et triste, la salle à manger me refoula au premier étage, où j’emportai sur un plateau la dînette des femmes seules. Ma bicyclette, dans l’antichambre, remplaça un meuble vestiaire. Tout redevint succinct, indispensable, sobre, sauf le jardin aménagé pour les mésanges et les rossignols de muraille, meublé de nids, de rosiers, d’héliotropes et d’une longue glycine. Jardinet charmant, mais je n’en étais plus à croire qu’une existence s’établit sous une tonnelle, qu’une pergola panse la plupart des maux. Je savais contempler mes propres erreurs aussi lucidement que celles d’autrui.
Eh quoi ! l’aimable petite maison perdait, si vite, son âme ? Elle était de celles pourtant qu’on trouve gentilles ? Non, c’est nous qui étions gentils. Nous partis, nous disjoints et la grande vague de fond, l’amour, retirée aux confins de l’horizon, le gîte valait ce que valent certaines villas en bordure de mer : à marée pleine on ne leur résiste pas, mais la marée basse découvre une plage vaseuse qui sent la moule pourrie. À la petite maison de Lavallière manquait ce qui avait soutenu, contre vermoulure et autans, le chalet suisse : un secret, un mauvais goût lyrique, un maléfice, bref une poésie.
Mais où irais-je, cette fois de plus ? L’après-guerre dépouillait Paris de tous les écriteaux : « À louer ». C’est alors qu’imprévu, non désiré, plutôt craint, s’arrondit au-dessus de ma perplexité une courbe d’arc-en-ciel : le cintre d’une fenêtre d’entresol, sur le jardin du Palais-Royal.
Les sites anciens et historiques traînent avec eux de longues légendes, dont la plus tenace est rarement à leur gloire. Le Palais-Royal est plus célèbre d’avoir été mal famé que d’avoir bercé la Révolution. Il est vrai que Paris connaît mal Paris. Le jardin lui-même n’est d’ailleurs connu, fréquenté, que par ses habitants riverains et ses voisins immédiats. Encore faut-il que ces derniers soient dotés du petit enfant ou du chien, — l’un n’exclut pas l’autre, — de qui l’hygiène réclame un lieu sûr. On n’emprunte guère la largeur, la longueur du jardin en guise de raccourcis. Le hasard et l’oisiveté sont les seuls guides du passant qui s’arrête et s’écrie : « Que c’est beau ! » Ce chef-d’œuvre bâclé en quatre ans, chancelant presque de toutes parts, n’a point de détracteurs. Sa médiocre et régulière hauteur laisse descendre très bas un grand plafond de ciel parisien, l’aurore a tôt fait de dépasser ses toits, le couchant prend le temps de les rougir et les fleurs s’y conservent jusqu’à l’arrière-automne. Paris ignore le reste et qu’une magie particulière enrichit, par exemple, les entresols du Palais-Royal. Nulle part ailleurs la séduction du bien-vivre ne défie si insolemment les conditions normales de l’existence. Dans les étages supérieurs du Palais s’explique le plaisir de dominer des charmilles et des parterres, de lever les yeux vers le ciel changeant, de respirer l’odeur des plates-bandes après la pluie. Mais les entresols ? Qui, hors moi, plaida, plaidera pour ces tanières blotties sous les arcades, écrasées entre l’étage noble et la boutique ?
Un loyer modeste, un plafond que je touchais de la main, — deux mètres vingt-deux, — une étendue toute en longueur dont je pourrais distribuer à mon gré les quatorze mètres soixante-dix : voilà les tentations que m’offrit le hasard. Moi qui me jetais tête baissée à travers baux et contrats, j’hésitai, tant la demeure était étrange, devant mon domicile no 9. Pourtant un jour tout fut dit et signé, et je m’engouffrai dans le tunnel, dans le manchon, dans le train, dans le tiroir…
— Gardez-vous d’y sauter de joie, me conseilla un humoriste, vous vous fêleriez le crâne.
— Je sauterai de joie, répondis-je, quand Quinson, directeur du théâtre voisin, m’aura cédé l’appartement du premier étage, au-dessus de ma tête.
Mais je cessai de convoiter l’étage ensoleillé, tant je me pris d’amitié pour l’étage obscur où je suspendais rideaux et tableaux sans même recourir à une échelle, rien qu’en me haussant sur la pointe des pieds. Vers le plafond, fleuri comme les murs, le pavé des arcades et le sol du jardin rejetaient en plein jour une lumière de rampe. Point de ciel visible sauf — côté Beaujolais, — le fleuve de nuages qui coule au-dessus de la rue Vivienne. Sur le jardin, le cintre de mes fenêtres épousait exactement la courbe des arcades, et chaque arcade, le soir, s’éclairait de la grosse lanterne en goutte d’huile. Par-delà les deux arcs, je pouvais apercevoir les troncs de la charmille, la palpitation d’eau fouettée dans le grand bassin. Pour le plafond des arcades et les supports des lanternes, ils appartiennent, aujourd’hui comme autrefois, aux nids des passereaux et aux amours des pigeons.
Je ne comptai pas, parmi les séductions de mon enclos, un vieil Office Colonial, qui déshonorait les galeries de Chartres et d’Orléans. Son toit de vitres émiettées n’abritait plus guère le passant, et ses trésors exotiques consistaient en papillons océaniens décolorés, échantillons de bois durs, photographies de palmeraies, de cocoteraies tahitiennes et de cascades marquésanes. Tout cela, qui est depuis plus de dix ans aboli, ne méritait pas de durer, sauf dans ma mémoire qui se peuple sans répugnance de vitrines mortes et de coléoptères ternis. Mais mon premier matin de Palais-Royal fut, paupières encore fermées, l’illusion d’un beau matin de campagne, car sous ma fenêtre cheminaient ensemble un râteau de jardinier, le vent courant d’ouest en est dans les feuillages, et cette liquide gorgée qui monte et descend dans le cou sonore des pigeons.
Sous mon plancher passaient, repassaient les usagers du passage du Perron, de qui je pouvais croire qu’ils empruntaient, de bout en bout, mon étrange appartement lui-même.
Mais ces invisibles ne me gênaient pas, bien au contraire. Promptement j’aimai aussi le pouls de navire qu’imitaient sous moi les presses d’un imprimeur. Les nuits, placées sous la protection des agents jumelés, qu’elles étaient douces… Un chat amoureux chantait, puis cessait de chanter pour affûter ses griffes à l’écorce d’un orme. Par mon tunnel ouvert aux deux bouts les sons nocturnes entraient, longeaient mon lit, sortaient en sautant mollement par la fenêtre opposée…
Ce n’est pas du silence que dépendent le repos de l’esprit et celui du corps. La Canebière, torrent de nuit et de jour, j’y dors mes nuits les meilleures. Le « tunnel », hanté de pas et de voix, fut le berceau d’une paix unique. La chatte et la chienne décidèrent aussi qu’elles y goûteraient une quiétude motivée. Elles classèrent dans leur sûre mémoire le chien d’onze heures, l’enfant de midi, les joueurs de ballon de deux heures, l’Intran, et jusqu’au gardien vespéral, qui en fermant énergiquement les grilles, faisait tomber les plâtras de notre plafond.
Toutes deux avaient certes aimé mes demeures successives. Toutes deux, — et leurs devancières défuntes, — appartenaient à la gent qui nous aime et professe que là où nous sommes, là est la maison, le temple, le lieu de refuge. Chatte et chienne s’éprirent, particulièrement, du nouveau logis-tiroir surbaissé, riche en ombres, auquel les lumières artificielles donnaient, en plein jour, une vive couleur de petite féerie nocturne. Nulle part la Chatte n’eut plus de penchant pour la course de long en long, — le large manquant, — au galop derrière des fantômes, eux-mêmes longitudinaux, je pense, qu’elle pourchassait couvrant quatorze mètres soixante-dix et quatorze mètres soixante-dix et encore quatorze mètres soixante-dix… Nulle part le crâne sphérique de la bouledogue ne se farcit d’autant de documents, de noms propres, de sons variés, d’images qu’elle recensait à la manière bouledoguine, pendant la rêverie animale que nous nommons improprement sommeil.
Elle aimait les mots ! Mais puis-je dire inutiles tous les vocables qu’elle classait, de « framboise » jusqu’à « droite » et « gauche », sans oublier la différence qu’elle s’était appris à faire entre « chaise cannée » et « petit fauteuil rouge » ? Après tout, c’était son affaire, et non la mienne.
Un tripot, peut-être pis ? Je n’en sais rien, ce sont des histoires que je me raconte. Il se peut que l’entresol où je forai ma cave ait été en effet la demeure, le poste de guet des demoiselles de plaisir qu’on nommait, en raison de leur affût et de leur fenêtre cintrée, castors ou demi-castors, selon que leurs moyens et la prospérité de leur industrie les rendaient locataires d’une fenêtre entière ou d’une moitié de fenêtre.
Je m’embusquai donc en bas d’un de ces immeubles à façades pareilles et continues, dont on ignore, si on ne les envisage que du Jardin, qu’ils sont étroits, pleins d’incommodités et d’attraits. Construits à la va-vite, ils ne furent réparés qu’à renfort de torchis et de pains à cacheter. « Mon parquet gondole », dis-je à M. Ventre, comme moi féru de l’édifice royal et minable. Il secoua la tête. « Non, madame, il ne gondole pas, il descend ! — Et jusqu’où ? — Eh ! madame, jusqu’où il plaira à Dieu. »
Trompe-l’œil charmant, je n’en voulus pas à l’entresol de tendre vers le rez-de-chaussée. La futaie de grosses colonnes, aux angles du Palais, inspirera confiance encore longtemps : tout le monde n’est pas forcé de savoir que le cœur de ces gros fûts est de bois vétuste. Et j’allai de découvertes en découvertes. Je voisinai avec des orthopédies singulières, des baudruches camouflées, je flânai aux étalages des dernières librairies prometteuses, devant les couvertures illustrées : L’Impératrice du cuir verni, Éperons et Cravaches… Je rencontrai à leurs heures des dames âgées, bureaucratiquement dissolues ; des hommes qui semblaient respectables, mais au passage desquels les mères tiraient brusquement à elles les enfants joueurs…
Paris connaît mal Paris, et je ne tardai pas à me persuader qu’une grâce particulière baignait tous les pauvres pièges, que tout était, dans le jardin, consacré à la bénignité, à l’obligeance réciproque, à la courtoisie, l’aménité du bon voisinage. Vous croyez que c’est moi qui me trompais ? Alors, enviez-moi ! Mais pourquoi ne ferais-je pas autant de crédit à l’innocence qu’à la mauvaise réputation ? Tous mes souvenirs de logis aimables pâlirent, au prix de la seigneurie qui me faisait accueil. Alentour, les Halles, bien pourvues en 1930, — les rues jalonnées de restaurants intègres, les théâtres proches, les Tuileries en guise de parc, les quais et les îles, — je ne tarirais pas sur ce qui se mit à éclairer ma vie. Par les nuits de lune, le Carrousel était d’argent, le jardin bleu et noir, et la féerie grisait les chats indivis. Une fille de ma chatte, très belle et un peu sotte, descendit, tourna sur place entre les colonnes pareilles aux colonnes, les ombres des arcades rangées derrière les arcades, au point qu’elle se mit à courir vingt fois autour du jardin en criant : « Au secours ! je suis enfermée dehors ! »
Nuits authentiques, jours fallacieux, lampe en plein midi sur ma table de travail, matinées sous un abat-jour vert… J’oubliai que je vivais là hors des bienfaits solaires, et que je me contentais de réverbérations. Si j’y gagnai, le second hiver, une bronchite sérieuse, la chatte, en dépit de ses promenades à midi en harnais écarlate, prit une congestion pulmonaire. Nous guérîmes ensemble, pour ensemble nous réjouir que la belle saison arrivât réverbérée, ricochée et indirecte.
Mais l’hiver suivant la bronchite était ponctuelle à son poste, dans mes bronches où elle menait un bruit de jupons en papier. Elle amenait son bagage cristallin de ventouses, et son petit page fiévreux, le point pleurétique… Il est bien rare que l’on se désagrège sans plaisir, et quel agrément que la réalité atténuée ! Au dehors l’horloge de la Bibliothèque nationale égouttait les heures. Un attelage de laitier, en passant à toute allure du pavé à l’asphalte, semblait perdre sa voiture et se réduire au cheval seul…
— Je trouve que vous avez assez joué dans cette cave, me dit mon médecin.
— Mais, objectai-je, j’attends l’appartement au-dessus. Gustave Quinson m’a promis… Dès que son bail, dans deux ans et demi…
— Deux ans et demi ! Vous n’y songez pas !
Le mot « déménager » tomba dans mon oreille habituée. D’autres mots le suivirent, qui me dépeignaient par avance un local haut situé, aéré, clair… Par avance j’en fermais les yeux, comme lorsque le mistral inflige à la Provence un excès de lumière, de vent et de sable volant… Cependant je mesurais ce qu’il me fallait perdre, la galerie Vivienne, par exemple, et ses deux ruelles intérieures cachées, dignes de Venise, où Falstaff ne passerait pas ; leurs portes qui soufflent les ténèbres, leurs seuils qui trahissent le pied. Songez que le gaz et l’électricité n’ont pas encore rajeuni leur caducité innocente… Et Véro-Dodat plafonné de peintures Empire… Et tous les « trages », comme on dit en Franche-Comté, qui se nomment passage Pothier, passage Beaujolais, et même passage Public…
Et le dégagement accidenté qui conduit, entre deux beaux pavillons déshonorés par l’usage, à une « clinique des cravates »… N’admirerais-je plus tel escalier classé, à la noble rampe ? On ne revient pas en pèlerinage vers le premier arrondissement, quand on le quitte. Son charme est hasard, amicale rencontre, considération familière. Tel magasin alimentaire, enfoncé à même Saint-Eustache comme la pholade dans sa roche marine, vend des primeurs chez le roi Louis XII.
Il me fallait un appartement haut, aéré, clair… Tout ce que je pleurais déjà ne brillait que de lueurs fragmentaires, de paillons opposés au beau noir sourd, de surfaces polies où dansait un feu de charbon et de bûches, la chatte et le tapis étaient du même gris-bleu crépusculaire… Mes amis se liguèrent pour me vanter les vertus de Neuilly, l’air marin de la Butte, la rive gauche et ses jardinets. Je les laissai dire et me tus sur mes projets, jusqu’au jour où j’appelai quelques convives autour d’une galette de plomb et d’un saladier de vin chaud… tout en haut du Claridge.
Deux petites pièces communicantes sous le toit, une baignoire, deux petits balcons jumeaux au bord de la gouttière, des géraniums rouges et des fraisiers en pots, la plupart de mes meubles, et tous mes livres collés aux murs. L’immeuble, — l’hôtel Claridge, — était d’épaisseur. D’ailleurs, ma case numérotée jouxtait le gros mur mitoyen et personne ne passait devant ma porte. Un placard de toilette que deux prises électriques transformaient en « kitchenette » où bouillir pâtes, œufs, fruits, l’eau du café, le lait du chocolat ; d’en bas montaient le « plat garni » du restaurant, et la chaleur dans les tuyaux ; la bourgeoise adonnée aux soins ménagers, la bohème raisonnable, la casanière errante avait pris ses précautions. « Et dans quinze jours, où serez-vous ? » s’esclaffèrent mes amis.
Ils riaient trop tôt. Quatre ans plus tard, nous prenions le soleil et le frais, la chatte, la chienne et moi, sur les mêmes balcons. Comme c’était facile, en ce temps-là… C’est vrai que nous y mettions du nôtre, bêtes et gens, du charmant directeur jusqu’à moi, en passant par le menuisier du Claridge, qui me fit une table pour écrire au lit et refusa tout salaire.
— Mais, lui dis-je, quand ce ne serait que le bois de la table, je voudrais le payer…
Il déroba, dans une énorme moustache, son sourire de jouvencelle.
— Ne vous en faites pas pour le bois, je l’ai fauché un peu ici, un peu là…
Je menai, à la cime d’un « palace », ma silencieuse vie de travailleuse peu sociable. La nuit, penchée sur le fleuve à peine ralenti des Champs-Élysées et ses fanaux mouvants, je regardais passer et repasser, plus rapides que les voitures, les oiseaux nocturnes. Car selon le quartier, la faune de Paris change. Dans ma gouttière fleurie du Claridge se baignait, je vous l’assure, une rainette. « En croirai-je mes sens ? » s’écriait à la voir la Chatte, bégayant d’émotion. Par les soirs d’été, ils ne sont pas introuvables, les larges papillons attacus qui se meurtrissent en heurtant les réverbères, ni les petits sphinx sur les fenêtres fleuries…
Un court trajet, en ascenseur, du haut en bas, du bas en haut de l’hôtel, me mettait seul en contact avec une humanité variée. Des Anglaises descendaient vêtues, pour le dîner, de liberty glauque et de « pink chiffon ». Les princes hindous n’occupaient jamais moins qu’un étage entier, traînaient leurs femmes, leurs enfants, leur suite de serviteurs, leurs orchestres privés, et durant quelques semaines les saris tissés d’or et d’argent, les musiciens brodés, un faible son de cordes pincées, un parfum épicé faisaient mon divertissement. Les beaux yeux, les lèvres sombres et vigoureusement modelées des enfants hindous, leur gravité et leurs joyaux dispersaient, par les couloirs de l’hôtel, la figuration d’une féerie silencieuse…
Un pacha marocain, débarqué tout blanc de laine fine et de gaze, éclaboussé de diamants, descendait méconnaissable le lendemain en complet de serge et chapeau fendu. Une fois j’en rencontrai un au fond de la piscine, au Lido voisin… Les candidates au titre de « Miss Univers » s’engouffraient sous la tente rayée, dressée pour elles sur le trottoir des Champs-Élysées, déjeunaient de peu, dînaient d’amertume, essuyaient leur fard et leurs larmes. Des banquets politiques embouteillaient le hall…
Mais au sixième étage, épargné, mes deux cellules fleuraient bon, berçaient un silence de grande altitude, une surprenante paix. Découvertes ! Partout l’inconnu, le nouveau, l’inaperçu se lèvent sur nos pas, pour peu que nous bougions. Le sommelier d’étage, tout plâtreux d’insomnie chronique, blanchi aux coudes et aux genoux, est une vivante créature, il parle, il a voyagé, il observe, il veut plaire et même aimer. Il sait offrir une rose désintéressée, une recette qui vient de son pays, — il a un pays, une famille, un amour… Partout est la chaleur, si nous lui tendons nos mains froides, si notre souffle l’attise. J’ai reçu de tels dons, au sein d’un de ces lieux qu’on dit ingrats. La femme de chambre d’étage était une fine Basquaise, débile, une ombre légère dont les mains apprêtaient vingt-deux lits par vingt-quatre heures. Sa taille en restait penchée tout le jour. Pour quelques boîtes de phytine que je lui donnai, comment ne me paya-t-elle pas, pendant le temps, — neuf semaines, — que me tint un affreux zona ? Elle allait chercher à la lingerie des draps usés et fins, qu’elle voulait chaque jour changer et lisser elle-même… Étrangers, inconnus, comme vous nous devenez doux, quand nous nous avisons de vous faire le signe…
Un écrivain travaille bien à l’hôtel. Dans son propre logis il tient trop de place. On l’y gêne, il gêne. Mais le portier de l’hôtel ment par plaisir, pour protéger « la dame qui écrit ». Les bruits de la terre restent en bas quand vous prenez l’ascenseur, et la bouffée même de grosse musique ne s’accroche pas à la cage montante.
Un jour que je montais chez moi, un homme bien vêtu, argenté sur les tempes, me donna un vague salut de courtoisie. « Madame ne connaît pas M. Alexandre ? me demanda le liftier ; M. Alexandre, le grand financier ? »
Peu de temps après, le grand financier ne s’appelait plus Alexandre. Il s’appelait désormais Stavisky, de par l’éclat d’un scandale, la fuite vaine, le suicide mal agencé, au loin, dans un coin de chambre. Les journaux photographièrent son cadavre tombé de travers, la tête contre le radiateur.
Car la faune des hôtels produit encore ses fauves maladroits ou experts, ses bandits naïfs et infatués. Au fond de M. Alexandre persistait le petit oriental entiché de souliers vernis et de complets clairs. Peut-être eût-il porté sans ridicule la tiare, le fez, le pschent, mais il devenait impossible sous un chapeau parisien. Il me semble que, si on l’eût dépouillé de ses vêtements, il ne fût pas resté de lui beaucoup plus que d’un de ces bernard-l’ermite maigres, qui vivent au large dans un coquillage trop grand. Son drame, en éclatant, a projeté une semence nuisible. Mais bien d’autres drames de palaces restent larvés, quittent la chambre numérotée, s’en vont buter plus loin contre une pile de pont, aboutir à un dancing, à un train de luxe, ensanglanter un escalier. L’assassinée, le fou, les deux amants liés dans une mort volontaire, — attendez donc, est-ce que ce n’était pas justement cette dame en robe de « pink chiffon », cet homme qui se demandait à lui-même « pardon » en heurtant un chambranle, ce couple grisaille qui avait l’air de s’ennuyer ? Peut-être. Mais déjà ils s’effacent. Ce sont des fantômes sans ténacité, des fantômes d’hôtel.
Peut-être que si l’hôtel Claridge n’eût pas défailli financièrement je l’habiterais encore. Quatre fois quatre saisons m’y ont paru courtes. Soleil et vent m’arrivaient en pleine face, poussaient dans mon gîte la fragrance bousculée des géraniums rouges que je cultivais en caisses. Tentés par ma paix aérienne, des amis vinrent se poser au bord du même toit, s’y plurent, s’y ennuyèrent, reprirent leurs voies incertaines. À travers les portes minces, marquées de chiffres, filtraient leurs parfums personnels et reconnaissables, l’odeur de vieux feutre que propageaient les whiskies de cinq heures, le puissant et indiscret arôme de l’opium d’après minuit… J’eus là plusieurs variétés d’amis : des inquiets, des dissolus, des laborieux ; tous furent merveilleusement attentifs à se taire et à s’enfermer, comme si le silence était la plus belle réplique qu’ils pussent offrir au silence de mon aire.
Déménageant avec une fréquence relative, ai-je fait autre chose que donner à mes appartements successifs des marques de regrets et d’attachement, et les preuves réitérées que j’ai le caractère casanier ? Pourquoi déménager, dites-vous ? Et pourquoi ne pas déménager, s’il vous plaît ? Il y a beau temps que je ne cesse d’habiter mes fiefs vingt heures sur vingt-quatre. Dans le même laps, lecteurs, lectrices, vous passez dix heures hors de chez vous, encore rentrez-vous de mauvaise grâce… Quand sonna, pour le Claridge, l’heure d’une désagrégation qui secoua tous ses services et refroidit ses fourneaux, je ne dépasse guère la vérité en disant que je nouai mes meubles dans une serpillière et que je sautai par-dessus l’avenue des Champs-Élysées, où le côté impair me reçut dans un huitième étage, tout crème à la vanille et épingles à cheveux.
Il était juste que j’allasse goûter, comme par provocation, ce que je ne connaissais pas encore, ce que je souhaite de ne plus connaître jamais, je veux dire la décrépitude foudroyante qui frappe certaines constructions rapidement élevées, et que j’en fusse punie. Je n’eus pas à attendre longtemps les résultats de mon outrecuidance ; un courant d’air, en fermant à la volée une porte du deuxième étage, lézarda mon mur au huitième, du sol au plafond. Après quoi mon voisin de palier entra et me confia avec une épouvante résignée que le toit-terrasse était en train de descendre dans ses bureaux. Peu de temps après, une nuit, vers trois heures, je m’éveillai en sursaut et pris pied dans trente bons centimètres d’eau qui couvraient le plancher. Dans la salle de bains, déjà navigable, la chatte réfugiée sur un récif de porcelaine appelait l’arche de Noé. Puis le premier orage de juin entra tout botté de grêle en brisant les vitres, et arracha de leurs cadres les châssis des fenêtres.
À tant de signes, — et j’en passe, — je ne doutai pas que le nouvel appartement fût un gîte pour rire, encore qu’il m’offrît des occasions de pleurer. Aussi ne fus-je pas assez sotte pour le prendre au sérieux. Je pris le parti d’aimer un stage qui ne pourrait pas être bien long. J’aimai l’escalier de bateau, vibrant au vent, qui nous menait à la grande terrasse, la chatte sur mon épaule, la bouledogue à mon poing, pendue par la peau du cou. Un observatoire magnifique, là-haut, nous consolait de tout. Nous regardions l’horizon s’émouvoir et venir à nous, les nuages gesticuler, les rideaux majestueux de la pluie s’avancer sur Paris, la foudre fondait un Sacré-Cœur en sucre et le dos verdâtre de l’Opéra… Et par les nuits d’étoiles l’odeur de l’été parisien, gazons meurtris, fontaines vaseuses, montait lentement jusqu’à nous.
Vingt mètres de balcons tant soit peu poreux, une terrasse en carton plus ou moins bitumé, une nichée d’ascenseurs, des portes qu’on pouvait démonter à l’aide d’un canif, — d’ailleurs on les démontait parfois, de nuit, — le mazout de chauffage égoutté parcimonieusement, il ne faudrait pas croire que ces réalités fragiles n’admissent pas un certain fantastique. Venues, je pense, avec une provision de bois de chauffage, des « tiques » grosses comme des noisettes se promenèrent en tout sens, et la bouledogue ne put empêcher qu’un chapelet de tiques, comme autant de perles, ne se greffât sur le bord de ses oreilles. Jusqu’à ce que je l’en eusse délivrée, elle assuma une ressemblance, bien inattendue, avec Marie Stuart.
Par-delà balcons et passerelles, rien, de la portion visible des Champs-Élysées, ne m’a guère semblé plus authentique qu’un songe. Aucun détail ne m’a promis de durer, ni de me retenir. Vingt petits malheurs vifs et animés m’ont, là-haut, tenue en bonne humeur, y compris de grands spectacles tels que défilés, parades militaires, funérailles nationales, chenilles de foule à mille pieds, gâteaux de fleurs et couronnes… L’émeute elle-même en ses premiers éclats, j’ai pu croire qu’elle se réduisait à des geysers de verre pulvérisé, où rouait fugitif l’arc-en-ciel.
Un jour qu’au sortir du tremblant building je prospectais, avenue Montaigne, un local dit avantageux, je pris peur de sa « réception » à caissons Renaissance, de ses doubles portes en moleskine, de sa salle à manger pour cercle de province, de sa salle de bains aussi mauve que Le Rêve d’Édouard Detaille, et je m’enfuis pour buter dans un autre panneau mieux appâté. Il s’agissait d’une occasion avantageuse, — encore ! — place Vendôme, dans le toit à l’étage mansardé dont les fenêtres ressemblent à des pendules. Ô rêver au-dessus de l’embouteillage des taxis, nonchalamment accotée à une pendule ! Ô Napoléon à toute heure, son petit jupon et son laurier !…
Un sursaut de bon sens m’emporta dans le moment juste qu’un modeste miracle faisait, vers moi, la moitié du chemin et m’ouvrait l’appartement de Gustave Quinson, celui-là que j’avais attendu dans le « tunnel ». Est-il besoin de dire que j’y courus ?
J’aime à penser qu’un sortilège conserve, au Palais-Royal, tout ce qui périclite et dure, ce qui s’effrite et ne bouge pas. Pendant mes dix années d’absence quelques « nouveaux » ont emménagé rue de Valois, rue de Montpensier ou de Beaujolais. Ceux qui montrent de sérieuses aptitudes à s’incruster prennent vite les bonnes manières, échangent le bonjour sans insistance entre voisins, remplacent par le dialogue en plein air les visites à domicile. Ils savent que les restes, — quand il y en a, — se partagent entre des animaux indivis, et que les miettes des restes sont pour les oiseaux. Ils se soumettent à nos us agréables ; face au soleil, le dos à un pilier tiède, une chaise en guise de table et une tasse d’infusion en guise de thé, nous savons faire salon dans le jardin, discrètement. Vous qui avez comme moi choisi d’habiter ce beau lieu, formez-vous à son protocole.
Je vous guide à travers la seigneurie retrouvée. Si vous l’habitez gagnez-y vos grades à l’ancienneté, les seuls, ici, qui comptent. Soyez-y la dame qui s’aide d’une canne, le monsieur qui cultive de petites cactées sur sa fenêtre, le monsieur matinal qui fait son tour de jardin en sandales de paille. Vous n’aurez guère d’autres noms. Un jour, peut-être qu’un petit garçon du jardin vous mettra gravement dans la main une de ses billes. Peut-être qu’une dame vénérable et cérémonieuse vous fera hommage d’une Ode à Victor Hugo dont elle est l’auteur… Gardez-vous de mépriser ces apports muets et un peu mystérieux. Ils sont la monnaie d’une courtoisie réciproque et signent vos lettres patentes de citoyens du Palais-Royal, village dans la ville, cité dans la cité, que le hasard une seconde fois m’a donné tout entier.
Voici venir la femme encore jeune, brune aux cheveux blonds, qui se promène professionnellement. Elle n’est pas la seule. Une fois elle m’a demandé un livre dédicacé : « Lequel voulez-vous ?
— Je voudrais le plus triste », répondit-elle.
Il y a dix ans passait et repassait sa devancière, qui n’avait ni tant de modestie ni tant de sociabilité. La vigueur même de son contour montrait bien qu’elle perpétuait une race ancienne et sur ses fins. C’était une haute et robuste vieille dame, qui se disait comtesse authentique et ne faisait pas mystère de ses soixante et onze ans. Elle se façonnait en hiver des houseaux de papier journal, assujettis par des ficelles. Mieux que d’une courtisane, ses manières étaient d’une campeuse ; on la voyait s’ablutionner de bon matin à la prise d’eau du trottoir. Et si vous en manifestiez quelque étonnement, elle vous souriait de ses yeux magnifiques, sombres et bleus comme le saphir.
Où sont tous ces anciens promeneurs des arcades, nés de la nuit, rassurés par elle ? Où, l’homme grand, gris, dont le visage blanchâtre paraissait enduit d’un maquillage étrange, à moins que ce ne fût d’un mal farineux ? Il cherchait l’ombre des piliers, et je n’ai jamais su quelle sorte d’espoir ou de vice il pouvait nourrir.
De temps en temps une ville comme la nôtre voit son écume se résorber, ses mofettes déplacer leurs poches fétides. Paris brusquement se vomit, dissout une part honteuse de ses attraits, mêle à une chasteté inconstante des vertus tenaces. Le chemin le plus foulé du Palais-Royal mène à Notre-Dame-des-Victoires. C’est une église où, comme à la fontaine du village, toutes les soifs vont boire. L’écaillère relève un coin de son tablier bleu et fait visite cinq minutes, en voisine, à Notre-Dame. Le garçon livreur grisonnant pose son paquet, allume son cierge, se signe et sort. Personne n’a scrupule de donner à la Vierge couronnée un court loisir, une oraison accélérée. Une mince jeune femme est assidue, prie le visage dans ses mains : c’est Gaby Morlay, qui vient d’un lointain quartier accomplir une neuvaine à son église préférée.
Le temps de marcher deux cents pas, de couper au plus court par la « clinique des cravates » et un bout de la galerie Vivienne, et je plante comme tout le monde une petite flamme sur une épine du buisson ardent. L’église est chaude de suppliques, de cierges et de gratitude. Entre les offices le silence y est grand, mais chaque pierre est gravée, et parle. Que de cires et de larmes…
Pendant que j’écris, les hirondelles sifflent et proclament sur le jardin leur récente arrivée. Elles ne pensent pas qu’elles repartiront à l’automne. Et moi ?… Je suis bien loin de souhaiter un départ. Ai-je encore affaire, quelque part dans Paris, avec le plombier et ses suppôts adolescents, les papillotes de bois frisées qui s’échappent du rabot, les clous dits « cavaliers », l’ourlet du rideau sorti, l’ourlet du rideau rentré, la valse chantée par le peintre, l’ « où suis-je ? » du premier réveil ?… Tout me retient ici. Mais l’hirondelle ne sait pas qu’elle partira à l’automne. Pourquoi passerais-je, en sagesse, le plus migrateur des oiseaux ?