Travaux de la Société de géographie de Londres


TRAVAUX
DE
La Société de Géographie
DE LONDRES.
1830-1831.

Colonie de Swan-River. — Îles volcaniques. — Expédition du vaisseau la Blonde dans la mer Noire. — Voyage du lieutenant Washington à Maroc et dans l’Atlas. — Expédition des frères Lander à l’embouchure du Niger.

L’Angleterre avait depuis long-temps un grand nombre de sociétés littéraires et scientifiques, pour la propagation et l’encouragement de toutes les branches des connaissances humaines, à l’exception de la géographie, qui cependant est peut-être la plus populaire de toutes, et dont l’étude offre un si vif intérêt. Ce vide, surprenant dans un pays qui étend ses bras jusqu’aux extrémités du monde, fut enfin comblé, il y a deux ans, et comme Paris, Londres eut aussi une Société de géographie. Les souscriptions furent nombreuses, et leur accroissement, comme leur nature, a démontré que le plan de la Société nouvelle était universellement approuvé. Le roi offrit la sienne, et non content de cette marque d’intérêt, il fonda un prix annuel de cinquante livres sterling, pour lequel la Société ouvrira chaque année un concours, dont elle choisira le sujet. L’Association africaine, qui avait fait les frais des expéditions de Hornemann, de Houghton, de Mungo-Park, et de quelques autres voyageurs, se réunit à la Société de géographie, dont elle augmenta ainsi les ressources, et agrandit la sphère. Encouragée par tous ces témoignages d’intérêt, la Société de géographie vient de publier le rapport de ses travaux pendant la première année ; nous en empruntons l’analyse au Quarterly Review, celle des revues anglaises où les sciences géographiques et les voyages de découvertes trouvent généralement de plus dignes appréciateurs et de plus fidèles historiens.

Le premier mémoire du recueil annuel, imprimé sous le titre de Journal, est relatif à la nouvelle colonie de Swan-River, dans l’Australie ; c’est un extrait du rapport du lieutenant-gouverneur Stirling, précédé de quelques observations de M. Barrow sur la Nouvelle-Hollande en général.

Au nombre des erreurs les plus accréditées sur l’intérieur de ce continent est l’opinion qui en faisait un grand lac, une mer méditerranée, où les eaux des montagnes environnantes se rendaient de tous côtés, et vers laquelle le sol s’inclinait graduellement. La découverte récente de la rivière Murrumbudgie, qui, jointe au Lachlan, forme le Murray, et vient se jeter au sud, dans un bras de mer, ruine cette opinion de fond en comble. D’ailleurs, nous ne connaissons guère encore de ce vaste pays que les côtes, et si on les a toutes aperçues, on ne les a pas au moins toutes examinées. Il est donc infiniment probable qu’on découvrira encore d’autres rivières qui se jettent aussi dans l’océan. Le capitaine Stirling remarque, à l’appui de cette supposition, que sur la côte occidentale, entre le cap nord-ouest et le détroit de Clarence, dans une étendue de plus de 1000 milles, on aperçoit distinctement de fort grandes ouvertures encore inexplorées, où l’œil n’est arrêté par aucune terre, et qui pourraient servir d’embouchure à des fleuves immenses ; toute cette côte est bordée d’îles nombreuses, séparées par des canaux profonds, où, selon l’expression du capitaine King, le courant s’élance avec une rapidité effrayante. Ce navigateur suppose que la grande étendue de terre appelée Terre de Dampier, du cap Levique à la pointe Gantheaume, est une île, derrière laquelle est une ouverture d’au moins huit milles de largeur ; là, comme dans l’archipel des Boucaniers, il trouva des marées de trente-six pieds, tandis que sur d’autres points de la côte, elles n’en avaient pas plus de huit ou neuf. D’après ces phénomènes, le capitaine King, de son côté, arrive aux mêmes conclusions que l’ancien navigateur Dampier. Tout ce qu’on sait aujourd’hui de cette grande ouverture, touchant sa largeur, la rapidité du courant, et l’élévation des marées, fait supposer l’existence d’un golfe très-étendu. Mais la côte est dangereuse, et ne peut être relevée qu’en bateau, ou à terre le long du rivage.

La colonie de Swan-River, établie depuis deux ans, était dans un état de prospérité progressive, et son avenir paraissait plus brillant et plus assuré que jamais. Le capitaine Stirling annonçait, dans une lettre particulière, qu’il venait de former un nouvel établissement auprès de la Baie-Dangereuse de Flinders ; une centaine de personnes y vivaient fort heureuses ; les vaisseaux y trouvaient de l’eau excellente, du bois et des légumes. Il donne, dans la même lettre, quelques détails sur les découvertes qu’il a faites depuis la fondation de cet établissement. La chaîne des montagnes Darling est large d’environ trente-six milles ; au-delà, vers l’orient, s’étend un fort beau pays très-varié ; les vallées et les plaines y sont couvertes de gazon ; le sol présente à peu près un tiers de fort bonne terre, mais inégalement répartie. Une rivière très-rapide qui coule au nord, et qui se trouvait très-enflée par les pluies à l’époque de l’expédition, l’empêcha de pousser plus loin ses découvertes de ce côté. M. Date, qui y arriva le premier, s’avança jusqu’à cent milles de la côte, et revint charmé du pays qu’il avait parcouru. La rivière est très-considérable pendant l’hiver ; on ne connaît encore ni sa source, ni la direction qu’elle prend ; et une exploration récente de cette côte n’y a laissé apercevoir aucune ouverture. Mais on ne tardera pas à résoudre la difficulté. Un autre officier, nommé Bannister, s’avança jusqu’à une distance de quatre-vingt-dix milles au sud-est, et traversa la plus belle contrée qu’il eût jamais vue. En continuant sa marche dans la même direction, l’expédition s’engagea dans un pays montueux, et crut apercevoir à l’est une montagne d’une grande élévation, que nos voyageurs évaluèrent à 10,000 pieds. Ils retrouvèrent la côte auprès du cap Chatam, et après avoir beaucoup souffert de la faim, ils atteignirent enfin la passe du roi George. L’effet de ces découvertes sur l’esprit des colons fut excellent, ajoute le mémoire ; elles dissipèrent tout ce qui pouvait rester de doutes sur le succès de l’établissement.

Ce premier mémoire est suivi d’un essai sur la flore du voisinage de Swan-River par le célèbre botaniste Brown. Le nombre des espèces remises entre ses mains ne s’élevant pas au-dessus de cent quarante, des matériaux si limités ne lui permettent de hasarder que peu d’observations générales sur la végétation de cette partie de la côte sud-ouest de la Nouvelle-Hollande. Il ajoute que, s’il fallait en juger d’après cette collection seule, on se ferait une assez pauvre idée de la qualité du sol, mais que certaines familles, bien qu’on ne les trouve point dans cet herbier, doivent exister et même en grand nombre dans cette région ; d’ailleurs la saison n’était pas favorable quand il fut recueilli. L’abondance et la beauté de l’herbe de Kangaroo, et la grandeur extraordinaire de quelques espèces de Banksia arborescent, promettent beaucoup ; et le capitaine Stirling a constaté un fait capital, c’est que les bestiaux de l’établissement, non-seulement ont pu vivre, mais encore ont engraissé, pendant la mauvaise saison, dans les pâturages naturels du pays. Sans nous arrêter à l’énumération des différentes familles de plantes décrites par M. Brown, nous appellerons l’attention sur une circonstance très-remarquable qui donne un aspect tout particulier aux forêts de l’Australie ; c’est que les feuilles sont dans une position transversale, de manière à présenter à la tige leurs bords, au lieu de leurs faces, qui se trouvent ainsi l’une et l’autre également exposées aux rayons solaires, et sont pourvues simultanément de glandes cutanées. Ces glandes ne se trouvent ordinairement dans les feuilles des arbres et arbustes, que sur la face inférieure ; dans un petit nombre de plantes arborescentes, comme par exemple, dans quelques espèces de conifères, elles n’existent que sur la face supérieure. Ce n’est pas seulement dans les acacias et les eucalyptus de la Nouvelle-Hollande que ces organes coexistent sur les deux faces des feuilles ; mais ce phénomène paraît plus fréquent dans la végétation de cette partie du monde ; c’est au moins à ce caractère particulier qu’il faut certainement attribuer ce manque d’éclat et de poli si remarquable dans les forêts australiennes.

Après le mémoire du savant botaniste, nous trouvons une esquisse des naturels qui habitent aux environs de la passe du roi George, communiquée par M. Scott-Nind à M. Brown. M. Nind, médecin de l’établissement, a profité de sa position dans l’intérêt de la science, et ses recherches sont un important chapitre ajouté à l’histoire de la race humaine dans ces contrées. Ceux qui étudient l’homme dans son état le plus misérable, et au plus bas degré de l’échelle, y trouveront de quoi théoriser à leur aise. L’esquisse de M. Nind ne se borne pas aux naturels du pays ; elle embrasse en outre toutes les productions du sol ; et réunie aux deux mémoires précédens, elle peut donner une idée assez exacte de cette partie de la Nouvelle-Hollande. Voilà tout ce qui est relatif au continent australien, dans le journal de la Société de géographie de Londres.

Viennent ensuite trois notices sur les îles qui doivent leur naissance à l’action de volcans sous-marins. Le premier est du capitaine Smith, de la marine royale, sur les Columbretes, rochers volcaniques de la côte de Valence en Espagne ; le second, sur l’île de la Déception, une des Nouvelles Shetland, par le lieutenant Kendall ; et le troisième, sur les îles des Cocos ou îles Keeling, dont la Société est redevable à l’amiral sir Edward Owen.

Dans une introduction qui précède le second de ces mémoires, M. Barrow a résumé ce qu’avait présenté de plus intéressant la discussion dernièrement élevée sur les îles de Saint-Paul et de Santorin, et autres, de formation volcanique, dans l’intérieur desquelles on a remarqué des baies ou golfes circulaires, qui ont donné naissance à la théorie des cratères d’élévation.

« Les Nouvelles Shetland, dit M. Barrow, sont un groupe d’îles récemment découvertes ou plutôt retrouvées par M. Smith ; Dirck Ghéritz, qui commandait un des cinq vaisseaux partis de Rotterdam en 1598 pour aller aux Indes par l’ouest, fut séparé de ses compagnons à la hauteur du cap Horn, et entraîné par la tempête jusqu’à 64 degrés de latitude sud, où il découvrit un pays élevé dont les montagnes étaient couvertes de neige, et ressemblaient à la côte de Norwége : c’était assurément le groupe d’îles en question. Elles paraissent continuer la cordillère des Andes et l’archipel de la Terre de Feu ; leur structure géognostique est précisément la même, et les couches y sont dirigées dans le même sens. Mais l’île particulière qui fait l’objet de ce mémoire est complètement volcanique, et son cratère circulaire ressemble parfaitement à celui de l’île d’Amsterdam ou de Saint-Paul, entre le cap de Bonne-Espérance et l’Australie. Sa forme est analogue à celle des lagunes observées dans les neuf dixièmes des îles basses de corail, semées sur l’océan Pacifique, dans les régions intertropicales ; cette circonstance rendrait assez probable une conjecture que j’ai formée depuis long-temps sur les îles de corail, et d’après laquelle tous les merveilleux ouvrages des polypes auraient généralement pour base les bords de cratères volcaniques sous-marins, assez élevés pour laisser à ces petits êtres la chaleur et la lumière dont ils ont besoin pour leur admirable travail. »

Cette apparition successive d’îles nouvelles, qui opère un changement continuel à la surface du globe, rattache assez bien l’étude de ces phénomènes au domaine de la géographie, quoiqu’elle semble plutôt appartenir à celui de la géologie et de l’histoire naturelle en général ; mais il n’est pas facile de tirer entre toutes ces sciences une ligne de démarcation bien rigoureuse. Si l’on voulait comparer ces cratères d’élévation des îles volcaniques, avec les récifs de corail qui embrassent des lagunes de tous côtés à l’exception d’une ouverture communiquant avec la mer, on trouverait qu’en se figurant ces récifs de corail élevés à une certaine hauteur, ou en supposant les îles volcaniques abaissées au niveau des récifs de corail, on aurait, dans le premier cas, des Columbretes, des îles d’Amsterdam et de la Déception par milliers, et que, dans le second cas, les îles que nous venons de nommer prendraient exactement la forme des îles à lagunes et des récifs de corail. Comme elles, en effet, les îlots ou récifs de corail sont coupés à pic, excepté du côté de l’ouverture qui communique avec la mer, et auprès du plus grand nombre on ne trouve pas de fond. La conséquence à tirer de cette grande ressemblance est que ces îlots circulaires de corail ont généralement pour base les bords de volcans sous-marins, dont les lagunes sont le cratère. On pourrait ajouter à l’appui de cette idée, que la plupart de ces îlots présentent de la pierre ponce et d’autres produits volcaniques ; comme d’ailleurs les dépôts calcaires abondent toujours dans la région des volcans, il est possible de supposer que les lithophytes, qui créent les îles de corail, choisissent de préférence les situations les plus conformes à leur nature, et celles qui facilitent le mieux le travail de leurs prodigieuses constructions calcaires. Il faut avouer cependant qu’on n’aperçoit aucune trace d’action volcanique dans les constructions étendues où ces petits êtres trouvent à la fois une habitation et un tombeau ; et par exemple, on la chercherait en vain sur l’immense récif de la Barrière qui s’étend le long de la côte orientale de l’Australie. Nous n’en persistons pas moins à croire que les îlots de corail ont pour base des sommités de rochers sous-marins. Les ondulations des lignes qu’ils affectent, tout-à-fait semblables à celles dans la direction desquelles se développent les chaînes de montagnes sur nos cartes, paraissent venir à l’appui de cette opinion. Il en existe un exemple fort remarquable dans un de ces nombreux récifs et îlots de corail qui font partie des Seychelles ; sa forme particulière lui a fait donner le nom de récif du Serpent. Généralement cependant, mais plus spécialement encore dans l’océan Pacifique, les formations de corail sont des îles à lagunes, et paraissent toutes appuyées sur des sommités de rochers volcaniques. L’amiral Krusenstern en compte plus de cent sur une bande qui se prolonge entre 20° et 14° degrés de latitude sud, 134° et 149° de longitude ouest. Beechey visita des îles de corail où des lithophytes vivans étendaient graduellement les limites de leurs créations ; vingt-neuf de ces îles avaient des lagunes au centre, et la plupart se remplissaient rapidement de roches animées.

On peut objecter à l’opinion que nous émettons ici sur l’origine volcanique de toutes ces îles à lagunes, que, dans la plupart d’entre elles, aussi bien que dans le grand récif de la Barrière et autres formations de corail, il n’y a aucune apparence de produits volcaniques, aucune espèce de lave. Mais la présence de produits volcaniques n’est pas absolument nécessaire pour prouver l’existence antérieure d’une action de ce genre. Nous en avons une preuve frappante et toute fraîche encore dans l’île qui vient de surgir entre la côte de Sicile et Pentelaria ; ni les matières lancées en l’air, ni les parties plus solides soulevées à une hauteur de cent soixante ou cent soixante-dix pieds, n’ont présenté aucune trace de lave. La vapeur qui s’en échappait n’offrait pas le plus léger symptôme de souffre, elle était seulement chargée de gaz hydrogène carburé. M. Osborne, chirurgien du vaisseau le Gange, qui mit le pied sur l’île, trouva que le sol était un composé de cendres, de débris pulvérisés de charbon dégagé de son bitume de fer, de scories, et d’une espèce d’argile ferrugineuse ; du reste, aucun vestige de lave, pas de pouzzolane, pas de pierre ponce, pas de coquillages ou de débris marins, comme on en trouve auprès de l’Etna et du Vésuve.

Puisque nous avons dit un mot de cette île nouvelle, nous ajouterons à ce sujet un fait assez remarquable : c’est que le 28 juin, à peu près quinze jours avant son apparition, l’amiral sir Pulteney Malcolm, étant à bord du Britannia, passa presque exactement au-dessus de la position qu’elle occupe, et éprouva plusieurs chocs violens, comme si le vaisseau touchait sur un banc de sable ; et, d’après une tradition populaire de Malte, un volcan y fit son éruption à peu près au commencement du siècle dernier. Sur une carte de la Méditerranée, publiée par Faden il y a quelque temps, on trouve à un mille de là un bas-fond, marqué seulement quatre brasses, et appelé Larmour’s breakers, ou brisans de Larmour. C’est une partie de ce bas-fond qui a été soulevée ; mais les derniers détails qui nous sont parvenus n’indiquent aucune éjection de matières en fusion. C’est peut-être seulement une des ventouses ou soupapes de sûreté de la grande fournaise souterraine qui lance ses torrens de lave par les cheminées de l’Etna et du Vésuve : nous ignorons si ces deux volcans étaient alors en activité.

De toutes les révolutions produites par les volcans à la surface de la terre, la plus remarquable, et jusqu’à ces derniers temps la moins étudiée, est assurément celle qui amène à la superficie, ou immédiatement au-dessous, des parties du fond de l’océan, changées plus tard en terre productive par le travail créateur de petits êtres imperceptibles, qui occupent à peine une place dans la classification du grand système de la nature. Nous savons peu de chose sur leur organisation physique et sur les moyens qu’ils emploient pour élever leurs constructions gigantesques : faute d’une expression meilleure, nous avons donné à leur prodigieuse activité le nom d’instinct ; mais nous aimerions mieux, avec Hunter, l’appeler aiguillon de la nécessité.

L’imagination se refuserait à croire que ces petits vers gélatineux aient créé des milliers d’îles et d’acres de terre dans l’Atlantique et dans les océans Pacifique et Indien, et surtout dans ces derniers, si on ne les avait en quelque sorte toujours pris sur le fait. Quand on sait que ces jolis tubes de matière calcaire, élémens de la roche de corail, peuvent toujours être tirés de la mer, souples et flexibles comme la cire, et n’acquièrent la dureté de la pierre qu’après que la vie s’est éteinte en ces petits animaux, on ne peut douter de la nature de leurs occupations pendant leur vie. L’accroissement des îlots eux-mêmes, en nombre et en étendue, ne saurait non plus être l’objet d’un doute ; mais il est lent et silencieux, et les observations sont en si petit nombre et si récentes, il est d’ailleurs si rare qu’elles soient renouvelées à de longs intervalles par le même observateur, que peu de faits encore justifient cette assertion. On croit cependant que les immenses bancs de corail qui entourent les Bermudes se sont, de mémoire d’homme, considérablement rapprochés de la surface de la mer.

« Si la Société de géographie de Londres, continue M. Barrow, jugeait à propos de distribuer aux navigateurs, et spécialement à ceux qui parcourent l’Océan indien, une série de questions sur les îles de corail, nous appellerions surtout son attention, dans l’intérêt de la science, sur l’immense groupe des Maldives, la plus merveilleuse de ces merveilleuses constructions. L’ancien voyageur musulman Ebn-Batouta, qui les visita dans le treizième siècle et qui les appelle Dzibet-el-Mahal, en porte le nombre à deux mille, dont une centaine à peu près est disposée de manière à former un anneau ; d’autres voyageurs élèvent ce chiffre beaucoup plus haut, et un Français appelé Peyrard de Laval, qui y fit naufrage en 1602 et fut retenu prisonnier pendant cinq ans, dit que le sultan Ibrahim se donnait le titre fastueux de souverain des treize provinces ou atolls et des douze mille îles. »

Ces provinces sont autant de groupes ou systèmes, séparés par des canaux profonds, et se composant de récifs ou îlots, avec des lagunes circulaires qui ne communiquent à la mer que par une seule ouverture. Cette immense zone de corail s’étend de 1° de latitude sud à 7° 30′ de latitude nord, sur une longueur de près de six cents milles anglais, et une largeur de soixante-dix ou quatre-vingts. Elle est couverte de cocotiers, dont les fruits nourrissent une population nombreuse. L’auteur de l’article exprime, à la fin de cette analyse, le désir de voir appliquer le prix royal de cinquante livres sterling au meilleur essai sur la formation des îles de corail et l’histoire naturelle des animaux qui leur donnent l’existence.

Le docteur Goodenough est l’auteur du mémoire qui suit. La mer Noire est peut-être la moins connue des marins anglais. Du temps de la reine Élizabeth et de Charles ii, des marchands anglais obtinrent la permission de naviguer sur le Pont-Euxin pour des intérêts de commerce ; mais les histoires navales les plus complètes ne mentionnent aucun vaisseau de guerre qu’on y ait laissé pénétrer. La courte expédition du vaisseau la Blonde, en novembre 1829, est probablement la seule exception ; le docteur Goodenough en est l’historien. Il s’est proposé de rechercher dans les auteurs anciens quel était autrefois l’état du Pont-Euxin, et de comparer ces notions avec les observations faites sur son état actuel. Sa relation est précédée de quelques mots relatifs aux établissemens des anciens sur les bords de cette mer, qui, peu importante à nos yeux, fut pour eux, au contraire, du plus grand intérêt, devint le théâtre des premières aventures de leur histoire poétique, offrit un vaste champ à leur système favori de colonisation, et fournit abondamment aux premiers besoins aussi bien qu’aux jouissances de leur table.

Jamais les barbares des côtes occidentales ou septentrionales, ni les rois asiatiques des côtes orientales et méridionales, ne purent dominer le Pont-Euxin : les maîtres de Constantinople et du Bosphore eurent toujours la plus grande influence sur sa navigation et son commerce ; et quoique les avantages de cette position, ainsi que la facilité qu’elle procure d’assujétir à des tributs les marchands étrangers, aient exposé la ville à de fréquentes attaques, cependant elle a plus souvent, sous ce rapport même, commandé le respect des nations étrangères : les Byzantins étaient donc les maîtres de tout le commerce de ces parages, et les intermédiaires obligés par lesquels arrivaient à la Méditerranée les productions de ces pays, consistant en bestiaux, en esclaves très-estimées, en miel, en cire, et en poissons salés. Le commerce des céréales ne paraît pas avoir été alors exclusivement, comme aujourd’hui, un objet d’exportation, mais alternativement d’importation et d’exportation, selon les récoltes, et les besoins des autres contrées de l’Europe. Dans un fragment de Polybe, rapporté par Athénée, il est encore question du poisson salé qu’on exportait du Pont-Euxin. C’était même un de ces raffinemens étrangers introduits dans Rome, qui scandalisaient le plus l’austère simplicité du vieux Caton ; il reprochait aux riches de son temps d’acheter trois cents drachmes, c’est-à-dire plus de deux cents francs de notre monnaie, un petit baril de ce poisson salé ou mariné, et de payer plus cher qu’un bon domaine de jeunes et jolies esclaves des bords de la mer Noire. On trouvera dans Athénée, sur le thon du Pont-Euxin, une foule d’anecdotes et de bons mots dignes du célèbre Almanach des gourmands ; et c’est le thon du Pont-Euxin, assaisonné d’une certaine manière, qu’Archestrate, fameux touriste gastronome, compare aux dieux immortels, dans le style d’Homère.

Il est certain au surplus que le retour si fréquent d’un poisson sur les médailles des cités grecques du Pont-Euxin, et d’un hameçon sur celles de Byzance, prouve bien de quelle valeur y était cette source de richesses.

L’expédition du vaisseau la Blonde a démontré que les eaux de la mer Noire n’ont éprouvé aucune diminution sensible depuis le temps où Polybe écrivait, quoique cet historien ait cru pouvoir affirmer qu’elles ne seraient pas long-temps à devenir impraticables pour les navigateurs ; il croyait que les masses de fange et de vase apportées depuis des siècles et déposées dans la mer Noire par les grands fleuves qui s’y jettent, comme le Borysthène, le Danube, le Phase et autres cours d’eau plus ou moins importans, finiraient par combler le bassin, ce qui ne tarderait guère, osait-il ajouter, attendu que l’action infinie qui devait produire ce résultat, s’exerçait sur un objet fini, dont elle devait triompher par cela seul. Mais si on jette les yeux sur nos cartes modernes, et particulièrement sur l’excellente carte publiée à Paris en 1822, on se convaincra aisément, par les chiffres du brassiage, que dans l’espace de deux mille ans la prédiction de Polybe n’a pas même commencé à se réaliser, et qu’elle ne doit s’accomplir à aucune époque calculable. Le voyageur Clarke avait aussi adopté les idées de Polybe sur la mer Noire ; mais en les donnant comme siennes, sans ajouter que l’antiquité paraît généralement avoir eu la même opinion. Les bas-fonds remarqués auprès de Taganrock et de l’embouchure du Don, lui semblent venir à l’appui de son opinion. Mais s’il n’avait pas oublié la description des côtes du Pont-Euxin dans Strabon, il aurait vu que cent ans avant Polybe, Straton de Lampsaque avait aussi annoncé le desséchement de la mer Noire. Son voyage d’Odessa à Constantinople et l’épouvantable mer qu’il eut à traverser auraient dû lui prouver que la prophétie n’était pas près de se réaliser.

Depuis que la relation du docteur Goodenough a été publiée, la Société de géographie a reçu des cartes et un mémoire fort intéressant du lieutenant-colonel Monteith, de la Compagnie des Indes, sur les contrées arrosées par le Phase, entre la mer Noire et la mer Caspienne. L’expédition des Argonautes, dont l’exploration de ce pays était le but, est une preuve de l’importance qu’il avait dans les temps reculés de l’histoire grecque ; et à travers le voile des fictions mythologiques, les intérêts commerciaux qui la firent entreprendre sont faciles à saisir.

Des bords de la mer Noire, le lieutenant Washington, de la marine royale, nous appelle au pied du mont Atlas, où nous retrouverions encore, s’il le fallait, des traditions grecques à exploiter, et de tristes comparaisons à faire. M. Washington accompagnait à Maroc le consul anglais chargé d’une mission diplomatique. Muni de fort bons instrumens, cet habile officier recueillit et enregistra une foule d’observations intéressantes ; on trouvera dans son itinéraire le détail exact des latitudes et des longitudes journellement observées, et la description du pays, de ses productions et de ses arts ; il est accompagné d’une fort belle carte, où se trouve le plan de la ville de Maroc, et une section du pays, prise de Meltsih (le plus haut pic de l’Atlas visible de Maroc, et dont l’élévation est estimée de onze mille quatre cents pieds), jusqu’à la côte de l’Atlantique. Cette carte a été dressée avec le plus grand soin, d’après une centaine de positions successivement observées, et rapportées tous les soirs sur le papier, pendant que M. Washington suivait la côte de l’Atlantique, du cap Spartel au cap Blanc, sur une étendue de deux cent cinquante milles anglais. Laissons parler l’auteur lui-même :

« En sortant d’un étroit défilé, la cité impériale avec ses monumens, ses mosquées, ses minarets, sa tour élevée, nous apparut au milieu d’une grande plaine, avec sa ceinture de palmiers, et derrière elles les neiges éternelles de l’Atlas, qui se détachent sur l’azur du ciel à une hauteur de onze mille pieds. Pendant que nous admirions en silence, notre chef africain fit arrêter ses troupes à la vue de Maroc, et tous ensemble offrirent au ciel des prières pour la santé du souverain, et des actions de grâces pour l’heureuse fin de leur voyage ; à l’entrée de la nuit, la caravane s’arrêta pour camper sous des palmiers, qui, rappelant les climats brûlans du tropique, contrastaient d’une manière frappante avec les montagnes neigeuses qui culminaient au-delà ; au coucher du soleil, quelques pics solitaires furent long-temps encore éclairés de ses rayons, pendant que la nuit enveloppait les pics inférieurs.

» Le lendemain, 10 décembre, nous traversâmes la rivière Tensift, sur un pont de trente arches, à Alkantara[1], d’où nous continuâmes notre marche vers la ville, à travers une forêt de palmiers, sur une plaine parfaitement nivelée. Les gardes du prince, habillés de blanc, toutes les troupes et la population mâle de Maroc, nous accompagnaient ; nous avancions au milieu des coups de fusil et des pétards, des cris perçans que poussaient les femmes, et d’une musique barbare ; en un mot, on nous fit tous les honneurs possibles. À midi, à l’heure même où les pavillons blancs flottaient au sommet des minarets, et où le muezzin faisait retentir du haut des mosquées sa voix solennelle pour inviter les fidèles musulmans à reconnaître que Dieu seul est dieu, et que Mahomet est son prophète[2], des chrétiens, des infidèles entraient dans la ville impériale de Maroc au milieu d’une foule émerveillée. À peine entrés, un détour assez brusque nous amena dans nos quartiers, au milieu d’un vaste jardin, frais et silencieux, beau de verdure et d’ombrages. »

La plaine de Maroc s’étend de l’est à l’ouest, entre une petite chaîne basse de collines schisteuses au nord, et le grand Atlas au midi, dans une largeur d’environ vingt-cinq milles, et parfaitement de niveau jusqu’au pied des montagnes. À l’est et à l’ouest, cette plaine paraît sans bornes ; son élévation au-dessus du niveau de la mer est d’à peu près mille cinq cents pieds. Le sol est d’une marne sablonneuse, mêlée de nombreux fragmens de quartz cristallisé, de silex, de porphyre, de cornaline, et de cailloux d’une nuance verte ; il est généralement couvert de plantes épineuses, peu élevées, que nous appelons nerprun, et qui sont appelées sidra nebach dans le pays. Les petits cours d’eau sont bordés d’oléandres d’une grande beauté, et au nord de la ville s’étend une forêt de palmiers et d’oliviers. La rivière Tensift, qui sort des montagnes à environ quarante milles en tirant vers l’orient, coule le long de leur base à quatre milles au nord de Maroc, et recueille quelques petits filets d’eau qui sortent de l’Atlas, elle se jette dans l’Atlantique à cent milles plus loin, et à quinze seulement au sud de Saffy. Elle est peu profonde, mais rapide ; sa largeur est de trois cents verges au pont d’Alkantara ; elle est cependant guéable presque partout, excepté au printemps.

La ville de Maroc, située dans la partie nord de cette belle plaine, est entourée d’un mur très-solide, à mâchicoulis en bois de tapia, haut de trente pieds, et avec fondations en maçonnerie : tous les cinquante pas on y trouve une tour carrée ; la ville a six milles de tour, et onze doubles portes. Mais tout cet espace n’est pas couvert de constructions, il embrasse de grands jardins, et des places ou squares de trente acres d’étendue. Le palais du sultan est en dehors des remparts de la ville, et au sud en face de l’Atlas ; mais il est enfermé de murailles d’une égale force ; le terrain sur lequel il s’étend à mille cinq cents verges de longueur, sur une largeur de six cents ; il est divisé en jardins carrés, autour desquels sont des pavillons détachés qui forment la résidence royale ; les parquets des appartemens sont en tuiles de différentes couleurs, mais fort simples du reste ; une natte, un petit tapis à l’extrémité, et quelques coussins, en composent tout l’ameublement.

La mission anglaise, pendant sa résidence d’un mois à Maroc, fut logée dans un de ces jardins, appartenant au sultan. On l’appelait Sebt el Mahmonia ; il couvrait quinze acres de terrain, était planté d’une manière bizarre, mais contenait une grande variété d’arbres fruitiers, l’olivier, l’oranger, le citronnier, le pêcher, le grenadier, le poirier, le noyer, etc. Le cèdre, le peuplier, le myrte, le rosier, le jasmin, l’acacia, y formaient une masse épaisse de feuillage, au-dessus de laquelle s’élevaient la grande tour de la principale mosquée et les pics neigeux de l’Atlas. Le pas folâtre et léger de la gazelle, avec le murmure des eaux qui coulaient dans tous les sens, interrompait seul le silence de ce délicieux jardin, où se trouvait réuni tout ce qu’on peut désirer sous un climat brûlant, de la verdure, de frais parfums, de l’ombre et du repos.

« Pour contraster avec sa vue bornée, la terrasse de notre maison dominait toute la ville, la plaine sans bornes, et la ceinture de l’Atlas. Pendant notre séjour à Maroc, au lever et au coucher du soleil, nous passions des heures entières à contempler ces masses de neige étincelante, et cette chaîne, qui réunissait, à une journée de marche, toutes les variétés de climats, depuis la zone torride jusqu’à la zone glaciale, vaste champ que le géologue, le botaniste et le naturaliste ont encore à explorer, insurmontable barrière que la civilisation n’a pas franchie. »

Quand la mission anglaise revint par le pied nord de l’Atlas, M. Washington saisit l’occasion d’y monter à une certaine hauteur, par le lit d’un torrent. « Il était bordé d’oliviers, d’acacias, de caroubiers, de cèdres, le plus beau bois que nous eussions vu dans le pays, quoique assez petit ; de lauriers roses ou oléandres, de palmiers nains, et de bois de rose. Nous étions égayés en grimpant par les cris des chasseurs, que l’écho renvoyait de rochers en rochers. À chaque détour de la route, nous découvrions des beautés nouvelles dans la vallée, et nous dominions de plus haut la plaine et la ville de Maroc, avec ses mosquées étincelantes au soleil levant. La pierre calcaire était la base de la route que nous suivions ; le sol était une argile pierreuse ; nous trouvions à chaque pas de l’agate, du silex, du porphyre, du grès, du gneiss, de la cornaline ; sur le front de la colline était une rangée de pierres calcaires à fissures verticales, semblables à des pierres tumulaires colossales, disposées de main d’homme. Les villages que nous traversions, tous perchés dans les sites les plus romantiques, sont habités par des montagnards appelés shelluhs, naturels de ces rochers. Après une montée de trois heures, comme les sentiers devenaient plus embarrassés et plus étroits, il fallut mettre pied à terre, et abandonner nos guides maures pour nous confier à des montagnards. Notre seul langage était de leur montrer les pics neigeux au-dessus de nos têtes. À mesure que nous avancions, la forêt d’oliviers, de cèdres, de noyers et de caroubiers s’épaississait de plus en plus, traversée par des vignes sauvages et du houblon. Le paysage devenait de plus en plus pittoresque : des rocs abruptes et stériles s’élevaient des deux côtés ; la vallée n’avait pas un quart de mille de largeur, et le torrent bouillonnait à cinq cents pieds au-dessous. Quelquefois le sentier de la montagne serpentait en glissant le long du précipice, tandis que devant nous les pics neigeux semblaient reculer à mesure que nous avancions.

« À midi, nous fîmes halte sur le sommet d’une roche conique schisteuse, très-décomposée à la surface : ses couches étaient dirigées est et ouest.

» Nos observations nous donnèrent, à midi, une latitude nord de 31° 25′ 30″, la première peut-être qu’on ait jamais prise dans l’Atlas. Nos baromètres indiquaient une élévation de quatre mille six cents pieds au-dessus du niveau de la mer.

» Pendant toutes ces opérations, les shelluhs nous entouraient, et regardaient avec étonnement nos personnes, nos vêtemens, et surtout nos boutons dorés. Ils examinaient en silence la boussole, le baromètre, et nos autres instrumens, comme choses au-dessus de leur intelligence ; mais quand nous versâmes le mercure pour obtenir un horizon artificiel, ils laissèrent échapper un cri de surprise et d’admiration. Leur intelligence et leur curiosité contrastent avec l’apathie des Maures ; ils ont un air de liberté qu’on ne trouve pas dans les plaines, des formes belles et athlétiques, une taille petite, des traits peu marqués, le teint clair. Le goître est inconnu chez eux ; nos interprètes n’entendaient pas plus leur langue que généralement eux-mêmes n’entendent l’arabe. Des Juifs qui habitent cette vallée nous servirent de truchemens, et nous firent obtenir une centaine de mots du langage de ces montagnards. Ils ont pour demeure des cabanes en pierres brutes liées avec de la boue, et à toits d’ardoise légèrement inclinés. Leur principale occupation est la chasse. Ils communiquent fort peu avec les Arabes et les Maures de la plaine. Partout où la vallée offrait un point susceptible de culture, il était enclos et cultivé. Ces braves gens se montrèrent hospitaliers et généreux pour nous. Dans chaque village, nous trouvâmes plusieurs familles juives qui y sont venues chercher un asile contre la dégradation, et les taxes qui les écrasent dans les villes. La population de ces villages, qui sont au nombre de dix, est de quatre à cinq mille âmes, dont un quart de race juive. On trouve dans la vallée du salpêtre, et on y fait de la bonne poudre. Des mines de cuivre ont été, dit-on, exploitées dans les parties élevées. Combien ces retraites centrales de l’Atlas sont peu connues ! La race des montagnards que nous y avons trouvée est certainement un peuple moins mêlé, plus original que beaucoup d’autres ; et c’est à peine si on sait quelques mots de sa langue. Il y a encore là un vaste champ à exploiter.

» Nous continuâmes encore à monter pendant deux heures ; le sol était mal couvert d’une herbe rare et de cèdres rabougris. Enfin nous atteignîmes la limite des neiges ; nous avançâmes même au-delà, jusqu’à ce qu’il devînt impossible de marcher. Alors nos guides déclarèrent qu’ils n’iraient pas plus loin, et nous fîmes halte malgré nous ; nos yeux se portèrent, avec le regret de ne pas les atteindre, sur ces pics élevés, que séparait encore de nous une masse de neige vierge. Notre baromètre indiquait six mille quatre cents pieds au-dessus du niveau de la mer. Le rocher sur lequel nous étions arrêtés offrait un grès rouge et dur, dont les couches étaient dirigées est et ouest. Ainsi, nous n’avions encore dépassé que le calcaire, le schiste micacé et le grès ; nous n’avions découvert que des roches de transition ou secondaires, mais aucune trace de roches primitives, hors un peu de granit ou de gneiss dans la vallée au-dessous, et des veines de quartz folié dans les collines schisteuses. La formation tendait à la surface plane ; les arètes et les sommets étaient arrondis ; rien qui ressemblât aux pointes et aux pics aigus des Alpes. Dans notre marche à travers ces montagnes, nous ne pûmes apercevoir non plus aucune trace d’action volcanique, et rien dans la configuration de l’Atlas n’indique l’existence antérieure d’un cratère.»

Les limites dans lesquelles nous sommes obligés de nous renfermer ne nous permettent pas d’analyser un mémoire du capitaine King sur la géographie de la Terre-de-Feu et sur le détroit de Magellan, pas plus que des notes sur l’isthme de Panama, par M. Lloyd, qui, attaché au général Bolivar, fut chargé par lui d’explorer l’isthme, afin de constater la meilleure ligne de communication à établir entre les deux océans, par terre ou par eau. Les Espagnols ont souvent fait des recherches du même genre ; mais on n’a généralement pas encouragé une entreprise aussi pénible que coûteuse ; et nous ne pensons pas que les nivellemens faits par M. Lloyd aient quelque influence sur l’exécution d’un projet qui, s’il n’est pas impraticable, ne répondrait probablement point au but qu’on se propose, et coûterait des sommes énormes.

Le dernier mémoire que nous analyserons a pour objet la solution d’un problème géographique qui a excité plus d’intérêt que tout autre, à l’exception peut-être du passage au nord-ouest de l’Amérique. L’embouchure si long-temps cherchée du fleuve qu’on a fort mal à propos appelé Niger, vient d’être enfin découverte par un homme aussi modeste qu’intelligent, qui, sans avoir de théorie à soutenir ou de préjugé à justifier, s’est mis tout simplement à l’œuvre, et a accompli, non sans difficultés et sans dangers, la tâche où tant de voyageurs avaient failli.

Richard Lander, qui avait suivi le capitaine Clapperton dans son second voyage à Soccatoo (Sakatou) en qualité de simple domestique, et qui, après la mort de son maître, avait rapporté son Journal en Angleterre et y avait joint le résultat de ses propres observations, offrit ses services pour continuer les découvertes du capitaine, et descendre le fleuve jusqu’à son embouchure, quelque part qu’elle pût être. Il reçut des instructions qui lui prescrivaient de prendre la même route que Clapperton, jusqu’à ce qu’il atteignît un endroit favorable pour s’embarquer sur la rivière, et puis de se livrer au courant, et de descendre jusqu’où il le conduirait, soit à la mer, soit au lac de Tsad, les deux seuls réservoirs probables, et même possibles, de ses eaux. Richard Lander, accompagné de John son frère, aborda le 31 mars 1830 à Badagry, et le 15 novembre suivant il arriva dans l’Océan atlantique par le canal du Nun, bras du fleuve, qui décharge dans la baie de Bénin une petite partie des eaux du Quorra (Konâra.)

Le mémoire publié ici consiste seulement en quelques extraits du « Journal d’une Expédition entreprise par ordre du gouvernement anglais pour déterminer le cours et l’embouchure du Niger, plus exactement appelé Quorra, depuis Yaoori jusqu’à la mer ; par Richard et John Lander. » Tel est le titre du livre que le libraire Murray va publier en même temps à Londres et à Paris, et qu’il a payé mille livres sterling aux deux voyageurs.

D’abord les deux frères suivirent à peu de chose près la première route de Richard jusqu’à Boossa, qui n’est pas sur une île, comme Clapperton le supposait, mais sur la rive droite du fleuve. Au reste, l’erreur de Clapperton s’explique très-naturellement. La petite rivière Menai se jette dans le Quorra immédiatement au-dessous de Boossa, et comme il est nécessaire de la traverser pour arriver du sud en cette ville, Clapperton supposa que le Menai était un bras du grand fleuve.

« Ce matin, dit Lander, j’ai vu le fameux Niger ou Quorra, qui coule au pied de la ville, à peu près à un mille de notre habitation, et je suis très-surpris de son peu de largeur. D’âpres rochers noirs s’élèvent à pic du milieu du courant, et sa surface est agitée par des tournans rapides. Ici, dans sa plus grande largeur, à la fin de la saison sèche, il n’a pas plus d’un jet de pierre. Le roc sur lequel je me suis assis domine l’endroit où Mungo-Park et ses compagnons trouvèrent la mort. »

De Boossa à Yaoori ils remontèrent le fleuve en canot : des rochers, des bancs de sable, et de petites îles basses, le partagent en de nombreux canaux. Ces îles sont couvertes de gazon très-haut, et partout l’eau est si peu profonde, que souvent le canot touchait le fond. Cependant on leur dit à Yaoori qu’au-dessus de cet endroit et au-dessous de Boossa, la navigation n’était gênée ni par des rochers, ni par des bancs de sable, et qu’après la saison des pluies, tous les canots vont et viennent facilement entre Yaoori, Nyffe, Boossa et Funda.

C’est aussitôt après les pluies, dit Lander, que le fleuve emporte, par la masse et la rapidité de ses eaux, toutes les herbes qui poussent annuellement sur ses bords. Il couvre alors tous les rochers et toutes les îles basses, qui n’arrêtent plus la navigation, et sur lesquelles on peut passer sans crainte. Il y a déjà long-temps, un grand bateau chargé de marchandises arriva de Timboctoo à Yaoori ; quand elles furent vendues, les matelots retournèrent par terre dans leur pays, assurant qu’ils ne pouvaient suffire à la peine de remonter le courant à une si grande distance ; et ils laissèrent leur bateau à Yaoori. De là à Soccatoo, quand on ne s’arrête pas sur la route, le trajet peut se faire en cinq jours, et c’est le temps qu’y mettent les naturels du pays.

Yaoori est un grand royaume très-florissant. Il est borné à l’orient par Haussa, à l’occident par Borgoo, au nord par Cubbie, et au sud par le royaume de Nouffie.

La couronne est héréditaire, et le gouvernement absolu. Le dernier sultan fut déposé par ses sujets pour ses violences et sa mauvaise conduite, et le souverain actuel règne depuis trente-neuf ans. Il a de grandes forces militaires, qui, dit-on, ont repoussé avec succès les continuelles attaques des Felatahs. Elles sont maintenant occupées au loin à comprimer une révolte occasionnée en partie par des taxes exorbitantes, et par les rigueurs exercées pour contraindre les populations à les payer. La ville d’Yaoori est grande et bien peuplée, entourée d’un mur d’argile assez haut, et peut avoir vingt milles de tour. Elle a huit grandes portes, fortifiées à la manière du pays. Les habitans font une espèce de mauvaise poudre, la seule qu’on trouve dans cette partie de l’Afrique, des selles assez propres, et un certain genre d’étoffe. Ils cultivent l’indigo, le tabac, les oignons, le froment, les autres espèces de blés, et du riz excellent ; ils élèvent des chevaux, des bœufs, des moutons et des chèvres ; ce qui ne les empêche pas d’être pauvres, et assez misérablement vêtus, et de se plaindre continuellement du malheur des temps.

Après Boossa et Nylle ou Nouffie, le fleuve se rétrécit en face de Layaba, et devient plus profond.

« Quand nous eûmes dépassé Layaba, nous descendîmes rapidement le fleuve jusqu’à une distance de 13 ou 14 milles ; son cours devenait plus majestueux, et n’était plus entravé par des îles ou des rochers. Sa largeur variait d’un à trois milles ; le pays était plat de chaque côté, et quelques misérables villages étaient clairsemés sur ses rives. Au-dessus de Bajebo, le courant est divisé par une île. Nous y étions le 5 octobre, et c’est là, pour la première fois, que nous avons rencontré de grands canots avec une hutte au milieu, pour les marchands et leur famille. L’île de Madgie, où il fallut nous arrêter pour attendre des rameurs, est plantée de quelques arbres et d’arbustes rabougris ; la sève leur manque et leur feuillage est terne et flétri. Ils poussent dans les interstices et les fissures des rochers, et sont suspendus à de grandes hauteurs sur d’affreux précipices, où ils ne sont accessibles qu’aux bêtes sauvages et aux oiseaux de proie. Au-dessous de Madgie, le fleuve tourne à l’orient, le long d’une chaîne de collines, et puis il coule pendant quelques milles au sud. Après cette île, nous en rencontrâmes une autre, et à peu de distance une troisième, que les naturels du pays appellent Kesey, et qui est pour eux l’objet d’une vénération superstitieuse ; c’est un rocher presque à pic, haut de 300 pieds. »

À Rabba, grande ville, bien peuplée et très-florissante, avec un grand marché d’esclaves, le Quorra tourne encore à l’est. Un peu au-dessus, les voyageurs aperçurent l’embouchure d’une grande rivière qui s’y jette par le nord-est. C’était la Coodoonia, que Richard Lander avait passée à son premier retour de Soccatoo, et le lieutenant Becher observe, comme une preuve de l’exactitude des deux itinéraires, que les positions coïncident à un mille près. Un peu plus loin est Egga, ville bien peuplée aussi, où les habitans sont revêtus d’étoffes portugaises et de bazin, ce qui fait croire qu’ils ont des communications avec la mer, et avec d’autant plus de raison que leurs bateaux sont très-grands. Alors le fleuve prend la direction du sud ; et à quatre journées de navigation, il reçoit une rivière presque aussi considérable que lui, et qui coule du nord-est ; elle était très-enflée, et avait deux ou trois milles de largeur ; on l’appelle le Tshadda. Nos voyageurs pensèrent que Funda, dont Clapperton avait tant entendu parler pendant son séjour à Soccatoo, était à trois journées de là sur cette rivière, et non comme il le pensait, sur le Quorra.

Au-dessous du confluent des deux rivières, le Quorra traverse des montagnes dont la hauteur paraît augmenter au sud-est, et auxquelles appartiennent probablement les pics élevés qu’on aperçoit de la baie de Bénin, et qui auraient 12 ou 13 mille pieds de hauteur, d’après des mesures trigonométriques. Une fois sorti des montagnes, on arrive à la ville de Kirree, où paraît commencer le grand Delta du Quorra, qui s’étend au sud-ouest jusqu’à l’embouchure de la rivière de Bénin, et au sud-sud-est jusqu’à celle du vieux Calabar. Ces deux embouchures sont à une distance de 240 milles, et Kirree est à peu près aussi éloignée de celle du Nun. Ce grand Delta est coupé par les bras nombreux du Quorra, et souvent inondé ; quelques arbres poussent au milieu des eaux : le pays est plat et marécageux ; les criques sont en grand nombre sur les bords du fleuve, qui sont couvertes des huttes de marchands d’esclaves, avec leurs canots et leurs longues barques.

Le cours du Quorra est tracé sur une carte qui accompagne le Journal de l’expédition, et pour laquelle le lieutenant Becher a combiné les données de Lander avec celles de Clapperton. Les deux voyageurs n’avaient, pour tout instrument, qu’une boussole ordinaire, encore fut-elle perdue à Kirree, à environ cent quatre-vingt milles de l’embouchure, en droite ligne. Ainsi dépourvu des moyens de préciser aucune position géographique avec assez d’exactitude, le cartographe a pris pour points de départ Boossa et l’embouchure du Nun, aux deux extrémités opposées, entre lesquelles se place nécessairement le cours du fleuve ; la marche journalière des voyageurs a été ensuite soumise à un rigoureux examen. « Après les réductions nécessaires de la grande échelle que nous avions d’abord adoptée, dit M. Becher, voici les particularités qui rendent assez probable l’exactitude de la carte : l’embouchure du Nun est au sud de Boossa ; or le fleuve coule vers l’est dans une longueur à peu près égale à son cours vers l’ouest, ce qui correspond à cette position. La rivière Coodonia se jette dans le Quorra, précisément au point antérieurement déterminé. Il en est de même du Tshadda. La distance d’Yaoori à Soccatoo est à peu près aussi celle que Clapperton indiquait. »

Telle est la solution de ce grand problème géographique ; depuis la première découverte du Joliba par Mungo-Park, tous les points de la boussole ont été successivement adoptés, comme répondant à son embouchure. L’Allemand Reichard avait bien deviné ; il était arrivé par hasard à la vérité, à travers des raisonnemens et des suppositions qui ne reposaient sur aucune donnée vraie.

Il reste deux questions à poser : le Quorra est-il réellement la continuation du Joliba de Mungo-Park, et le Joliba ou Quorra est-il le Niger ? À la première question nous répondons hardiment oui, et non à la seconde, si par le Niger on veut parler du fleuve que les géographes et les historiens anciens appellent de ce nom.

Nous avons les plus fortes preuves de l’identité du Joliba avec le Quorra. Mungo-Park, à son départ de Sansanding, écrit à lord Camden et à mistress Park, qu’il va descendre la rivière dans son double canot, jusqu’à l’Océan, et qu’il reviendra par les Indes occidentales. Le prêtre mandingue[3] qu’on envoya faire des recherches sur le sort de ce voyageur, apprit son naufrage et sa mort, ainsi que celle de ses compagnons, à un endroit appelé Boossa, dont on n’avait jamais entendu parler auparavant. Quand le capitaine Clapperton quitta Badagry, lors de sa seconde expédition, il trouva que Boossa était sur la rive droite du Quorra, et y apprit de son côté le sort de Mungo-Park, absolument comme l’avait rapporté le prêtre mandingue. Il vit les rochers sur lesquels s’était brisé le canot, et on lui parla de livres et de papiers existants entre les mains du sultan de Nyffe. Lander, à son retour, fut retenu pour nettoyer quelques mousquets marqués du signe de la tour de Londres. Il est donc impossible de douter que Mungo-Park ne fût arrivé à Boossa. Mais il y a encore une preuve plus décisive, c’est que le vieux roi montra et donna aux voyageurs un livre de logarithmes et un livre de prières, où se trouvait écrit le nom de M. Anderson, un des compagnons de Mungo-Park. Il y avait aussi dans le premier un billet pour inviter Mungo-Park à dîner chez une personne du Strand, et une lettre de lady Dalkeith, pour le remercier de quelques dessins. Il est donc clair que Mungo-Park fut à Boossa, et que c’est là que son canot fut brisé ; mais s’il atteignit cette ville, il est tout aussi clair que ce fut en suivant le cours du Joliba, qu’il voulait descendre jusqu’à la mer, et que sans cela il aurait abandonné son double canot, ou l’aurait transporté par terre, ce qui est une supposition absurde. Nous nous dispenserons de reproduire ici, d’après le Quarterly Review, une digression sur le Niger des anciens, qui paraît empruntée, et peut-être de seconde main, aux recherches sur l’Afrique de M. Walckenaër.

Depuis le compte rendu de la Revue anglaise, Richard Lander a reçu le prix royal de cinquante guinées des mains de lord Goderich (M. Robinson), qui présidait la séance de la Société de géographie du 14 novembre dernier. Son sort est en même temps assuré par une place administrative comfortable. Son frère John, compagnon de ses travaux, a aussi été de son côté recommandé à l’intérêt du gouvernement anglais.


  1. Al-Qantarah, c’est-à-dire le pont.
  2. Là Ela ilà Allah, Mohhammado rasoul Allah.
  3. Ce n’était ni un prêtre, ni un Manding, mais un marchand Sarakhalé.

    (Note du Traducteur.)