Traité de la peinture (Cennini)/CXXXIV

Traduction par Victor Mottez.
Jules Renouard et L. Lefort (p. 119-120).

CXXXIV.Comment on met l’or sur panneau.
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Quand vient le temps doux et humide, si tu veux dorer, couche ton panneau sur deux trépieds ; prends tes plumes, fais partir la poussière ; avec ton petit crochet va d’une main légère sur le champ couché de bol voir s’il n’y a point de saletés, de petits nœuds ou des grains de poussière quelconques, fais-les partir ; prends un peu de charpie faite de toile de lin et brunis ton bol avec une attention recueillie. Si tu brunissais avec de la dentelle cela ne pourrait que très-bien faire. Quand tu l’as ainsi obtenu bien bruni et bien net, prends un verre presque plein d’eau claire bien propre, mets dedans un peu de cette tempera de blanc d’œuf, et si elle était un peu rance elle n’en vaudrait que mieux ; mélange-la bien dans le verre avec l’eau, prends un assez gros pinceau d’écureuil fait avec les pointes de queues, comme je te l’ai déjà décrit ; prends ton or fin et avec une paire de petites pincettes prends gentiment la feuille d’or ; aie une carte taillée carrée, plus grande que la feuille d’or, écornée à chaque coin, tiens-la dans la main gauche, avec ton pinceau dans la main droite, mouille ton bol sur l’endroit seulement qui doit recevoir la feuille d’or que tu as en main ; mouille bien également qu’il n’y ait pas sur le bol plus d’eau à un endroit qu’à l’autre ; fais que l’or dépasse la carte d’environ une corde, pour que le dessus de la carte ne se mouille pas. Or, quand tu es arrivé au moment où l’or touche l’eau, de suite et vite retire à toi la main et la carte. Si tu vois que l’or n’a pas pris partout sur l’eau, prends un peu de ouate neuve et aussi légèrement que tu pourras le faire, presse sur l’or. De la même façon mets d’autres feuilles. Quand tu mouilles pour la seconde feuille, prends garde en conduisant ton pinceau près de l’or placé qu’il le rase, mais ne passe pas dessus. La feuille que tu ajoutes doit être placée une demi-corde au-dessus de celle mise, que tu auras humectée de ton haleine d’abord, afin que l’or s’attache dans la partie où il est superposé.

Lorsque tu as mis trois feuilles, reviens presser avec la ouate la première : soufflant dessus, tu verras alors s’il y a quelque chose à réparer. Aie un petit coussin de la grandeur d’une brique ou pierre cuite, lequel est fait d’une planche bien plate recouverte d’un cuir bien blanc, sans taches, de celui dont on fait les brodequins ; il doit être cloué, bien tendu et rempli entre le bois et le cuir de bourre. Puis, sur ce coussin mets une feuille d’or bien étendue, et avec un couteau bien plat taille ton or en morceaux selon ce qu’il te faut pour les raccommodages. Aie un petit pinceau d’écureuil pointu, et avec la tempera mouille les endroits à réparer, humectant aussi avec un peu de salive la pointe du pinceau : cela suffira pour prendre le petit morceau d’or à mettre sur le trou. Quand tu as ainsi couvert les pleins, qu’ils te paraissent bien et prêts pour le jour où tu devras brunir (comme je te le dirai quand nous en serons à la dorure des corniches et feuillages), aie soin de rassembler les petits morceaux comme le maître paveur rassemble les pavés sur la voie, afin d’épargner l’or le plus possible en faisant des réserves et couvrant avec des mouchoirs blancs l’or déjà placé.