Traité de la nature humaine/I/I/II. Division du sujet
Texte établi par Selby-Bigge, Oxford University Press, 1960[?] ; réimpression de l’édition originale de 1739 (p. 7-8).
Puisqu’il apparaît que nos impressions simples précèdent leurs idées correspondantes, et que les exceptions sont très rares, la méthode semble exiger que nous examinions nos impressions avant de considérer nos idées. Les impressions peuvent être divisées en deux genres, celles de Sensation et celles de Réflexion. Le premier genre survient originairement dans l’âme, de causes inconnues. Le second est dérivé dans une large mesure de nos idées, et cela dans l’ordre suivant. Une impression frappe d’abord les sens et nous fait percevoir la chaleur ou le froid, la soif ou la faim, le plaisir ou la douleur, d’un certain genre ou d’un autre. De cette impression, il y a une copie prise par l’esprit, qui demeure après que l’impression cesse ; et c’est ce que nous appelons une idée. Cette idée de plaisir ou de douleur, quand elle retourne dans l’âme, produit les nouvelles impressions du désir et de l’aversion, de l’espoir et de la crainte, qui peuvent proprement être appelées des impressions de la réflexion, parce qu’elles en sont dérivées. Celles-ci sont également copiées par la mémoire et l’imagination et deviennent des idées ; lesquelles provoquent peut-être à leur tour d’autres impressions et d’autres idées. En sorte que les impressions de la réflexion ne sont qu’antérieures à leurs idées correspondantes ; mais postérieures à celles de la sensation, et dérivées d’elles. L’examen de nos sensations appartient davantage aux anatomistes et aux philosophes de la nature qu’à la morale ; et il ne sera donc pas pris en considération pour le moment. Et comme les impressions de la réflexion, à savoir les passions, les désirs et les émotions, qui méritent principalement notre attention, résultent pour la plupart des idées, il sera nécessaire d’inverser cette méthode qui, à première vue, semble la plus naturelle ; et, afin d’expliquer la nature et les principes de l’esprit humain, de faire un exposé particulier des idées, avant d’en venir aux impressions. Pour cette raison, j’ai choisi de commencer par les idées.