Tout n’est pas rose/En Bretagne

Calmann Lévy, éditeur (p. 185-187).

L

EN BRETAGNE.

Oh ! si vous demandez au Ciel un noir recueil !
Voyageur, voyageur ! si la pensée en deuil,
Vous cherchez vainement pour soulager votre âme
Ou vous soustraire un jour à cette vie infâme,
Un pays sombre, triste, à votre cœur pareil !
Quand la mer sera basse, un matin sans soleil,

À l’aube, quand le jour est encore assez terne,
Partez de Pennmarck, marchez vers Audierne !
Tournez le dos aux champs, aux hameaux, aux clochers,
Et descendez la côte en suivant les rochers ;
Allez droit devant vous, allez dans votre rêve !
Et devant le spectacle horrible de la grève,
Malheureux, vous pourrez facilement pleurer,
Blasphémer plus à l’aise et mieux désespérer !
Là, point de chaume au loin, point de vertes collines,
Point de riants chalets festonnés de glycines,
Ni barques de pêcheur, ni chants de matelot ;
Mais le désert immense et le bruit seul du flot,
Mais une solitude infertile et perdue !
De noirs écueils au bord de la morne étendue ;
Un rivage maudit, fait d’horreur et de nuit ;
Quelques voiles au loin, un goëland qui fuit ;
Sur un abîme, afin d’en défendre l’approche,
Un calvaire en granit au sommet d’une roche ;
Un ciel gris ; un vent froid ; le cri sourd de la mer ;
Rien que la Thébaïde et que le gouffre amer !
Quelquefois seulement, enroulé d’un vieux câble,
Palmier de ce désert, un mât sortant du sable,

Au lointain, près du flot, par les vents fracturé !
Débris d’un vaisseau mort, sous la grève enterré,
Qui, dans l’isolement qui saisit et qui navre,
Morne, laisse passer son bras, comme un cadavre !