Anthologie des matinées poétiques/Tout doux, tout doux

Anthologie des matinées poétiques
Anthologie des matinées poétiques, Texte établi par Louis Payen (p. 6-7).


Tout doux, tout doux


Par le trou de la cheminée,
— Tout doux, tout doux —
Par le trou de la cheminée,
Mon âme aux ailes de fumée
Un soir s’envola Dieu sait où…

Perdit au bois ses plumes blanches,
— Tout doux, tout doux —
Perdit au bois ses plumes blanches
Qu’accrochèrent les hautes branches
Et les griffes d’or des hiboux…

Lors s’enfuit sur la vaste plaine
— Tout doux, tout doux —
Lors s’enfuit sur la vaste plaine,
Et vit que la plaine était pleine
Au loin par la chasse des loups !…

Volant plus haut sur la campagne,
— Tout doux, tout doux —
Volant plus haut sur la campagne,
Traversa l’orgueil des montagnes
Et devint la proie des vents fous !…

Vit, au loin, Paris, la grand’ville,
— Tout doux, tout doux —
Vit au loin Paris la grand’ville
Et, cherchant pain et domicile,
Y trouva prison et verrous…

Lors s’évadant par nuit obscure,
— Tout doux, tout doux —
Lors, s’évadant par nuit obscure,
Erra cent ans à l’aventure
Dans la nuit creuse, un peu partout…

Mais, cent ans perdue dans l’espace,
— Tout doux, tout doux —

Mais, cent ans, perdue dans l’espace,
Mon âme, un soir, trop loin, trop lasse.
Tomba dans la mer en courroux !…

Ma sœur, j’ai peur, ferme la porte,
— Tout doux, tout doux —
Ma sœur, j’ai peur, ferme la porte,
Je t’apporte mon âme morte :
Pour elle, prions à genoux…

Par le trou de la cheminée,
— Tout doux, tout doux, —
Mon Ame aux ailes de fumée
En pluie de larmes est tombée…
— Et que Dieu ait pitié de nous !…

(Les Poèmes primitifs, Messein éd.)