Fables choisies, mises en versDenys Thierry et Claude BarbinTroisième partie : livres vii, viii (p. 148-153).

XIII.

Tircis & Amarante.

Pour Mademoiſelle de Sillery.

J’avois Éſope quitté
Pour eſtre tout à Bocace :
Mais une divinité
Veut revoir ſur le Parnaſſe

Des Fables de ma façon ;
Or d’aller luy dire, Non,
Sans quelque valable excuſe,
Ce n’eſt pas comme on en uſe
Avec des Divinitez,
Sur tout quand ce ſont de celles
Que la qualité de belles
Fait Reines des volontez.
Car afin que l’on le ſçache
C’eſt Sillery qui s’attache
À vouloir que de nouveau
Sire Loup, Sire Corbeau
Chez moy ſe parlent en rime.
Qui dit Sillery, dit tout ;
Peu de gens en leur eſtime
Luy refuſent le haut bout ;
Comment le pourroit-on faire ?
Pour venir à noſtre affaire,
Mes contes à ſon avis
Sont obſcurs ; Les beaux eſprits

N’entendent pas toute choſe :
Faiſons donc quelques recits
Qu’elle déchifre ſans gloſe.
Amenons des Bergers & puis nous rimerons
Ce que diſent entre eux les Loups & les Moutons.
Tircis diſoit un jour à la jeune Amaranthe ;
Ah ! ſi vous connoiſſiez comme moy certain mal
Qui nous plaiſt & qui nous enchante !
Il n’eſt bien ſous le Ciel qui vous paruſt égal :
Souffrez qu’on vous le communique ;
Croyez-moy ; n’ayez point de peur ;
Voudrois-je vous tromper, vous pour qui je me pique

Des plus doux ſentimens que puiſſe avoir un cœur ?
Amaranthe auſſi-toſt replique ;
Comment l’appellez-vous ce mal ? quel eſt ſon nom ?
L’amour. Ce mot eſt beau : Dites-moy quelques marques
À quoy-je le pourray connoiſtre : que ſent-on ?
Des peines prés de qui le plaiſir des Monarques
Eſt ennuyeux & fade : on s’oublie, on ſe plaiſt
Toute ſeule en une foreſt.
Se mire-t-on prés un rivage ?
Ce n’eſt pas ſoy qu’on void, on ne void qu’une image
Qui ſans ceſſe revient & qui ſuit en tous lieux :
Pour tout le reſte on eſt ſans yeux.

Il eſt un Berger de village
Dont l’abord, dont la voix, dont le nom fait rougir :
On ſoûpire à ſon ſouvenir :
On ne ſçait pas pourquoy ; cependant on ſoûpire ;
On a peur de le voir encor qu’on le deſire.
Amaranthe dit à l’inſtant
Oh ! oh ! c’eſt là ce mal que vous me prêchez tant ?
Il ne m’eſt pas nouveau : je penſe le connoître.
Tircis à ſon but croyoit eſtre,
Quand la belle ajoûta, Voilà tout juſtement
Ce que je sens pour Clidamant.
L’autre penſa mourir de dépit & de honte.
Il eſt force gens comme luy

Qui pretendent n’agir que pour leur propre compte,
Et qui font le marché d’autruy.