Thomas Young (Arago)/Introduction

Œuvres complètes de François Arago, secrétaire perpétuel de l’académie des sciences1 (p. 241-243).
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THOMAS YOUNG


BIOGRAPHIE LUE EN SÉANCE PUBLIQUE DE L’ACADÉMIE DES SCIENCES, LE 26 NOVEMBRE 1832.





Messieurs, la mort qui, sans relâche, éclaircit nos rangs semble diriger ses coups, avec une prédilection cruelle, contre la classe si peu nombreuse des associés étrangers. Dans un court espace de temps, l’Académie a vu disparaître de la liste de ses membres Herschel, dont les idées hardies sur la composition de l’univers acquièrent chaque année plus de probabilité ; Piazzi, qui, le premier jour de ce siècle, dota notre système solaire d’une nouvelle planète ; Watt, qui fut, sinon l’inventeur de la machine à vapeur, car cet inventeur est un Français, du moins le créateur de tant d’admirables combinaisons, à l’aide desquelles le petit appareil de Papin est devenu le plus ingénieux, le plus utile, le plus puissant véhicule de l’industrie ; Volta, que sa pile électrique conduira à l’immortalité ; Davy, également célèbre par la décomposition des alcalis et par l’inappréciable lampe de sûreté des mineurs ; Wollaston, que les Anglais appelaient le Pape, parce qu’il n’avait jamais failli ni dans ses nombreuses expériences ni dans ses subtiles spéculations théoriques ; Jenner, enfin, dont je puis me dispenser de qualifier la découverte devant des pères de famille. Payer à de si hautes illustrations le légitime tribut de regrets, d’admiration et de reconnaissance de tous les hommes voués à l’étude, est un des principaux devoirs imposés par l’Académie à ceux qu’elle investit du dangereux honneur de parler en son nom dans ces réunions solennelles. Acquitter cette dette sacrée dans le plus court délai possible ne semble pas une obligation moins impérieuse. En effet, Messieurs, l’académicien regnicole laisse toujours après lui, parmi les confrères que l’élection lui avait donnés, plusieurs confidents de ses plus secrètes pensées, de la filiation de ses découvertes, des vicissitudes qu’il a éprouvées. L’associé étranger, au contraire, réside loin de nous ; rarement il s’assied dans cette enceinte ; on ne sait rien de sa vie, de ses habitudes, de son caractère, si ce n’est par les récits de quelques voyageurs. Quand plusieurs années ont passé sur ces documents fugitifs, si vous en retrouvez encore des traces, ne comptez plus sur leur exactitude : les nouvelles littéraires, tant que la presse ne s’en est point saisie, sont une sorte de monnaie dont la circulation altère en même temps l’empreinte, le poids et le titre.

Ces réflexions feront concevoir comment les noms des Herschel, des Davy, des Volta, ont dû être prononcés dans nos séances avant ceux de plusieurs académiciens célèbres que la mort a frappés au milieu de nous. Au surplus, d’ici à peu d’instants, je l’espère, personne ne pourra nier que le savant universel dont je vais raconter la vie et analyser les travaux, n’eût des droits réels à quelque préférence.