Théorie de la grande guerre/Livre VII/Chapitre 18

Traduction par Marc-Joseph-Edgar Bourdon de Vatry.
Librairie militaire de L. Baudoin et Cie (Tome troisièmep. 85-88).

CHAPITRE XVIII.

attaque des convois.


L’attaque et la défense des convois constituent des opérations essentiellement tactiques et nous n’en parlerons ici que pour montrer qu’on n’y peut procéder qu’en raison des rapports stratégiques existants. Nous eussions déjà traité cette question dans le livre de la Défensive si le peu que nous avons à en dire ne se rapportait à la fois aux deux formes de l’action à la guerre et ne prenait même plus d’importance au point de vue de l’attaque qu’à celui de la défense.

Un convoi de 300 à 400 voitures, — la nature du chargement n’entre pas ici en considération, — occupe déjà un demi-mille (de 3 à 4 kilomètres) sur la route qu’il suit. Or ce n’est là qu’un convoi de force moyenne. On est donc en droit de se demander comment il est possible de couvrir un transport tant soit peu considérable avec le faible nombre d’hommes auxquels on en confie généralement l’escorte. Si l’on ajoute à cette difficulté le manque de mobilité d’un pareil matériel, la lenteur de sa marche, les causes d’arrêts qui se peuvent incessamment présenter de la tête à la queue de la ligne et, par suite, la nécessité d’en couvrir directement toutes les parties dans la crainte que le désordre ne s’empare du tout si l’ennemi en atteint un seul point, on s’étonne que tous les transports attaqués ne soient pas aussitôt pris et qu’ils ne soient pas tous attaqués dès qu’il est nécessaire de les escorter. Il est certain, d’ailleurs, que les expédients tactiques auxquels on recourt en cas d’attaque ne sont que de faibles palliatifs des causes de danger que l’esprit découvre à ce propos, aussi bien le moyen peu pratique que conseille Tempelhof d’être sans cesse prêt, à la moindre menace d’approche de l’ennemi, à raccourcir la longueur du convoi en passant de la marche par le flanc à celle en colonne, que le procédé beaucoup plus logique qu’indique Scharnhorst et qui consiste à fractionner le transport en plusieurs échelons.

Dans le fait, si le problème est soluble c’est que, dans la grande majorité des cas, on fait suivre aux convois des routes que leur situation stratégique met tout particulièrement à l’abri des atteintes de l’ennemi, ce qui augmente considérablement l’efficacité des moyens défensifs auxquels l’escorte peut recourir. On les dirige toujours, en effet, soit sur les derrières de l’armée soit, du moins, à une certaine distance de l’ennemi. Il en résulte que des détachements de médiocre effectif les peuvent seuls attaquer et que ces détachements sont encore obligés de s’affaiblir de tout ce qu’ils doivent consacrer d’hommes à couvrir leurs flancs et à assurer leur retraite. Il faut considérer aussi qu’en raison même de sa lourdeur le matériel d’un convoi est difficile à enlever et que l’attaquant doit le plus souvent se contenter de couper les traits, d’emmener les chevaux et de faire sauter les fourgons de munitions, ce par quoi il retarde et désorganise à la vérité le transport mais ne l’anéantit pas.

La sûreté d’un convoi dépend donc bien moins de la capacité de résistance des troupes qui l’escortent que des rapports stratégiques du terrain qu’on lui fait parcourir. Or que ces rapports soient tels qu’ils permettent à l’escorte, au lieu de couvrir directement le convoi, de se porter résolument à la rencontre de l’adversaire et de jeter le trouble dans son opération, et l’on comprend enfin comment, loin d’être toujours facile et immanquable, l’attaque d’un transport est soumise à de grands hasards et souvent très incertaine dans ses résultats.

Il est un autre danger qui menace encore l’attaquant dans cette opération, c’est celui d’être attaqué lui-même après coup par le gros ou par l’un des corps de son adversaire. Cette crainte est la cause inavouée de l’interruption de maintes expéditions de ce genre, dans lesquelles il est impossible d’expliquer l’inaction de l’attaque par le respect seul que lui peut inspirer la faiblesse de l’escorte du convoi menacé. Comme exemple à ce propos il suffit de citer la célèbre retraite du grand Frédéric à travers la Bohême en 1758 après le siège d’Olmütz, quand il dut fractionner la moitié de son armée par pelotons pour couvrir un convoi de 4 000 voitures ! Si Daun n’attaqua pas le Roi dans ces conditions, ce fut uniquement dans la crainte qu’avec la seconde moitié de son armée celui-ci ne le forçât à une bataille dont il ne voulait pas courir les risques. Mais pourquoi du moins Laudon, qui ne cessa de marcher sur l’un des flancs de ce monstrueux convoi, ne l’attaqua-t-il pas lui-même plus promptement et plus vigoureusement qu’il ne le fit à Zischbowitz ? Ce fut également dans la crainte d’être attaqué lui-même. Il se trouvait, en effet, à 10 milles (74 kilomètres) et séparé par l’armée prussienne du gros de ses troupes et, voyant que Daun n’occupait en rien le Roi, il avait à redouter que celui-ci ne se tournât contre lui avec la plus grande partie de ses forces et ne lui infligeât une défaite complète.

Ce n’est, en somme, que lorsque les rapports stratégiques dans lesquels se trouve une armée la contraignent à tirer ses convois de contrées situées en avant de son front ou sur ses côtés, que le transport de ces convois devient un danger pour elle et constitue un objet avantageux d’attaque pour son adversaire, si toutefois la situation de celui-ci lui permet de consacrer une partie de ses troupes à ce genre d’opérations. L’enlèvement du train du grand Frédéric, à Domstaedtel, pendant la campagne de 1758 que nous venons de citer, nous fournit encore un exemple de la réussite absolue d’une entreprise de cet ordre. N’ayant rien à redouter des forces du Roi absolument neutralisées par le double service du siège d’Olmütz et de l’observation de l’armée de Daun, les partisans autrichiens purent tranquillement prendre leurs dispositions et enlever le convoi qui suivait la route de Neisse sur le flanc gauche de la position prussienne.

Pendant le siège de Landrecies en 1712, c’est de Bouchain par Denain et par conséquent par devant le front même de la position stratégique que le prince Eugène dut recevoir ses convois. Or on sait que, pour les protéger dans ces conditions déplorables, ce grand général en arriva, malgré sa grande expérience de la guerre, à des embarras tels qu’il en résulta un revirement complet dans la marche ultérieure des événements.

De toutes ces considérations il faut conclure que, par des motifs stratégiques et si facile qu’en puisse paraître l’exécution au point de vue tactique, les attaques de convois présentent de médiocres avantages et ne promettent d’importants résultats que dans les conditions exceptionnelles où les lignes de communications de l’adversaire sont très exposées.