Théorie de la grande guerre/Livre VII/Chapitre 10

Traduction par Marc-Joseph-Edgar Bourdon de Vatry.
Librairie militaire de L. Baudoin et Cie (Tome troisièmep. 45-46).

CHAPITRE X.

attaque des camps retranchés.


Il fut pendant un certain temps fort à la mode de ne parier qu’avec mépris des ouvrages de campagne et de leurs effets. Les lignes en cordons de la frontière française si souvent forcées pendant les guerres précédentes, le camp retranché de Breslau où le duc de Bevern se fit battre, la bataille de Torgau et maints autres exemples appuyaient ce jugement dont l’autorité augmenta encore de toute la défaveur que les victoires que Frédéric le Grand dut à la rapidité de ses mouvements et à la puissance de ses attaques jetèrent sur le combat de pied ferme et sur la fortification passagère. Il est certain qu’une ligne de simples tranchées de plusieurs lieues d’étendue ne peut être défendue par deux ou trois mille hommes, et que des ouvrages de cette nature présenteraient de grands dangers si on en arrivait à leur accorder cette confiance trompeuse, mais n’est-ce pas faire une grossière confusion d’étendre cette conclusion à la fortification passagère elle-même ainsi que le fait Tempelhoff entre autres ? À quoi serviraient donc les ouvrages de campagne si ce n’était à augmenter la force de résistance du défenseur ? Et, dans le fait, l’expérience a mille fois prouvé qu’un ouvrage retranché bien organisé et suffisamment garni de défenseurs constitue souvent un point imprenable, ou que, du moins, l’attaquant respecte fréquemment comme tel. De cette puissance de résistance d’un ouvrage isolé, il faut nécessairement conclure à la très grande difficulté et, le plus souvent même, à l’impossibilité absolue de s’emparer d’un camp retranché.

Il est logique de ne placer que de faibles garnisons dans les camps retranchés, car, avec de bons obstacles naturels et de solides ouvrages de campagne, on s’y peut défendre contre un nombre très supérieur d’attaquants. Frédéric II considérait l’attaque du camp de Pirna comme irréalisable bien qu’il y pût porter un nombre d’hommes double de celui de la défense, et ce n’est qu’en se basant sur l’état d’extrême affaiblissement où se trouvaient alors les Saxons que, plus tard, on a prétendu que le Roi eût pu s’en emparer. Il resterait à savoir, d’ailleurs, si ceux-là mêmes qui ont soutenu que l’attaque en était non seulement possible mais qu’elle eût facilement pu réussir l’eussent tentée dans de semblables conditions.

Nous croyons donc que l’attaque d’un camp retranché vraiment digne de ce nom est un moyen peu habituel de l’offensive. Mais par contre lorsque le camp, établi à la hâte, ne présente pas d’obstacles considérables sur ses abords, lorsque les ouvrages n’en sont pas achevés, lorsqu’en un mot — et le cas est fréquent — le camp n’est en somme que l’ébauche de ce qu’il devrait être, alors il en faut conseiller l’attaque car elle peut facilement conduire à la victoire.