Théorie de la grande guerre/Livre IV/Chapitre 5

Traduction par Marc-Joseph-Edgar Bourdon de Vatry.
Librairie militaire de L. Baudoin et Cie (p. 129-132).

CHAPITRE V.

des significations diverses du combat.


Bien que dans la forme absolue que nous venons de lui reconnaître le combat représente assez exactement l’image réduite de toute la guerre, il n’en constitue cependant que l’élément essentiel, et comme tel se tient nécessairement en rapports avec les autres éléments dont elle se compose dans son entier. Nous allons maintenant procéder à l’étude de ces rapports et débuter, dans le présent chapitre, par la recherche de la signification immédiate qu’un combat peut avoir.

La guerre n’étant, en somme, qu’un acte de destruction réciproque, le plus naturel semble être de s’y représenter chacun des deux adversaires comme agissant et manœuvrant incessamment de façon à réaliser la solution d’un coup, par le choc unique de toutes ses forces réunies en une seule grande masse contre la totalité des forces de l’ennemi. Cette idée a certainement beaucoup de vrai, et il semble très salutaire, ne s’en écartant pas en général, de ne considérer tout d’abord les petits combats que comme les préludes ou les compléments des grands. La chose n’est cependant jamais très facile à régler.

La multiplicité des engagements résulte nécessairement du fractionnement des forces ; ce ne sera donc qu’alors que nous procéderons à l’étude des lois qui président à ce fractionnement, qu’il nous sera possible de reconnaître quels peuvent être les buts spéciaux et les destinations particulières des combats isolément considérés.

Rien ne s’oppose néanmoins à ce que, dès aujourd’hui, nous classions les combats et leurs buts respectifs par grandes catégories, ce qui nous permet d’établir le tableau synoptique suivant :


destinations générales du combat.
dans l’offensive. dans la défensive.
  1. Anéantissement des forces armées de l’ennemi.
  2. Conquête d’une portion de territoire.
  3. Conquête d’un objet.
  4. Induire l’ennemi à prendre de fausses dispositions, en l’amenant à accepter un combat sur le but duquel on le trompe, et qu’on ne lui offre que pour la forme.
  1. Anéantissement des forces armées de l’ennemi.
  2. Défense d’une portion de territoire.
  3. Défense d’un objet.


Seule la première de ces destinations est commune à l’offensive et à la défensive. Elle est incontestablement le but foncier de tous les combats dans l’une et l’autre forme de la guerre, et devrait toujours primer dans la bataille générale. Les destinations 2 et 3 peuvent se joindre à la première, ensemble ou séparément, et même prendre parfois le pas sur elle, mais quel que soit le degré d’importance qu’elles atteignent ainsi, elles ne sauraient se passer de son concours, car seul l’anéantissement des forces armées de l’ennemi constitue le moyen de les réaliser.

Quant à la quatrième destination, il est clair qu’elle ne ressortit qu’à l’action offensive. À vrai dire nous n’eussions pas dû la comprendre au nombre des destinations avouées du combat, car elle constitue une ruse et n’est jamais recherchée que sous l’apparence trompeuse de l’une des trois destinations précédemment indiquées, et plus particulièrement sous la forme de la seconde. Tout bien considéré, en effet, les reconnaissances dont le but est de se renseigner sur les conditions dans lesquelles se trouve l’adversaire, les alertes par lesquelles on cherche à le fatiguer et à le démoraliser, et les démonstrations destinées à l’attirer sur un point ou à le retenir sur un autre, ne réussissent qu’à la condition qu’on agisse comme si on voulait réellement attaquer, vaincre ou repousser l’ennemi.

Quant au combat défensif, il faut remarquer que la résistance à opposer sur un point peut être de deux sortes : absolue si d’une façon générale on ne veut pas céder le point, et relative s’il ne s’agit que d’y retenir l’ennemi pendant un certain temps. Le second cas se présente continuellement dans les combats d’avant-postes et d’arrière-gardes.

Il va de soi que la nature de ces diverses destinations exerce une influence capitale sur les dispositions du combat. Il est clair, par exemple, que l’on procédera différemment dans l’offensive pour déloger seulement l’ennemi d’un poste ou pour le battre formellement, et que dans la défensive on aura recours à d’autres moyens, selon qu’il s’agira de se maintenir sur un point attaqué ou de l’abandonner après une résistance suffisamment prolongée. Dans chacune des deux formes de l’action, la retraite dont on n’aura pas à se préoccuper dans la première hypothèse, jouera le rôle capital dans la seconde.

Ces considérations rentrent toutes dans la tactique, et nous ne les présentons ici que pour donner dès maintenant plus de clarté au sujet. Nous ne pourrons nécessairement nous pénétrer du côté stratégique de la question qu’au fur et à mesure qu’au courant de cette étude nous traiterons des destinations spéciales des combats.

Nous terminerons cependant ce chapitre par les deux considérations suivantes : 1o l’importance des destinations générales du combat décroît précisément dans l’ordre que nous leur avons assigné dans le tableau synoptique ci-dessus ; 2o dans le mode défensif, les deux dernières destinations étant de nature à n’amener qu’un résultat absolument négatif lorsqu’elles ne concordent pas avec quelque autre opération positive, c’est un indice déplorable de la situation stratégique du défenseur quand il se présente dans son action de trop nombreux combats de cette espèce.