Théâtre de campagne/Le Chat perdu

Théâtre de campagneRuaulttome I (p. 91-126).

LE CHAT
PERDU,
COMÉDIE
En un Acte & en Prose.

PERSONNAGES.

LA MERE DURAND.
THÉRÈSE, Fille de la Mere Durand.
LE COMPERE MORIN.
VINCENT, Neveu du Compere Morin.

La Scène est dans la Maison de la Mere Durand.


Scène première.

LA MERE DURAND, THÉRÈSE.
La Mere Durand, sortant d’une Chambre dont elle ferme la porte, & met la clef dans sa poche.

Je ne le trouve nulle part. Il sera sûrement perdu ce Chat.

Thérèse.

Mais, ma Mere…

La Mere Durand.

Ma Mere, mon Père… c’est votre faute.

Thérèse.

À moi ?

La Mere Durand.

Sans doute, si vous faisiez ce que je vous dis, cela ne seroit pas arrivé.

Thérèse.

Est-ce que je peux garder votre Chat, moi ?

La Mere Durand.

Et pourquoi pas ? Vous dites que vous l’aimez tant.

Thérèse.

Cela est bien vrai. Robin, Robin.

La Mere Durand.

Oui Robin. Si vous n’aviez pas laissé la porte ouverte, après le souper, il ne seroit pas sorti. Vous ne pouvez pas filer dans la maison, sans vouloir voir tous ceux qui passent devant la porte.

Thérèse.

Quoi ! par le tems qu’il fait, je ne pourrai seulement pas prendre l’air ?

La Mere Durand.

Prendre l’air ! oh ! je sais bien pourquoi ? c’est pour voir passer les garçons.

Thérèse.

Les garçons ?

La Mere Durand.

Oui, votre Vincent ; mais je vous l’ai déja dit ; que je le voie encore venir ici.

Thérèse.

Et quelle raison avez-vous ?

La Mere Durand.

Je vous rendrai compte, oui ; en un mot comme en cent, je vous dis que je ne le veux pas.

Thérèse.

Mais n’est-ce pas un honnête garçon ?

La Mere Durand.

Je n’en fais rien : il peut être honnête homme pour vous, mais il ne l’est pas pour moi.

Thérèse.

Il a du bien.

La Mere Durand.

Je n’ai que faire de son bien, qu’il le garde.

Thérèse.

Ah ! si vous pouviez en avoir quelque chose, vous ne diriez pas cela.

La Mere Durand.

Qu’est-ce que cela veut dire ? Est-ce que j’ai jamais rien pris à personne ?

Thérèse.

Je ne le dis pas non plus.

La Mere Durand.

Je sais bien ce que vous voulez dire, vous me croyez avare.

Thérèse.

Mais…

La Mere Durand.

Non, j’ai tort de ne pas tout jetter par les fenêtres ; voilà comme sont les enfans, ils vous croient toujours plus riches que vous n’êtes : si votre père n’avoit pas tout mangé, je ne serois pas obligée de tant épargner que je fais.

Thérèse.

Mon père ? il n’osoit pas broncher devant vous.

La Mere Durand.

Pardi, je le crois bien.

Thérèse.

Comment a-t-il donc tout mangé ?

La Mere Durand.

Allons, allons, taisez-vous ? elle veut raisonner, je crois, voilà encore une belle morveuse.

Thérèse.

Mais dites-moi pourquoi vous n’aimez pas Vincent ?

La Mere Durand.

Pourquoi ?… parce que… il est cause que mon chat est perdu.

Thérèse.

Voilà une belle raison ! vous ne l’aimiez pas plus hier ; mais je sais bien pourquoi.

La Mere Durand.

Comment, comment, vous le savez ?

Thérèse.

Oui, je le sais, & vous n’en aimeriez pas plus un autre.

La Mere Durand.

Un autre ? cela peut bien être…

Thérèse.

Oui, parce que vous ne voulez pas me marier.

La Mere Durand.

Vous marier ! vous marier ! comment osez-vous prononcer ce mot-là ?

Thérèse.

Je savois bien moi que c’étoit cela.

La Mere Durand.

Vous marier ! dans dix ans nous y penserons. Enfin, que je ne voie plus Vincent ici, je vous le répète. Allons, je m’en vais chercher notre chat : ayez soin de fermer la porte, entendez-vous ?

Thérèse.

Oui, ma mère.


Scène II.

THÉRÈSE, auprès de la porte.

J’ai envie de ne pas fermer la porte tout-à-fait ; Vincent viendra peut-être… oui ; mais s’il vient, il voudra entrer… puis ma Mere n’auroit qu’à nous surprendre… allons, il vaut mieux la fermer.

Elle ferme la porte ; elle prend son rouet & elle se met à filer.

Ce que c’est que l’avarice !… il faudra bien tôt ou tard qu’elle me marie… Que je suis malheureuse de n’avoir que dix-sept ans !… Vincent s’ennuiera peut-être d’attendre, & puis… mais il m’a promis de m’aimer toujours… Manqueroit-il à sa parole ? oh, je suis bien sûre que non ; car je n’y manquerois pas moi, il m’aime autant que je l’aime, du moins je le crois… On dit pourtant que les garçons sont des trompeurs ; si cela étoit vrai… Il faut absolument que je lui parle, oui… Mais comment lui parler ? Qu’est-ce que j’entends gratter à notre porte ?… seroit-ce Robin ? Écoutons.


Scène III.

THÉRÈSE, VINCENT, en dehors.
Vincent, contrefaisant le chat.

Miaou, miaou.

Thérèse.

C’est lui-même. Elle quitte son ouvrage aller ouvrir la porte.

Robin, Robin, attends-moi.

Vincent, en dehors.

Miaou, miaou.

Thèrèse.

Allons, entre ; ah ! c’est Vincent.

Vincent.

Oui, c’est moi.

Thèrèse.

Et le chat ?

Vincent.

Il n’y est pas ; c’est moi qui miauloit.

Thèrèse.

Eh bien, qu’est-ce tu veux ?

Vincent.

Je veux te voir.

Thérèse.

Non, non, ma mere m’a défendu de te parler ; allons, sors.

Vincent.

Quoi ! tu aurois le cœur de me renvoyer ?

Thérèse.

Oui, oui, veux-tu que je sois grondée par ma mere ?

Vincent.

Bon ! elle est bien loin, elle ne reviendra pas de si-tôt, laisse-moi entrer.

Thérèse.

Mais, en es-tu bien sûr ?

Vincent.

Oui : elle cherche son chat par tout le village, elle sera long-tems. Je m’en vais fermer la porte. Il ferme la porte.

Thérèse.

Mais si elle revient ?

Vincent.

Je te dis que non. D’abord, elle ne trouvera pas le chat, car c’est moi qui l’ai caché chez nous ; elle le cherche bien loin quand il est bien près.

Thérèse.

Il est chez toi ?

Vincent.

Oui.

Thérèse.

Cela est bien mal de la faire courir comme cela.

Vincent.

Non, parce que je l’ai fait exprès pour pouvoir te parler pendant qu’elle le cherchera.

Thérèse.

Et qu’est-ce que tu as à me dire ?

Vincent.

Peux-tu me le demander ? tu ne crois donc pas que je t’aime ?

Thérèse.

Si, Vincent, je le crois ; mais…

Vincent.

Comment, mais !… Thérèse, tu as du chagrin.

Thérèse.

Eh bien oui, Vincent ; c’est que je crains que tu ne m’aimes plus un jour.

Vincent.

Moi ?

Thérèse.

Oui, quand tu sauras…

Vincent.

Achève donc ?

Thérèse.

Quand tu sauras que ma mère ne veut pas me marier de bien long-tems.

Vincent.

De bien long-tems ? Eh bien, qu’est-ce que cela fait ? pourvu que ce soit avec moi.

Thérèse.

Voilà ce que je ne sais pas encore, mais est-ce que tu attendrois ?

Vincent.

Comment, si j’attendrois ? assurément, puisque je n’en aurai jamais d’autre que toi.

Thérèse.

Nous avons de la patience, nous, mais les hommes n’en ont guère, à ce qu’on dit.

Vincent.

Oui, quand on n’est pas aimé, mais… Il veut l’embrasser.

Thérèse, prenant une lampe.

Finis donc, laisse-moi.

Vincent.

Que veux-tu faire ?

Thérèse.

Je veux allumer la lampe, le jour est tombé & l’on ne voit presque plus clair.

Vincent.

Est-ce que tu crains quelque chose avec moi ?

Thérèse.

Non, mais je suis bien aise d’y voir, de peur de malheur, la nuit on ne sait pas ce que l’on fait.

Vincent, suivant Thérèse.

Bon !

Thérèse.

Allons, reste là.

Vincent.

Eh bien, j’y resterai, puisque tu le veux ; mais si tu m’aimois…

Thérèse, allumant la lampe.

C’est parce que je t’aime que je veux te voir.

Vincent.

C’est que tu te méfies de moi.

Thérèse.

Peut-être.

Vincent.

Eh bien, à présent que tu vois clair, laisse-moi t’embrasser.

Thérèse.

Non, Vincent, je ne le veux pas, profitons plutôt du tems pour parler de nos affaires.

Vincent.

Mais cela seroit bien-tôt fait.

Thérèse.

Je te dis encore une fois, que je ne le veux pas, dis-moi plutôt comment nous ferons pour déterminer ma mere ?

Vincent, d’un air indifférent & fâché.

Je n’en sais rien.

Thérèse.

Ah, tu boudes ? eh bien, à la bonne heure, Monsieur Vincent, je suis bien bonne de craindre de vous perdre, puisque vous n’êtes pas plus inquiet que cela.

Vincent.

Ah, Thérèse, ne me parle pas comme cela, car tu me fends le cœur.

Thérèse.

Pourquoi veux-tu faire aussi ce que je ne veux pas ?

Vincent.

Eh bien, je te demande pardon.

Thérèse.

Je te pardonne, mais que cela ne t’arrive plus.

Vincent, en l’embrassant.

Je te le promets.

Thérèse.

Joliment, si c’est comme cela.

Vincent.

Eh bien, oublie-le.

Thérèse.

Oui, oublier ! cela n’est pas aisé. Dis donc à présent comment nous ferons ?

Vincent.

Tiens, il me vient une idée : tu sais comme mon oncle m’aime, comme il est bon, quoiqu’il soit un peu brusque ?

Thérèse.

Oh, pour cela, oui.

Vincent.

Il t’aime aussi, il sait notre amour, il faut le consulter.

Thérèse.

Je le veux bien. On frappe à la porte.


Scène IV.

LA MERE DURAND, THÉRÈSE, VINCENT.
La Mere Durand, en dehors frappant à la porte.

Thérèse ?

Thérèse.

Ah, c’est ma Mere.

La Mere Durand.

Thérèse ?

Thérèse.

Allons, allons, j’y vais.

Vincent.

Comment faire ? donne-moi la clef de ta chambre.

Thérèse.

Je le voudrois bien ; mais ma mere l’a emportée.

Vincent.

Eh bien, quand elle sera rentrée, dis que tu as besoin d’y aller, tu laisseras la porte ouverte, je m’y coulerai tout doucement, nous sauterons par la fenêtre & tu viendras chez nous.

Thérèse.

Qui, moi, je m’en irois avec un garçon ?

Vincent.

Mais, c’est chez mon oncle, & pour lui parler de notre mariage, pour trouver les moyens d’y faire consentir la mère. Allons, promets-moi.

La Mere Durand.

Eh bien, veux-tu ouvrir ?

Thérèse.

Tout-à-l’heure. À Vincent, allons, puisqu’il le faut, je le veux bien.

Vincent.

Je vais me cacher derrière l’armoire. Il se cache.

La Mere Durand.

Allons donc ?

Thérèse, ouvrant la porte.

Vous êtes bien pressée : j’allumois la lampe.

La Mere Durand.

Et pourquoi allumer la lampe ? Elle ferme la porte. Allumer la lampe !

Thérèse.

C’est pour voir clair.

La Mere Durand.

Oui, pour filer, cela est bien nécessaire.

Thérèse.

Eh bien, ma Mere, le Chat ?

La Mere Durand.

Le Chat, le Chat ; je ne sais où il s’est fourré, je ne l’ai trouvé nulle part, & si j’ai couru que je n’en puis plus. J’aurois filé une bobine depuis ce tems-là. Voyons ce que vous avez fait.

Thérèse.

Le voilà ; mais…

La Mere Durand.

Quoi, mais ? Vous n’avez rien fait ?

Thérèse.

C’est que je songeois… ma Mere, avez-vous été chez le compere Morin ?

La Mere Durand.

Pourquoi faire ?

Thérèse.

C’est que, comme c’est tout à côté de chez nous, le Chat pourroit bien y être.

La Mere Durand.

Tu voudrois bien y aller pour voir son neveu Vincent ; mais j’aimerois mieux perdre notre Chat tout-à-fait que de t’y envoyer.

Thérèse.

Allons, voilà que vous ne l’aimez plus à présent ce pauvre Robin.

La Mere Durand.

Que je l’aime, ou que je ne l’aime plus, ce n’est pas ton affaire, paresseuse ; allons, va te coucher pour te lever demain de bonne heure.

Thérèse.

Oui me coucher ; je ne dormirai pas, si je n’ai pas Robin,

La Mere Durand.

Il ne falloit pas le laisser perdre. Thérèse prend la lampe. Vas-tu renverser la lampe ? Pourquoi la prends-tu ?

Thérèse.

Pour voir clair à me coucher.

La Mere Durand.

Tu ne saurois te coucher sans lumiere ?

Thérèse.

Non, parce que j’ai peur. Donnez-moi donc la clef.

La Mere Durand.

La voilà. Elle lui donne la clef. Elle a peur, à cet âge là, & elle veut être mariée !

Thérèse.

Si j’étois mariée, je n’aurois plus de peur.

La Mere Durand.

Attends, attends moi, que je t’entende encore parler de cela. Thérèse entre dans la Chambre & laisse la porte ouverte. La Mere Durand regarde & dit :

Veux-tu bien fermer la porte ?

Thérèse, la tirant très-fort.

Elle l’est.


Scène V.

LA MERE DURAND filant, VINCENT caché.
La Mere Durand.

Mariée ! mariée ! les Filles d’à-présent n’ont que cela dans la tête… il semble que les enfans ne sont pas faits pour autre chose… quand ils peuvent travailler & vous aider, ils veulent vous quitter & emporter le plus beau de votre bien… c’est vrai cela… ah ! je te marierai.

Vincent.

Miaou, miaou.

La Mere Durand.

Eh bien, le voilà ce vilain Chat que j’ai cherché par-tout.

Vincent.

Miaou, miaou.

La Mere Durand.

Attends, attends, Robin, où étois-tu donc caché ?

Vincent.

Miaou, Miaou.

La Mere Durand.

Cette vilaine bête-là, qui m’a fait courir tout le Village.

Vincent.

Miaou, miaou.

La Mere Durand.

Qu’est-ce que tu veux ? entrer dans la chambre ?

Vincent.

Miaou, miaou.

La Mere Durand.

Thérèse ?


Scène VI.

LA MERE DURAND, VINCENT, THÉRÈSE, dans la Chambre.
Thèrèse.

Ma Mere.

La Mere Durand.

Le Chat est ici.

Thérèse.

Oui ?

La Mere Durand.

Allons, ouvre-lui la porte, il veut aller avec toi.

Thérèse.

Tenez-vous tranquille, pour ne pas l’effaroucher.

La Mere Durand.

Je ne remue pas de ma place.

Thérèse.

Robin, Robin.

Vincent.

Miaou, miaou. Vincent entre à quatre pattes dans la Chambre.

La Mere Durand.

Est-il dans la chambre ?

Thérèse.

Oui, ma Mere.

La Mere Durand.

En ce cas-là, je m’en vais fermer la porte, car cette petite sotte-là le laisseroit encore échapper. Elle se lève & va fermer la porte après avoir renversé son rouet.


Scène VII.

LA MERE DURAND revient en tâtonnant.

est donc ma chaise ? Ah, la voilà. Elle s’assied. Et mon rouet ? Elle tâte. Mais il étoit devant moi. Je n’y comprends rien, c’est ce vilain Chat qui est la cause de tout cela. Mon Dieu ! la sotte chose que les enfans & les bêtes ! Elle se baisse en tâtant. Ah ! qu’est-ce que je sens-là ? Est-ce le rouet ? Oui, c’est qu’il étoit tombé. Elle le relève. Pourvu qu’il n’y ait rien de cassé encore. Et la quenouille ? Elle la cherche & elle la trouve. La voilà. Tout cela fait perdre plus de tems !… voilà comme on n’est jamais riche ! on épargne de la lumière d’un côté, & l’on perd du tems de l’autre. C’est de d’même du Chat, si je n’en avois pas, il ne me coûteroit rien à nourrir ; mais les Rats & les Souris mangeroient tout ce que j’ai. Il faut avouer que l’on est bien malheureux ! On frappe à la porte. Qu’est-ce que j’entends ? On frappe encore.


Scène VIII.

LA MERE DURAND, LE COMPERE MORIN.
Le Compere Morin, à la porte.

Ouvrez-donc la Mere Durand.

La Mere Durand.

Ah ! c’est vous, compere Morin ?

Le Compere Morin.

Eh, oui, c’est moi.

La Mere Durand.

Qu’est-ce que vous voulez ?

Le Compere Morin.

Eh, pardi, je vous rapporte votre Chat.

La Mere Durand.

Mon Chat ? il est ici.

Le Compere Morin.

Je vous dis que non ; puisque je le tiens.

La Mere Durand.

Vous vous trompez.

Le Compere Morin.

Non, non. Ouvrez, ouvrez.

La Mere Durand.

Je le veux bien, pour vous contenter. Elle va à la porte en tâtonnant.

Le Compere Morin.

Eh, bien, venez-vous ?

La Mere Durand.

Oui ; c’est que je n’ai pas de lumiere, en avez-vous ?

Le Compere Morin.

Oui, oui ; j’ai ma lanterne.

La Mere Durand ouvrant la porte.

Vous croyez donc m’apporter Robin ?

Le Compere Morin, lui donnant le Chat.

Voyez plutôt si je me trompe.

La Mere Durand, prenant le Chat.

Non, vraiment, c’est lui-même. Mais je ne comprends pas cela, il étoit ici tout à l’heure.

Le Compere Morin.

Vous le croyez ?

La Mere Durand.

Sûrement, je le crois.

Le Compere Morin.

Je vous dis que cela ne se peut pas, puisqu’il étoit renfermé dans notre huche.

La Mere Durand.

Eh, pardi, je m’en vais vous le faire dire par Thérèse.

Le Compere Morin, riant.

Oui, Thérèse !

La Mere Durand.

Il faut qu’il ait sauté par la fenêtre.

Le Compere Morin.

Quand ?

La Mere Durand.

Je vous dis, tout à l’heure.

Le Compere Morin.

Mais la huche n’a pas été ouverte depuis le dîner ; puisque nous n’avons pas soupé chez nous.

La Mere Durand.

Je n’y comprends rien.

Le Compere Morin.

Ce que je ne comprends pas moi, c’est que vous vouliez nous donner bien du tourment à tous les deux.

La Mere Durand.

Quoi à cause de ce Chat ; parce que je vous dis qu’il étoit ici tout à l’heure.

Le Compere Morin.

Et non, ce n’est pas cela.

La Mere Durand.

Il s’est mis à miauler, & j’ai dit à Thérèse de le faire entrer dans sa chambre.

Le Compere Morin.

Eh bien, ce n’étoit pas lui, si vous voulez que je vous le dise.

La Mere Durand.

Puisque je l’ai entendu.

Le Compere Morin.

Écoutez-moi, vous avez dit à votre fille qu’elle n’épouseroit jamais mon Neveu.

La Mere Durand.

Assurément ; j’en suis la maîtresse, apparemment.

Le Compere Morin.

Vous avez eu tort.

La Mere Durand.

Comment, j’ai eu tort ?

Le Compere Morin.

Sans doute, depuis ce tems là, le pauvre garçon est comme un fou, & je crains quelque malheur.

La Mere Durand.

Mais tout cela ne fait pas que mon Chat n’ait pas été ici tout à l’heure.

Le Compere Morin.

Et si vraiment, c’est cela qui en est cause ; mais cela vous regarde encore plus que moi, Thérèse aime Vincent.

La Mere Durand.

Je le sais bien.

Le Compere Morin.

Pourquoi ne voulez-vous pas les marier ensemble ? Moi, je crains tout pour vous.

La Mere Durand.

Pour moi, pour moi ? Oh, je saurai bien les empêcher de se voir, ni de se parler.

Le Compere Morin.

Voilà ce qui n’arrivera pas, vous le savez bien.

La Mere Durand.

Je le sais bien ?

Le Compere Morin.

Sans doute. Est-ce que malgré la défense de votre Mere, vous ne voyiez pas Pierre Durand tous les jours, quand il étoit amoureux de vous ? Est-ce que je ne l’ai pas aidé à vous enlever ? Ce n’est pas à moi qu’il faut dire de ces choses là.

La Mere Durand.

Ah ! si j’avois su ce qui arriveroit après notre mariage…

Le Compere Morin.

Quoi ? Allez, allez, il faut que chacun soit heureux à son tour.

La Mere Durand.

Je vous dis que je ne veux pas marier ma fille.

Le Compere Morin.

Il le faudra.

La Mere Durand.

Je vous dis que non, encore une fois.

Le Compere Morin.

Vous y serez forcée.

La Mere Durand.

Et par qui ?

Le Compere Morin.

Par l’honneur & la raison, & moi, je ne vous demande rien pour eux ; je les prendrai chez moi & je les nourrirai.

La Mere Durand.

Cela est différent ; mais il m’en coûtera toujours quelque chose, & je ne veux rien donner de mon vivant.

Le Compere Morin.

On ne vous demande rien non plus.

La Mere Durand.

Non, à présent, mais on me demandera par la suite. Je ne veux pas entendre parler mariage du tout.

Le Compere Morin.

Eh bien, empêchez-les donc de se parler, de se voir.

La Mere Durand.

Sûrement, je les empêcherai.

Le Compere Morin.

Et si je vous disois qu’ils sont à présent ensemble.

La Mere Durand.

À présent ? Vous rêvez.

Le Compere Morin.

Je ne rêve point.

La Mere Durand.

Où cela ? ici ?

Le Compere Morin.

Non, chez moi.

La Mere Durand.

C’est un conte, ma Fille est couchée, & j’ai fermé la porte quand le Chat est entré dans sa chambre.

Le Compere Morin.

Vous croyez que c’étoit le Chat ?

La Mere Durand.

Sans doute.

Le Compere Morin.

C’étoit mon Neveu qui contrefaisoit le Chat ; ils ont sauté par la fenêtre & ils sont venus chez moi ; cela presse, il faut que vous voyez ce que vous voulez faire.

La Mere Durand.

Je ne le saurois croire. Elle va voir dans la chambre, y laisse le Chat & rapporte la lampe. Non, ma Fille n’y est pas. Que je suis malheureuse !

Le Compere Morin.

Non, vous n’êtes pas malheureuse ; c’est votre faute si tout cela est arrivé. Ils sont venus me trouver pour me prier de vous engager à consentir à ce que je vous propose ; allons, rendez-vous.


Scène dernière.

THÉRÈSE, LA MERE DURAND, LE COMPERE MORIN, VINCENT.
Thérèse

Ah, ma Mere !

Vincent

Ah, Madame Durand !

Le Compere Morin.

Allons, la Mere Durand, je m’engagerai par écrit.

La Mere Durand.

Ils m’attendrissent, & vous aussi, allons, levez-vous. Je consens à tout, mes énfans ; mais tenez-moi la parole que vous me donnez.

Thérèse.

Oui, ma Mere, je vous le promets.

Vincent.

Oui, oui, Madame Durand, il ne me faut rien de plus que Thérèse.

Le Compere Morin.

Je suis aussi content que vous, mes enfans. Allons venez vous-en boire un coup chez nous, & nous raisonnerons de votre mariage, afin qu’il se fasse au plutôt.

Vincent.

Je vous demanderai aussi Robin, la Mere, puisque c’est à lui que je dois mon bonheur.

La Mere Durand.

Tu m’en donneras donc un autre ?

Vincent.

Oui, oui, ne vous embarrassez pas, il sera même plus beau.

La Mere Durand.

Pourvu qu’il soit aussi bon, c’est tout ce que je veux.

Vincent.

Ah, Thérèse, quelle joie !

Thérèse.

Nous ne nous croyions pas si près d’être heureux.

FIN.