Théâtre de campagne/André et Cécile

Théâtre de campagneRuaulttome IV (p. 273-348).

ANDRÉ
ET CÉCILE,
COMÉDIE
En un Acte & en Prose.

PERSONNAGES.

ANDRÉ, Fermier.
CÉCILE, Femme d’André.
LE COMTE D’HORNEBOURG,
Sous le nom de Pierre Honorin, vieux Paysan.
LE MARQUIS DE BRESSAN,
Sous le nom du Marquis de Clarançay, Seigneur du Village.
LA MÈRE TOINETTE, vieille Paysanne.
TOINON, Fille de la Mère Toinette.
ROGER, Paysan, Valet de la Ferme.
UN ENFANT d’André & de Cécile.
PAYSANS et PAYSANNES.

La Scène est dans la Cour de la Ferme d’André,
au Village de Clarançai.

La Scène représente la cour d’une Ferme. Dans le fond est une Maison un peu gothique, avec une tourelle. Ce qui achève le fond de la décoration est une porte avec une grille, au travers de laquelle on voit une campagne très-riante. À gauche, il y a un ancien bâtiment servant de grange ; sur le devant, tenant à cette grange, il y a une vigne qui s’élève & qui est soutenue par un peu de treillage, ce qui forme un ombrage, sous lequel il y a une table de pierre. De l’autre côté, il y a des arbres, avec une entrée dans un verger. Sur le devant, est un très-gros arbre entouré de pierres & de gazons où l’on peut s’asseoir. On voit dans cette cour plusieurs instrumens servant à l’agriculture.

Scène première.

LA MÈRE TOINETTE, filant auprès d’un Enfant qui dort dans son Berceau sous la Treille. Après avoir regardé si l’Enfant dort, elle dit.

Comme il dort, ce cher Enfant ! c’est le bonheur de la maison, & not’ Maître & not’ Maîtresse sont bian faits pour être heureux ; puisqu’ils faisons tout ce qu’ils pouvons, pour que je le soyons.


Scène II.

PIERRE HONORIN, LA MÈRE TOINETTE.
Pierre Honorin.

Eh bien, la Mère Toinette, comment va votre Enfant ?

La Mère Toinette.

Fort bian, Piarre Honorin ; j’aurions tort de craindre qu’il fût malade. Voyez comme il dort ; comme il est joli !

Pierre Honorin, soupirant.

C’est un enfant bien cher à ses parens !

La Mère Toinette.

Dites à nous tous.

Pierre Honorin.

Vous aimez beaucoup André & Cécile ?

La Mère Toinette.

Ah ! dame, si je les aimons ? je le devons bian, & c’est pour nous un plaisir. Ils sont si bons, qu’ils nous font presque oublier comme je les avions trouvez biaux d’abord.

Pierre Honorin.

La bonté a des droits plus puissants sur les cœurs, que la beauté.

La Mère Toinette.

Mais je ne disons pas qu’ils ne sont pas biaux au moins, n’allez pas le croire ; pardi j’aurions grand tort, parce que not’ Maîtresse… Dame, vous la connoissez, elle n’a pas besoin de parure, elle.

Pierre Honorin.

Non, non.

La Mère Toinette.

Et not’ Maître donc ! Ah ! ils sont bian faits l’un pour l’autre ! Si vous saviais aussi comme ils s’aimons, & quand il faut faire du bian à quelqu’un, comme ils sont toujours d’accord !

Pierre Honorin.

Je le sai.

La Mère Toinette.

Bon ! du depuis huit jours que vous êtes ici, vous ne pouviais pas tout savoir. Tenez, il n’y a personne dans toute la maison, non personne, qu’ils ayons encore grondés, tant-seulement.

Pierre Honorin.

C’est que leur exemple engage tout le monde à faire son devoir.

La Mère Toinette.

C’est bian vrai ça. Il y avoit pourtant Roger…

Pierre Honorin.

Roger, est un honnête Garçon.

La Mère Toinette.

Oh ! pour cela oui ; mais il étoit paresseux, boudeur : savez-vous comment ils l’avions corrigé ?

Pierre Honorin.

Non, vraiment.

La Mère Toinette.

Eh bian, vous ne le devineriais jamais. Ils l’ont fait venir, & ils lui ont dit : Roger, est-ce que tu ne te portes pas bian ? Pardonnez-moi, a-t-il dit. Tu aurois peut-être de la répugnance à servir, as-tu du bian ? Non, a-t-il répondu ; & cela n’est que trop vrai. Eh bian, mon enfant, nous t’augmenterons tes gages de moitié, crois que le travail est nécessaire à l’homme. Devinez ce qu’a fait Roger ?

Pierre Honorin.

Dites-le moi, cela sera plutôt fait.

La Mère Toinette.

Roger n’a pas voulu d’augmentation, & tout-d’un-coup il est devenu le meilleur serviteur de la maison, & le plus joyeux.

Pierre Honorin.

Quelles ames ! quelle sensibilité ! quelle honnêteté !

La Mère Toinette.

Quand tous les autres ont vu cela, il n’y en a pas eu un, qui ait osé seulement être triste. Quand ils sont malades, ils font tout ce qu’ils peuvent pour le cacher à nos Maîtres, de peur de les chagriner.

Pierre Honorin.

Où peut-on être autant aimé, & par qui ?

La Mère Toinette.

Bon ! je ne vous disons rian. Vous varrez, quand vous aurez été plus long-tems avec nous ; c’est toujours quelque chose de bon, de nouviau. Mais dites-moi donc, Piarre Honorin, pourquoi avez-vous été si long-tems hors du pays.

Pierre Honorin.

Parce que j’ai servi dans ma jeunesse au-delà des mers, & qu’on m’a cru mort ; mais j’ai voulu revoir ma Patrie & mes enfans, que je croyois retrouver ici, & finir mes jours avec eux, dans cette Ferme, qui leur appartenoit.

La Mère Toinette.

Vous avez bian fait de ne pas revenir plutôt ; car tout ce qu’il y avoit de gens âgés sont morts, il y a trois ans, en même tems que votre Fils, d’une maladie qui couroit dans le pays.

Pierre Honorin.

On m’a dit cela.

La Mère Toinette.

J’ons bian eu de la peine à en réchapper, ainsi que ma fille Toinon, qui est ici.

Pierre Honorin.

Et comment ce village-ci s’est-il repeuplé ?

La Mère Toinette.

Ah dame ! c’est que j’avions un si bon Seigneur, que tout le monde a voulu venir demeurer chez lui ; c’étoit presque comme nos Maîtres, mais il est mort : c’est pourquoi Monsieur le Marquis de Clarançai, a acheté cette Terre, & c’est un bian honnête homme, à ce qu’on dit. Le connoissez-vous ?

Pierre Honorin.

Beaucoup.

La Mère Toinette.

C’est-il vrai qu’il est bon ?

Pierre Honorin.

Oui, très-vrai.

La Mère Toinette.

Il doit vous aimer, s’il vous connoît.

Pierre Honorin.

Vous êtes bien honnête, la Mère Toinette.

La Mère Toinette.

Oh, non, je disons la vérité.

Pierre Honorin.

Je lui ai les plus grandes obligations.

La Mère Toinette.

On aime toujours ceux à qui on fait du bian, j’avois raison. Vous resterez donc ici avec nous ?

Pierre Honorin.

Tant que vos Maîtres le voudront.

La Mère Toinette.

Ce sera toujours ; car ils vous aimons bian. Ils ne sont occupés que de savoir s’il ne vous manque rian ; mais ils n’osions pas vous le demander, de peur de vous importuner.

Pierre Honorin.

Quelle délicatesse ! Je voulois leur payer une pension ; ils ne l’ont pas voulu.

La Mère Toinette.

Il ne falloit pas leur parler de cela.

Pierre Honorin.

Pourquoi donc ?

La Mère Toinette.

Parce que vous étiez sûr de les chagriner.

Pierre Honorin.

Mais il est juste pourtant…

La Mère Toinette.

Non, non ; promettez-moi de ne leur en plus rian dire.

Pierre Honorin.

Je vous le promets.

La Mère Toinette.

À propos, Roger vous sert-il bian ? êtes-vous content de lui ?

Pierre Honorin.

On ne peut pas davantage.

La Mère Toinette.

J’en sis bian aise ! Ah ça, vous resterez donc toujours avec nous ?

Pierre Honorin.

C’est ce que je desire.

La Mère Toinette.

Tant mieux. Tenez, je vous aimons tant que vous seriais bian ingrat, si vous nous quittiais.

Pierre Honorin.

Allez mon enfant, j’espère que vous serez contente de moi.

La Mère Toinette.

Je le sommes déjà. Il faut que je voie si not’ petit dort encore. Elle va voir. Il dort comme un charme. Ah ! voilà Monsieur le Marquis, qui est revenu de son voyage de Paris. Sûrement, il vient pour vous voir ; pendant ce tems-là, je vas examiner si not’ Fille a fait tout ce qu’on lui a ordonné ; car avec la meilleure volonté du monde, les jeunes gens, vous savez bian… Si not’enfant se réveille, Piarre Honorin, appellez-moi, je vous en prie.

Pierre Honorin.

Allez, soyez tranquille.


Scène III.

LE MARQUIS, PIERRE HONORIN.
Le Marquis, embrassant Pierre Honorin.

J’arrive dans l’instant de Paris, mon cher Comte, & je viens savoir si vos soupçons se vérifient ; que pensez-vous d’André de Cécile, qu’en avez-vous appris depuis que vous êtes ici ?

Pierre Honorin.

Que la réputation qu’ils ont d’aimer à faire le bien est très-méritée, & que je voudrois que ce que je desire fût vrai ; que Cécile fût ma Petite-Fille, & qu’André fût votre Neveu ; mais mon ami, nous ne serons pas assez heureux pour cela.

Le Marquis.

Croyez que le ciel secondera nos desseins. Pourquoi après toutes nos recherches, ai-je acheté cette Terre-ci plutôt qu’une autre, pour nous y fixer ? Ce n’est point le hasard qui m’y a conduit, c’est un ordre de la Providence.

Pierre Honorin.

J’aimerois à m’en flatter !

Le Marquis.

Absens de France, avant qu’ils fussent nés, rien ne peut nous les faire reconnoître : votre Fils & mon Frère sont morts, il y a trois ans ; & leurs enfans ont disparu peu de tems après, mon Neveu se trouvant sans bien.

Pierre Honorin.

Et c’est cette haine cruelle qui divisoit nos deux maisons, qui avoit ruiné la vôtre.

Le Marquis.

Oui ; c’est ce qui m’a fait chercher sous un autre hémisphère une meilleure fortune : je l’ai trouvée, & de plus j’ai eu le bonheur de mériter votre amitié.

Pierre Honorin.

En me sauvant la vie. Quelle action généreuse ! car vous me connoissiez.

Le Marquis.

Si je vous avois mieux connu plutôt, c’est sous vos ordres que j’aurois pû m’acquérir l’estime que vous m’avez accordée depuis, pourquoi ? Pour n’avoir fait que ce que tout homme doit faire pour son semblable, & dont vous m’avez si bien récompensé.

Pierre Honorin.

Mon cher Marquis, je vous serai toujours redevable. Cherchons donc à jouir de nos fortunes en retrouvant nos enfans. Qu’avez-vous appris à Paris ?

Le Marquis.

Rien.

Pierre Honorin.

Et que vous a-t-on promis ?

Le Marquis.

Beaucoup ; mais il faut du tems, pour faire les recherches que nous desirons.

Pierre Honorin.

Et je n’en ai point à perdre, l’âge avance.

Le Marquis.

La maladie que vous avez eue en arrivant en France, vous assure une santé constante pour long-temps.

Pierre Honorin.

Mais si quelqu’un me reconnoissoit ici.

Le Marquis.

Il ne pourroit y avoir que mes gens, & j’en ai amené de nouveaux ; je les ai pris après que vous m’avez quitté, pour venir exécuter le projet de vous faire recevoir ici comme le Père de cet Honorin, qui habitoit cette ferme avant André & Cécile.

Pierre Honorin.

Cette précaution étoit nécessaire pour n’être point découverts.

Le Marquis.

Il faut achever votre ouvrage. Vous m’avez mandé que jusqu’à présent votre projet avoit réussi.

Pierre Honorin.

Oui, & je n’ai qu’à me louer des bons procédés d’André & de Cécile.

Le Marquis.

Vous mériterez bientôt leur confiance. Ce qui a fait naître en moi l’espoir qu’ils peuvent être nos enfans, c’est qu’ils n’ont du paysan que la candeur, & qu’ils paroissent vouloir cacher qu’ils sont au-dessus de leur état.

Pierre Honorin.

Ils ont dit ici, en arrivant, qu’ils étoient étrangers, & ils ont nommé un endroit de la Flandre où l’on parle François ; voilà ce qui dérange toutes mes idées.

Le Marquis.

Cela est sans doute pour être moins à portée d’être reconnus.

Pierre Honorin.

Mais pourquoi ; si ma Petite-fille ne s’est pas jettée dans un Couvent, a-t-elle disposé de son bien, par un testament, & en faveur d’un de ses parens ? Car en voulant se marier, pouvoit-elle priver ses enfans de ce bien ? C’est une réflexion que le Fils de Cécile, que vous voyez-là, m’a occasionnée la premiere fois que je l’ai apperçu.

Le Marquis.

Quoi ! cet enfant est à eux ?

Pierre Honorin, s’approchant du berceau.

Oui, regardez-le ; pour moi je ne le vois jamais sans émotion, soit un effet d’une trop flatteuse prévention, ou, je n’ose m’en flatter, soit un effet de la nature, qui reclame ses droits sur mon cœur.

Le Marquis.

Je crains d’appuyer ces sentimens, il seroit trop douloureux d’avoir à nous en détacher ; cependant il ne faut pas les rejetter entièrement.

Pierre Honorin.

Ah ! mon ami, songez donc combien il seroit doux !…

Le Marquis.

Venez.

Pierre Honorin.

Je ne m’arrache qu’avec peine d’auprès de ce berceau. Ah ! Cécile !… Ma Fille !… Que dis-je !… Je m’abuse !

Le Marquis.

Il me vient une idée qui pourroit accélérer ce que nous desirons.

Pierre Honorin.

Ah ! dites promptement ?

Le Marquis.

On vient, j’y rêverai, & je vous l’expliquerai une autre fois. Il veut s’en aller.

Pierre Honorin.

Non, je vous suis.


Scène IV.

LE MARQUIS, PIERRE HONORIN, LA MÈRE TOINETTE, TOINON.
La Mère Toinette.

Ah ! Monsieur le Marquis, je sommes tretous bian aises de vous voir comme-ça de retour de Paris, en bonne santé.

Le Marquis.

Je vous suis obligé, la Mère Toinette. Est-ce-là votre Fille ?

La Mère Toinette.

Oui, Monsieur le Marquis. Allons, Toinon, faites la révérence.

Le Marquis.

Elle est fort jolie.

La Mère Toinette.

Vous avez bian de la bonté, Monsieur le Marquis. Piarre Honorin est sûrement bian aise de vous voir, car il dit que vous l’aimez bian.

Le Marquis.

Et il a raison.

La Mère Toinette.

Je l’aimons bian aussi, nous ; nos Maîtres font de d’même & toute la maison.

Le Marquis.

Cela est très bien fait, je vous le recommande, ayez-en bien soin.

La Mère Toinette.

Il n’est pas nécessaire de nous le dire ; c’est un si honnête homme !

Le Marquis, à Pierre Honorin.

Allons, venez avec moi.

La Mère Toinette.

Vous reviendrez, Piarre Honorin ?

Pierre Honorin.

Oui, oui.

La Mère Toinette.

Bientôt ?

Pierre Honorin.

Ne soyez pas en peine.

La Mère Toinette.

Si vous voulez, je vous enverrons Roger au Château.

Pierre Honorin.

Non, non ; je ne m’éloignerai pas. Au Marquis. Vous pouvez juger des Maîtres par leurs domestiques. Ils s’en vont.


Scène V.

LA MÈRE TOINETTE, TOINON.
La Mère Toinette.

Je sommes bian aise que Monsieur le Marquis t’ait vu, Toinon.

Toinon.

Pourquoi donc ma Mère ?

La Mère Toinette.

Four quelque chose.

Toinon.

Ah ! dites donc ?

La Mère Toinette.

C’est que Roger est un bian honnête garçon, n’est-ce pas ?

Toinon.

Pour cela oui, ma Mère ; car il veut toujours faire tout mon ouvrage.

La Mère Toinette.

Il ne faut pas le souffrir, voilà ce que je te défendons.

Toinon.

Bon ! il ne m’en demande tant seulement pas la permission.

La Mère Toinette.

Tu ne connois pas le danger de cela, mon enfant.

Toinon.

Comment donc ma Mère ?

La Mère Toinette.

C’est que quand les Hommes rendent quelques services à une Fille, ils veulent en être récompensés.

Toinon.

Récompensés ?

La Mère Toinette.

Oui, voirement.

Toinon.

Et comment cela ?

La Mère Toinette.

Ils voulions vous embrasser, par exemple.

Toinon.

Ah ! oui ; c’est vrai.

La Mère Toinette.

Roger t’a donc embrassée ?

Toinon.

Oui, ma Mère ; mais je ne le voulions pas.

La Mère Toinette.

Et si not’Maîtresse l’avoit vu ?

Toinon.

Oh ! elle étoit bien loin, bien loin ; sans cela…

La Mère Toinette.

Sans cela ?

Toinon.

Je ne l’aurions pas laissé faire.

La Mère Toinette.

Tiens, ma Fille, tu aimes Roger.

Toinon.

Mais ma Mère… Vous l’aimez bien aussi vous ?

La Mère Toinette.

Oui ; mais ce n’est pas la même chose ; je ne sis pas amoureuse de lui, moi.

Toinon.

Il vous aime bien Roger.

La Mère Toinette.

Je le crois ; mais c’est parce qu’il a de l’amour pour toi, avoues-le moi ?

Toinon.

Mais, ma Mère…

La Mère Toinette.

Tians, sans que tu parles, j’entendons bian ce que ça veut dire, eh bian, mon enfant, je te défendons aussi de te trouver seule avec lui, jamais.

Toinon.

Mais si nos Maîtres nous envoyons ensemble chercher quelque chose ?

La Mère Toinette.

Ils ne t’y envarrons pas.

Toinon.

Quoi vous croyez que s’ils saviont comme je nous aimons, qu’ils en seriont fâchés, eux qui vouliont que tout leur monde s’aiment ici, qui s’aimiont tant, & dont c’est le plus grand bonheur ?

La Mère Toinette.

Oui ; mais ils sont riches.

Toinon.

Est-ce qu’il faut être riches comme eux pour s’aimer ?

La Mère Toinette.

Il faut l’être un peu du moins pour se marier. Voici not’ Maîtresse, songe à ce que je vians de te dire.

Toinon.

Oui, ma Mère.


Scène VI.

CÉCILE, LA MÈRE TOINETTE, TOINON.
Cécile.

Eh bien, Toinette, mon cher enfant ?

La Mère Toinette.

Il se porte à marveilles, not’ Maîtresse, & j’avions tort tantôt de nous inquiéter, voyez comme il dort.

Cécile.

C’est l’image du bonheur ! Elle le baise. C’est tout le portrait d’André. N’est-il pas vrai, Mère Toinette ?

La Mère Toinette.

C’est le sien ; c’est le vôtre ; c’est tout ce qu’il y a de plus biau ! Et tenez, je le disions encore tout-à-l’heure à Piarre Honorin.

Cécile.

Ou est-il donc, Pierre Honorin ?

La Mère Toinette.

Il est allé avec Monsieur le Marquis, qui est venu le voir.

Cécile.

Il falloir envoyer quelqu’un avec lui.

La Mère Toinette.

Il n’a pas voulu, il a dit qu’il n’alloit pas loin.

Cécile.

Je suis fâchée qu’il soit aussi âgé ! je sens, je ne sais pourquoi, qu’aux dépens de mes jours, je voudrois pouvoir prolonger les siens.

La Mère Toinette.

C’est un bian brave homme !

Cécile.

Il m’inspire une vénération, un respect… je crois, quand je ne le vois pas, que ce sentiment est celui qu’on éprouve volontiers pour quelqu’un qui a consacré toute sa vie au service de la Patrie…

La Mère Toinette.

Je sommes tous comme cela.

Cécile.

Et dès qu’il paroît, un certain desir m’entraîne vers lui, & me feroit jetter dans ses bras, si je n’étois retenue par la réflexion.

La Mère Toinette.

Monsieur le Marquis l’aime aussi beaucoup.

Cécile.

Il le connoît ?

La Mère Toinette.

Oui voirement, & Piarre Honorin lui a les plus grandes obligations, à ce qu’il m’a dit.

Cécile.

Il les exagère, j’en suis sûre ; voilà bien comme il est, reconnoissant, sensible !… Rien ne me console de son âge ; quel exemple il seroit pour notre enfant !

La Mère Toinette.

Et lui en faut-il d’autre que celui de son Père ?

Cécile.

André ?

La Mère Toinette.

Oui, j’ons bian vu des hommes depuis que je sommes au monde ; mais je n’en avions point encore vu comme notre Maître. Où trouveriais-vous un aussi bon Mari, un Maître plus généreux, & je crois que je pouvons dire un si bon Père ; puisqu’il est à tretous le nôtre.

Cécile.

Ah ! Toinette, tu as raison, je suis la plus heureuse Femme du monde !

La Mère Toinette.

Et vous le méritais, je ne voulions pas le dire, parce que vous êtes-là, mais Toinon sait bian ce que je disons de vous toute la journée.

Toinon.

Oh ! pour cela oui, not’ Maîtresse.

Cécile.

Allons, mes enfans ; cela est fort bien, je ne puis pas me défendre du plaisir que vous me faites en louant André ; parce que tout ce que vous dites est vrai ; mais pour moi…

La Mère Toinette.

Eh bian, c’est la même chose.

Cécile.

Non, non ; ne parlez plus de cela. Je ne sais pourquoi ; mais il me semble qu’André tarde un peu plus à revenir qu’à l’ordinaire.

La Mère Toinette.

Où est-il donc ?

Cécile.

Avec les Moissonneurs.

La Mère Toinette.

Je vais y envoyer Toinon, si vous voulez ?

Cécile.

Non, non, Roger y est allé.

La Mère Toinette.

Je le vois qui revient, je crois.


Scène VII.

CÉCILE, ANDRÉ, ROGER, LA MÈRE TOINETTE, TOINON, LES MOISSONNEURS.
Toinon, avec joie.

C’est lui-même.

Roger arrive en courant.

Le voilà, le voilà qui revient not’ Maître.

Cécile.

Il ne falloit pas courir, Roger.

Roger.

Pardi, me vela bian malade ! on n’est jamais fatigué quand on porte une bonne nouvelle.

André, aux Moissonneurs.

Allez, mes amis, allez vous reposer ; on va vous donner de quoi vous rafraîchir & puis après, vous serrerez dans la grange, le reste des gerbes, qui ne sont pas encore rentrées.

Les Moissonneurs restent & parlent à Roger.

Eh bien, qu’attendez-vous ? N’êtes-vous pas assez fatigués ?

Roger.

C’est, not’ Maître, qu’avant de s’en aller, ils voudriont savoir comment se porte vot’ Fieux.

André.

Cécile ?

Cécile.

Il n’est point malade, mes enfans, nous nous étions trompés. Allez, nous vous sommes bien obligés de cette preuve de votre attachement.

Les Moissonneurs s’éloignent en marquant leur joie.

Scène VIII.

CÉCILE, ANDRÉ, TOINON, LA MÈRE TOINETTE.
André.

Quelle satisfaction est plus grande que celle qu’on voit partager à tout ce qui nous environne !

La Mère Toinette.

Dame, c’est bian juste, cet enfant-là, nous est aussi cher qu’à vous deux.

André passant son bras droit autour du corps de Cécile.

Ah ! Cécile, quelle douce félicité ! nous goûtons un bonheur que personne ne peut nous envier. Que, dans le monde, notre sort eût été différent ! c’est à toi, c’est à ton courage, & plus encore, c’est à ton amour que je dois le bien dont je jouis !

Cécile.

N’est-ce pas toi qui me l’as inspiré cet amour qui nous a uni ? N’est-ce pas toi qui m’en fais goûter sans cesse les douceurs & les fruits ? Regarde cet enfant ; c’est toi-même ; j’y vois déjà tout ce qui m’a fait t’aimer ; il resserre nos liens, il augmente leurs charmes.

André tenant toujours Cécile.

Il double notre existence !

Ils s’approchent doucement du Berceau. André, à genoux, regardant son Fils & Cécile tour-à-tour tient la main droite de Cécile avec les deux siennes ; l’autre main de Cécile, qui est debout, est appuyée sur l’épaule d’André.

La Mère Toinette & Toinon, un peu éloignées, expriment leur admiration.

Combien nous sommes vengés de cette haine cruelle & déraisonnable qui a divisé nos Parens !

Cécile.

Je voudrois que ce qui en reste, pût la bannir pour toujours, en se réunissant comme nous.

André.

Je n’ai plus qu’un Oncle, que je n’ai jamais vu.

Cécile.

Et moi, des Parens éloignés, & peut-être un Grand-Père ; mais ayant été obligé de fuir depuis long-temps sa Patrie pour une affaire malheureuse, on n’en a point eu de nouvelles.

André.

Ce Parent avare qui vouloit, en te faisant épouser son Fils, disposer de tous tes biens, quoique tu les lui aye laissés, n’est sûrement pas si heureux que nous. L’oisiveté où plongent les richesses, produit l’ennui & des maux que nous n’éprouverons jamais.

Cécile.

Quel avenir heureux, pour notre enfant !

André.

Il faut qu’il ignore toujours son vrai nom, pour que rien ne trouble sa félicité.,

Cécile.

Il conservera dans ces lieux, habitant avec tout ce qui nous environne, l’innocence & la pureté des mœurs. Il n’aura d’autre ambition, que celle de faire du bien à ses semblables ; c’est une délicieuse occupation & une jouissance continuelle.

André.

Ton exemple, chère Cécile, nourrira son ame dans ces principes : nous recueillerons sans cesse le fruit de nos soins, & quand l’âge affoiblira nos forces, nous nous verrons renaître en lui. Quelle sera sa reconnoissance de tout notre amour & de tout ce que nous aurons fait pour lui ! Nous lui deviendrons aussi précieux qu’il nous l’est à nous-même dans son enfance. Rien ne nous échapera de tous les mouvemens de son ame, & rien ne sera si doux pour nous, que de lui voir nous exprimer toute sa tendresse.

Cécile.

Dans cet asyle, personne ne cherchera à pénétrer notre secret.

André.

S’il nous échappoit jamais, Cécile, cet avenir délicieux seroit bien-tôt évanoui. Oui, cher enfant, je jure par ta Mère, par toi, que rien ne pourra jamais…

Cécile.

André, les sermens sont indiscrets.

André.

Cécile, que dis-tu, pourrois-tu desirer un autre sort ?

Cécile.

Non, mon cher André, tu connois le fond de mon cœur, je ne crois pas que tu m’en accuses, ni que tu puisses jamais le craindre.

André.

Voudrois-tu exposer cet Enfant à perdre, un jour, cette innocence si précieuse que nous devons lui conserver ?


Scène IX.

ANDRÉ, CÉCILE, PIERRE HONORIN, LA MÈRE TOINETTE, TOINON.
Pierre Honorin, dans le fond avec la Mère Toinette & Toinon, considérant André & Cécile.

Quel spectacle enchanteur & touchant !

Cécile.

André, tu m’affliges avec cette idée. Quand la crainte me fait penser…

André.

Ah ! pardonne, Cécile, pardonne à ma tendresse alarmée, pour un objet qui nous est si cher. Ta défiance sur l’avenir vient du même principe que la mienne ; nos cœurs sont trop intimément unis, pour que rien au monde puisse jamais les diviser. Il presse Cécile dans ses bras & se lève.

Cécile.

Si je pouvois le craindre un instant, il n’y auroit plus de bonheur pour moi.

Pierre Honorin.

Je vous trouve toujours les mêmes, jouissans sans cesse du bien de vous aimer,

Cécile.

Oui, Pierre Honorin.

Pierre Honorin.

Et je vous en félicite. Vous vivez dans des liens où les autres ne savent que languir ; tous les instans vous sont précieux.

André.

Au milieu du grand monde on a beaucoup de connoissances & peu d’amis. L’homme riche ou puissant est-il heureux ? Il vient toujours un tems qu’il finit par être isolé ; mais quand le même intérêt unit deux cœurs, ils se desirent sans cesse, se retrouvent avec la même vivacité de sentimens, tout se partage entr’eux, les maux s’adoucissent & les plaisirs s’augmentent par ce partage ; enfin on sent que l’on ne vit qu’autant qu’on aime & que l’on est aimé.

Pierre Honorin.

Jugez donc quel est le sort d’un Vieillard tel que moi.

Cécile.

Si vous nous aimez, n’êtes-vous pas sûr de notre amitié ?

Pierre Honorin.

Ah ! ma chère Cécile, André, je sens que je ne tiens plus à la vie que par vous.

André.

Vous nous êtes cher, Pierre Honorin, & nous vous le prouverons sans cesse ; vous êtes sensible, un témoin de notre bonheur, aussi délicat que vous, est un présent bien précieux que le Ciel nous envoyé.

Pierre Honorin.

Ah ! mes amis !… Mais vous voulez que je me taise sur ma reconnoissance, je ne vous en parlerai point.

André.

Nous vous en prions.

Pierre Honorin.

Vous étiez-là, auprès du fruit de votre union ?

André.

Oui, & le repos dont il jouit a calmé toutes nos inquiétudes. Mais, Cécile, pourquoi n’est-il pas dans sa chambre ?

Cécile.

L’air étoit si pur & si doux, que j’ai imaginé qu’il lui feroit du bien. Je vais le faire reporter chez lui. Mère Toinette, rentrez votre enfant ; mais prenez garde de le réveiller.

La Mère Toinette.

Oh ! ne vous inquiétez pas, j’allons le reporter tout doucettement. Allons, Toinon, vians m’aider.

La Mère Toinon & Toinette emportent le Berceau.
Cécile.

André, je vais voir si les Moissonneurs sont contens, & s’ils ont eu tout ce que j’avois ordonné pour eux.

Pierre Honorin.

Ce sont ces soins qui vous attachent ici tous les cœurs.

Cécile.

C’est une dette ; ces gens-là font tout pour nous, nous ne pouvons trop faire pour eux. Elle s’en va.


Scène X.

ANDRÉ, PIERRE HONORIN.
Pierre Honorin.

Quelle Femme vous avez-là, mon cher André !

André.

Quand vous la connoîtrez mieux, vous l’admirerez encore plus. Dans votre métier des armes, vous avez parcouru le monde, & je ne sais avec qui vous avez vécu ; mais vous pensez & vous sentez si délicatement, que vous verrez mieux qu’un autre, quelle différence il y a de Cécile à toutes les Femmes.

Pierre Honorin.

Vous ne pourrez jamais m’en dire autant de bien que j’en pense. Je ne vous parlerai point de son cœur, de son ame, ils vous sont mieux connus qu’à moi ; mais son esprit me paroît très-cultivé.

André.

La lecture des bons livres a étendu ses idées, ils ont achevé de développer le germe de toutes les vertus qui sont en elle, & dont la pratique lui est si facile. Si vous saviez tout ce que je lui dois, quel a été son courage ! combien elle a perfectionné mon ame ! elle a surmonté tous les obstacles qui s’opposoient à notre union.

Pierre Honorin.

Quels obstacles donc ?

André, à part.

Qu’ai-je dit ? À Pierre Honorin. Maïs ceux qu’on trouve quelquefois, en voulant épouser une Fille qu’on aime. À part. Quand on est plein de sa tendresse, comme, avec un ami sensible, on est prêt d’être indiscret !

Pierre Honorin.

Je ne veux point savoir ce que vous voulez cacher.

André.

Je n’ai point de secret.

Pierre Honorin.

Je le crois, puisque vous le dites. Soyez sûr que vous me trouverez toujours prêt à vous entendre, & avec plaisir, lorsque vous voudrez me parler de Cécile.

André.

Je compte sur votre amitié.


Scène XI.

ANDRÉ, PIERRE HONORIN, ROGER.
Roger.

Not’ Maître, on vous demande.

André.

Qui cela ?

Roger.

Ah ! Dame, c’est un Monsieur que je ne connois pas.

André.

Où est-il ?

Roger.

Dans le Verger. Il m’a dit qu’il alloit vous attendre tout au-bout.

André.

Sais-tu ce qu’il me veut ?

Roger.

Non, il a dit seulement qu’il vouloir vous parler en particulier. Il est arrivé à cheval.

André.

Ah ! je crois savoir ce que c’est.

Pierre Honorin.

Peut-on vous le demander ?

André.

Oui, je pense que c’est un homme du voisinage, qui veut me vendre quelques arpens de terre, sans qu’on le sache, parce qu’il a besoin d’argent.

Pierre Honorin.

Pouvez-vous les lui acheter ?


André.

Oui, mais je ne veux pas profiter de son malheur, je lui prêterai seulement l’argent dont il a besoin.

Pierre Honorin.

Allez, homme toujours digne de plus en plus d’être heureux.

André.

Si Cécile revient, Roger, & qu’elle demande où je suis, dis-lui que je vais revenir.

Roger.

Oui, oui, not’ Maître, ne vous embarassez pas.

André entre dans le Verger, & Roger va au-devant de la Mère Toinette & de Toinon qui arrivent. Pierre Honorin s’assied sur les pierres qui sont au pied du premier arbre.


Scène XII.

PIERRE HONORIN, LA MÈRE TOINETTE, TOINON, ROGER.
Pierre Honorin, à part.

Je craignois que ce ne fût déjà l’homme que le Marquis doit envoyer à André pour faire réussir notre projet. Hélas ! quelque bien que nous en puissions attendre, je redoute les alarmes que pourront avoir André & Cécile.

La Mère Toinette.

Tenez-vous là, Roger, avec Toinon. Elle va parler à Pierre Honorin. Ah ça, Piarre Honorin, vous souvenez-vous que je vous ons demandé tantôt, si vous étiez content de Roger ?

Pierre Honorin.

Sûrement, je vous ai même répondu que oui.

La Mère Toinette.

C’est que vous ne savez pas ?

Pierre Honorin.

Non, qu’est-ce qu’il y a ?

La Mère Toinette.

C’est bian difficile à vous dire ; c’est qu’il est amoureux de ma Fille.

Pierre Honorin.

De Toinon ?

La Mère Toinette.

Oui.

Pierre Honorin.

Est bien, le voilà dit.

La Mère Toinette.

Oh ! mais ce n’est pas tout ; c’est que je voudrions les marier ensemble, parce que ma Fille l’aime aussi, Roger.

Pierre Honorin.

Et quel âge a-t-elle ?

Toinon s’approchant.

Dix-sept ans, Piarre Honorin.

Roger.

Et moi, vingt-trois.

Pierre Honorin.

Cela est fort bien. Et que donnerez-vous en mariage à Toinon ?

La Mère Toinette.

Ah ! voilà ce que je trouvions bian difficile à vous dire ; car alle n’a rian du tout.

Roger.

Ni moi non plus ; nous sommes tous les deux tout de même ; c’est bian bon cela, n’est-ce pas, Piarre Honorin ?

Pierre Honorin.

Mais pas trop.

Roger.

Pardonnez-moi ; parce quand il y en a un des deux qui est riche, quelquefois on ne veut pas qu’il épousions l’autre.

Pierre Honorin.

Oui, cela arrive.

Roger.

Eh bian, nous avons cet embarras-là de moins ; vous voyais bian que c’est une bonne avance.

Pierre Honorin.

Mais, s’il te venoit tout-d’un-coup un bon héritage, Roger ?

Roger.

Je n’en voudrois pas, si cela m’empêchoit d’épouser Toinon.

Toinon.

Je ne ferois pas comme cela, moi.

Roger.

Quoi, Toinon ?…

Toinon.

Je le prendrois pour te le donner, & tu m’épouserois après si tu le voulois.

La Mère Toinette.

Vous voyais bian, Piarre Honorin, que je ne vous trompois pas, quand je vous disions tout-à-l’heure qu’alle aimoit Roger.

Pierre Honorin.

Non ; mais vos Maîtres, Mère Toinette ? savent-ils votre dessein ?

La Mère Toinette.

Eh, voirement, non ; parce que tenez, voilà ce que j’ons trouvé qui étoit le bian plus difficile à dire ; mais vous le leur diriais bian, si vous le vouliais, vous, Piarre Honorin.

Pierre Honorin.

Je ne demande pas mieux. Je ne voudrois pourtant pas que vous manquassiez de confiance vis-à-vis d’eux ; cela seroit mal, vous savez qu’ils vous aiment.

La Mère Toinette.

Oui ; mais ils sont nos Maîtres, & s’ils ne le vouliont pas, je serions fâchés d’avoir eu envie de faire une chose qui leur déplairiont.

Pierre Honorin.

Cela est très-bien pensé.

Roger.

Et moi, je dis que non.

Pierre Honorin.

Pourquoi donc, Roger ?

Roger.

Parce que, quand ils sauront que je nous aimons, est-ce qu’ils voudront nous faire de la peine, eux qui n’en ont jamais fait à parsonne.

Toinon.

Ah ! c’est bian vrai.

Roger.

Eux, qui me voulions augmenter mes gages, parce que j’étions un paresseux.

La Mère Toinette.

Je l’ai dit à Piarre Honorin.

Roger.

Ils vouliont que l’on aime à travailler ; & ils saviont bian que quand on est mariés, il faut que l’on travaille encore davantage.

Toinon.

Oui ?

Roger.

Sans doute ; parce qu’il viant des enfans, & qu’il faut bian avoir de quoi les nourrir.

La Mère Toinette.

Il a raison, Roger, ne trouvez-vous pas, Piarre Honorin ?

Pierre Honorin, se levant.

Oui, oui. Allons, ne vous inquiétez pas, je vois venir Cécile, je vais lui parler.

La Mère Toinette.

Ah ! que je vous serons obligés !

Roger.

Toinon, quel plaisir !

Toinon.

Ah ! Roger !


Scène XIII.

CÉCILE, PIERRE HONORIN, LA MÈRE TOINETTE, ROGER, TOINON.
Cécile.

est donc, André ? Savez-vous ce qu’il est devenu, Roger ? Je ne le trouve nulle part.

Roger.

Ne soyez pas en peine not’ Maîtresse, il m’a dit de vous dire, comme ça, qu’il alloit revenir.

Cécile.

Vous tenez donc compagnie à Pierre Honorin, mes enfans ; cela est très-bien fait. Je suis fâchée que mes occupations m’obligent à le laisser quelquefois tout seul.

Pierre Honorin.

Quand je ne vous vois pas, Cécile, je trouve toujours quelqu’un qui aime à me parler de vous ; & le plus grand plaisir que je puisse goûter, est celui d’entendre chanter vos louanges.

Cécile, souriant.

Savez-vous, Pierre Honorin, que si j’étois moins en garde contre la présomption, qu’avec le cas que je fais de vous vous me feriez bientôt perdre le peu que vous dites que je vaux ?

Pierre Honorin.

Vous n’avez rien à craindre, vous êtes trop modeste pour cela.

Cécile.

Parlons, je vous prie, d’autres choses.

Pierre Honorin.

Quand je dois réclamer vos bontés, il faut bien que je vous en fasse souvenir.

Cécile.

Mes bontés ! dites mon amitié. Mais que desirez-vous ? Parlez.

Pierre Honorin.

Ce n’est pas ce que je vous dirai, qui vous persuadera, c’est votre sensibilité ordinaire. Regardez ces jeunes gens, & devinez ce que j’ai à vous demander pour eux.

Cécile.

J’ai cru m’appercevoir qu’ils s’aimoient.

Pierre Honorin.

Ils n’ont point de bien ; mais assurés en se mariant de demeurer toujours avec vous, en auront-ils besoin ? Consentez qu’ils s’épousent.

Cécile.

Je ne demande pas mieux.

Roger.

Ah ! quelle bonne Maîtresse j’avons-là !

Cécile.

J’aime la Mère Toinette, j’aime sa Fille. Roger avoit des défauts, il s’en est corrigé ; cela me répond qu’il sera toujours un bon sujet. Mais pour les marier, il faut qu’André y consente.

Roger.

Il y consentira, il y consentira ; puisque vous nous approuvez.

La Mère Toinette.

Roger a raison, not’ Maître n’a jamais eu d’autre volonté que la vôtre.

Cécile.

Je lui en parlerai.

Roger.

Notre mariage est donc sûr ; ah ! Piarre Honorin !…

Pierre Honorin.

Mon ami, il ne tiendra pas à moi que vous ne soyez heureux.

Roger.

Quand il ne seroit venu ici que pour cela ; c’est comme un bonheur qui nous est tombé du Ciel, quand il est venu chez nous ; aussi je promettons de le bian aimer toujours.

Toinon.

Oui ; toujours, toujours.

Cécile, avec effroi.

Mais que vois-je ? André !…


Scène XIV.

CÉCILE, ANDRÉ, PIERRE HONORIN, TOINON, LA MÈRE TOINETTE, ROGER.
André, agité, pâle & défait.

Mes Enfans, laissez-nous.

La Mère Toinette, en s’éloignant un peu à Roger & Toinon.

Ah, mon Dieu ! lui seroit-il arrivé quelque malheur ?

Cécile.

André, dans quel état ?…

André, pressant Cécile dans ses bras.

Cécile !… À la Mère Toinette, douloureusement. Éloignez-vous donc.

La Mère Toinette, Toinon & Roger s’en vont avec la plus grande inquiétude.

Pierre Honorin, troublé, à part.

Je l’avois bien prévu, c’est l’homme du Marquis qu’il vient de voir.


Scène XV.

CÉCILE, ANDRÉ, PIERRE HONORIN.
André.

Cécile, tout est perdu ! nous sommes découverts.

Cécile.

Est-il bien possible ? Ah ! mon cher André, ne vous trompez-vous point ?

André.

Non, notre malheur n’est que trop certain ! Un inconnu, qui m’a fait demander un entretien particulier, vient de m’apprendre que nos Parens, à force de recherches, ont trouvé notre demeure ; ils nous persécuteront, il n’y a plus de bonheur pour nous.

Cécile.

Quelques efforts qu’ils puissent faire, ils ne nous sépareront jamais ; je mourrai plutôt que de me laisser arracher d’auprès de toi. Elle le tient embrassé par le milieu du corps.

André.

Ma chère Cécile, confie à Pierre Honorin, quelle a été la cause de notre établissement ici. J’espère en ses conseils. Moi, je vais trouver le Marquis de Clarençai, lui demander sa protection ; & une retraite dans son Château, si l’on vouloit employer la force pour nous désunir. Il veut s’en aller.

Cécile, alarmée.

André, si l’on prenoit cet instant pour nous séparer ?

André.

Non, ne crains rien encore ; on m’a affiné que nous avions du tems.

Cécile.

Qu’il passera rapidement !

André, à Cécile, la tirant à part.

Écoute-moi ; hors nos noms, ne cache rien à Pierre Honorin ; ce vieillard a de l’expérience, il nous aime, il pourra nous être utile.

Cécile.

Va, je t’obéirai exactement. André fait quelques pas. Embrasse-moi donc avant de t’en aller. Ils se jettent dans les bras l’un de l’autre.

Pierre Honorin, à part.

Comment soutenir cet excès de douleur !

André.

Pierre Honorin, je vous la confie ; écoutez-la, consolez-la ; faites renaître l’espoir dans son ame, s’il est possible.

Pierre Honorin.

Ah ! fiez-vous-en à mes soins ; elle m’est aussi chère qu’à vous. Il la prend par la main, & il la fait asseoir sur les pierres, au pied de l’arbre.

Cécile.

Ils nous sépareroient ! Dieux !


Scène XVI.

CÉCILE, PIERRE HONORIN.
Pierre Honorin, s’asseyant auprès de Cécile.

Ma chère Cécile, calmez-vous.

Cécile.

Le bonheur n’auroit donc lui qu’un instant pour nous !

Pierre Honorin.

Il n’est pas détruit, & il ne le sera pas ; j’ose vous en assurer.

Cécile.

Eh ! le pouvez-vous ?… Mais il faut obéir à André, écoutez-moi.

Pierre Honorin.

Comptez que l’intérêt le plus tendre m’attache à vous & à votre sort.

Cécile.

André, que vous voyez, ce Mari que j’adore, n’est point ce qu’il vous paroît, ni moi non plus. Nous sortons, l’un & l’autre, de deux Familles illustres, d’une Province de France.

Pierre Honorin.

Je n’en suis pas surpris ; votre ton, vos manières, vos sentimens, tout m’avoit empêché de m’y tromper.

Cécile.

Un soit, que j’étois seule à rêver sur la terrasse du Château de mon Père, vêtue comme vous le voyez (car André a voulu que je conservasse cet habillement en demeurant ici.) André passoit à cheval, seul, la tristesse étoit peinte sur son visage, il tourne ses yeux languissamment vers moi : je ne vous dirai point l’effet de ce regard, je vous le peindrois trop foiblement.

Pierre Honorin.

Continuez.

Cécile.

J’éprouvai ce que je n’avois jamais senti, je n’étois plus occupée que d’André, je passois les journées entières sur cette terrasse.

Pierre Honorin.

Poursuivez, je vous en supplie.

Cécile.

André avoit senti le même trait, il avoit vivement pénétré son cœur. Sa santé étoit épuisée par de longs chagrins que lui avoit causés la perte du reste de ses biens. Il étoit revenu chez lui, d’où il étoit sorti depuis l’enfance, pour voir s’il lui restoit quelque ressource ; ayant perdu tout espoir, il s’en éloignoit lorsque je le vis. La fatigue ou plutôt l’amour qu’il avoit conçu pour moi le déterminèrent à rester dans le Village de mon Père, & la fièvre le prit très-violemment dans la nuit.

Pierre Honorin.

Et ce Village se nomme ?

Cécile.

C’est ce qui m’est défendu de vous dire.

Pierre Honorin.

Vous ne m’apprendrez donc point vos noms, non plus ?

Cécile.

Cela m’est impossible. Au bout de deux jours, on vint dire à mon Père qu’un jeune Gentilhomme étoit dangereusement malade à l’auberge. André qui avoit sçu le nom de mon Père en demandant le mien, trouvant en lui l’ennemi de sa Maison, celui qui avoit achevé de le ruiner en suivant les mouvemens d’une haine irréconciliable, qui duroit depuis long-tems, prit le parti de cacher son nom à ses hôtes ; & mon Père, qui fut le chercher pour le faire transporter, l’ignora aussi.

Pierre Honorin.

Que de maux ces haines cruelles ont causés !

Cécile.

Celle-ci avoit fait sentir vivement à André, en m’aimant, le malheur de m’avoir vue. Quel fut mon étonnement, lorsque mon Père l’amena, de retrouver en lui cet objet que j’adorois & de le voir mourant ! Nos yeux se rencontrèrent, une douloureuse joie qu’il vit dans les miens le pénétra : je lus facilement tout ce qui se passoit dans son ame ; car la mienne étoit déjà d’intelligence avec la sienne.

Pierre Honorin.

Comptez que rien ne pourra désunir deux cœurs si bien formés pour s’aimer toujours.

Cécile.

Mon Père m’ordonna d’avoir soin d’André. Quelle joie cet ordre me causa ! quel plaisir j’eus à lui obéir ! & quelle fut la reconnoissance d’André ! il se rétablit en peu de tems. Il ne pouvoit nous quitter, & je redoutois l’instant de son départ, lorsque mon Père tomba malade : il se crut obligé de rester pour m’aider à lui rendre des soins. En peu de jours la mort me l’enleva, & je demeurai maîtresse d’un bien considérable. Pendant tout ce tems, André n’osa me rien dire de son amour, & tout en lui m’en assuroit. Mais il devenoit plus sombre de jour en jour ; j’en fus alarmée, je n’osois lui en demander la cause ; lorsque je le surpris seul, & que je l’entendis prononcer quelques mots entrecoupés, qui m’apprirent qu’il alloit se disposer à me quitter.

Pierre Honorin.

Que fîtes-vous ?

Cécile.

Je lui en demandai la raison ; il me regarda, soupira & fondit en larmes. André, m’écriai-je, vous m’aimez ! croyez-vous que je l’ignore ? Vous n’êtes pas riche ; mais mon Père auroit approuvé le desir que j’avois de m’unir à vous, j’en étois presque sûre lorsque je l’ai perdu. Quelle est votre erreur, reprit-il ! Il ignoroit mon nom. Héritier d’une Maison que la vôtre a toujours poursuivie, il n’auroit point consenti à ce mariage, & il se nomma. Je lui jurai de n’être jamais qu’à lui & je croyois que rien ne pouvoit s’y opposer ; lorsqu’un Oncle, de qui je connoissois la haine pour la Maison d’André, avide de mes biens, vint me proposer d’épouser son Fils. Je résistai d’abord, mais voyant que son parti étoit pris, je demandai quinze jours, & ce tems me suffit pour exécuter un projet, auquel j’eus bien de la peine à faire consentir André.

Pierre Honorin.

Tout ce que j’entends… Ah ! ma chère Cécile ! oui…

Cécile.

Que dites-vous ?

Pierre Honorin.

Que vous me pénétrez d’admiration !

Cécile.

J’avois toujours aimé la vie champêtre, les avantages de la naissance ne me paroissoient qu’une chimère inventée par l’orgueil, & peu nécessaire au bonheur. André n’avoit pas lieu de s’en louer. Je lui proposai d’exécuter le plan que nous avons suivi en venant nous établir ici. Il fit tout ce qu’il put pour, disoit-il, m’empêcher de me sacrifier à lui ; mais je n’écoutai rien. Je fis mon testament, je laissai à mon Oncle tout mon bien ; nous partîmes avec une somme considérable, & je fis courir le bruit de ma mort.

Pierre Honorine à part.

Dieux ! vous me la rendez donc !

Cécile.

Nous fûmes nous marier en Flandre ; mais décides à vivre dans notre Patrie, nous revînmes, avec les noms que nous portons, nous fixer dans ce lieu, qui est très-éloigné de celui de notre naissance.

Pierre Honorin.

Ah ! croyez, ma chère Cécile, que rien ne peut altérer seulement votre bonheur.

Cécile.

Ah ! je revois André ! Elle se lève & court au-devant d’André.


Scène XVII.

LE MARQUIS, PIERRE HONORIN, CÉCILE, ANDRÉ.
Cécile à André.

Non, je ne te quitte plus.

Pierre Honorin.

Mes enfans, vous n’avez rien à redouter, vos Parens ne vous persécuteront pas ; je les connois, ils ne vous cherchent que pour se réunir à vous, & passer le reste de leur vie à jouir du plaisir de vous voir heureux.

André.

Pierre Honorin, ne seriez-vous venu parmi nous que pour pénétrer notre secret, & poux nous trahir ?

Le Marquis.

Ah ! vous ne le connoissez pas, André, je vous réponds de lui.

André.

Après la protection que vous m’avez promise, je dois vous croire, & je le prie de me pardonner ; mais je crains tout ; je ne suis pas le maître de bannir mon inquiétude. Je ne saurois me persuader que la haîne qui subsiste entre nos deux Maisons…

Pierre Honorin.

C’est où je vous arrête, elle est détruite, vous avez tout réuni.

André.

On vous trompe, croyez-le ; on connoît l’honnêteté de votre ame, & l’on en a abusé pour pouvoir parvenir à se rendre maître de nous.

Pierre Honorin.

Ah ! nommez-vous seulement, & vous verrez ces Parens que vous redoutez, voler dans vos bras.

André.

Cécile, garde-toi jamais…

Cécile.

Ne crains rien, tu me suffis, ta volonté sera toujours ma loi.

Le Marquis.

Qui peut vous faire résister ainsi ?

André.

Le desir de ne point changer de genre de vie ; en peut-il être un plus heureux pour nous, que celui que nous avons embrassé ? Nos jours sont doux, notre vie est pure ; qu’on nous laisse vivre en paix, & qu’on ne vienne point troubler l’innocence où nous vivons, en nous rappellant une vaine grandeur qui n’éblouit jamais le sage.

Pierre Honorin.

On appelle souvent sagesse ce qui favorise nos passions ; mais l’homme est-il né pour lui seul ? Il se doit à la société.

André.

Eh, ne vivons-nous que pour nous ? Dans l’état que nous avons choisi, nous ne voyons dans tous les hommes que nos frères ; lorsque dans un rang plus élevé, l’on n’a pour eux que du mépris, on les fait servir à sa vanité, & ici, ils sont nécessaires à notre bonheur, ils le partagent & ils nous aiment. Bien loin d’avoir perdu, en vivant ainsi, nous avons tout gagné.

Le Marquis.

Et qui vous donne le droit de disposer de votre sort, de celui de vos enfans ?

André.

La liberté, dont tout homme sage doit chercher à jouir !

Pierre Honorin.

Et croyez-vous être né libre ?

André.

Sans doute.

Pierre Honorin.

Vous vous trompez, les Grands le sont moins que les autres hommes ; la noblesse est la récompense de la vertu & des grandes actions, voilà les engagemens que vos ancêtres ont contractés avec votre patrie ; pouvez-vous y renoncer, répondez ?

André.

Quoi ! je serois moins libre que le dernier des citoyens ?

Pierre Honorin.

Vous vous devez, ainsi que votre Fils, à l’État. Nés pour le défendre, ne rougiriez-vous pas de voir cet emploi rempli par des gens que la seule richesse auroit élevés à cette gloire, à leur devoir le repos dont vous jouiriez ? Quel cas fait-on dans le monde, & avec juste raison, d’un Gentilhomme qui vit dans ses terres, sans avoir été utile à sa Patrie ?

André.

Mais ces premiers Nobles, dont on tire tant de vanité de descendre, n’étoient que des tyrans.

Le Marquis.

Parce qu’ils régnoient injustement sur leurs vassaux, & qu’ils les sacrifioient à leurs desirs, à leurs intérêts, à leurs volontés.

André.

Et depuis, ils ont perdu toute leur liberté.

Le Marquis.

Les loix ont déterminé leur pouvoir, & leurs actions les ont fait admirer & respecter de toute la Nation. Voilà le but que doit se proposer un homme de qualité, pourquoi il est né, & ce qu’il doit faire envisager à ses enfans.

Pierre Honorin.

Cécile est Petite-fille du Comte d’Hornebourg, André est Neveu du Marquis de Bressan, l’un & l’autre sont devant vous.

Cécile.

André ?

André.

Cécile ?

Pierre Honorin.

Nous ne croyons pas nous tromper ; mais s’il étoit possible, le Marquis & moi, nous vous adoptons. Nos enfans ne sauroient mieux valoir, ils sont perdus pour nous ; vous seuls pouvez nous les rendre.

Le Marquis.

Vous nous serez toujours chers.

André.

Eh bien, vous triomphez, nous ne saurions vous résister davantage. Cécile, notre bonheur sera toujours le même. Il embrasse le Marquis.

Cécile dans les bras d’Honorin.

Voilà donc ces mouvemens de respect, & de vénération que j’avois pour vous, expliqués, enfin.

Pierre Honorin.

Oui, ma chère Fille ; combien ne m’en a-t-il pas coûté depuis que je suis ici, pour contenir toute ma tendresse pour vous.

Le Marquis.

Vous vous cachiez envain, la nature vous avoit dévoilés à nos yeux.

Cécile.

Quand nous croyions que rien ne pouvoit augmenter notre félicité ; c’est que nous ne vous connoissions pas.


Scène DERNIÈRE.

LE MARQUIS, PIERRE HONORIN, CÉCILE, ANDRÉ, LA MÈRE TOINETTE, TOINON, ROGER, TROUPE DE PAYSANS.
Pierre Honorin, à Cécile.

Ma Fille, voilà la Mère Toinette, sa Fille & Roger.

La Mère Toinette.

Oui, nous sommes tous inquiets de nos Maîtres ; ils nous ont paru tristes, nous craignons qu’il ne leur soit arrivé quelque malheur.

André.

Non, mes enfans, au contraire, ce qui nous arrive, va vous récompenser tous de votre attachement pour nous.

Pierre Honorin.

Sûrement, mais j’ai contracté une dette avec la Mère Toinette, moi, & je veux l’acquitter. Je marie sa Fille avec Roger.

La Mère Toinette.

Vous, Piarre Honorin ?

Pierre Honorin.

Oui, moi. À Cécile & André. Mes enfans, n’y consentez-vous pas ?

Cécile.

Ah ! mon Père, vous êtes fait pour rendre tout heureux !

André.

On ne peut pas être mariés sous de meilleurs auspices.

La Mère Toinette.

Son Père !

Toinon.

Ma Mère ?

Roger.

Toinon ?

Pierre Honorin.

Oui, Cécile est ma Petite-Fille, & votre Maître est le Neveu de Monsieur le Marquis.

La Mère Toinette.

Je ne comprenons rian à tout cela.

Pierre Honorin.

On vous l’expliquera. À Cécile. Allons embrasser votre Fils & prouvons aux hommes, que la vraie sagesse consiste à suivre l’ordre établi de tous les tems.

FIN.