Testament de Meslier/Chapitre 6

Cramer (p. 46-53).


CHAPITRE VI.


PREMIÉRE SECTION.

De l’Ancien Testament.



NOs Christicoles mettent encore au rang des motifs de crédibilité & des preuves certaines de la vérité de leur Religion, les Prophéties, qui sont, prétendent-ils, des témoignages assurés de la vérité des révélations ou inspirations de Dieu, n’y ayant que Dieu seul qui puisse certainement prédire les choses futures si longtems avant qu’elles soient arrivées, comme sont celles qui ont été prédites par les Prophêtes.

Voyons donc ce que c’est que ces prétendus Prophêtes, & si l’on en doit faire tant d’état que nos Christicoles le prétendent.

Ces hommes n’étoient que des visionnaires & des fanatiques, qui agissoient & parloient suivant les impulsions ou les transports de leurs passions dominantes, & qui s’imaginoient cependant, que c’étoit par l’esprit de Dieu qu’ils agissoient & qu’ils parloient ; ou bien c’étoit des imposteurs qui contrefaisoient les Prophêtes, & qui, pour tromper plus facilement les ignorans & les simples, se vantoient d’agir & de parler par l’esprit de Dieu.

Je voudrais bien sçavoir comment seroit reçu un Ézéchiel qui dit chap. 3. & 4. que Dieu lui a fait manger à son déjeuner un livre de parchemin, lui a ordonné de se faire lier comme un fou, lui a prescrit de se coucher 390 jours sur le côté droit & 40 sur le gauche ; lui a commandé de manger de la merde sur son pain, & ensuite par accommodement de la fiente de bœuf ? Je demande comment un pareil extravagant seroit reçu chez les plus imbécilles même de tous nos Provinciaux ?

Quelle plus grande preuve encore de la fausseté de ces prétendües prédictions, que les reproches violens que ces Prophêtes se faisoient les uns aux autres, de ce qu’ils parloient faussement au nom de Dieu ; reproches mêmes qu’ils se faisoient, disoient-ils, de la part de Dieu. Voyez Ézech. 13. 1. Sophon. 3. 4. & Erem. 2. 4.

Ils disent tous, gardez-vous des faux Prophêtes, comme les vendeurs de Mithridate disent, gardez-vous des Pilules contrefaites.

Ces malheureux font parler Dieu d’une manière dont un crocheteur n’oseroit parler. Dieu dit au 23 chap. d’Ézechiel, que la jeune Oolla n’aime que ceux qui ont membre d’ane & sperme de cheval. Comment ces fourbes insensés auroient-ils connu l’avenir ? Nulle prédiction en faveur de leur nation Juive n’a été accomplie.

Le nombre des Prophéties qui prédisent la félicité & la grandeur de Jérusalem, est presque innombrable ; aussi dira-t-on, il est très naturel qu’un peuple vaincu & captif se console dans ses maux réels par des espérances imaginaires, comme il ne s’est pas passé une année depuis la destitution du Roi Jacques, que les Irlandois de son parti n’ayent forgé plusieurs prophéties en sa faveur.

Mais si ces promesses faites aux Juifs se fussent effectivement trouvées véritables, il y auroit déjà longtems que la Nation Juive auroit été & seroit encore le peuple le plus nombreux, le plus puissant, le plus heureux & le plus triomphant.


DEUXIÉME SECTION.

Du Nouveau Testament.



IL faut maintenant examiner les prétendües Prophéties contenues dans les Évangiles.

Premiérement. Un Ange s’étant apparu en songe à un nommé Joseph, père au moins putatif de Jesus fils de Marie, lui dit : « Joseph fils de David, ne craignez point de prendre chez vous Marie votre épouse ; car ce qui est dans elle est l’ouvrage du St. Esprit[1]. Elle vous enfantera un fils que vous appellerez Jesus, parce que ce sera lui qui délivrera son peuple de ses péchés. »

Cet Ange dit aussi à Marie : « Ne craignez point, parce que vous avez trouvé grace devant Dieu. Je vous déclare que vous concevrez dans votre sein, & que vous enfanterez un fils que vous nommerez Jesus. Il sera grand, sera appelé le fils du Très-haut. Le Seigneur Dieu lui donnera le Thrône de David son Père ; il régnera à jamais dans la maison de Jacob, & son régne n’aura point de fin. » Matth. 1. 20. & Luc. 1. 3. »

Jesus commença à prêcher & à dire, « Faites pénitence, car le Royaume du Ciel approche. Matth. 4. 17. Ne vous mettez pas en peine, & ne dites pas, que mangerons-nous ? ou que boirons-nous ? ou de quoi serons-nous vétus ? car votre Père céleste sçait que toutes ces choses vous sont nécessaires. Cherchez donc premiérement le Royaume de Dieu & sa justice, & toutes ces choses vous seront données pour surcroit. » Matth. 6. 30. 31. 32.

Or maintenant que tout homme qui n’a pas perdu le sens commun, examine un peu, si ce Jesus a été jamais Roi, si ses disciples ont eu toutes choses en abondance.

Ce Jesus promet souvent qu’il délivrera le monde du péché. Y a-t-il une prophétie plus fausse ? & notre siècle n’en est-il pas une preuve parlante ?

Il est dit que Jesus est venu sauver son peuple. Quelle façon de le sauver ! C’est la plus grande partie qui donne la dénomination à une chose : une douzaine ou deux, par exemple, d’Espagnols, ou de François, ne sont pas le peuple François ou le peuple Espagnol ; & si une armée de cent vingt mille hommes étoit faite prisonnière de guerre par une plus forte armée d’ennemis, & si le chef de cette armée rachetoit seulement quelques hommes, comme dix à douze soldats ou officiers en payant leur rançon, on ne diroit pas pour cela qu’il auroit délivré ou racheté son armée. Qu’est-ce donc qu’un Dieu qui vient se faire crucifier & mourir pour sauver tout le monde, & qui laisse tant de nations damnées ? Quelle pitié & quelle horreur !

Jesus-Christ dit qu’il n’y a qu’à demander & qu’on recevra, qu’à chercher & qu’on trouvera. Il assure que tout ce qu’on demandera à Dieu en son nom, on l’obtiendra, & que si l’on avoit seulement la grosseur d’un grain de moutarde de foi, l’on feroit par une seule parole transporter des montagnes d’un endroit à un autre. Si cette promesse eût été véritable, rien ne paroîtroit impossible à nos Christicoles qui ont la foi à leur Christ. Cependant tout le contraire arrive.

Si Mahomet eût fait de semblables promesses à ses sectateurs que le Christ en a fait aux siens sans aucun succès, que ne diroit-on pas ? on crieroit, ha, le fourbe ! ha l’imposteur ! ha les fous de croire un tel imposteur ! Les voilà ces Christicoles eux-mêmes dans le cas ; il y a longtemps qu’ils y sont sans revenir de leur aveuglement. Au contraire ils sont si ingénieux à se tromper, qu’ils prétendent que ces promesses ont eu leur accomplissement dès le commencement du Christianisme ; étant pour lors, disent-ils, nécessaire qu’il y eût des miracles, afin de convaincre les incrédules de la vérité de la Religion ; mais que cette Religion étant suffisamment établie, les miracles n’ont plus été nécessaires : où est donc la certitude de cette proposition ?

D’ailleurs celui qui a fait ces promesses ne les a pas restreintes seulement pour un certain temps ni pour certains lieux, ni pour certaines personnes en particulier ; mais il les a faites généralement à tout le monde. « La foi de ceux qui croiront, dit-il, sera suivie de ces miracles-ci : ils chasseront les Démons en mon nom ; ils parleront diverses langues, ils toucheront les serpens &c. »

À l’égard du transport des montagnes, il dit positivement que quiconque dira à une montagne, ôte-toi de là, & te jette dans la mer, pourvu qu’il n’hésite pas en son cœur, mais qu’il croye ; tout ce qu’il commandera, sera fait. Ne sont-ce pas des promesses qui sont tout-à-fait générales, sans restriction de temps, de lieux ni de personnes ?

Il est dit que toutes les sectes d’erreurs & d’impostures prendront honteusement fin. Mais si Jesus-Christ entend seulement dire qu’il a fondé & établi une société de sectateurs, qui ne tomberoient point dans le vice, ni dans l’erreur ; ces paroles sont absolument fausses, puisqu’il n’y a dans le Christianisme aucune secte, ni société & Église, qui ne soit pleine d’erreurs & de vices, principalement la secte ou société de l’Église Romaine, quoiqu’elle se dise la plus pure & la plus sainte de toutes. Il y a longtemps qu’elle est tombée dans l’erreur ; elle y est née ; pour mieux dire, elle y a été engendrée & formée ; & maintenant elle est même dans des erreurs qui sont contre l’intention, les sentimens & la doctrine de son fondateur, puisqu’elle a contre son dessein aboli les loix des Juifs qu’il approuvoit, & qu’il étoit venu lui-même, disoit-il, pour les accomplir & non pour les détruire, & qu’elle est tombée dans les erreurs & l’idolatrie du Paganisme, comme il se voit par le culte idolatrique qu’elle rend à son Dieu de pâte, à ses Saints, à leurs images & à leurs reliques.

Je sçai bien que nos Christicoles regardent comme une grossiéreté d’esprit, de vouloir prendre au pied de la lettre les promesses & prophéties comme elles sont exprimées ; ils abandonnent le sens littéral & naturel des paroles, pour leur donner un sens qu’ils appellent mystique & spirituel, & qu’ils nomment allégorique & tropologique ; disant, par exemple, que par le peuple d’Israël & de Juda, à qui ces promesses ont été faites, il faut entendre, non les Israëlites selon la chair, mais les Israëlites selon l’esprit, c’est-à-dire les Chrêtiens, qui sont l’Israël de Dieu, le vrai peuple choisi.

Que par la promesse faite à ce peuple esclave de le délivrer de la captivité, il faut entendre, non une délivrance corporelle d’un seul peuple captif, mais la délivrance spirituelle de tous les hommes, de la servitude du Démon, qui se devoit faire par leur divin Sauveur.

Que par l’abondance des richesses, & toutes les félicités temporelles promises à ce peuple, il faut entendre l’abondance des graces spirituelles ; & qu’enfin par la ville de Jérusalem il faut entendre, non la Jérusalem terrestre, mais la Jérusalem spirituelle, qui est l’Église Chrétienne.

Mais il est facile de voir que ces sens spirituels & allégoriques n’étant qu’un sens étranger, imaginaire, un subterfuge des interprétes ; il ne peut nullement servir à faire voir la vérité ni la fausseté d’une proposition ni d’une promesse quelconque. Il est ridicule de forger ainsi des sens allégoriques, puisque ce n’est que par rapport au sens naturel & véritable que l’on peut juger de la vérité ou de la fausseté. Une proposition, par exemple, une promesse qui se trouve véritable dans le sens propre & naturel des termes dans lesquels elle est conçüe, ne deviendra pas fausse en elle-même, sous prétexte qu’on voudroit lui donner un sens étranger qu’elle n’auroit pas : de même que celles qui se trouvent manifestement fausses dans leur sens propre & naturel, ne deviendront pas véritables en elles-mêmes, sous prétexte qu’on voudroit leur donner un sens étranger qu’elles n’auroient pas.

On peut dire que les prophéties de l’Ancien Testament ajoutées au nouveau, sont des choses bien absurdes & bien puériles. Par exemple, Abraham avoit deux femmes, dont l’une qui n’étoit que servante figuroit la synagogue, & l’autre qui étoit épouse figuroit l’Église Chrétienne. Et sous prétexte encore que cet Abraham avoit eu deux fils, dont l’un qui étoit de la servante figuroit le vieux Testament, & l’autre qui étoit de son épouse figuroit le Nouveau Testament. Qui ne riroit d’une si ridicule doctrine ?[2]

N’est-il pas encore plaisant qu’un morceau de drap rouge exposé par une putain, pour servir de signal à des espions, dans l’ancien Testament, soit la figure du sang de Jesus-Christ répandu dans le nouveau ?

Si suivant cette manière d’interpréter allégoriquement tout ce qui s’est dit, fait & pratiqué dans cette ancienne Loi des Juifs, on vouloit interpréter de même allégoriquement tous les discours, toutes les actions & toutes les avantures du fameux Don Quichote de la Manche ; on y trouveroit certainement autant de mystères & de figures.

C’est néanmoins sur ce ridicule fondement que toute la Religion Chrétienne subsiste. C’est pourquoi il n’est presque rien dans cette ancienne Loi, que les Docteurs Christicoles ne tâchent d’expliquer mystiquement.

La prophétie la plus fausse & la plus ridicule qu’on ait jamais faite est celle de Jesus, dans Luc ch. 22. Il est prédit qu’il y aura des signes dans le soleil, & dans la lune, & que le fils de l’homme viendra dans une nuée juger les hommes ; & il prédit cela pour la génération présente. Cela est-il arrivé ? le fils de l’homme est-il venu dans une nuée ?



  1. Combien, dit Montagne, y a-t-il d’histoires de semblables cocuages procurés par les Dieux, contre les pauvres humains &c. Ess. p. 500.
  2. Spectatum admissi risum teneatis amici.

    De Arte Poëtica Horat. 5. vers.