Tablettes d’une femme pendant la Commune/Introduction
INTRODUCTION
Comme autrefois, durant la guerre, ma croix d’ambulance me donnait accès à travers les rangs ennemis, laissant passage à la charité universelle et neutre, ma pensée arbore, elle aussi, aujourd’hui, la croix rouge d’ambulance, ma pensée revendique son privilége de neutre : laissez passer la pensée d’une femme. En ces temps bouleversés et troublés, les opinions sont un champ de bataille, l’humanité est une grande malade, la vie n’est qu’une sombre ambulance, des divisions infinies séparent les esprits blessés, la passion aveugle les vainqueurs, la haine pervertit les vaincus, place, dis-je, à la parole neutre, sereine, pacificatrice, place au drapeau parlementaire !
La meilleure condition pour juger d’un spectacle, c’est de n’en point faire partie, c’est d’être absolument désintéressé dans l’action qui se joue. La Commune ne saurait être jugée impartialement ni par ses adversaires, ni par ses amis. Les premiers avaient à défendre le pays, les autres à défendre leurs personnes. Le calme n’était possible ni à ceux-ci, ni à ceux-là. J’ajoute que les gens de la Commune, moins que personne, pourraient parler en dernier lieu de la physionomie des choses, des scènes définitives de la représentation communale. Hormis ceux qui se sont fait tuer et qui, naturellement, n’ont rien pu dire, les autres n’ont littéralement rien vu de l’entrée des troupes ni de la victoire de Versailles, occupés qu’ils étaient à se cacher profondément ou à s’enfuir à toute vitesse.
Cette période, à jamais sinistre, a eu ses historiens militaires, elle aura ses historiens politiques. Mes Tablettes n’ont aucune prétention d’aucun genre ; elles représentent l’aspect d’une ville, comme la photographie reproduit ses ruines.
Les scènes que je retrace, je les ai vues ; elles se sont imposées à mon observation incessante : ce sont de vifs détails d’intérieur, de rapides. analyses détachées, tandis qu’à grands traits des plumes autorisées ont saisi les lignes d’ensemble, les perspectives principales, la synthèse.
Ne voyant rien qu’au point de vue humain, revêtue de ma prérogative de femme bienheureusement dispensée de drapeau et de politique, c’est l’éternelle étude humaine qui s’est poursuivie dans ma pensée parmi ce chaos de tant de folies, au travers de tant de massacres.
Ces notes ne s’arrêtent point à la chute de l’insurrection, je les ai continuées un mois après la défaite de Paris. C’est que tout n’était pas fini après la semaine de mai. La vibration du canon durait encore dans les oreilles, l’ébranlement des esprits ne s’apaisait point, l’accablement de la ville morte persistait malgré le réveil des consciences arrachées aux torpeurs récentes.
Telle, après l’incendie, la maison brûle encore ; la convalescence d’un malade est timide, effarée et ne reprend que peu à peu la sensation et la certitude de la vie.
J’ai écrit mon livre neutre au bruit des mitrailleuses, sous le feu des fusillades, à l’éclair des bombes, en plein danger personnel, et je le dédie au désarmement des esprits, à la paix, à l’union, à la concorde, à la guérison des partis et, s’il est possible, à l’entente publique, au sens commun.
Je m’inquiète peu de plaire ou de ne pas plaire ; les bravos des uns, les sifflets des Page:Blanchecotte - Tablettes d’une femme pendant la Commune, 1872.djvu/9 Page:Blanchecotte - Tablettes d’une femme pendant la Commune, 1872.djvu/10 Page:Blanchecotte - Tablettes d’une femme pendant la Commune, 1872.djvu/11 Page:Blanchecotte - Tablettes d’une femme pendant la Commune, 1872.djvu/12 Page:Blanchecotte - Tablettes d’une femme pendant la Commune, 1872.djvu/13 Page:Blanchecotte - Tablettes d’une femme pendant la Commune, 1872.djvu/14 Page:Blanchecotte - Tablettes d’une femme pendant la Commune, 1872.djvu/15