Tablettes d’un mobileLachaud (p. 39-40).


Bobigny, novembre 1870.



Oh ! que c’est triste et froid les grand’gardes, la nuit !
Que le temps semble long, quand on est seul, sans bruit,
Dans un champ, au milieu de l’immensité sombre !
Et les réveils soudains, les alertes sans nombre !
« Aux armes ! aux créneaux ! » On écoute, on attend,
Et puis rien. — Fatigué, de nouveau l’on s’étend,
La tête sur le sac et maudissant la guerre.
S’endort-on : Aussitôt une main peu légère
Vous pousse, vous secoue ; aussitôt une voix
Vous dit : « C’est votre tour ; allons, numéro trois !

Le pauvre numéro bâille, ouvre la mâchoire,
Se lève en murmurant : « Dieu, que c’est beau, la gloire ! »

Mais quand le ciel pâlit, quand sur les prés déserts
Le brouillard du matin glisse, et que dans les airs
Scintillent les rayons de l’aurore orangée,
Adieu fatigue, ennui : de l’âme soulagée
Le découragement s’envole sans retour,
Comme la nuit s’envole aux premiers feux du jour.