Tableaux de la nature/Les Adieux

Tableaux de la natureGarnier frèresvol. 3 (p. 543-544).

X.

LES ADIEUX.


Le temps m’appelle : il faut finir ces vers.
À ce penser défaillit mon courage.
Je vous salue, ô vallons que je perds !
Écoutez-moi : c’est mon dernier hommage.
Loin, loin d’ici, sur la terre égaré,
Je vais traîner une importune vie :
Mais, quelque part que j’habite ignoré.
Ne craignez point qu’un ami vous oublie.
Oui, j’aimerai ce rivage enchanteur,
Ces monts déserts qui remplissoient mon cœur
Et de silence et de mélancolie ;
Surtout ces bois, chers à ma rêverie,
Où je voyois, de buisson en buisson.
Voler sans bruit un couple solitaire.
Dont j’entendois, sous l’orme héréditaire,
Seul, attendri, la dernière chanson.
Simples oiseaux, retiendrez-vous la mienne ?
Parmi ces bois, ah ! qu’il vous en souvienne !
En te quittant je chante tes attraits,
Bord adoré ! De ton maître fidèle
Si les talents égaloient les regrets,

Ces derniers vers n’auroient point de modèle.
Mais aux pinceaux de la nature épris
La gloire échappe et n’en est point le prix.
Ma Muse est simple, et rougissante et nue ;
Je dois mourir ainsi que l’humble fleur
Oui passe à l’ombre, et seulement connue
De ces ruisseaux qui faisoient son bonheur.


FIN DES TABLEAUX DE LA NATURE