CHAPITRE DCLXVIII.

Amitié des Femmes.


Cest à Paris qu’un homme sensé doit chercher une amie dans une femme ; c’est là qu’on en trouve un grand nombre qui, accoutumées de bonne heure à réfléchir, plus libres, plus éclairées qu’ailleurs, se mettent au dessus des préjugés, & ont l’ame forte d’un homme, avec la sensibilité de leur sexe.

Liées à toutes les affaires, les femmes ici ont abjuré mille petitesses ; elles s’élevent, parce qu’elles en ont la faculté ; elles observent attentivement les hommes. Les plus petites nuances ne leur échappent point ; elles les connoissent ; & comme elles ont un tact fin & immanquable, elles peuvent donner les meilleurs conseils.

Quand l’illusion des premieres passions est passée, leur raison se perfectionne. Une femme à trente ans devient une excellente amie, s’attache à tel homme qu’elle estime, lui rend mille services, lui donne & en obtient toute sa confiance ; elle chérit la gloire de son ami, la défend, ménage ses foiblesses, remarque tout & lui fait part de ce qu’elle apprend ; le sert efficacément dans les grandes occasions, n’épargne ni ses soins ni ses pas, & le malheureux disgracié de la fortune & des grands retrouve tout ce qu’il a perdu dans l’amitié d’une femme.

L’amitié des femmes a un charme plus doux que celle des hommes ; elle est active, vigilante ; elle est tendre ; elle est vertueuse & sur-tout elle est durable. Les femmes aiment plus tendrement, plus sûrement au moins leurs vieux amis que leurs jeunes amans. Elles trompent quelquefois l’amant, jamais l’ami ; c’est pour elles un être sacré.

Concluons avec J. J. Rousseau, qui a parlé des femmes avec sévérité, parce qu’il les aimoit. « Je n’aurois jamais, dit-il, pris à Paris ma femme, encore moins ma maîtresse ; mais je m’y serois fait volontiers une amie, & ce trésor m’eût consolé peut-être de n’y pas trouver les deux autres. »