CHAPITRE DCLXVI.

Bonnes Œuvres.


On en fait, & sans elles Paris ne subsisteroit pas. Les écrits qui ont recommandé la bienfaisance, qui en ont fait la base des autres vertus, n’ont pas été infructueux. On doit beaucoup au mot humanité que les écrivains ne se sont point lassés de reproduire sous toutes ses formes. Par le mot de charité on n’entendoit que l’aumône seule. Par humanité, les devoirs vont plus loin, & les idées de bienfaisance universelle se sont étendues.

On fait beaucoup de bonnes œuvres, & ce n’est plus l’esprit de parti qui répand les secours. Le janséniste ne s’informe plus si le pauvre qu’il assiste pense comme lui ; le protestant est aidé par le catholique. On est libéral sans être fanatique.

On fait beaucoup de bonnes œuvres. On peut affirmer qu’elles arrêtent souvent la main du désespoir ; & c’est ce qui épargne à la capitale des crimes plus nombreux. Le gouvernement doit quelque reconnoissance à ceux qui, dans les livres & sur les théatres, ont recommandé l’humanité au point d’en désoler les journalistes ; mais ces généreux auteurs savoient bien ce qu’ils faisoient ; ils aimoient mieux manquer au goût qu’à la morale.

On fait beaucoup de bonnes œuvres. Tout examiné, il faut les publier. Le bien aujourd’hui se fait par communication. J’ai toujours remarqué qu’une bonne œuvre publiée, en faisoit naître une seconde. Nous portons tous en nous-mêmes un germe bon, qui ne demande qu’à être développé. Le récit d’une action généreuse nous touche : nous voilà émus, & nous voulons ressembler à l’être à qui il ne nous a pas été possible de refuser notre estime & notre admiration.

Que le Journal de Paris, que tous les journaux publient donc les actes de bienfaisance & de générosité ; qu’ils soulevent les vertus cachées dans la masse des vices ; qu’ils les montrent au public, & chacun devant ces nobles & touchantes images rendues plus animées par le contraste, s’écriera au fond de son cœur : & moi aussi je suis homme & ferai de bonnes actions.

L’exemple vaut le plus beau sermon ; l’exemple ne l’étouffons jamais ; les nations elles-mêmes font le bien par l’exemple. Tout établissement utile a été plus ou moins imité, & l’homme vertueux peut se dire à lui-même : le bien que je ferai ici se propagera plus loin. Donnons la plus grande publicité à tous les actes de vertu, & que la nature humaine cesse d’être calomniée.

Il faut aussi rendre justice à l’administration. Elle veille plus que jamais à ce qu’on ne dise plus : à Paris tout est fait pour les grands & rien pour les petits. On cherche réellement à bâtir des commodités à l’usage du public. Nos enfans jouiront de ce qu’il ne nous a pas été permis de posséder. N’est-ce pas là du moins une perspective consolante ?

L’administration cherche à faire le bien ; mais malheureusement, faute d’avertisseurs libres & publics, elle se trompe sur les moyens. Les plus intrigans & les plus alertes la déterminent ou la violentent, & le bon & sage projet vient à éclore après l’exécution du pire.

Mais tous les administrateurs s’occupent d’objets relatifs au bien public, & auxquels on ne songeoit pas il y a quarante années. On a créé un inspecteur des objets de salubrité ; c’est un titre glorieux pour un citoyen ; mais l’avoir déféré, ce titre annonce qu’on ne détournera pas un instant les regards de l’utilité publique. C’est un engagement solennel contracté avec la capitale, & l’homme qui le premier exerce ce noble emploi, le remplit avec un zele éclairé.

Tout est lié par des chaînons imperceptibles, & tout prend aujourd’hui des formes nouvelles. Voici un pont de fer d’une seule arche de quatre cents pieds d’ouverture, que l’on va jeter en face de la place de Louis XV. Cette arche immense ne vous dit-elle pas, qu’on ne fera plus rien d’étroit en aucun genre ; que toutes les idées se mouleront à l’unisson ; que les pensées étranglées & qui nous étranglent n’auront plus lieu, qu’on aura des idées d’administration aussi grandes que les arches ; car élargir un pont & rétrécir un plan patriotique seroit chose contradictoire.

Les ministres feront comme les ingénieurs-architectes, & l’arche de quatre cents pieds d’ouverture prélude visiblement à ma chere année 2440. Il ne sera plus possible d’avoir une aussi belle arche, & tout à côté des manutentions misérables & mesquines.

Salut à l’arche de quatre cents pieds d’ouverture. Elle m’annonce qu’en France on va tout traiter en grand désormais. Plus de ces petitesses de commis ; plus de sots piliers. Une grande arche bien liée qui rendra le pont à jamais majestueux & solide.