CHAPITRE DCXXXIX.

Jurés-experts.


Il est défendu aux jurés-experts de recevoir aucun présent des parties. Croyez-vous que cette loi soit religieusement observée ? Ces jurés-experts sont quelquefois les véritables entrepreneurs secrets ; & quand ils ne le sont pas, ils se font nommer par les ouvriers, & pour y parvenir ils les favorisent de préférence.

La dangereuse vénalité des charges, a fait créer ces offices qui ne manquerent pas d’être achetés par des maçons, & tous les bourgeois qui faisoient bâtir, alloient être infailliblement ruinés par le dévouement des jurés-experts pour les ouvriers leurs confreres, si l’on n’eût imaginé deux colonnes de ces jurés-experts, l’une sous le titre d’architectes jurés-experts bourgeois, avec défense d’entreprendre aucun ouvrage ; & l’autre de jurés-entrepreneurs, c’est-à-dite, de maçon ou de charpentier-entrepreneur.

Quand les deux experts nommés ne sont pas du même avis dans une contestation relative à un bourgeois, survient un troisieme expert ; mais il ne peut être pris que dans la premiere colonne. Le troisieme expert fait donc pencher la balance ; mais il prend ordinairement un parti mitoyen, un peu plus haut que l’un & un peu plus bas que l’autre : cela s’appelle savoir son métier. Aussi l’ouvrier devine-t-il d’avance & sans se tromper à quoi son mémoire sera réduit ; il triomphe encore avec cette réduction qu’il a parfaitement prévue. Le bâtisseur paie donc trois jurés-experts ; & gagnât-il, il est toujours soulé par les frais en justice réglée.

Le juré-expert pince toujours un sol pour livre de sa taxe. N’est ce pas inviter l’ouvrier à enfler son mémoire ? Il est de fait que le plus honnête homme le grossit d’un sixieme de trop. Que penser des autres ? Et comment parer à la séduction à prix d’argent ? Comment ôter aux jurés experts la facilité de se laisser corrompre ?