Sus, debout, la merveille des belles !


SUS, DEBOUT,
LA MERVEILLE DES BELLES !

1614


    Sus, debout, la merveille des belles !
    Allons voir sur les herbes nouvelles
Luire un émail dont la vive peinture
Défend à l’art d’imiter la nature.

    L’air est plein d’une haleine de roses,
    Tous les vents tiennent leurs bouches closes ;
Et le soleil semble sortir de l’onde
Pour quelque amour plus que pour luire au monde.

    On dirait, à lui voir sur la tête
    Ses rayons comme un chapeau de fête,
Qu’il s’en va suivre en si belle journée
Encore un coup la fille de Pénée.

    Toute chose aux délices conspire,
    Mettez-vous en votre humeur de rire ;
Les soins profonds d’où les rides nous viennent
A d’autres ans qu’aux vôtres appartiennent.

    Il fait chaud ; mais un feuillage sombre
    Loin du bruit nous fournira quelque ombre,
Où nous ferons parmi les violettes
Mépris de l’ambre et de ses cassolettes.

    Près de nous sur les branches voisines
    Des genêts, des houx et des épines,
Le rossignol, déployant ses merveilles,
Jusqu’aux rochers donnera des oreilles.


   Et peut-être à travers les fougères
   Verrons-nous, de bergers à bergères,
Sein contre sein et bouche contre bouche
Naitre et finir quelque douce escarmouche.

   C’est chez eux qu’Amour est à son aise ;
   Il y saute, il y danse, il y baise,
Et foule aux pieds les contraintes serviles
De tant de lois qui le gênent aux villes.

   O qu’un jour mon âme aurait de gloire
   D’obtenir cette heureuse victoire,
Si la pitié de mes peines passées
Vous disposait à semblables pensées !

   Votre honneur, le plus vain des idoles,
   Vous remplit de mensonges frivoles :
Mais que l’esprit que la raison conseille,
S’il est aimé, ne rend point la pareille ?

Malherbe.