Sur la route (Bruant)/Empiromanie

Sur la Route : chansons et monologuesAristide Bruant (p. 165-170).


EMPIROMANIE


Voyons, ça s’rait-y qu’ça s’décolle,
Ou ben c’est-y qu’ya pus d’amour ?
I’s s’figur’nt qu’i’s sont à la cour,
Les p’tits vernis du protocole,
I’s sont charmants… Ya pas d’erreur.
I’s ont surtout des bell’s cravates,
Mais, vraiment, i’s font trop d’épates,
    C’était bon du temps d’l’Emp’reur.

Et les cocard’… et les livrées…
Et Monjarret !… Des ch’vaux d’gala…
Des équipag’à tra la la…
Des larbins à perruques poudrées…

Et des piqueurs… et des laquais…
Tiens !… J’disais à ma femm’: Regarde,
Nous allons voir passer la garde !
    Vrai… par moments, j’oubliais
Qu’nous étions en quatre-vingt-seize,
J’me r’voyais aux jours d’autrefois,
Quand on nous jouait l’Beau Dunois
À la place d’la Marseillaise !
Aussi, c’en était du bonheur,
D’la joi’, d’l’ivresse et du délire,
C’était pus chouett’ que sous l’Empire…
    I’va bien, l’petit tanneur !


Eh ben ! c’est pas ça les réformes
Qu’on attendait depuis longtemps
Et les clients sont pas contents.
Faudra payer les uniformes !
J’comprends, comm’ Mossieu Mesureur,
Qu’on s’foute d’la claque et d’la clique…
Mais on s’fout pas d’la République,
C’était bon du temps d’l’Emp’reur.

Octobre, 1896.