Sur l’instruction des indigènes en Algérie
SUR L’INSTRUCTION DES INDIGÈNES EN ALGÉRIE
Nous avons inséré, dans notre numéro d’avril dernier, une lettre adressée à M. le directeur de l’enseignement primaire par Mme C. Coignet, lettre renfermant des notes prises pendant un voyage en Algérie, suivies de quelques propositions relatives aux réformes qui pourraient être réalisées dans l’enseignement des indigènes. Nous avons eu soin d’ajouter que la Revue pédagogique publiait la lettre de Mme Coignet à titre de document pouvant contribuer à éclairer la situation,
Le Bulletin universitaire de l’académie d’Alger a réimprimé, dans son n° 39, la lettre en question, en la faisant suivre de très intéressantes observations de M. le recteur de l’académie d’Alger, M. Jeanmaire. Ces observations sont trop étendues (elles occupent 41 pages grand in-8°) pour qu’il nous soit possible de les reproduire in-extenso ; mais nous tenons à en placer sous les yeux de nos lecteurs les passages essentiels. L’appréciation d’un homme aussi bien placé que M. Jeanmaire pour juger des choses scolaires de l’Algérie ne peut laisser personne indifférent ; et ceux qui voudront se faire une opinion sur la grave question de l’enseignement des indigènes devront méditer les faits que M. le recteur d’Alger offre à nos réflexions, ainsi que les conclusions que lui suggère une longue expérience.
Nous allons donc extraire de l’important travail de M. Jeanmaire un certain nombre de pages particulièrement instructives. et attachantes.
Et tout d’abord, voici des remarques relatives à l’obligation scolaire :
La question n’est pas aussi simple que l’auteur (Mme Coignet) se l’imagine[1]. L’obligation scolaire est appliquée aux garçons indigènes dans quelques douars de la commune mixte de Fort-National. Elle y est acceptée sans difficulté. Elle pourrait être subie sur quelques autres points avec résignation, notamment en pays kabyle. Mais dans les villes, dans les communes administrées par des municipalités élues par les habitants français, et dans un grand nombre de tribus arabes, elle donnerait lieu à des inconvénients. On pourra toujours y recourir s’il le faut ; mais il serait préférable d’essayer d’abord d’autres moyens. Lorsque le maître est habile, zélé, actif, dévoué à ses élèves, et que l’administration locale lui prête son concours, il est rare que l’école ne soit pas fréquentée. Un administrateur de commune mixte qui veut user de son influence pour assurer la prospérité d’une école, qui déclare hautement ses intentions aux chefs indigènes placés sous ses ordres, qui leur tient compte des efforts qu’ils font pour le seconder et qui montre dans toute occasion qu’il ne tolérera chez eux, en cette matière, ni négligence ni mauvais vouloir, obtient ordinairement des résultats satisfaisants, sans avoir besoin de recourir aux amendes dont parle plus loin Mme Coignet, ni aux autres peines du Code de l’indigénat. Il serait facile de citer des exemples. Ce qui est vrai des administrateurs de communes mixtes l’est aussi des officiers du territoire de commandement. On pourrait même citer deux ou trois maires de communes de plein exercice auxquels les mêmes moyens ont réussi. Mais quand l’instituteur est médiocre et l’administration locale indifférente, l’école reste vide.
Mon avis est qu’il sera possible d’établir l’obligation scolaire, mais avec des tempéraments, dans les localités de la Grande et de la Petite Kabylie qui seront pourvues d’écoles suffisantes. En pays arabe il ne faudra y recourir qu’à la dernière extrémité.
Sur l’instruction des jeunes filles indigènes[2], M. Jeanmaire s’exprime ainsi :
La création de l’internat de jeunes filles musulmanes de Thaddertou-Fella, appelé improprement orphelinat, bien qu’inspirée par une pensée généreuse, a été une erreur. Ces jeunes filles ne sont pas, en général, des orphelines, mais des enfants de familles pauvres, que la commune mixte de Fort-National instruit, nourrit et entretient à grands frais. Elles vivent séparées de leurs parents, et redoutent comme le dernier des malheurs de retomber en leur pouvoir. Devenues, par l’éducation qu’elles reçoivent, moitié françaises tout en restant moitié kabyles, elles sont exposées à n’être que des déclassées.
Quelques-unes, peut-être, épouseront des moniteurs indigènes ; d’autres obtiendront des emplois dans les écoles enfantines musulmanes ; mais la plupart sont sans avenir, et il est triste de penser que l’instruction française qu’elles ont reçue leur sera plus nuisible qu’utile, à moins que nous ne nous chargions de leur sort. Notre devoir est de ne pas les abandonner ; mais nous devons aussi avoir le courage de reconnaître qu’une pareille institution est mauvaise ou du moins prématurée. Les ressources de la commune, peuvent être employées à d’autres œuvres scolaires plus utiles. Quant à la directrice, qui a fait preuve d’un talent incontestable, elle mérite d’être chargée d’une tâche plus féconde.
L’institution n’en aura pas moins été, pour tous ceux qui l’ont visitée, une preuve péremptoire de la possibilité de transformer par l’éducation des jeunes filles kabyles, le jour où il sera permis de leur ouvrir largement des écoles françaises.
L’instruction des filles musulmanes, quelque désirable qu’elle soit, ne doit être poursuivie qu’avec la plus grande réserve. D’abord il ne faut l’imposer nulle part. S’il paraît possible d’en faire l’essai dans quelques localités mieux préparées ou plus accommodantes que d’autres, il sera bon de l’organiser de façon à n’éveiller aucune susceptibilité, à ne blesser aucun sentiment respectable. Le mieux serait qu’elle se fit accepter et même rechercher par les avantages immédiats qu’elle procurera. Dans les conditions présentes, je ne vois que trois manières de l’introduire ou trois formes à lui donner.
1° L’éducation donnée par une femme française dans l’intérieur de la famille indigène. — Puisque les parents arabes ou kabyles consentent difficilement à envoyer leurs filles dans nos écoles, pourquoi n’irait-on pas les instruire chez elles ? Les femmes, filles, sœurs ou mères de nos instituteurs pourraient essayer d’entrer en relations avec les femmes indigènes, gagner peu à peu leur confiance, apprendre leur langue et leur enseigner, ainsi qu’à leurs filles, quelques mots de la nôtre, leur montrer l’art de devenir plus habiles dans les travaux d’aiguille, leur donner quelques conseils d’hygiène et, au besoin, quelques soins médicaux, enfin réunir quelques petites filles, tantôt chez l’une, tantôt chez l’autre, pour leur donner quelques éléments d’instruction française. Le système a été essayé plusieurs fois en Kabylie ; nous savons qu’il a échoué dans certaines tribus, mais qu’il a réussi dans d’autres.
2° Les écoles enfantines. — À partir d’environ huit ans, les petites filles sont séparées des garçons, elles sont voilées en pays arabe, elles doivent rester à la maison. Les parents se décideront difficilement à les envoyer à l’école. Il n’en sera pas tout à fait de même pour les petites filles de quatre à huit ans. Elles peuvent aller en classe avec les petits garçons du même âge. L’institutrice rend service aux familles en les gardant, en leur donnant des soins maternels, en leur enseignant à manier une aiguille, à confectionner de petits tricots, tout en leur apprenant à parler un peu le français, puis à le lire et même à l’écrire. Des écoles enfantines de cette nature ont pu être ouvertes à Aït-Hichem et à Azerou-Kollal, dans la commune mixte de Djurjura, et à Loutan-Thourt dans le Guergour. D’autres vont être créées dans la commune mixte de Fort-National. Celle d’Aït-Hichem est en très bonne voie, grâce à l’appui d’un chef indigène intelligent et dévoué.
3° Les écoles-ouvroirs ou professionnelles. — Cinq ou six écoles de filles indigènes sont fréquentées par des élèves de six à treize, quatorze et même quinze ans. Une large part est faite aux travaux de couture. Ces écoles sont-elles réellement chose salutaire et féconde ? Elles ne le deviendront, à mon avis, qu’à une condition : c’est qu’aux exercices ordinaires se joigne l’apprentissage d’un véritable métier, qui devienne pour la femme indigène et pour les siens une ressource assurée.
Si quelques écoles indigènes de filles, dans les grandes villes et en Kabylie, car c’est par là qu’il faut débuter, établies sous les yeux des pères de famille et ne recevant que des externes, pouvaient avoir pour résultat de relever la condition de la femme musulmane, non seulement par les bienfaits d’un commencement d’éducation, mais aussi et surtout par l’initiation à quelque travail intelligent, à une industrie dont les produits pussent être recherchés par les Européens aussi bien que par les Arabes, nous aurions alors le droit de dire que notre entreprise est réellement bonne, et il est à présumer qu’elle serait jugée excellente par les indigènes comme par nous.
On a essayé d’organiser autrefois à Alger, et plus récemment à Constantine, une sorte d’école-ouvroir où se confectionnaient quelques travaux de broderie arabe. Mais il fallait trouver des acheteurs, qui étaient rares. De telles institutions ne donneront que de médiocres résultats ; elles formeront quelques ouvrières assez habiles, mais qui, une fois sorties de l’école, resteront sans direction, sans emploi, sans avenir.
A quoi sert d’augmenter, de perfectionner la production, si l’on ne fait rien pour assurer l’écoulement des produits ? Ayons donc enfin des vues nettes et précises en matière de civilisation des indigènes ; ne nous contentons pas d’avoir de bonnes intentions en laissant au hasard le soin de les faire tourner au profit de ceux à qui nous voulons du bien. Apprendre aux jeunes filles indigènes à travailler, c’est quelque chose, mais ce n’est pas assez : il faut aussi se demander comment elles tireront parti de leur travail. Les besoins du ménage, qui suffiraient à occuper une femme française, sont insignifiants pour une femme arabe ou kabyle.
À mon avis le problème se pose dans les termes suivants : Existe-t-il des industries à la portée des femmes indigènes et que la France ait intérêt à implanter en Algérie ? Il ne m’appartient pas de résoudre la question. Je crois pouvoir seulement donner une indication. La France est tributaire de la Syrie et du Maroc pour la fabrication de tapis très recherchés. Pourquoi cette industrie, qui n’existe en Algérie qu’à l’état rudimentaire, ne s’y développerait-elle pas ?
Les laines n’y font pas défaut, les teintures y sont aussi belles qu’ailleurs, la main d’œuvre n’y serait pas coûteuse si des femmes indigènes étaient dressées à ce travail. Il faudrait seulement des maîtresses ouvrières françaises pour tracer les dessins et diriger le tissage, des métiers perfectionnés pour une fabrication plus rapide et meilleure, un apprentissage organisé et des débouchés assurés. Des maisons de commerce françaises consentiraient certainement à passer des marchés pour l’achat de ces tapis, s’ils leur paraissaient pouvoir remplacer ceux qu’elles tirent de l’étranger ; peut-être feraient-elles même l’avance des métiers et de la matière première. Il ne serait pas impossible de former des maîtresses ouvrières françaises pour cette spécialité. Quant à l’apprentissage, voilà un but tout indiqué pour des écoles professionnelles de filles indigènes.
Je crois que des écoles de filles musulmanes dirigées dans cette voie, ou dans une autre semblable, seraient bien vues de la population arabe de villes telles que Bougie, Constantine, Biskra, peut-être aussi Alger, Oran, Tlemcen, Mostaganem, et sûrement de la population kabyle d’un grand nombre de tribus.
Plus loin, M. Jeanmaire examine cette question « Faut-il changer la direction et le caractère de l’école indigène, transformer notre enseignement primaire en enseignement rudimentaire professionnel, donner la matinée à l’instruction générale, surtout à la pratique de la langue française, et l’après-midi au travail professionnel, travail du bois, du fer, et surtout de l’agriculture, dans les écoles de garçons ; travaux de ménage, de broderie, de tissage, dans les écoles de filles ; confier cet enseignement professionnel aux instituteurs et aux institutrices, ou à des ouvriers dirigés par eux, demander d’ailleurs des projets aux instituteurs au lieu de les leur envoyer tout faits ; enfin d’établir entre les Arabes et nous la solidarité du travail, des intérêts, des responsabilités, pour arriver un jour si possible à la fusion des idées et des sentiments ? » Et voici comment il répond :
Qui ne voudrait partager les illusions de l’auteur ? Tous les indigènes de l’Algérie devenus des ouvriers capables de faire, d’abord pour les Européens, puis pour eux-mêmes, les divers travaux dont les habitants des pays civilisés éprouvent le besoin, des agriculteurs assez habiles pour faire rendre à un sol d’une étendue immense et d’une rare fécondité tous les produits qu’il peut donner, la femme arabe relevée par le travail dans sa propre estime et dans celle des autres, la population musulmane se civilisant ainsi peu à peu, se rapprochant de nous, se sentant unie à nous par la solidarité du travail, des intérêts, des responsabilités, et tout cela grâce à une instruction primaire mieux entendue, quel beau rêve et quel admirable rôle pour l’école !
Il n’est pas un d’entre nous qui n’ait fait quelque rêve semblable à son arrivée sur la terre d’Afrique. Une connaissance plus exacte des hommes et des choses de l’Algérie, un examen plus réfléchi des conditions qui s’imposeraient à la réalisation d’un pareil idéal et des moyens dont dispose ou peut disposer l’enseignement primaire pour le poursuivre, n’ont pas tardé à dissiper nos illusions.
Je demande la permission à l’auteur de lui signaler sincèrement des difficultés qui paraissent lui avoir échappé, et dont il est nécessaire pourtant de tenir compte, car il ne faut pas bouleverser et renverser ce qui existe, avant de savoir si l’on pourra édifier à la place quelque chose de mieux.
Mais avant tout est-il vrai que l’instruction telle qu’elle est donnée actuellement aux indigènes ne fasse que des quémandeurs d’emplois, des déclassés, des musulmans sans religion, qui ne prennent que nos vices, sans prendre ni nos vertus, ni nos facultés, ni nos ressources ?
Je connais depuis longtemps cette objection. C’est celle que répètent, depuis plus de trente ans, beaucoup d’Algériens qui ne connaissent pas les indigènes, ou qui, ayant entendu parler de certains faits isolés, se sont empressés d’en tirer des conclusions générales. C’est le grand argument de tous ceux, Français ou Arabes, qui ne veulent pas entendre parler d’instruction pour la population musulmane. La critique est d’ailleurs dirigée contre l’enseignement secondaire donné tout d’abord et depuis longtemps à quelques jeunes musulmans, beaucoup plus que contre l’enseignement primaire indigène qui commence à peine et que la plupart des habitants français de l’Algérie ne connaissent pas encore.
« On sait, nous dit-on souvent, combien de jeunes indigènes ont été élevés dans les lycées et dans les collèges. Que sont— ils devenus ? Les uns ne sont— ils pas des solliciteurs à perpétuité, des déclassés, tandis que les autres retombaient peu à peu dans la barbarie originelle ? » — Qu’on essaie donc enfin de se rendre compte des conditions dans lesquelles ces jeunes gens venaient au collège, de l’éducation qu’ils y recevaient, et de la situation qui leur était faite à leur sortie. Qu’on veuille bien ne pas oublier qu’ils n’étaient choisis ni parmi les plus intelligents, ni parmi ceux qu’une bonne éducation primaire aurait pu préparer à des études plus élevées. Les uns étaient des fils de chefs indigènes que l’autorité militaire envoyait d’office à Alger ou à Constantine, presque des otages ; les autres des enfants d’officiers ou d’employés indigènes, à qui on accordait la faveur d’une éducation et d’un entretien gratuits. Trop âgés pour être gardés dans les classes primaires, trop incapables de comprendre le français pour suivre les cours secondaires, ils devenaient un embarras pour l’administration et les professeurs. Séparés des autres élèves à l’étude, au réfectoire, en récréation, au dortoir, parce que les familles françaises menaçaient de retirer leurs enfants si on les eût laissés en contact avec les indigènes, ils n’étaient guère préparés à l’assimilation par le lycée lui-même, il faut bien le reconnaître.
Quelques-uns ont obtenu des emplois, ce dont il ne faut pas s’indigner les uns sont entrés à l’école de Saint-Cyr au titre indigène ; plusieurs sont entrés dans l’enseignement, et trois d’entre eux sont encore aujourd’hui professeurs d’arabe ; beaucoup d’autres ont fait des études de médecine, mais huit seulement ont conquis le grade d’officier de santé et cinq celui de docteur ; un plus grand nombre sont devenus interprètes, sous-officiers, employés de diverses administrations ; quelques-uns sont caïds ou cadis ; un enfin est entré il y a quelques années à l’École polytechnique, après avoir même obtenu un assez bon rang au concours d’admission ; il est aujourd’hui lieutenant d’artillerie. Parmi ceux-là un certain nombre ont adopté non seulement nos idées de peuple civilisé, mais aussi notre costume, notre manière de vivre ; plusieurs ont épousé des femmes françaises.
D’autres ont sollicité des places sans pouvoir les obtenir. Fiers de l’instruction française qu’ils avaient reçue, formant une exception parmi leurs coreligionnaires, ils s’imaginaient naïvement avoir des titres aux préférences de l’administration française. Faut-il tant s’en étonner ? Avaient-ils donc tort de croire que leur instruction leur servirait à se faire une carrière ? Et puisqu’aux musulmans instruits nous ne savons offrir que des emplois publics, comment pouvons-nous nous étonner qu’ils en sollicitent ? N’y a-t-il pas d’ailleurs, à ce mal, d’autres remèdes que la suppression de l’instruction ?
Plus de la moitié de nos élèves des lycées et collèges sont retournés dans leurs familles. Ils y ont repris nécessairement des habitudes héréditaires. L’éducation française ne peut être féconde pour un indigène que s’il a, par sa situation, des relations de chaque jour avec des gens élevés comme lui. Elle n’est d’aucun profit pour ceux qui retombent dans l’isolement au milieu de leurs tribus.
Il y a près de dix ans qu’un inspecteur général de l’instruction. publique, M. Foncin, avait constaté le mal et avait indiqué le remède.
« Il est très exact, écrivait-il, que 50 % environ de nos élèves du lycée d’Alger reprennent peu à peu, au sein de leurs tribus, les habitudes et, en apparence au moins, les préjugés de leurs ancêtres. Comment en serait-il autrement ? Ce serait miracle en vérité qu’un jeune homme replongé tout à fait dans la société barbare qu’il avait quittée, mais qu’il n’avait jamais perdue de vue (ne fût-ce que par des séjours annuels à l’époque des vacances), y conservât seul parmi tous les siens une originalité artificiellement acquise, qu’il résistât indéfiniment aux sollicitations du climat, de l’hérédité, aux séductions de l’exemple, à l’empire plus puissant encore du respect humain. Il n’est même pas surprenant que plusieurs, pour se faire pardonner aux yeux de la foule une éducation qui peut paraître une sorte d’apostasie, se croient obligés d’affecter l’intolérance et le fanatisme. Ces exemples ne prouvent rien contre l’éducation de la race ; ils montrent simplement que l’individu, abandonné à lui-même dans un milieu hostile, ne parvient pas à vaincre ce milieu et succombe dans une lutte inégale. Ainsi le rejeton de l’arbre fruitier le mieux perfectionné et qui porte les fruits les plus savoureux redevient un sauvageon si on le transporte dans la forêt natale. Pour instituer une expérience probante, au lieu d’instruire quelques individus isolés, il eût fallu ouvrir des écoles à toute une génération. Peut-être qu’alors les écoliers, formant une masse compacte et se prêtant un mutuel appui, auraient eu la force de réagir contre le milieu arabe et l’auraient modifié. Mais cette expérience en grand n’a jamais été tentée. »
L’opinion exprimée dans les lignes qui précèdent par M. l’inspecteur général Foncin est aussi depuis dix ans celle de l’administration algérienne. Après bien des tâtonnements, des erreurs, des efforts prodigués en pure perte, elle s’est décidée enfin à suivre une voie rationnelle. Elle a pris le parti de commencer par l’enseignement primaire, qui s’adresse à tous. Plus tard, si quelques élèves des écoles élémentaires font preuve d’aptitudes exceptionnelles, on les dirigera vers les études plus élevées, dont ils pourront alors tirer parti.
Les enfants arabes ou kabyles sont reçus dans deux sortes d’écoles : les écoles communes, établies dans les centres de population européenne et ouvertes aux élèves de toutes les nationalités ; les écoles spéciales fondées dans les centres indigènes ou dans les quartiers indigènes des grandes villes. En 1882, on ne comptait que 16 écoles de cette dernière catégorie. Il en existe aujourd’hui 122. Le nombre des enfants indigènes fréquentant les divers établissements primaires de la colonie n’était que de 3,200. Il s’élève aujourd’hui à 11,200.
Ce n’est encore là qu’un chiffre dérisoire, si l’on songe qu’il y a, en Algérie, 500, 000 enfants indigènes de six à treize ans. De plus, ces élèves sont trop disséminés. Les écoles sont trop dispersées : deux à Alger, où il en faudrait six ; de même dans les autres grandes villes ; quatre ou cinq dans les communes mixtes ou indigènes qui en ont le plus, lorsque 40 ou 50 seraient nécessaires. Sur un point une cinquantaine d’enfants recevant un commencement d’éducation française, puis, à côté d’eux, dix, quinze, vingt mille qui continuent à croupir dans la barbarie originelle. C’est presque encore la continuation de l’erreur signalée plus haut pour l’enseignement secondaire. Avec un pareil système les résultats ne peuvent être qu’insignifiants, et il faudra des siècles pour qu’ils deviennent sensibles.
L’administration de l’instruction publique était la première à déplorer un pareil état de choses, mais que pouvait-elle pour y remédier, n’ayant aucun moyen de triompher de l’indifférence de certaines communes, et ne pouvant pas même seconder le bon vouloir de quelques autres, puisque depuis plusieurs années tout crédit pour création d’écoles lui était refusé.
Lors de son récent voyage en Algérie, M. Burdeau, rapporteur du budget de la colonie, a été particulièrement frappé de cet inconvénient. Nous pensons avec lui qu’un changement de méthode s’impose absolument. Concentrons nos efforts au lieu de les disperser. Choisissons d’abord une région limitée, une de celles qui passent pour se prêter le mieux à l’essai dont il s’agit. Créons-y, dans le plus bref délai, en une, deux ou trois années, si c’est possible, toutes les écoles nécessaires pour assurer le bienfait de l’instruction élémentaire à tous les garçons indigènes. Étendons le cercle peu à peu, et passons à une autre région pour y procéder de même.
Les écoles kabyles étant celles qui donnent le plus de résultats et d’espérances, c’est par la Kabylie qu’il faut commencer.
On ferait choix tout d’abord d’une commune, par exemple celle de Fort-National mixte, où l’administration locale est particulièrement préparée à ouvrir la voie. Elle possède déjà six écoles indigènes, dont trois de 120 à 180 élèves chacune ; il faudrait en créer encore une trentaine. La commune voisine, celle du Djurjura, suivrait ; elle est prête aussi à mener rapidement cette nouvelle campagne contre l’ignorance. Elle a déjà 8 écoles indigènes, mais moins importantes ; il lui en faudrait encore environ 35.
Viendraient ensuite les autres communes de la Grande Kabylie ; après cela, les autres régions de race berbère, enfin les tribus arabes.
Il est évident que les villes, telles qu’Alger, Oran, Constantine, Blida, Médéa, Cherchell, Miliana, Tlemcen, Mostaganem, Mascara, Sidi-Bel-Abbès, Tizi-Ouzou, Dellys, Sétif, Bougie, Batna, Bône, Guelma, Biskra, où la population arabe est constamment en contact avec nous, ne sauraient être laissées de côté.
Alger compte 1,100 garçons indigènes d’âge scolaire : 280 seulement reçoivent l’instruction française ;
Oran. |
660 garçons, |
300 fréquentent les écoles ;
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Constantine. |
1,030 — |
220 —
|
Blida. |
860 — |
29 —
|
Médéa. |
340 — |
8 —
|
Cherchell. |
430 — |
70 —
|
Miliana. |
300 — |
70 —
|
Tlemcen. |
990 — |
160 —
|
Mostaganem. |
420 — |
200 —
|
Mascara. |
540 — |
90 —
|
Sidi-Bel-Abbès. |
255 — |
40 —
|
Tizi-Ouzou. |
2,350 — |
130 —
|
Dellys. |
1,060 — |
30 —
|
Sétif. |
630 — |
60 —
|
Bougie. |
640 — |
60 —
|
Batna. |
190 — |
60 —
|
Bône. |
480 — |
100 —
|
Guelma. |
290 — |
70 —
|
Biskra. |
650 — |
90 —
|
Toutes ces villes n’auraient-elles pas dû donner l’exemple ? Les unes, comme Alger, Oran, Constantine, Tlemcen, Mostaganem, Biskra, Tizi-Ouzou, Miliana, ont bien un commencement d’organisation d’enseignement des indigènes, mais insuffisant. Les autres s’en tiennent à leurs écoles primaires ordinaires, semblables à celles ouvertes aux enfants français dans la métropole.
Pressées de faire des sacrifices pour la fondation d’écoles particulièrement destinées aux jeunes Arabes, les municipalités répondent, en général, que les écoles qu’elles possèdent sont ouvertes à ces enfants comme aux autres, et que des écoles spéciales ne leur paraissent ni utiles, ni conformes aux intentions du législateur, qui n’admet plus d’écoles confessionnelles. Elles n’oublient que deux choses : d’abord que leurs écoles actuelles manquant de place même pour les enfants français ou d’origine européenne, on ne voit guère comment les indigènes pourraient y être reçus ; ensuite que, les Arabes préférant pour leurs enfants des écoles spéciales, il faut tenir compte de cette préférence, si l’on veut avoir des élèves.
Je ne vois pas même pourquoi on n’y attacherait pas un taleb, chargé de faire lire, écrire et apprendre par cœur le Coran, si c’est un moyen d’y attirer et d’y retenir un plus grand nombre d’enfants. La langue du Coran n’est pas plus intelligible pour la plupart des maîtres d’école musulmans qui le font réciter, que le latin pour les frères des écoles chrétiennes qui le font psalmodier à leurs élèves. D’ailleurs il est interdit d’y joindre des commentaires. Y a-t-il là vraiment de quoi s’inquiéter ?
Sans doute on ne nous répétera plus le mot fameux : « Périssent les colonies plutôt qu’un principe » ; mais on n’en couvrira pas moins son indifférence sous de prétendues doctrines, qui n’ont aucun fondement, aucune portée, et qui ne servent qu’à entraver tout progrès, à paralyser tout effort.
L’instruction des indigènes de l’Algérie est avant tout un devoir national. Si telle ou telle municipalité en méconnaît l’importance, c’est aux pouvoirs publics qu’il appartient de prendre des mesures pour qu’une œuvre pareille ne reste nulle part en souffrance.
Les villes énumérées plus haut comptent environ 170,000 habitants musulmans, sur lesquels le nombre des garçons indigènes d’âge scolaire est évalué à 12,000 ;
La Grande Kabylie 260,000 musulmans, 27,000 garçons.
La Petite Kabylie 250,000 musulmans, 23,000 garçons ;
Soit un total de 680,00 indigènes, dont 62,000 garçons à instruire. Si l’on compte une classe pour 50 enfants et deux classes par école en moyenne, la réalisation de la première partie de notre programme exigera la création de 1,240 classes, réparties entre 620 écoles.
Quelle sera la dépense ? Si l’on veut bien se rappeler que le traitement d’un moniteur indigène varie entre 800 et 1,200 fr., celui d’un adjoint français ou indigène entre 1,200 et 1,500 fr., celui d’un instituteur français entre 1,500 et 2,100 fr., et celui d’un directeur d’école principale entre 3,000 et 3,500 fr., et si l’on tient compte de la proportion suivant laquelle ces catégories de maîtres sont réparties entre les diverses écoles, on constatera que le traitement moyen d’un maître des écoles indigènes peut être évalué à 1,200 francs. Les 1,240 classes entraîneront ainsi, pour ce qui concerne le personnel seul, une dépense annuelle d’environ 1,488,000 francs.
La construction des locaux coûterait des sommes énormes, si elle devait se faire dans les conditions ordinaires. Il ne faudrait pas compter moins de 30,000 francs pour une école à deux classes, ce qui donnerait, pour les 620 écoles de deux classes en moyenne, un total de 18,600,000 francs.
Une pareille somme fera reculer les partisans les plus décidés de l’instruction des indigènes. Il faut absolument trouver le moyen de construire dans des conditions moins onéreuses. Je ne vois qu’un système possible : c’est celui qui est pratiqué dans l’extrême Sud par les officiers des bureaux arabes. Pour la main d’œuvre, ils emploient les ouvriers du génie ; pour les transports, ils imposent des corvées aux Arabes. De cette façon, des bâtiments qui coûteraient au moins 20,000 francs ne leur reviennent pas à plus de 6 ou 8,000 francs.
Il est nécessaire d’accorder aussi aux administrateurs des communes mixtes l’autorisation de faire faire, au moyen de corvées, les transports des matériaux destinés à la construction des écoles. En Kabylie, la chose paraîtra naturelle. Il est d’usage, en effet, que les habitants d’un même village prêtent gratuitement leur concours chaque fois qu’il s’agit d’amener des matériaux pour une construction d’intérêt commun, comme une djemâa, une fontaine, un moulin à huile.
Pour des travaux communaux en territoire civil, on ne peut guère songer à réclamer le concours des ouvriers du génie. Mais les administrateurs peuvent former, sur place, des ouvriers. Dans la commune mixte de Fort-National, par exemple, l’administrateur, M. Demonque, a commencé à organiser, comme école ambulante d’apprentissage, des équipes de jeunes maçons kabyles, sous la direction de maîtres ouvriers français. Elles seront sous peu prêtes à fonctionner. Deux écoles manuelles d’apprentissage pour le travail du bois et du fer seront aussi en état, dès l’année prochaine, de faire tous les travaux de charpente, de menuiserie et de serrurerie qu’exigera l’établissement des nouvelles écoles indigènes. Pourquoi cet exemple ne serait— il pas suivi dans les autres communes ?
Un des transports les plus onéreux est celui de la brique, qu’on est obligé, en Kabylie, de faire venir d’Alger ou des environs. Il conviendra d’examiner si la terre glaise qui est employée dans plusieurs tribus pour la confection des poteries kabyles ne pourrait pas servir à la fabrication des briques.
Grâce à ces moyens et à d’autres semblables, une école qui aurait coûté 30,000 francs ne reviendra pas à plus de 10,000. La dépense totale de construction des 620 écoles ne dépassera donc pas 6 ou 7 millions, mettons 8 millions, en tenant compte des frais plus élevés que devront supporter les villes, où les procédés économiques que je viens d’indiquer ne seront pas applicables.
Ainsi une somme annuelle de 1,488,000 fr., en chiffres ronds 1,500,000 francs, pour les traitements, et une somme totale de 8 millions pour les constructions, telle sera la dépense qu’entraînera la réalisation de cette première partie du programme.
Combien d’années exigera l’exécution de ce premier projet ? Quelques personnes pensent qu’on pourrait aller très vite, si l’État allouait immédiatement les crédits nécessaires pour les traitements et se chargeait de la plus grosse partie des frais de construction. Mais le personnel, où et comment le recrutera-t-on ?
Il nous faut des maîtres français et des maîtres indigènes, un quart environ des premiers et trois quarts des autres. Pour les 1,240 classes il faudra donc 310 Français et 930 indigènes. Or chacun sait que l’Algérie ne fournit presque pas d’instituteurs français ; les neuf dixièmes des élèves des écoles normales d’Alger et de Constantine viennent de France, et c’est avec beaucoup de peine que nous parvenons à en recruter annuellement de 20 à 25. Ils suffisent à peine pour les besoins actuels.
Nous devrons donc appeler des maîtres de France. Nous en trouverons parmi les élèves des écoles normales restés sans emploi. Mais les prendrons-nous au hasard des demandes qu’ils nous adresseront, sans choix, et les transporterons-nous, sans préparation, du Jura ou de l’Ardèche, de la Creuse, de la Drôme, des Hautes-Pyrénées, de l’Ariège, au milieu des tribus de la Kabylie ? La plupart n’y resteraient pas trois mois, et ceux qui y resteraient n’y feraient que de mauvaise besogne.
Qu’on veuille bien ne pas oublier que nos instituteurs français doivent apprendre la langue du pays, ne fût-ce que pour entrer en relation avec les pères de famille ; les mœurs et coutumes des indigènes, pour ne pas s’exposer à les froisser, à les blesser profondément sans le vouloir ; un peu de travail manuel, d’agriculture et surtout d’horticulture et de viticulture, en un mot, de connaissances usuelles, utilisables dans la vie de chaque jour, afin de donner à leurs élèves des leçons et des conseils pratiques, que ces derniers n’ont pas, comme les enfants français, l’avantage de recevoir de leurs parents ; des notions d’hygiène et de médecine, pour se rendre utiles aux Kabyles, gagner leur reconnaissance et leur confiance, acquérir de l’influence dont ils puissent user au profit de l’école. Il faut surtout qu’ils soient initiés aux méthodes particulières d’enseignement qui conviennent avec les enfants indigènes, et que l’académie d’Alger a eu soin d’exposer en détail dans une brochure publiée l’an dernier[3], afin de ne pas transporter dans nos écoles kabyles des exercices qui n’ont été imaginés que pour de jeunes Français connaissant déjà en partie la langue, le jour où ils entrent à l’école.
Les élèves de nos écoles normales algériennes et ceux qui nous viendront des écoles normales de France auront donc tous besoin d’être spécialement formés, les uns plus, les autres moins, par une éducation professionnelle appropriée à leurs fonctions futures. Ce sera l’objet d’un cours normal particulier, dans lequel les candidats devront passer près d’un an. Je ne pense pas que nous puissions trouver, pendant les premières années, plus de 12 à 15 jeunes maîtres français prêts à accepter des emplois dans les écoles indigènes, et aptes à remplir convenablement cette tâche après une préparation d’un an. Mais j’espère qu’au bout de trois ou quatre ans nous pourrions doubler ce nombre, après avoir eu soin d’augmenter tout d’abord l’effectif de nos écoles normales.
Le recrutement des maîtres indigènes ne sera pas plus facile. Nous en employons actuellement 124, préparés à l’enseignement, pour la plupart, dans les deux cours normaux annexés, depuis 1884, aux écoles normales d’Alger et de Constantine. Au commencement, nous pouvions à peine en trouver chaque année 6 ou 8 en état de rendre des services. Nous en formons actuellement 25 par an, dont les deux tiers sont assez bons. Nous pourrons élever ce chiffre à 30 ou 40 l’an prochain et dans les deux années qui suivront, puis à 50 ou 60, et ainsi de suite en augmentant à mesure que les écoles primaires indigènes, mieux dirigées, donneront plus de résultats. Ces jeunes. gens qui, à l’origine, venaient au cours normal pour s’y préparer au certificat d’études primaires, y entrent maintenant en général pourvus de ce titre. Ils y complètent leur instruction pendant deux années d’études, y reçoivent des conseils pédagogiques et commencent à s’y former à la pratique de l’enseignement, en prenant part à la direction des exercices de l’école d’application annexée à l’école normale. Quelques-uns obtiennent à leur sortie le diplôme de capacité d’instituteur, et sont nommés instituteurs adjoints indigènes avec le même traitement que les adjoints français (de 1,200 à 1,500 fr.). Les autres, ne possédant que le certificat d’études primaires, sont employés en qualité de simples moniteurs (de 800 à 1,200 fr.). Le décret du 9 décembre 1887, reproduisant en partie les dispositions de celui du 13 février 1883, permet de leur confier soit des classes d’une école dirigée par un instituteur français, soit des écoles préparatoires surveillées de loin en loin par des instituteurs français des localités les plus rapprochées. Ce système commence à fonctionner d’une façon passable.
Beaucoup de gens qui ne connaissent qu’imparfaitement les conditions dans lesquelles nous nous trouvons, prétendent que nous pourrions marcher plus vite. « Vous exigez, nous dit l’un, que vos maîtres indigènes possèdent le certificat d’études primaires ou le brevet, c'est-a-dire avant tout qu’ils sachent mettre l’orthographe. Il s’agit bien vraiment d’orthographe et de grammaire ! Combien de paysans français savent parfaitement s’exprimer et faire eux-mêmes leurs affaires, qui n’ont aucune notion d’orthographe, et qui seraient absolument incapables de subir l’examen du certificat d’études ! Établissez des cours spéciaux où vous formerez à foison des professeurs indigènes de français réduit. Venus des communes elles-mêmes, où ils auraient été choisis parmi les plus intelligents, ils y retourneraient pour instruire les enfants et ne devraient pas avoir d’autre ambition administrative. » >
« Vous cherchez des maîtres indigènes, nous dit un autre, lorsque vous en avez sous la main des milliers dont vous ne savez pas utiliser les services. N’existait-il pas en Algérie avant la conquête et n’existe-t-il pas encore un nombre incalculable d’écoles musulmanes (zaouias, mecids), où des maîtres arabes enseignent, moyennant une faible rétribution payée par les parents, les éléments de la langue arabe et la récitation du Coran ? Ces maîtres seraient tout prêts à apprendre le français à leurs élèves si vous leur accordiez une faible indemnité pour ce service supplémentaire. »
Il est vrai que d’autres n’admettent pas que nous songions à nous servir de maîtres arabes ou kabyles. « Ils ne sont pas nés, disent-ils, pour la mission d’éducateur : ils n’ont ni le calme, ni la patience, ni le dévouement qu’elle réclame ; ils savent mal le français, le prononcent plus mal encore, et sont incapables de comprendre les idées qu’il exprime ; étrangers enfin à tout sentiment français, comment pourraient-ils faire aimer la France et la civilisation à laquelle elle convie les indigènes ? »
Ces opinions divergentes sont aussi peu fondées les unes que les autres.
Nous employons les maîtres indigènes parce que dans bien des cas nous ne pouvons pas faire autrement, et parce qu’en général il nous paraît sage d’utiliser leur concours.
Un Français acceptera la direction d’une école située à proximité d’un centre de population européenne ou sur une route desservie par une voiture publique, en un point où il puisse s’approvisionner. Il sait d’ailleurs que l’isolement sera compensé par quelques avantages : une indemnité de résidence de 200 à 600 fr., une autre indemnité spéciale de 100 fr. par école préparatoire placée sous sa surveillance, et la possibilité d’obtenir pour sa femme, fût-elle dépourvue de tout titre scolaire, la direction d’une classe de l’école avec des émoluments de 600 fr. Nous avons ainsi une trentaine d’écoles indigènes dirigées par des instituteurs français : ce sont celles que nous appelons les écoles indigènes ordinaires.
Nous trouvons même des Français, bien qu’en beaucoup plus petit nombre et, on peut le dire, exceptionnellement, qui consentent à aller passer quelques années dans les villes indigènes de l’extrême Sud, mais avec le titre de directeur de l’école principale et les avantages qui y sont attachés : traitement de 3,000 fr. avec une augmentation annuelle de 100 fr. pendant cinq ans, prestations en nature, maison convenablement construite, transport gratuit tous les deux ans pour l’instituteur et sa famille et sa famille jusqu’à un point quelconque de l’Algérie ou jusqu’à Marseille, enfin possibilité d’obtenir, au bout de huit ans, une promotion à la première classe, s’il veut alors rentrer dans les écoles ordinaires. Les trois écoles principales de Tuggurth, El-Oued, Ghardaïa, sont actuellement les seules qui fonctionnent dans ces conditions.
Mais il restera toujours, au milieu des tribus, loin des centres européens, loin des fermes, loin des postes français, dans des endroits dénués des ressources les plus indispensables à la vie de chaque jour pour une famille ayant les habitudes et les besoins des peuples civilisés, un grand nombre de résidences ingrates, où jamais un instituteur français ne se résoudra à vivre avec sa femme et ses enfants, même au prix d’avantages exceptionnels.
D’ailleurs nous ne pouvons pas multiplier les écoles qui donnent lieu à de pareilles dépenses.
Un maître indigène, au contraire, ira où l’on voudra avec un traitement moyen de 1,000 fr. sans indemnités ni prestations supplémentaires. Il y aura peu de frais à faire pour son logement, encore moins pour son mobilier. Une maison d’école construite pour lui, au lieu de coûter 30, 40 et jusqu’à 50,000 fr., comme celles destinées à des instituteurs français, ne dépassera pas 8,000 fr. ; elle ne devra même pas coûter plus de 4 à 5,000 fr. si la construction se fait dans les conditions que j’ai indiquées plus haut.
Mais surtout n’est-ce pas un moyen de faire accepter plus volontiers, par les populations indigènes, notre enseignement et le commencement de civilisation qu’il apporte avec lui, que de nous servir de maîtres musulmans pour le répandre ? Ce sont pour nous des auxiliaires précieux : ils ne provoquent pas les mêmes craintes, les mêmes préventions religieuses que nos maîtres français ; ils ont intérêt à faire bien accueillir l’instruction française qu’ils sont chargés de transmettre ; enfin, ils montrent, par leur exemple, que les écoles ouvertes en pays arabe ou kabyle, grâce aux sacrifices de la France, peuvent conduire à des situations enviables ceux d’entre les jeunes musulmans qui se sont distingués par leur intelligence et leur travail. Depuis que les écoles de Kabylie ont fourni un certain nombre de moniteurs indigènes, elles sont beaucoup mieux vues des familles musulmanes.
Pour toutes ces raisons, je persiste à penser que les maîtres indigènes doivent être utilisés. Mais il faut les choisir et les dresser.
J’ai dit plus haut que pour organiser l’enseignement des indigènes dans les villes, ainsi que dans la Kabylie du département d’Alger et celle du département de Constantine, il faudrait environ 620 écoles et 1,240 maîtres, et que ce total de maîtres devrait comprendre à peu près 310 Français et 930 indigènes.
Je dois déclarer que pour préparer ce personnel suivant les conditions que je viens d’exposer, il ne faudra pas moins de dix ans.
Qu’on veuille bien réfléchir que ce sera une moyenne de 124 maîtres par an. Notre situation scolaire actuelle ne nous permet pas d’en préparer plus de 30 pour la fin de l’année, et pas beaucoup plus pour l’année suivante. Il faudra donc une amélioration, un développement, des progrès très rapides et probablement des mesures exceptionnelles, pour atteindre dans trois ou quatre ans le chiffre de 124 indiqué. Plus tard il sera facile de le dépasser.
Quoi qu’il en soit, nous ne demandons que dix ans. Si ce laps de temps est nécessaire pour le recrutement du personnel, il moins, je crois, pour l’installation des écoles. ne l’est pas
J’ai évalué plus haut à 8 millions les frais de construction des 620 premières écoles à établir. Répartie en dix années, la dépense serait de 800,000 francs par an, pour une soixantaine d’écoles chaque année. En supposant qu’une modification, d’ailleurs absolument justifiée et désirable, soit apportée à la loi du 20 juin 1883 en ce qui concerne la proportion des subsides, et que l’État accorde à toute commune, grande ou petite, pour toute école indigène à construire, une subvention égale à la moitié de la dépense, les charges annuelles respectives de l’État et des communes seraient de 400,000 francs. Et comme le principal effort sera demandé aux communes mixtes de la Grande de la Petite Kabylie, qui ne sont qu’au nombre de dix, on voit par là que le sacrifice qu’elles devraient s’imposer annuellement pendant dix ans serait encore aussi élevé qu’on peut raisonnablement l’exiger.
Le système consistant à procéder par région, et à y répandre l’instruction française dans toute la masse des enfants indigènes, au lieu de s’adresser, comme autrefois, à quelques individus ou groupes isolés, épars sur l’étendue du territoire et éloignés les uns des autres, présentera d’incontestables avantages. Ce sera le meilleur remède au double mal signalé par Mme Coignet et par beaucoup d’autres, savoir : l’instabilité et la disparition trop rapide de toute trace d’éducation française chez les Arabes élevés dans nos écoles, et d’autre part la tendance d’un trop grand nombre de ces jeunes gens à solliciter des emplois.
Tout fait supposer que les indigènes instruits résisteront mieux aux influences de l’hérédité, de la tradition, de la coutume, lorsque le milieu dans lequel ils sont appelés à vivre sera tout entier modifié par la même éducation, initié à la même langue et aux idées qu’elle exprime.
D’un autre côté, lorsque l’instruction française, au lieu d’être une exception, une sorte de privilège rare accordé à quelques-uns, sera devenue le patrimoine commun de toute une génération, il est à prévoir que ceux qui en auront bénéficié, ne se sentant plus, comme précédemment, supérieurs à la foule, n’auront pas non plus la prétention de s’en distinguer, d’être placés à sa tête, de jouir de faveurs qui ne sont pas faites pour tous. Ils resteront plus volontiers à leur place quand ils verront qu’ils n’ont pas plus de titres que les autres pour en sortir.
Ce changement de système suffira-t-il pour donner à l’instruction des indigènes plus d’efficacité, et surtout des effets plus salutaires, ou bien faudra-t-il aussi, comme le réclament, avec Mme Coignet, plusieurs autres personnes, réformer radicalement l’enseignement lui-même, lui donner un caractère plus nettement utilitaire, le transformer enfin en enseignement rudimentaire professionnel ?
Si le projet était pratique et propre à produire les bons effets qu’on paraît en attendre, je serais le premier, je n’ai pas besoin de le dire, à le préconiser. Mais comme je suis convaincu, après un commencement d’expérience et après examen attentif, que cette réforme, poussée au point où on le voudrait, est impraticable, et que si elle était possible elle ne donnerait que des résultats insignifiants en ce qui concerne l’enseignement professionnel, tout en affaiblissant et en stérilisant l’enseignement primaire proprement dit, mon devoir est de repousser cette innovation.
Je dois déclarer toutefois que ce que je viens de dire ne s’applique pas aux écoles de filles. Les divers travaux du ménage, couture, tricot, broderie, blanchissage, repassage, cuisine même et jardinage, y sont parfaitement à leur place ; la connaissance en sera utile à toutes les élèves et nos institutrices sont pour la plupart en état de les enseigner. Aussi suis-je d’avis que dans les rares écoles de filles qui se créeront la moitié du temps y soit consacrée. C’est d’ailleurs ce que nous avons recommandé depuis de longues années et c’est, en général, ce qui se fait. Je mets donc à part ces écoles, qui ne seront au reste qu’une exception pendant bien longtemps encore, ainsi que je l’ai dit plus haut.
Mais dans les écoles de garçons, quels sont les travaux professionnels pouvant être enseignés de même et dans la même mesure ? Quels sont ceux qui seront utiles aussi à tous les enfants d’une même école, et pour lesquels nos instituteurs aient ou puissent avoir une compétence suffisante ? Quels sont ceux enfin qui puissent être organisés assez sérieusement pour qu’on n’hésite pas à y consacrer la moitié du temps des classes ?
« Certains métiers, écrit Mme Coignet, correspondent à des besoins. constants et ont cours partout. Tels, par exemple, la forge, la serrurerie, la menuiserie, etc. Par qui sont-ils exercés en Algérie ? ni par les Français, qui les dédaignent, ni par les Arabes qui les ignorent. Ils sont exercés par des étrangers, souvent maladroits, et toujours, en raison de la rareté, d’une exigence extrême. La main d’œuvre est hors de prix, et encore les bras manquent. Les choses périclitent pour n’être ni réparées ni entretenues. Nous avons donc tout intérêt à donner le métier aux Arabes.
» Dans les villes, les besoins journaliers en détermineront la nature. Dans les campagnes, au sein du douar, on pourra les limiter aux nécessités de la tribu, en s’attachant de préférence à des éléments pratiques d’agriculture. »
Des lignes qui précèdent il résulte que l’idéal serait d’enseigner à l’école, du moins dans les grandes villes, tous les métiers divers « dont les besoins journaliers détermineraient la nature ». Mais comme il nous serait peut-être difficile, quel que soit notre bon vouloir, de former, dès l’école primaire, des tailleurs d’habits, des tisseurs, des cordonniers, des tanneurs, des boulangers, des bouchers, des potiers, des chaudronniers, on nous permettra de nous borner à certaines professions qui « correspondent à des besoins constants et ont cours partout », telles que celles de forgeron, de serrurier, de menuisier et sans doute aussi de charpentier et d’ébéniste.
Je demande la permission de faire remarquer que tous les enfants d’une école, même dans une ville, ne sont pas destinés à choisir plus tard entre ces cinq métiers, et je ne vois pas de quel droit ni dans quel but nous les y préparerions tous.
Il n’est pas utile, pas plus chez les Arabes que chez les Français, que tout le monde soit serrurier ou menuisier, et je me demande avec inquiétude ce que deviendra la population musulmane, lorsqu’un jour, grâce à nous, elle regorgera de gens de ces professions.
Mais l’Algérie manquant d’ouvriers, nous dit-on, ne devons-nous pas lui en préparer ? Ne vous inquiétez pas des débouchés, ils s’offriront tout seuls. Lorsqu’il y aura surabondance sur un point, le surplus se répandra ailleurs, de sorte que peu à peu sur tous les points du territoire tous les besoins seront satisfaits.
Il y a dans la colonie environ 200,000 Français et 200,000 étrangers, en tout 400,000 Européens en face de plus de trois millions d’indigènes. En supposant que les 400,000 civilisés soient dépourvus d’ouvriers appartenant aux métiers dont il s’agit, ce qui n’est pas, combien leur en faudrait-il ? Peut-être 1 de chaque métier pour 400 habitants en moyenne, ou 5,000 des cinq métiers pour 400,000. Mais comme il existe déjà sur presque tous les points des ouvriers français ou étrangers : je crois que deux ou trois mille recrues indigènes trouveraient à peine à s’occuper. Les garçons de quatre à cinq villes suffiraient pour fournir ce contingent. Que ferions-nous de tout le reste, et si ceux à qui nous ne donnons aujourd’hui qu’une instruction générale sollicitent des emplois, ceux que nous aurions préparés à des professions manuelles n’auraient-ils pas le droit de nous demander du travail ?
S’imagine-t-on que les trois millions d’indigènes utiliseront aussi les services de leur coreligionnaires initiés aux métiers français, et que pour les employer ils n’attendent que le moment de les avoir sous la main ? Illusion pure ! Les Kabyles, pas plus que les Arabes, ne songeront en aucune façon à commander des portes ou des fenêtres, des tables ou des armoires aux menuisiers et serruriers indigènes, pas plus que ceux qui habitent nos villes, et qui voient ce que nous faisons, n’éprouvent actuellement le besoin de s’adresser à nos ouvriers pour nous imiter. Je ne dis pas qu’ils ne s’en aviseront pas un jour, et qu’ils ne feront pas construire des maisons et fabriquer des meubles semblables aux nôtres. Peut-être même s’adresseront-ils à nos tailleurs et à nos chapeliers pour échanger leurs costumes contre les nôtres, bien qu’ils n’aient qu’à perdre au change. Je ne veux jurer de rien. Mais nous n’en sommes pas là pour le moment ; et si l’on jugeait de l’amour du changement chez les indigènes d’après les réformes accomplies par ceux qui vivent en contact de chaque jour avec nous depuis soixante ans, on serait bien obligé de convenir qu’aucune population ne réalise mieux que celle-là l’idéal de l’immutabilité.
Autant les Israélites indigènes se sont empressés de nous imiter dans leur costume, leur habitation, l’instruction donnée à leurs enfants, le langage, les manières et toutes les choses extérieures, autant les Arabes et les Kabyles ont peu songé à suivre notre exemple.
Et si l’on parvient un jour à produire chez eux quelque changement, ce sera beaucoup plus, j’en suis convaincu, et je pourrais citer des cas particuliers qui sont une preuve de ce que j’avance, en agissant sur eux par l’éducation, par une culture générale, profonde, rationnelle, propre à modifier leurs idées et leurs sentiments, que par un enseignement de l’œil ou de la main destiné à leur fournir prématurément les moyens de satisfaire des besoins de confortable qu’ils n’éprouvent pas. Si c’est un lieu commun en France de dire que l’école doit former des hommes avant de faire des menuisiers ou des maçons, je voudrais bien savoir pourquoi cette vérité ne serait pas de mise en Algérie ?
Mais supposons qu’il soit utile de former à foison des ouvriers du fer et du bois, est-ce réellement dans nos écoles primaires qu’ils pourront faire leur apprentissage ?
On nous crie : « Ouvrez l’école aux métiers ! » — C’est facile à dire, mais impossible à exécuter.
A-t-on seulement réfléchi à l’âge de nos élèves ? S’est-on demandé si des enfants de six à treize ans pouvaient être sérieusement transformés en apprentis, et si avant treize ans un bambin pouvait être mis au travail de la forge ou de la menuiserie ?
Nous répondra-t-on qu’il ne s’agit que des plus âgés, de ceux de plus de treize ans par exemple ? Ceux-là commenceraient réellement l’apprentissage du métier. Les autres seraient occupés à des études préparatoires, c’est-à-dire au pliage, au tressage, au cartonnage, aux ouvrages en osier, en roseaux, en alfa, en fil de fer, à tous les petits travaux manuels qui, s’ils ne sont pas d’une grande utilité par eux-mêmes, n’en servent pas moins à développer la dextérité de la main, l’adresse, le goût des combinaisons ingénieuses, des arrangements de formes et de couleurs artistement exécutés. Je le veux bien, mais il ne faut pas décorer ces gentils amusements du nom pompeux d’enseignement professionnel, et laisser croire que nous allons ainsi former des ouvriers en état de gagner leur vie.
« Mais les plus grands apprendront réellement un métier. » — Qui le leur enseignera ? L’instituteur ? Mais nos instituteurs ne sont pas doués d’aptitudes universelles. Nous les gardons trois ans dans une école normale pour leur apprendre avec beaucoup de peine un seul métier, le leur ; nous n’avons pas la prétention de leur enseigner en même temps ceux des autres. Je sais bien qu’on peut leur apprendre un peu de tout, qu’on peut même compter sur leur bon vouloir pour enseigner un peu de chaque chose ; mais je persiste à dire que n’étant pas ouvriers eux-mêmes ils seront incapables de former de vrais ouvriers, j’entends des gens capables de vivre du produit de leur métier.
« Alors on aura recours à de vrais ouvriers. » — Je crois, en effet que c’est le meilleur parti à prendre. Pour enseigner un métier, c’est aux gens du métier qu’il faut faire appel. Mais je suis obligé de déclarer de nouveau que ce n’est pas à l’école primaire que cet enseignement peut être donné.
Pour occuper seulement dix élèves à la fois à des travaux de menuiserie, ou de forge et de serrurerie, il faut un vaste atelier. En fera-t-on la dépense dans chaque école ? Un seul maître ouvrier ne peut pas diriger utilement plus de dix apprentis, et si on lui prend pour ce service la moitié de sa journée, il faudra lui assurer une rémunération convenable. Fera-t-on ce sacrifice ? Les dépenses seront considérables. Seront-elles compensées par les résultats ? Les résultats seront déplorablement médiocres, n’en doutez pas, pour les deux raisons suivantes :
1° Au lieu de choisir un petit nombre d’élèves, ayant réellement le goût du métier, comme il le faudrait, et disposés à en faire leur carrière, vous êtes condamnés par votre système à vous adresser à tous les enfants de l’école dès qu’ils sont en âge de supporter le travail que nous avons résolu de leur imposer, quelle que soit d’ailleurs la profession qu’ils préfèrent. Que voulez —vous qu’il fassent, et pour les trois quarts d’entre eux ne sera-ce pas du temps et des efforts perdus ?
2° Il faudrait, d’après les gens compétents, trois ou quatre années au moins, avec sept ou huit heures de travail manuel par jour, pour former des ouvriers en menuiserie ou en serrurerie capables de rendre quelques services et de gagner à peu près leur vie. Vous prenez nos plus grands élèves pendant leur dernière année d’études primaires, et cinq fois par semaine vous leur faites faire du travail manuel pendant la classe de l’après-midi. De quoi voulez-vous qu’ils soient capables après cela ?
Je sais bien que les plus aptes d’entre eux pourront continuer à s’exercer soit chez des patrons où ils entreront en apprentissage, soit dans de vraies écoles professionnelles où on les recevra de treize à quinze ou dix-sept ans, jusqu’à ce qu’ils possèdent complètement le métier auxquels ils se destinent. L’apprentissage chez un patron ou dans une école spéciale est en effet, à mon avis, la vraie solution, et j’y arriverai tout à l’heure. Pour le moment, je désire seulement qu’on reconnaisse avec moi que les métiers ne sauraient s’apprendre à l’école primaire.
« Mais il ne s’agit que de rudiments de métiers, des premiers éléments, ou de ce qu’on pourrait appeler la partie primaire de l’enseignement professionnel. Celle-là n’est-elle pas à sa place dans vos écoles ? Vos instituteurs se déclarent eux-mêmes tout prêts à s’en charger. Si ceux d’aujourd’hui ne le peuvent pas, ceux de demain le pourront, car vos écoles normales les y préparent dès maintenant. »
Ne soyons pas dupes des mots et ne prenons pas des formules creuses pour des découvertes fécondes. Pour moi, je ne puis pas me représenter l’enseignement professionnel rudimentaire autrement que comme un commencement d’apprentissage de professions déterminées, un commencement aussi simple que l’on voudra, mais se rapportant cependant à la pratique comme à la théorie des travaux qu’une profession comporte, ou au maniement des outils qu’elle emploie. Pour un forgeron, par exemple, les rudiments du métier ne consisteront-ils pas à apprendre à faire fonctionner une forge, à y faire chauffer à blanc un morceau de fer, et à lui donner ensuite, sous les coups du marteau, la forme que l’on désire ? Pour un menuisier, sera-ce autre chose qu’apprendre à se servir d’un établi, d’un étau, d’une scie, d’un rabot, d’un ciseau, pour faire d’un morceau de bois quelque chose de propre à un usage déterminé ? De même pour un cultivateur ou un vigneron, que seront les rudiments sinon, après une première notion du sol, des plantes, des instruments de labour et des animaux de culture, un premier essai pour arriver à conduire une charrue, à soigner des chevaux ou des bœufs, à semer du blé ou de l’orge, à tailler et à cultiver la vigne, à récolter les moissons ou à fabriquer le vin ?
Ces travaux, lors même que vous choisiriez les plus élémentaires d’entre eux, peuvent-ils se faire à l’école primaire ? Ou ceux que vous y ferez faire et que je connais aussi bien que personne, puisque j’ai été le premier à les faire enseigner à nos futurs instituteurs dans les écoles normales de l’Algérie et que je me suis rendu compte des résultats qu’ils peuvent donner, pourront-ils sérieusement passer pour un commencement d’enseignement professionnel ? Ainsi un enfant sera occupé, pendant une partie des classes, à confectionner de petits objets en fil de fer, à faire du cartonnage, du tressage avec de l’alfa ou du roseau ; il pourra même, s’il est plus grand, plus fort et plus habile, et si vous mettez quelques outils à sa disposition, faire de petits assemblages en bois, de petits bancs, de petites boîtes. Oserez-vous dire que vous lui enseignez les rudiments des métiers de serrurier, de fabricant de nattes ou de tapis, de menuisier ? De même vous lui montrerez, dans le jardin de l’école, comment on plante et cultive certains légumes, comment on greffe les arbres. fruitiers, comment on obtient de beaux raisins sur des pieds de vigne bien choisis et bien soignés. Vous imaginerez-vous pour cela lui avoir appris les éléments pratiques de l’agriculture ?
Remettons les choses au point. Traitons les enfants, fussent-ils indigènes, comme des enfants. N’ayons pas la prétention de leur donner d’emblée la connaissance des arts et des métiers, qui exige de la maturité. Ne nous figurons pas que tout puisse s’enseigner à l’école primaire, et n’oublions pas que si nous y introduisons des exercices qui ne sont pas de leur âge, nos élèves les apprendront en enfants, ce qui leur sera de peu d’utilité lorsqu’il leur faudra plus. tard les pratiquer sérieusement en hommes.
Voici maintenant les conclusions de M. le recteur d’Alger :
Revenons à une conception plus vraie de l’école primaire indigène et de son rôle.
Quel but poursuit la France en ce qui concerne ses sujets musulmans de l’Algérie ? Elle veut les rapprocher d’elle progressivement, les faire participer peu à peu aux bienfaits de sa civilisation, au point de vue intellectuel et moral aussi bien qu’au point de vue matériel.
L’école peut contribuer à réaliser cet idéal. Elle n’y contribuera jamais que pour une part, mais notre devoir est de faire en sorte que cette part soit aussi grande que possible.
M. Burdeau, en me faisant part de quelques-unes de ses vues, lors de son récent voyage en Algérie, résumait le rôle de l’instituteur d’école indigène en une formule qui me paraît être d’une justesse parfaite.
En France, disait-il, un enfant est initié aux connaissances courantes, produit et instrument de la civilisation, par deux voies différentes par l’école, qui lui transmet les éléments les plus essentiels de la culture générale, et par la famille qui lui fournit les notions pratiques les plus importantes pour la vie de chaque jour. C’est grâce à ce double enseignement qu’il se rend peu à peu semblable aux compatriotes au milieu desquels il vit, et qu’il finit par devenir un homme de son temps.
Chez les indigènes de l’Algérie, l’enseignement de la famille tel qu’il serait dans une nation civilisée fait actuellement défaut. Il faut que l’instituteur s’en charge, en même temps que de celui de l’école. Le maître doit donc ici, dans l’éducation de l’enfance, cumuler le double rôle que remplissent en France l’instituteur et le père.
C’est dire qu’en sus de l’instruction primaire proprement dite, l’école indigène doit donner à ses élèves ce commencement d’éducation pratique que reçoivent chaque jour nos enfants en dehors de l’école.
Ainsi défini, le rôle me paraît très vrai, très utile et possible à remplir.
Le programme de l’instruction élémentaire y sera réduit au strict nécessaire, mais sans que le principal y soit jamais sacrifié à l’accessoire.
L’essentiel est et restera l’enseignement de la langue française, non pas celui de la correction de la langue apprise par la grammaire, puisque la règle ne peut être utilement enseignée qu’à ceux qui possèdent déjà l’usage, mais celui de la langue parlée, devançant et préparant la connaissance de la langue écrite et correcte, son complément nécessaire…
Je n’ai pas besoin de dire qu’une place est faite au calcul et au système métrique. Les indigènes ne sauraient rester étrangers à une étude si nécessaire pour laquelle, d’ailleurs, ils montrent partout les dispositions les mieux marquées.
Mais il a aussi paru impossible de ne pas inscrire dans les programmes quelques notions de géographie et quelques éléments d’histoire de France. Comment préparer les jeunes générations indigènes de l’Algérie à s’attacher à la France, à la considérer comme la patrie commune des habitants de la métropole et de ceux de la colonie, si on ne leur fait pas entrevoir ce qu’est cette France, la place qu’elle tient dans le monde, la richesse de son sol, les progrès de son agriculture, la prospérité de son industrie et de son commerce, les grands hommes qui l’ont illustrée, la part qu’elle a prise dans les grands événements qui ont fait les nations telles qu’elles sont aujourd’hui ?…
Ces divers enseignements, conçus de façon à donner aux Kabyles et aux Arabes des connaissances utiles, tout en préparant leur rapprochement, leur assimilation progressive, doivent être évidemment complétés par des leçons de morale.
L’école est ouverte à l’indigène pour l’instruire et surtout pour le moraliser. S’il est utile d’apprendre à lire, à écrire et à calculer, il est indispensable de penser honnêtement et de bien agir. Le savoir n’a de prix que par l’usage qu’on en fait ; il ne profite guère s’il ne rend meilleur…
L’Arabe qui a fréquenté l’école se reconnaîtra non à ce qu’il sait, mais à ce qu’il fait ; il se distinguera des autres indigènes par une probité plus scrupuleuse, des mœurs plus douces.
Ce résultat dépend en grande partie de l’action que le maître exerce individuellement sur chaque enfant ; mais il a pour facteur essentiel l’esprit général des élèves ; il faut entendre par là l’ensemble des dispositions qui les animent, des sentiments qu’ils nourrissent à l’égard de l’école. Il dépend du maître de créer autour de l’enfant une atmosphère saine dont il respire presque à son insu le parfum de bonté, et qui le pénètre insensiblement. Le milieu moralisateur sera formé de concessions réciproques, de l’exemple des plus âgés, d’une saine émulation pour le travail et pour le bien, de traditions excellentes qui se conservent en s’améliorant…
Cette éducation doit être complétée par des leçons méthodiques, qui doivent prendre une heure par semaine dans le cours moyen. Le programme qui en a été tracé ne renferme rien qui ne soit à la portée de tous les esprits, rien qui ne s’accorde avec toutes les croyances religieuses. Il comprend les devoirs de morale courante, ceux que reconnaît et pratique un honnête homme, à quelque race, à quelque culte qu’il appartienne.
Il faut bien qu’on le sache : la France n’entend faire parmi les musulmans aucune propagande religieuse ; elle pratique la plus large tolérance à l’égard de tous les dogmes. Elle ne poursuit qu’un but : faire des enfants arabes et kabyles des hommes de bien, et on peut pratiquer la vertu tout en restant fidèle musulman. Elle demande donc à ses instituteurs, français ou indigènes, de montrer le plus grand respect pour les croyances des élèves et de leurs parents, de s’abstenir scrupuleusement de la moindre critique à l’égard des doctrines du Coran. Les moniteurs se tromperaient s’ils se figuraient qu’en affichant l’irréligion ils répondent aux intentions de l’administration ou lui sont seulement agréables. Un tel zèle, inspiré peut-être par de louables sentiments, serait toujours maladroit, parfois même coupable. La France ne couvrirait pas de son patronage un prosélytisme tellement en contradiction avec ses idées de liberté. Pour exercer une action bienfaisante et efficace, les moniteurs doivent jouir de la confiance de leurs coreligionnaires : ils la perdront s’ils ne « disent la formule », s’il ne se privent de boissons alcooliques, s’ils ne s’astreignent aux pratiques du ramadan. Respectent-ils, au contraire, les prescriptions du Coran, ils auront une incontestable autorité pour parler au nom de la France, pour enseigner la morale[4]…
À ce programme de culture générale, il faudra joindre, ainsi qu’il a été dit plus haut, un plan d’éducation pratique. Ces enseignements pratiques sont :
1° Le dessin (2 heures par semaine dans le cours élémentaire et 2 heures dans le cours moyen), qui, en dehors de ses avantages éducatifs, a une utilité pratique. Chez les Kabyles en particulier, l’école rendra, en l’enseignement, des services qui seront vite appréciés car le dessin sera un élément de prospérité pour certaines industries locales qu’il faut encourager.
2° Le travail manuel et agricole (1 heure 1/2 par semaine dans le cours préparatoire, 3 heures dans le cours élémentaire et 3 heures dans le cours moyen ; nous allons jusqu’à autoriser 7 heures 1/2 par semaine dans chacun des trois cours, au moins à l’époque des travaux ruraux, pour les écoles qui possèdent un jardin ou un champ de démonstration, et pour les grands élèves dans les écoles qui sont pourvues d’un atelier et de quelques outils pour le travail manuel).
Ce travail manuel, qu’il ne faut pas confondre, ainsi que je l’ai dit plus haut, avec les exercices plus spéciaux et plus compliqués de l’enseignement professionnel, ne comporte que des ouvrages simples et usuels qui peuvent être utiles dans toutes les professions, dont chacun peut avoir besoin tous les jours dans la vie ordinaire, et qu’il est bon de savoir exécuter soi-même, particulièrement en Algérie, où les ouvriers coûtent cher et ne sont pas toujours sous la main. Par exemple confection de cordes, de liens, de filets, de paniers, de couffins, de chapeaux, de semelles de chaussures, de cages et de corbeilles, de paillassons, de nattes ; de boîtes de carton, d’objets en fil de fer, supports, trépieds, ressorts, grils, grillages, crochets, chaînes, agrafes, supports d’abat-jour, paniers à salade ; d’ouvrages en bois, caisses, bancs, cadres, étagères, manches d’outils, râteaux, raccommodages de toute espèce.
De même, le travail agricole au jardin ou dans le champ de démonstration, ne sera pas réellement l’apprentissage du métier de cultivateur, mais une application des notions théoriques élémentaires qui devront être données aux élèves sur la culture des céréales, des légumes, des arbres fruitiers, de la vigne…
3° Les notions élémentaires sur les sciences usuelles qui, bien enseignées, ont aussi une utilité pratique, en même temps qu’un effet éducatif (1 heure par semaine dans le cours moyen).
Lorsque l’instruction primaire des indigènes sera bien organisée et bien dirigée, elle ne produira encore, il ne faut pas se le dissimuler, qu’un commencement d’amélioration sociale, commencement dont les traces s’effaceront promptement si l’école primaire n’est pas continuée par d’autres institutions propres à la soutenir, à la compléter, à tirer parti des éléments qu’elle aura préparés.
En France, un enfant qui a reçu une bonne éducation élémentaire acquiert, par ce fait même, une supériorité incontestable sur ceux qui en restent dépourvus, parce qu’il trouve autour de lui les moyens d’utiliser les connaissances qu’il possède. Il est plus apte à apprendre le métier que lui enseigne son père et à y faire des progrès, s’il reste dans sa famille ; à profiter des conseils d’un patron ou d’un maître ouvrier, s’il entre en apprentissage ; à s’assimiler les leçons de ses maîtres, s’il suit les cours d’une école de commerce, d’industrie ou d’agriculture ; à s’élever enfin jusqu’à une profession libérale, s’il est en état d’aborder avec fruit les études d’enseignement secondaire et d’enseignement supérieur.
Dans l’état actuel des choses, un élève indigène qui sort de l’école primaire muni d’une bonne instruction française n’a guère, sur ses camarades ignorants, qu’un avantage moral et, pour ainsi dire, platonique celui de l’éducation. Il ne possède sur eux aucune avance sociale et positive. Il n’aurait une supériorité que s’il avait des rapports d’affaires avec les Français, ou s’il attendait d’eux une situation. Ceux qui se trouvent dans l’un ou l’autre de ces deux cas ne constituent qu’une infime minorité, presque une exception.
Il faut, de toute nécessité, qu’il en soit autrement à l’avenir.
Ce point de vue de la question indigène exigerait des développements dans lesquels je ne puis pas entrer. Qu’on me permette de me borner à quelques indications.
1° Les jeunes indigènes sortant de nos écoles primaires, à treize ou quatorze ans, devraient trouver, en Algérie, les moyens de se préparer spécialement aux professions industrielles, agricoles et commerciales. Comme cette préparation ne saurait leur être donnée par leurs parents, il faut qu’ils puissent la demander soit à l’apprentissage chez un patron, artisan, cultivateur ou commerçant, soit à des écoles professionnelles, mais sans être obligés de s’éloigner de leurs familles ;
2° Un certain nombre d’emplois publics sont réservés à des indigènes. Nous ne demandons pas que l’instruction française y donne droit par elle seule ; mais ce ne serait pas trop exiger que d’émettre le vœu qu’elle devienne au moins un motif de préférence en faveur des candidats possédant d’ailleurs les qualités de moralité, de caractère, d’autorité, d’activité, d’énergie, requises pour l’emploi ;
3° Des compagnies de chemins de fer ou de navigation, des sociétés agricoles ou commerciales, des entrepreneurs de travaux recourent à la main-d’œuvre étrangère. Ne serait-il pas possible de les décider à faire appel, sinon à des Arabes, qui ne sont guère travailleurs, du moins à des Kabyles, et à les utiliser suivant leur degré d’instruction ?
4° En territoire indigène, des centaines de mille d’êtres humains restent dépourvus des secours médicaux les plus élémentaires et les plus indispensables. Ne serait-il pas possible de former pour eux des médecins indigènes ? Quelques jeunes Arabes ou Kabyles qui auraient, dans nos écoles primaires, fait preuve d’aptitude pour le travail intellectuel — et ils ne seraient pas rares, — seraient dirigés vers nos lycées ou collèges, où ils seraient placés en qualité de boursiers, mais après avoir obtenu leur bourse au concours, toujours pour raison d’égalité.
L’enseignement secondaire spécial les préparerait au certificat d’études exigé des futurs officiers de santé par le décret du 30 juillet 1886. Une bourse de 800 francs par an leur serait accordée ensuite à l’école de médecine d’Algers, où ils suivraient les cours et exercices pratiques en vue du grade d’officier de santé, ou d’un titre équivalent, lorsque celui-là serait supprimé. La bourse d’études médicales ne leur serait concédée qu’à la condition de prendre l’engagement de rester pendant dix ans à la disposition du gouverneur général, qui leur assignerait des résidences dans les tribus. Ils y recevraient des traitements de 1,200, 1,400 et 1,600 francs selon la classe. La dépense serait prélevée sur le budget de l’assistance publique, comme l’est actuellement celle qui concerne les médecins de colonisation. Ne serait-ce pas, sous tous les rapports, une excellente mesure que de créer un corps de médecins indigènes, comme nous le faisons pour les instituteurs ? Médecins et instituteurs indigènes, élevés dans les idées françaises, soutenus et dirigés par l’autorité française, deviendront les serviteurs fidèles, les agents dévoués, les fils de la France, et répandront peu à peu notre civilisation au milieu des tribus, jusqu’à présent fermées à notre action ;
5° Le décret du 7 avril 1884 accorde, pour la représentation des indigènes musulmans dans les conseils municipaux, le titre d’électeur à tout musulman âgé de vingt-cinq ans, résidant depuis au moins deux ans dans la commune, et se trouvant parmi les propriétaires fonciers ou les fermiers, les employés de l’État, du département ou de la commune, les décorés de la Légion d’honneur ou de la médaille militaire, ou les titulaires d’une pension de retraite. Même en cette matière, l’instruction française ne donne aucun avantage. Peut-être objectera-t-on qu’il est difficile de la constater. Il serait peu pratique, assurément, de réclamer la création d’un nouvel examen. Mais pourquoi ne s’en tiendrait-on pas à celui qui existe actuellement, le certificat d’études primaires ? Ne serait-il pas possible de faire, des indigènes qui le possèdent, une nouvelle catégorie d’électeurs et d’éligibles, dès aujourd’hui, et de l’exiger de tous, pour être électeurs et éligibles, mais seulement dans un délai suffisant, par exemple dans quinze ou seize ans, c’est-à-dire à partir du 1er janvier 1908 ?
Il y aura probablement d’autres mesures à prendre. Il y avait depuis quelques années, il faut bien le dire, un peu d’inertie en matière de civilisation des indigènes, ou plutôt peu de confiance, une crainte excessive des difficultés, et une résignation trop facile. Les pouvoirs publics paraissent disposés à secouer cette torpeur, à ne pas se laisser arrêter par cette défiance. L’Université, qui aime les indigènes parce qu’elle voit en eux des compatriotes futurs, et qui a une foi robuste en la puissance civilisatrice de l’éducation française, ne pourra que se féliciter de ce changement. Elle ne pense pas, sans doute, que le meilleur chemin, pour arriver à la fusion des idées et des sentiments, soit de commencer par l’association dans le travail et la solidarité dans les intérêts. Elle croit qu’il n’y a ni association, ni solidarité possible, sans une certaine communauté de pensée, de vues, d’intentions et de langage. C’est ce premier rapprochement que l’école primaire se propose de préparer. Le reste deviendra ensuite possible.
- ↑ Voir la lettre de Mme Coignet, p. 337, premières lignes.
- ↑ Voir la lettre de Mme Coignet, p. 333.
- ↑ Plan d’études et programmes de l’enseignement primaire des indigènes de l’Algérie. La Revue pédagogique a rendu compte de cette publication dans son dernier numéro, p. 481.
- ↑ Plan d’études et programmes de l’enseignement des indigènes en Algérie.