Odes et PoèmesMichel Lévy frères (p. 215-217).

V

Sunium


 
Sagesse des vieux jours, vierge mélodieuse,
Muse vêtue encor de la pourpre du ciel,
Manne que distillait une bouche pieuse,
Science des enfants, faite d’ambre et de miel !

La lumière et l’amour ruisselaient, ô déesse,
Sur ta chaste poitrine en un même ruisseau,
Et l’homme entre tes bras buvait avec ivresse
Le breuvage du vrai dans la coupe du beau.


Nul livre n’abaissait ta main droite étendue ;
Le passé, dans tes chants, racontait l’avenir,
Et, de l’éternité naguère descendue,
Tu n’avais pour parler qu’à te ressouvenir.

O vérité ! ton âme habitait dans la lyre,
L’esprit avec le son y chantait à la fois ;
Mais de ses flancs brisés où l’homme voulait lire,
Il a fait envoler la pensée et la voix.

Sainte inspiration, la terre t’a bannie !
La science à pas lourds y creuse ses sillons ;
Le sage n’entend plus murmurer un génie ;
Dieu voile sa splendeur aux yeux des nations.

Mais, ô divin Platon, fils des vieux sanctuaires,
Lorsque au fond de l’éther vous sommeillez encor,
La muse vous nourrit des saints électualres,
Et toucha votre bouche avec ses lèvres d’or.

Elle vous fit ainsi poète entre les sages ;
Tous les autres parlaient et vous avez chanté !
La myrrhe au sein de i’or se garde après des âges :
Tous vos enseignements vivront dans la beauté.

Je vous vois, ô vieillard, assis sous les portiques,
Et marchant lentement sous les platanes verts,
Et sur un lit d’ivoire en ces festins antiques
Où coulaient à la fois le nectar et les vers.

Là, couronné de fleurs, ô hiérophante, ô prêtre !
Vous découvriez le seuil d’un monde radieux ;

Vos amis se pressaient, beaux comme leur beau maître,
Et leurs regards suivaient le chemin de vos yeux.

Ainsi qu’un vin bénit que l’on boit à la ronde,
Vous répandiez sur eux un discours embaumé,
En flattant sous vos doigts la chevelure blonde
D’un jeune Athénien immobile et charmé.

Après venait un chœur de femmes d’Ionie ;
La flûte cadençait leurs pas mélodieux ;
Puis, ô Grecs ! enivrés d’amour et d’harmonie,
Vous chantiez sur la lyre un hymne ponr les dieux.

Sunium ! Sunium, ô divin promontoire
Que la mer de Myrtho baigne amoureusement,
Ta cime a vu trôner le sage dans sa gloire !
Il a mêlé sa voix à ton gémissement !

Il venait là s’asseoir sur la roche dorée,
Le poète ! il parlait avec un front riant ;
Parfois, comme pour lire une page inspirée,
Il s’arrêtait, les yeux plongés dans l’Orient.

Ses disciples, drapés dans leurs manteaux de laine,
Dans les myrtes en fleurs se groupant au hasard,
Recevaient en leurs cœurs, muets et sans haleine,
Le baume qui coulait des lèvres du vieillard.

Sunium ! Sunium ! as-tu fait à sa place
Fleurir un laurier rose ou quelque arbre inconnu ?
As-tu plus de parfums pour la brise qui passe ?
Tes échos chantent-ils depuis qu’il est venu ?