Statistique comparée - Des Forces relatives des principaux États de l’Europe

Statistique comparée - Des Forces relatives des principaux États de l’Europe
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 44 (p. 216-224).
STATISTIQUE COMPARÉE

DES FORCES RELATIVES DES PRINCIPAUX ETATS DE L’EUROPE.

Un infatigable statisticien, qui nous avait donné l’année dernière une Statistique générale de la France en deux volumes pleins de faits et de chiffres, M. Maurice Block, vient de publier en allemand et en français un Tableau de la puissance comparée des divers états de l’Europe, accompagné de treize cartes coloriées. Ces sortes de livres conviennent en général beaucoup plus à nos voisins d’outre-Rhin qu’à nous. Nous aimons peu la statistique, parce qu’elle parle peu à l’imagination, et nous avons toujours préféré les romans aux faits, ce qui amuse à ce qui instruit. Il y a cependant dans ce mot de puissance comparée un certain attrait pour notre amour-propre national; tous les peuples aiment la puissance, mais les Français la recherchent plus qu’aucun autre : ils ont fait, pour être puissans, de si grands sacrifices de bonheur, de richesse et de liberté, qu’il ne doit pas leur être indifférent de savoir s’ils ont atteint leur but.

M. Block commence par traiter de l’étendue territoriale; voici la surface qu’il assigne à chacune des grandes puissances :


Russie 545 millions d’hectares.
Autriche 64 —
France 54 —
Espagne 50 —
Royaume-uni 31 —
Prusse 28 —
Allemagne 23 —
Italie (sans Rome et Venise) 23 —

La France n’occupe que le troisième rang: mais l’étendue territoriale n’est qu’un des élémens de la puissance. Il y a territoire et territoire, et les 545 millions d’hectares de la Russie, inhabitables et inhabités pour la plupart, ne valent pas les 54 millions d’hectares de la France, situés sous un climat doux et tempéré, baignés par deux mers, arrosés par cinq grands fleuves et leurs innombrables affluens, et présentant le plus heureux mélange de plaines, de coteaux et de montagnes.

Vient alors le second élément, la population :


Russie 66 millions d’habitans.
France 37 —
Autriche 35 —
Royaume-uni 29 —
Italie (sans Rome et Venise) 22 —
Prusse 18 —
Allemagne 18 —
Espagne 16 —

La Russie occupe encore le premier rang par la masse de sa population, mais la France monte au second; il est en même temps à remarquer que la population ne doit pas être la mesure exacte de la puissance, puisque l’Autriche devrait être, par le nombre de ses habitans, la troisième puissance de l’Europe, tandis que le royaume-uni de Grande-Bretagne et d’Irlande ne viendrait qu’après, ce qui n’est certainement pas.

La première chose à constater pour apprécier la force d’une population, c’est sa densité. Ici les rôles changent :


Belgique 158 habitans par 100 hectares.
Pays-Bas 107 — —
Italie 95 — —
Royaume-uni 93 — —
Allemagne 74 — —
France 68 — —
Prusse 64 — —
Autriche 54 — —
Espagne 31 — —
Turquie 17 — —
Russie 12 — —

La France est donc moins peuplée que la Belgique, les Pays-Bas, l’Italie, le royaume-uni et l’Allemagne; elle ne dépasse que la Prusse, l’Autriche, l’Espagne, la Turquie et la Russie. Ce tableau doit nous donner beaucoup à réfléchir, car il n’y a aucune raison tirée de la nature des choses qui puisse expliquer cette infériorité. A en juger par ses conditions naturelles, la France devrait être le pays le plus peuplé de l’Europe ; il n’en est pas qui offre plus de ressources. Heureusement les pays où la population est plus pressée ont moins d’étendue territoriale que le nôtre; la France est relativement plus peuplée que les états qui l’emportent sur elle en grandeur superficielle, ce qui rétablit sa position.

Voilà pour le présent; quant à l’avenir, ce qui permet de le connaître d’avance, c’est le plus ou moins de rapidité dans l’accroissement de la population; les détails que donne M. Block à ce sujet méritent une attention particulière. On ne supposerait jamais quel était le pays de l’Europe où la population s’accroissait le plus vite : c’est la Grèce ; la population y montait de plus de 2 pour 100 par an. Nous allons voir si, sous son nouveau régime, elle fera les mêmes progrès. Après elle vient la Prusse, et, qui le croirait? la Norvège.


Grèce 2,16 pour 100 d’augmentation par an.
Prusse 1,57 — —
Norvège 1,39 — —
Suède 1,17 — —
Pays-Bas 1,12 — —
Russie 1,05 — —
Italie 1 — —
Allemagne 0,99 — —
Royaume-uni 0,97 — —
Espagne 0,93 — —
Belgique 0,83 — —
France 0,56 — —
Autriche 0,41 — —

Le chiffre de 0,56 pour la France n’a même été obtenu que parce que M. Block additionne les progrès de la population depuis 1821; s’il s’était borné aux quinze dernières années, le chiffre attribué à la France serait tombé fort au-dessous de l’Autriche elle-même. Dans les vingt-cinq ans écoulés de 1821 à 1847, l’augmentation annuelle a été de 200,000 âmes; dans les quinze ans écoulés de 1868 à 1861, elle n’a plus été que de 87,000; elle a baissé de plus de moitié. La France est aujourd’hui sans comparaison le pays de l’Europe où la population marche le moins vite; on peut dire qu’elle y est devenue à peu près stationnaire.

Si les choses allaient toujours du même pas, voici quelle serait dans un siècle la population des principaux états de l’Europe :


Russie 135 millions d’habitans.
Royaume-uni 58 —
Autriche 55 —
Prusse ; 47 —
France 46 —
Italie 44 —
Allemagne 36 —
Espagne 32 —

La France, qui a aujourd’hui le second rang comme population absolue, n’occuperait plus que le cinquième; la Prusse elle-même, qui n’a aujourd’hui que la moitié de notre population, nous aurait dépassés, et on n’a compté pour le royaume-uni que l’augmentation obtenue sur le territoire européen; en y ajoutant les colonies, l’effectif de la race sera probablement doublé et porté à plus de 100 millions d’hommes. On a d’ailleurs supposé les limites des nations telles qu’elles sont aujourd’hui, tandis qu’elles subiront probablement des modifications. Le principe des nationalités peut avoir pour résultat de démembrer la Russie et l’Autriche; mais si la Prusse et l’Allemagne parviennent à faire un tout unique en vertu du même principe, cette réunion formera à nos portes une agglomération de 80 millions d’habitans, et l’Italie, accrue de Rome et de Venise, un autre groupe de 48 millions. Au point de vue de la puissance, cet avenir est fort à considérer. Déjà depuis 1789 tous les peuples qui nous entourent ont fait plus de progrès que nous; cette différence va en s’accélérant.

Il est regrettable que M. Block n’ait pas ajouté à ces tableaux déjà si intéressans l’âge moyen des diverses populations. Le nombre proportionnel des adultes n’est pas un fait moins bon à connaître que les deux autres. Soit, par exemple, un pays de 60 millions d’habitans qui n’aurait qu’un quart d’adultes, il n’en compterait que 15 millions; si au contraire un autre pays de 40 millions d’habitans avait les trois quarts d’adultes, il en aurait 30 millions; il serait en réalité deux fois plus fort. La multitude des enfans est pour les nations une cause de faiblesse plutôt que de force. Je recommande cette recherche à M. Block.

De la population, il passe à la puissance militaire, représentée par l’armée; voici quelle est, d’après lui, la force numérique des principales armées sur le pied de paix :


Russie 578,000 hommes.
France 467,000
Allemagne 304,000
Autriche 239,000
Prusse 200,000
Italie 200,000
Espagne 151,000
Royaume-uni 99,000

A la quantité il faut ajouter la qualité des armées. En tenant compte de ces deux élémens, la France est sans aucun doute la première puissance militaire du monde. Ces chiffres prennent d’ailleurs d’autres proportions quand il s’agit du pied de guerre. La Russie a la prétention d’armer près d’un million d’hommes, mais on a vu pendant la guerre de Crimée que cette force énorme n’était qu’apparente; l’Autriche compte sur 600,000 hommes, et la Prusse sur 500,000, — il y a là probablement quelque exagération, — tandis que la France a prouvé qu’elle pouvait mettre aisément sur pied 600,000 hommes effectifs et même davantage. L’Italie a un pied de guerre de 400,000 hommes. Aux 99,000 hommes que l’Angleterre entretient en Europe, il faut en ajouter 280,000 dans ses possessions hors d’Europe, mais qui ne pourraient guère être utilisés dans un conflit européen.

Passons à la marine. Le royaume-uni, qui a le dernier rang en Europe parmi les grandes puissances pour l’armée de terre, prend le premier pour l’armée de mer; voici quel est l’effectif des canons que possède sur mer en temps de paix chacune des puissances qui ont une marine de quelque importance :


Royaume-uni 5,890 canons.
France 1,920
Italie 1,192
Pays-Bas 1,191

La Russie, l’Autriche, la Prusse, l’Espagne, ne possèdent que des marines insignifiantes. Ici la différence entre le pied de guerre et le pied de paix paraît encore plus grande que pour l’armée de terre. L’effectif attribué à l’Angleterre sur le pied de guerre est de 14,500 canons, et celui de la France de 12,600; mais la part de la France doit être exagérée. Il est difficile d’admettre que nous puissions avoir une marine militaire six fois plus forte en temps de guerre qu’en temps de paix : rien ne s’improvise moins qu’un grand état maritime. Qu’est-ce d’ailleurs que le temps de guerre? Ne sommes-nous pas toujours sur le pied de guerre, au moins quant à la marine?

Vient enfin la puissance financière, représentée par le budget. M. Block assigne à chacun des grands états le chiffre suivant de recettes publiques en 1861 :


France 1,840 millions.
Royaume-uni 1,686
Russie 1,161
Autriche 748
Espagne 591
Prusse 507
Italie 473

Il y a beaucoup à dire sur la valeur de ces chiffres, et M. Block le reconnaît lui-même. Les budgets de la France et de la Grande-Bretagne par exemple ne sont pas établis sur les mêmes bases; des catégories de recettes et de dépenses qui figurent dans l’un ne figurent pas dans l’autre. En réalité, les recettes publiques du royaume-uni, en y comprenant tout, égalent au moins les nôtres, et les dépassaient de beaucoup il y a peu d’années. Cette réserve faite, on peut accepter ce tableau comme donnant une idée comparative assez exacte des recettes publiques des différens états; mais on se demande pourquoi M. Block n’a pas mis en regard les budgets des dépenses : on y aurait vu que les dépenses de la France dépassent de beaucoup les recettes, et que celles de l’Italie laissent un déficit annuel de 400 millions au moins.

Ce sont, bien entendu, les dépenses militaires qui chargent à ce point les principaux budgets; l’Angleterre, d’après M. Block, dépense plus de 700 millions par an pour son armée et sa marine; il assigne à la France une dépense annuelle de 500 millions pour le même objet, mais en réalité nous avons presque toujours dépensé le double depuis dix ans. Les autres nations viennent loin derrière nous dans cette voie ruineuse.

Cette différence entre les recettes et les dépenses conduit tout naturellement au chapitre des dettes publiques; le capital de la dette publique atteint les proportions suivantes dans les principaux états :


Royaume-uni 20 milliards 120 millions.
France 9 — 334 —
Autriche 5 — 670 —
Espagne 3 — 658 —
Russie 3 — 275 —
Italie 2 — 320 —

Ce tableau n’est déjà plus exact, au moins en ce qui concerne la France, — dont la dette s’accroît rapidement : le chiffre donné par M. Block s’applique à l’année 1860 ; mais dans les deux ans écoulés depuis cette époque le capital de la dette est arrivé à 10 milliards. M. Block a eu l’heureuse idée de compléter ce chapitre en montrant quel est le crédit des grands états, c’est-à-dire à quel taux ils trouvent à emprunter; il en résulte que l’Angleterre trouve à emprunter à 3 pour 100, tandis que la France doit payer 4 1/2 pour 100, la Russie 5 pour 100, l’Autriche 6 pour 100, l’Italie 7 pour 100, la Turquie 10 pour 100. Par suite de cette inégalité dans le taux de l’intérêt, des dettes très différentes en capital peuvent imposer aux nations qui les contractent un égal fardeau d’intérêts annuels; la Turquie par exemple aurait les mêmes intérêts à payer que l’Angleterre, avec une dette du tiers en capital, et la France, avec une dette égale à la moitié de la dette anglaise, doit payer les deux tiers en intérêts.

M. Block est d’ailleurs bien loin d’appartenir à cette funeste école qui mesure la richesse des nations à leur dette : les nations riches peuvent mieux que d’autres supporter une grosse dette ; mais il vaudrait cent fois mieux pour elles n’en point avoir. Qu’on se figure le budget français allégé des 500 millions dont le grève à perpétuité le service de la dette, quelles réductions possibles dans les impôts, et par suite quelle baisse dans les prix! Plus on augmente la dette d’un pays, plus on s’éloigne de la vie à bon marché. Depuis 1848, la dette publique a doublé en France, et les frais de production de toute chose ont haussé en proportion.

C’est donc à d’autres signes que M. Block demande la véritable mesure de la richesse des nations : il s’adresse aux seules sources de cette richesse, l’agriculture, l’industrie et le commerce; mais ici les difficultés de son sujet s’accroissent, car les évaluations eu ce genre présentent beaucoup d’incertitudes et d’obscurités. Il a dû nécessairement s’attacher à quelques faits généraux qui ne donnent qu’une idée approximative, mais qui suffisent à peu près pour le but qu’il a en vue.

Pour apprécier l’état agricole d’un pays, un fait domine tous les autres, c’est la densité de la population. Deux circonstances peuvent modifier les conséquences à en tirer, le plus ou moins de consommation moyenne d’une part, et de l’autre l’importation et l’exportation des denrées alimentaires; mais, à prendre les choses dans leur ensemble, ces deux élémens se compensent à peu près, et le nombre des habitans que nourrit un pays peut être considéré comme une mesure assez exacte de son développement agricole. À ce compte, la France, qui passe après la Belgique, les Pays-Bas, l’Angleterre, l’Italie et l’Allemagne, pour la densité de sa population, doit occuper le même rang pour l’état de son agriculture.

Les tableaux présentés par M. Block viennent à l’appui de cette opinion. Il en est un surtout qui résume en quelque sorte tous les autres. On regarde généralement la multiplication du bétail comme un des signes les plus sûrs du développement agricole; or voici quelle est la répartition du bétail parmi les principaux états de l’Europe, en comptant partout 1 bœuf, 1 cheval, 10 moutons ou 4 porcs pour une tête de gros bétail :


Royaume-uni 99 têtes par 100 hectares.
Belgique 58 —
Pays-Bas 52 —
Allemagne 44 —
Prusse 40 —
France 38 —

Encore un coup, ces chiffres ne peuvent pas être d’une exactitude mathématique : ils se compliquent d’un élément dont il est difficile de tenir compte, la qualité et la valeur des bestiaux; mais, tels qu’ils sont, ils n’ont rien que de très vraisemblable. La population animale n’est pas exactement proportionnelle à la population humaine, mais peu s’en faut. Quand on essaie de calculer, d’après la progression connue jusqu’ici, ce qu’il faudra de temps pour que la France arrive, pour la production du bétail, où en est aujourd’hui l’Angleterre, on trouve plus d’un siècle; on sait en effet que le nombre de nos bestiaux a tout au plus doublé depuis 1789. Ainsi s’explique la lenteur particulière du développement de notre population, car ce sont les animaux qui nourrissent les hommes.

Pour l’industrie, M. Block ne donne qu’un petit nombre de chiffres se rapportant à trois produits principaux, la houille, le fer et les tissus. Il établit ainsi l’extraction annuelle de la houille :


Royaume-uni 600,000 quintaux métriques.
Prusse 130,000 —
Belgique 90,000 —
France 70,000 —
Autriche 31,000 —

Quand on songe que la houille est devenue de nos jours l’aliment générateur de toutes les industries, ce que les Anglais appellent la puissance par excellence (power), on ne saurait trop déplorer le rang vraiment misérable que ce tableau assigne à la France ; passer après la Belgique, qui n’a que le dix-huitième de notre territoire, c’est humiliant. On peut dire, il est vrai, que la richesse des mines diffère dans les deux pays, mais il s’en faut de beaucoup que ce soit dans cette proportion. Voici maintenant la production du fer :


Royaume-uni 904,000 tonnes.
France 520,000
Prusse 338,000
Autriche 275,000

Quant aux tissus, la France a l’avantage pour la soie ; mais pour la laine et surtout pour le coton, son infériorité vis-à-vis de l’Angleterre est sensible, non en qualité, mais en quantité. L’Angleterre mettait en œuvre, avant la crise, de quatre à cinq fois plus de coton que nous.

Faute de moyens suffisans pour constater le commerce intérieur des différens pays, il a fallu se contenter de comparer leur commerce extérieur. Voici à quels résultats on parvient en additionnant le commerce actuel d’importation et d’exportation :


Royaume-uni 8 milliards » millions par an.
France 4 — » —
Zollverein 3 — » —
Italie 1 — 450 —
Autriche 1 — 340 —
Turquie 1 — 260 —

Le tonnage de la marine marchande présente des proportions moins favorables, en ce sens que l’effectif de notre navigation n’égale pas le quart de la navigation anglaise; mais ce qui frappe surtout, c’est la statistique des chemins de fer. Les chemins de fer étant de nos jours la plus haute expression de la puissance matérielle, il est bon de savoir où nous en sommes à cet égard en comparaison des autres peuples. Voici combien les principaux états possèdent de kilomètres de chemins de fer en exploitation par 1,000 kilomètres carrés :


Royaume-uni 49 kilomètres.
Belgique 44 —
Pays-Bas 34 —
Allemagne 23 —
Prusse 20 —
France 17 —
Italie 13 —

Ces chiffres ont d’autant plus d’éloquence qu’en fait de chemins de fer les différences se comptent par milliards. Pour que la France eût, proportionnellement à sa surface, autant de chemins de fer que la Belgique par exemple, le réseau actuel, qui est de 10,000 kilomètres, devrait être porté à 18,000. Or 18,000 kilomètres, c’est peut-être une dépense de 9 milliards. Voilà de quoi la Belgique est en avance sur nous. A raison de 600 nouveaux kilomètres par an, il nous faut trente ans pour la rejoindre. Quant à l’Angleterre proprement dite, la distance est infiniment plus grande, car M. Block a compris dans son calcul l’Ecosse et l’Irlande, qui n’ont que très peu de chemins de fer relativement à l’Angleterre.

Un tableau assez curieux, quoiqu’il n’ait qu’un rapport indirect avec le sujet principal, fait connaître la répartition des principaux cultes en Europe. Il en résulte que la moitié de la population européenne est catholique, et que le protestantisme et l’église grecque se partagent à peu près l’autre moitié.

J’arrête là mes citations, renvoyant pour le reste aux tableaux et aux cartes de M. Block. Il eût été impossible de le suivre dans les nombreux détails qu’il présente à l’appui. Disons seulement que personne n’est mieux informé que lui et ne suit de plus près la publication des documens statistiques dans toutes les langues de l’Europe.

L’ensemble de ces faits n’est pas encore de nature à nous inspirer de sérieuses alarmes. Les ressources exceptionnelles de notre territoire, l’esprit guerrier de notre race et notre organisation toute militaire, nous rendent et nous rendront encore longtemps formidables; mais il ne faut pas se dissimuler qu’en fin de compte, la force durable vient de la richesse et de la population. Si donc il était possible, sans trop réduire ce grand pied de guerre dont nous sommes si fiers, de développer un peu plus chez nous la population et la richesse, ou, ce qui revient au même, l’agriculture, l’industrie et le commerce, l’avenir deviendrait moins inquiétant. Si la France était peuplée comme la Belgique, elle aurait 85 millions d’habitans au lieu de 37, et sa puissance extérieure s’accroîtrait en proportion. Le vice capital, celui qui engendre tous les autres, c’est l’énormité du budget. Dans le court espace de dix ans, le total des dépenses publiques s’est accru de 50 pour 100 : il a passé de 1,500 millions à plus de 2 milliards 200 millions. Le budget spécial de la ville de Paris a subi dans le même laps de temps une progression encore plus forte : il a passé de 50 millions à 200 millions. C’est par ces plaies toujours ouvertes que s’échappe une grande part de notre force vitale. Tant que le budget conservera ces proportions, tout languira; les capitaux, au lieu de féconder l’agriculture et l’industrie, iront se perdre dans le gouffre des dépenses improductives, et la population, faute de ressources suffisamment croissantes, ne fera que des progrès insignifians.


L. DE LAVERGNE.