Stances à Béranger

Les Ailes d’or : poésies nouvelles, 1878-1880Bibliothèque-Charpentier (p. 226-228).

STANCES À BÉRANGER

Salut, ô Béranger ! — Par les temps respectée,
Ta gloire te survit et ne craint plus d’affront :
Car la Muse immortelle a mêlé, sur ton front,
Aux roses de Moschus les lauriers de Tyrtée.

Plus haut que la clameur des sots et des méchants,
Comme un astre affranchi de la brume amassée,
Dans le ciel rayonnant de l’humaine pensée,
Monte ton nom sacré sur l’aile de tes chants.

C’est que la Liberté vengeresse réclame
Ce nom vaillant et pur qu’on voulait lui voler,
Et, devant l’avenir fier de le consoler,
Sur son drapeau vainqueur l’écrit en traits de flamme.

C’est que, fidèle au peuple, aux maîtres indompté,
De jours libérateurs doux et vivant présage,
Des autels avilis détournant ton visage,
Tu ne servis jamais qu’un dieu : la Liberté.

Oh ! comme tu l’aimais quand, muette et voilée,
Portant un joug français taillé par l’étranger ;
Dans l’ombre où mûrissait l’heure de la venger,
Tu baisais ses pieds nus et sa robe étoilée !

Non ! tu n’as aimé qu’elle, et le peuple et ses droits !
Et, si ta lyre en deuil qu’affolait la tourmente,
Au soldat de Brumaire un jour fut trop clémente,
Tu ne pleuras en lui que le vaincu des rois.

Ah ! nous avons revu notre France meurtrie,
Par des pas ennemis ses beaux flancs déchirés ;
Mais, de ces jours amers faisant des jours sacrés,
La République vint qui sauva la Patrie !

Ah ! tu mourus trop tôt, bien que mort plein de jours,
Doux vieillard ! Car encor ta chanson d’espérance
Pour la seconde fois eût consolé la France,
Et vers nos foyers morts ramené nos amours !

Oui, tu mourus trop tôt ; car cette heure est la tienne
Qui voit la Liberté sourire à nos enfants.
De nos bonheurs conquis, de nos droits triomphants,
Il n’est, ô Béranger, rien qui ne t’appartienne.

De tout ce qui grandit la France d’aujourd’hui,
Nous offrons une part à ta chère mémoire.
D’un pas ferme et vainqueur, entre donc dans la gloire,
Ô toi pour qui le jour de la justice a lui !