Les louanges de la vie champêtre

Les louanges de la vie champêtre
Didier (p. 94-96).


LES LOUANGES DE LA VIE CHAMPÊTRE.


Désert, aimable solitude,
Séjour du calme et de la paix,
Asile où n’entrèrent jamais
Le tumulte et l’inquiétude,

Quoi ! j’aurai tant de fois chanté
Aux tendres accords de ma lyre
Tout ce qu’on souffre sous l’empire
De l’amour et de la beauté ;

Et, plein de la reconnaissance
De tous les biens que tu m’as faits,
Je laisserai dans le silence
Tes agrémens et tes bienfaits !

C’est toi qui me rends à moi-même ;
Tu calmes mon cœur agité ;
Et de ma seule oisiveté
Tu me fais un bonheur extrême.

Parmi ces bois et ces hameaux,
C’est là que je commence à vivre ;
Et j’empêcherai de m’y suivre
Le souvenir de tous mes maux.

Emplois, grandeurs tant désirées,
J’ai connu vos illusions ;
Je vis loin des préventions
Qui forgent vos chaînes dorées.

La cour ne peut plus m’éblouir :
Libre de son joug le plus rude,
J’ignore ici la servitude
De louer qui je dois haïr.

 
Fils des dieux, qui de flatteries
Repaissez votre vanité,
Apprenez que la vérité
Ne s’entend que dans nos prairies

Grotte d’où sort ce clair ruisseau,
De mousse et de fleurs tapissée,
N’entretiens jamais ma pensée
Que du murmure de ton eau.

Bannissons la flatteuse idée
Des honneurs que m’avaient promis
Mon savoir-faire et mes amis,
Tous deux maintenant en fumée.

Je trouve ici tous les plaisirs
D’une condition commune ;
Avec l’état de ma fortune
Je mets de niveau mes désirs.

Ah ! quelle riante peinture
Chaque jour se montre à mes yeux
Des trésors dont la main des dieux
Se plaît d’enrichir la nature !

Quel plaisir de voir les troupeaux,
Quand le midi brûle l’herbette,
Rangés autour de la houlette,
Chercher le frais sous ces ormeaux,

Puis sur le soir à nos musettes
Ouïr répondre les coteaux,
Et retentir tous nos hameaux
De hautbois et de chansonnettes !

Mais, hélas ! ces paisibles jours
Coulent avec trop de vitesse ;

Mon indolence et ma paresse
N’en peuvent suspendre le cours.

Déjà la vieillesse s’avance ;
Et je verrai dans peu la mort
Exécuter l’arrêt du sort,
Qui m’y livre sans espérance.

Fontenay, lieu délicieux
Où je vis d’abord la lumière,
Bientôt au bout de ma carrière,
Chez toi je joindrai mes aïeux.

Muses, qui dans ce lieu champêtre
Avec soin me fîtes nourrir,
Beaux arbres, qui m’avez vu naître,
Bientôt vous me verrez mourir !

Cependant du frais de votre ombre
Il faut sagement profiter,
Sans regret, prêt à vous quitter
Pour ce manoir terrible et sombre

Où de ces arbres dont exprès,
Pour un doux et plus long usage,
Mes mains ornèrent ce bocage,
Nul ne me suivra qu’un cyprès.


Chaulieu.


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