Spéculations/La découverte de Paris

SpéculationsFasquelle éd. (p. 269-272).

LA DÉCOUVERTE DE PARIS

Il est un site agreste que nous nous ferions scrupule de ne point révéler à l’amateur de déplacements et villégiatures : c’est Paris.

Vous avez acquis une villa dans la vraie campagne, à l’extrême limite du monde habitable, aux confins de la grande banlieue, si loin que les chevaux gris-pommelés des voitures de livraison du Bon Marché ne vont pas plus loin.

Vous êtes à 40 kilomètres de profondeur dans la villégiature.

Vous possédez une boule en verre qui vous amplifie la splendeur du paysage — peut-être êtes-vous myope ? — et devant laquelle tous les matins à l’aube de onze heures, après avoir remercié en un cantique le Très-Haut pour ses bienfaits, vous faites votre barbe.

Vous n’avez pas d’arbres en zinc, il est vrai. Ce sont pourtant les seuls qui supportent bien la grande chaleur, et qui, même quand le soleil les chauffe au rouge-blanc, demeurent verts. Mais vous avez des arbres en carton-pâte qui sont certainement un progrès de la civilisation et un chef-d’œuvre de la statuaire.

Le marchand de légumes, passe deux fois par semaine, le mardi et le jeudi.

Et vous faites venir des fleurs de Nice.

La pêche à la ligne vous a séduit. Vous avez désiré être le père, vous-même de vos asticots, et pour ce faire, vous avez laissé putréfier une tête de mouton, et elle odore comme cinq cent mille diables.

Les précieuses larves en dégouttent dans le silence de la nuit et dans la solitude, à peine troublée par quelques trompes d’autos et fanfares de pompiers, du jour dominical.

Vous n’avez pris, d’ailleurs, aucun poisson. C’est devant chez vous que les industriels font provision de vers de vase. Le jus du collecteur nourrit, surabondamment déjà, les habitants des eaux, encore qu’il s’épande, en outre, dans votre jardin et presque dans votre chambre à coucher.

Il fume vos terres — payées difficilement un franc le mètre « avec facilité de paiement » — ; il fume vraiment.

Quant à la chasse, ce n’est pas la peine d’en parler. Les rossignols se sont tus depuis mai et les poules des voisins se font rares.

Mon ami, je le vois, nonobstant — dirons-nous avec l’autorité d’un gendarme — vous n’êtes pas heureux, je veux faire votre bonheur. Et pas de rouspétance, qui que vous soyez, cycliste ou chauffeur, suivez-nous, montez sur votre mécanique, payez votre dette à la société en soulevant sous vos roues la poussière des routes nationales pour la rejeter derrière vous. Que vos circumvillégiateurs, vos voisins soient obligés d’épousseter leurs boules en verre et de laver leurs futaies métalliques à grande eau.

En route vers une villégiature meilleure !

Il est un site agreste… disions-nous en commençant.

Contemplez, du haut de cette descente, qui n’est pas dangereuse — que ce soit Villejuif, que ce soit le rond-point de la Défense — contemplez Paris.

Cette chose en fer, qu’on voit la première, c’est la tour Eiffel. Cela ressemble tout à fait à ces armatures métalliques au moyen desquelles on protège sur nos boulevards, nos platanes contre la dent des grands pachydermes et des marsupiaux.

Suivez-nous, qui que vous soyez, cycliste ou chauffeur, plongez au cœur de la ville.

L’ombre des grands arbres s’étend sur les Champs-Élysées et sur le boulevard Saint-Germain. L’onde s’échappe du tuyau des arroseurs avec un murmure de ruisseau.

Çà et là, des chemineaux se lavent les pieds. Des gosses en costume de plage font aller des petits bateaux dans le bassin des Tuileries, parmi les poissons rouges.

Des marchandes des quatre-saisons vous offrent dans des petites voitures et à bas prix, ces mêmes fruits qu’à grands frais et comme aux arbres de Noël, vous accrochiez aux arbres de votre campagne.

Les étrangers, attraction suprême, sont nombreux. L’étranger chez soi ! vous évitant tout déplacement.

Ces nababs ne se refusent rien. Imitez-les.