Spéculations/Faits-divers

SpéculationsFasquelle éd. (p. 281-284).

FAITS-DIVERS

À Loyson-Bridet, journaliste.

Ce qui frappe tout d’abord dans les « faits divers » c’est leur parfaite similitude.

Assassinats de demi-mondaines — rarement de mondaines tout entières — et chiens ou gens écrasés, on ne sort pas de là.

Il faut donc abandonner l’idée que le mot « divers » implique quelque variété dans ces incidents.



Et l’on dit très bien, au singulier, « un » fait « divers ».

Un fait n’est pas divers tout seul, si l’on veut signifier, par « divers », « varié ».

Que faut-il donc entendre par là, et qu’entendaient nos grands écrivains ?

Ne rappelons pas la phrase : « l’homme, ondoyant et divers ».

Allez donc traiter un sergent de ville d’ « ondoyant et divers » et voyez ce qu’il ripostera.

« Divers » n’est pourtant pas exactement une injure.

N’empêche que l’on ne trouve jamais autre chose, sous la rubrique « faits-divers », que les « crimes et accidents ».

En tous cas, pas grand’chose de propre.



On prononce : « pervers » et « dilapider ».

Le fait-divers, même tout seul, serait celui « qui n’est pas conforme » à l’ordre social.

On connaît aussi les frères « convers ».

Mais il y a une nuance.

Et ce sont eux, dans les couvents, qui accomplissent toutes les basses besognes.

Et voyez, d’ailleurs, ce que M. Combes en a fait.



Un voyage de Président de République, un décès de Pape, n’étant pas nécessairement délictueux, ne peuvent trouver place dans les faits-divers.

Ils sont trop considérables et trop rares.

Le fait divers est la menue monnaie de l’information.

Et il existe une différence, tout de même, entre le décès de l’empereur des camelots et l’avènement de l’empereur du Sahara.


Les faits-divers comprennent tout ce qui n’est pas important.

C’est le prospectus qu’on laisse dans la loge du concierge, pour qu’il s’en délecte.

Il préfère son feuilleton, mais le fait-divers est-il autre chose, sinon qu’un roman, du moins qu’une nouvelle due à la brillante imagination des reporters ?

Si les reporters devaient attendre que le fait-divers existât, leur journal paraîtrait le surlendemain.



À propos, parmi les faits patibulaires, délictueux et divers, il est de bon ton, parfois, d’insérer le couronnement d’une rosière.

C’est le grain de beauté, blanc, sur l’ébène de Taupin.

Et c’est le lis dans une sombre vallée.



Les faits-divers sont le théâtre à côté des grands articles.

C’est l’accessit des premières pages.

Et ils ont leurs coudées franches, à présent que les journaux ont tant de pages.



Ils restent, pourtant, le tiers-état du journalisme.

Le « quart-état », ce sont les annonces.



Les enchaînés, dans la « Caverne » de Platon, charmaient leurs loisirs à contempler le défilé des ombres sur leur muraille humide.

Chat-Noir antique !

Les reporters modernes ne voient pas plus loin, du moins, que le bout de leur nez, lequel ils portent court.

Alors ils photographient.



Mais le fait-divers…

C’est un fait.