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sont seules autorisées à y pénétrer, — les étoiles disposent de loges spacieuses, garnies à leurs frais de tapis et de gaies tentures. Elles ont leurs habilleuses et leurs caméristes, qui les accompagnent jusqu’au « foyer des rôles, » où l’on attend son entrée en scène. Dans les « bains à quatre sous, » — ainsi nomme-t-on les loges communes, — les figurantes ont une habilleuse pour dix. Aussi les rencontre-t-on dans les corridors, vêtues moitié ville et moitié théâtre, allant se faire coudre ou raccommoder quelque frusque.

Le long des murs blanchis à la chaux s’alignent : d’un côté, des chaises de paille devant des toilettes en merisier ; de l’autre, des rangées de portemanteaux où pendent, au-dessus de bottines crottées, les bardes minables de ces gens qui participent, en des pays enchantés, à d’invraisemblables fêtes. Pour prévenir tout usage abusif des chaussures de théâtre, à eux confiées, les comparses, dans quelques scènes des boulevards, doivent chaque soir avant de sortir les rendre à l’administration.

Ces agglomérations de soixante individus, ce costumage « à la gamelle, » constitue une sorte de meeting. A-t-il pour effet de rendre le petit personnel moins obéissant, moins maniable, que si les architectes avaient aménagé à son usage des locaux plus divisés ? On ne saurait l’affirmer, du moins à l’égard du sexe faible, puisque le corps de ballet montre à l’Opéra beaucoup de docilité, quoique réparti en chambrées de vingt jeunes personnes. Le seul point où les ballerines résistent est celui des bijoux : impossible d’empêcher les villageoises de la Korrigane, en robes de toile et en sabots, de s’accrocher aux oreilles pour 25 000 francs d’émeraudes et de saphirs, ou les mauresques du Cid de suspendre à leur cou des croix en diamans.

Pour tout le reste, l’habillement de ce bataillon chorégraphique est organisé suivant une discipline presque militaire, et la délivrance des « godillots » aux fantassins n’est pas réglée plus sévèrement que celle des chaussons de satin aux danseuses. Même il y a, dans les coulisses, une formalité de plus qu’à la caserne : au théâtre, pour « toucher » des chaussures neuves, il faut rendre les vieilles. Un désordre fâcheux s’était glissé. Le directeur de l’Opéra, à son entrée en fonctions, s’étonna du total de ce chapitre qui, à 5 francs la paire, représentait 6 000 souliers de danse ; il se rendit à Milan et y obtint des marchandises analogues à moitié prix. Puis, des perquisitions audacieuses, l’armoire d’une