Un pari de milliardaires, et autres nouvelles/Un pari de milliardaires (v2)/Chapitre 4

Traduction par François de Gaïl.
Société du Mercure de France (p. 14-16).
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— Ils sont tous sortis, me répondit-il, sur le ton que nous connaissons tous aux domestiques, en pareil cas ; ces messieurs sont partis.

— Partis ? Mais où ?

— En voyage.

— Pour quel endroit ?

— Pour le continent, je crois.

— Le continent ?

— Oui, Monsieur.

— Dans quelle direction, pour quel port ?

— Je n’en sais rien.

— Quand reviendront-ils ?

— Dans un mois, m’ont-ils dit.

— Un mois ! C’est affreux ! Indiquez-moi le moyen de leur faire parvenir un mot ; il le faut absolument.

— Vous m’en demandez trop, car je n’ai pas la moindre idée de l’endroit où ils se trouvent.

— Ne puis-je pas voir alors un membre de leur famille ? c’est urgent !

— Toute leur famille est, je crois, partie avant eux pour l’Égypte et les Indes.

— Mon garçon, c’est impossible ! Ils seront certainement de retour avant la nuit. Vous leur direz que je suis venu, mais que je reviendrai pour tout arranger ; surtout qu’ils ne s’inquiètent pas.

— Je le leur dirai s’ils reviennent, mais je ne les attends pas. Ils m’ont d’ailleurs prévenu que vous seriez ici dans une heure pour les demander, et m’ont chargé de vous dire que tout allait bien, qu’ils reviendraient au moment voulu et attendraient votre visite.

Après cela je n’avais plus qu’à m’en aller. Quelle énigme que tout cela ! Il y avait de quoi en perdre la tête. Ils ont dit qu’ils seraient là au moment voulu ! Que veulent-ils dire par là ? Peut-être leur lettre me l’expliquera-t-elle ; c’est vrai j’ai oublié de la lire.

Je la sortis de ma poche et lus ce qui suit :

Vous m’avez l’air d’un homme honnête et intelligent ; vous êtes certainement un étranger dénué de ressources. Vous trouverez inclus une certaine somme. Je vous la prête pour un mois, sans intérêt. Revenez ici après trente jours. J’ai engagé un pari à votre sujet. Si je le gagne, je vous procurerai la plus belle position qu’il sera en mon pouvoir de vous donner ; il suffira pour cela que vous sachiez vous acquitter de vos fonctions.

Cette lettre ne portait ni signature, ni adresse, ni date. C’était pour moi une énigme indéchiffrable ; je n’y voyais que du bleu. Je n’avais pas la moindre idée de la tournure que prendrait cette plaisanterie, et me demandais si on me voulait du bien ou du mal. Je m’écartai dans un parc voisin et m’assis sur un banc pour méditer sur ma situation.