Un pari de milliardaires, et autres nouvelles/Un pari de milliardaires (v2)/Chapitre 17

Traduction par François de Gaïl.
Société du Mercure de France (p. 46-49).

— Quoi ? Un certificat de dépôt de deux cent mille livres ; et à votre nom ?

— Oui, et à mon nom ! J’ai gagné cette fortune en me servant pendant trente jours de la petite somme que vous m’aviez prêtée. Et, chose curieuse, je ne m’en suis servi que pour acheter diverses bagatelles et pour demander de la monnaie, du reste sans succès.

— Ça, mon cher, c’est renversant. Vous êtes un homme de premier ordre. Ce que vous dites est vrai ?

— Absolument vrai, et je vais vous le prouver.

Portia, elle aussi, n’en revenait pas ; ouvrant des yeux comme des portes cochères, elle me demanda :

— Voyons, Henri, cet argent est bien à vous ? Mais vous m’avez raconté des balivernes ?

— J’en conviens, ma chérie ; mais vous allez me pardonner, je suppose ?

Elle fit la moue et me répondit :

— Ce n’est pas si sûr que cela ; vous êtes un mauvais drôle de vous moquer de moi ainsi.

— Voyons, ma chère Portia, ne vous fâchez pas ; j’ai voulu plaisanter et rien de plus. Maintenant, allons-nous-en.

— Non, non, attendez, me dit mon bienfaiteur. Vous oubliez la situation que je vous ai promise.

— Ah ! oui, c’est juste ? Je vous remercie de tout mon cœur ; mais, vraiment, je n’en ai pas besoin.

— Rappelez-vous que je vous offre tout ce qu’il est en mon pouvoir de mettre à votre disposition.

— Merci mille fois ; merci encore ; vos offres, même les plus généreuses, ne sauraient me tenter.

— Henri, vous me confondez, Vous remerciez à peine votre excellent bienfaiteur ; laissez-moi au moins le faire pour vous et lui témoigner notre gratitude.

— Je veux bien, ma chère ; je vous délègue mes pouvoirs ; voyons, comment allez-vous vous y prendre ?

Elle se leva, marcha droit vers le vieux monsieur, s’assit sur ses genoux, passa ses bras autour de son cou et l’embrassa à pleine bouche. Au même instant les deux frères éclatèrent de rire à l’unisson. Moi, je restais pétrifié, absolument médusé, comme bien vous le pensez. Portia cria de sa jolie voix claire :

— Papa, il vous dit que vous n’avez rien d’assez bien à lui offrir comme situation ! C’est un soufflet pour moi.

— Comment, ma chérie, repris-je, vous l’appelez papa ?

— Mais oui, je vous présente mon beau-père, et un beau-père que j’adore. Vous comprenez, maintenant, pourquoi je me tordais de rire, lorsque vous m’avez raconté à la réception du ministre, ne connaissant pas ma parenté, comme quoi la combinaison de mon père et de l’oncle Abel vous mettait dans un pétrin complet ?

À ces mots, je parlai sans détours, bien décidé que j’étais à frapper droit au but :

— Maintenant, mon cher Monsieur, permettez-moi de retirer ce que je viens de dire. Il y a une situation que j’accepte de vous immédiatement.