Traduction par Eloïse Perks.
Maradan (1p. 7-12).


CHAPITRE II.


M. Bennet fut des premiers à rendre visite à M. Bingley, il avait toujours eu l’intention d’en faire la connaissance, bien que, jusqu’au dernier moment, il eût dit le contraire à sa femme ; et le lendemain de cette visite, tout le monde ignorait encore qu’il l’eût faite ; mais comme il n’en pouvait garder long-temps le secret, voyant sa seconde fille occupée à garnir un chapeau : « J’espère, lui dit-il gaîment, que M. Bingley le trouvera joli, ma Lizzy ?

» — Nous ne pourrons guère connaître le goût de M. Bingley, répondit avec humeur Mme  Bennet, puisque nous ne devons pas le voir.

» — Mais avez-vous oublié, ma chère maman, lui dit Élisabeth, que nous le rencontrerons aux bals, et que Mme  Long vous a promis de nous le présenter ?

» — Je parie que Mme  Long n’en fera rien, elle a deux nièces qui l’intéressent beaucoup ; d’ailleurs c’est une femme fausse et égoïste, dont je n’ai point bonne opinion.

» — Ni moi non plus, dit M. Bennet, je suis bien aise que vous ne comptiez pas sur ses bons offices. »

Mme  Bennet ne daigna pas lui répondre ; mais, ne pouvant plus cacher son impatience, elle se mit à gronder une de ses filles :

« Ne toussez donc pas comme cela, Kitty ; pour l’amour de Dieu, ayez pitié de mes pauvres nerfs ; vous me mettez à la torture.

» — Il est vrai que Kitty tousse mal à propos, dit le père, elle n’a nulle discrétion.

» — Je ne tousse pas pour m’amuser, reprit Kitty d’un ton aigre.

» — Quand donne-t-on le premier bal, Lizzy ?

» — Dans quinze jours.

» — Ah, ah ! cela est vrai, s’écria la mère, et Mme  Long ne reviendra ici que la veille, il sera donc impossible qu’elle nous présente M. Bingley, elle ne le connaîtra pas elle-même.

» — Alors, ma chère, vous pourrez vous-même lui présenter M. Bingley.

» — C’est impossible, M. Bennet, impossible, puisque je ne le connais pas ; comment pouvez-vous être si taquin.

» — J’admire votre prudence ! Il est vrai que quinze jours de connaissance ne suffisent pas pour bien connaître un homme ; mais si nous ne le présentons pas à Mme  Long, quelque autre le fera, et après tout il faut qu’elle et ses nièces courent leur chance comme les autres ; ainsi, puisqu’elle croira qu’on lui rend un service, si vous ne voulez pas vous en charger, je le ferai moi-même. »

Ses filles le regardèrent fixement ; Mme  Bennet dit en haussant les épaules : « Quelle bêtise !

» — Que voulez-vous dire, ma chère, par cette exclamation ? regardez-vous l’usage de présenter et le cas qu’on en fait comme une bêtise ? Je ne suis pas d’accord avec vous sur ce point. Qu’en dis-tu, Mary, toi qui es une fille réfléchie, qui lis des livres savans et fais des extraits ? »

Mary désirait faire une réponse spirituelle, mais ne savait trop comment s’en acquitter.

« Pendant que Mary pense à ma question, reprit-il, revenons à M. Bingley.

» — Je suis lasse d’en entendre parler, s’écria Mme  Bennet.

» — J’en suis fâché ; mais que ne me le disiez-vous plutôt ; si j’avais su cela hier, je ne lui eus certainement pas fait visite ; c’est malheureux, mais puisque j’y suis allé, nous ne pouvons éviter de faire connaissance avec lui. »

L’étonnement que témoignèrent ces dames fit grand plaisir à M. Bennet ; sa femme assura cependant, après ses premières expressions de joie, qu’elle s’y était toujours attendue.

« — Comme vous êtes bon, mon cher M. Bennet ; j’étais bien sûre que je vous déciderais enfin, je savais que vous aimiez trop vos filles pour négliger une pareille connaissance ; eh bien, je suis vraiment satisfaite ! c’est une si bonne plaisanterie que vous y ayez été sans nous en dire un mot !

» — À présent, Kitty, tu peux tousser autant que tu voudras », dit M. Bennet, en quittant l’appartement.

« Quel excellent père vous avez, mes enfans, dit Mme  Bennet, aussitôt que la porte fut fermée, vous ne pouvez assez le remercier d’une telle marque de bonté ; à notre âge il n’est point agréable, je vous assure, d’être continuellement à faire de nouvelles connaissances ; mais nous pensons à vous et sacrifions notre tranquillité au désir de vous voir heureuses. Lydia, ma belle, je parie que M. Bingley dansera avec toi au premier bal.

» — Oh ! reprit Lydia, je ne crains pas d’être oubliée, car, bien que je sois la plus jeune, je suis la plus grande. »

Le reste de la journée se passa gaiement, on fit mille conjectures sur la personne de M. Bingley, sur le jour où il rendrait la visite de M. Bennet et l’époque où l’on pourrait l’engager à dîner.