Traduction par anonyme.
J. J. Paschoud (1p. 192-200).

CHAPITRE XVII.

Elisabeth communiqua à Jane tout ce que Mr. Wickam lui avoit raconté. Elle l’écouta avec surprise et chagrin. Elle ne pouvoit croire que Mr. Darcy fût si peu digne de l’amitié de Bingley ; et cependant, il n’étoit pas dans son caractère de soupçonner la véracité d’un homme aussi aimable que Mr. Wickam. L’idée seule qu’il pouvoit avoir été traité avec tant de dureté, excitoit en elle le plus vif intérêt. Elle ne pouvoit avoir mauvaise opinion ni de l’un, ni de l’autre, et se trouvoit donc réduite à excuser leur conduite en mettant sur le compte d’erreurs et de mésentendus, ce qu’elle ne pouvoit expliquer autrement.

— Je croirais, disoit-elle, qu’ils ont été trompés, réciproquement de quelque manière que nous ne pouvons deviner ; des gens intéressés ont peut-être cherché à les noircir l’un à l’autre. Il nous est impossible de conjecturer les circonstances qui peuvent les avoir brouillés, sans qu’il y ait eu peut-être de véritables torts d’un côté ni de l’autre.

— Peut-être ! mais alors, ma chère Jane, comment pourrez-vous justifier les gens intéressés que vous croyez compromis dans cette affaire ? Excusez-les donc, ou bien nous serons obligées d’avoir mauvaise opinion de quelqu’un.

— Riez tant que vous voudrez, ma chère Lizzy, mais vous ne me ferez point changer d’avis. Considérez sous quel jour défavorable vous placez Mr. Darcy, en admettant qu’il ait si maltraité le protégé de son père. Un jeune homme que son père avoit promis de placer ! C’est impossible ! Il n’y a pas d’homme qui se respecte lui-même qui fût capable de cela ! Ses amis les plus intimes pourroient-ils être aveuglés à ce point sur lui !

— Je crois plus aisément que Mr. Bingley est dans l’erreur, que je ne puis croire que Mr. Wikam ait inventé l’histoire qu’il m’a faite hier au soir ! Dire les noms, les faits ! Si cela n’est pas, que Mr. Darcy le démente. D’ailleurs la vérité brilloit dans ses yeux !

— C’est difficile, en effet ! on ne sait qu’en penser.

— Je vous demande pardon, on sait très-bien qu’en penser.

Mais Jane ne pouvoit se décider à condamner l’un ou l’autre. Elle s’affligea seulement de ce que Mr. Bingley auroit à souffrir, si cette histoire étoit prouvée, et si vraiment il avoit été trompé.

Elles furent rappelées du verger, où elles avoient eu cette conversation par l’arrivée de plusieurs des personnes, dont elles avoient parlé. Mr. Bingley et ses sœurs venoient les inviter pour le bal tant désiré qui étoit enfin fixé au mardi suivant. Les dames de Netherfield accablèrent d’amitiés leur chère Jane ; elles se plaignirent qu’il s’étoit écoulé un siècle depuis qu’elles ne l’avoient vue, et firent peu d’attention au reste de la famille ; évitant par-dessus tout Mistriss Bennet, parlant peu à Elisabeth, et point aux autres. La visite ne fut pas longue ; elles prirent congé avec une vivacité, qui ne permit pas à leur frère de retarder le moment du départ, et se hâtèrent de se dérober aux civilités de Mistriss Bennet.

La perspective d’un bal à Netherfield, étoit fort agréable à toutes les dames de la famille. Mistriss Bennet vouloit le considérer, comme donné en honneur de sa fille aînée, elle étoit surtout extrêmement flattée que Mr. Bingley fût venu les inviter lui-même, au lieu de leur envoyer des cartes. Jane se figuroit qu’elle passeroit une soirée charmante entre ses deux amies et leur frère. Elisabeth pensoit avec plaisir quelle danseroit beaucoup avec Mr. Wikam, qu’elle liroit sur la figure de Mr. Darcy, et s’assureroit par la conduite qu’il tiendroit au bal de la vérité de ce qui lui avoit été dit. Les plaisirs que se promettoient Catherine et Lydie, ne dépendoient pas ainsi d’une seule personne, car quoiqu’elles espérassent bien, comme Elisabeth, danser beaucoup avec Mr. Wikam, il n’étoit cependant pas le seul partner qui pût leur plaire, et enfin un bal étoit toujours un bal. Mary elle-même assuroit la famille qu’elle n’avoit aucune répugnance à y aller.

— Tant que je pourrai disposer de mes matinées, disoit-elle, cela me suffira. Ce n’est point un sacrifice au-dessus de mes forces de participer quelquefois aux plaisirs de la soirée. D’ailleurs la société a des droits sur nous, et j’avoue que je suis du nombre de ceux qui pensent que quelques momens de plaisir et de récréation, sont absolument nécessaires aux gens qui travaillent beaucoup.

— La gaîté d’Elisabeth étoit tellement excitée par ses espérances, que quoiqu’elle parlât rarement sans nécessité à Mr. Collins, elle lui demanda, s’il avoit l’intention d’accepter l’invitation de Mr. Bingley, et s’il avoit l’intention dans ce cas, de prendre part aux plaisirs de la soirée ? Elle fut très-surprise de voir qu’il n’avoit aucun scrupule, et qu’il étoit très-éloigné de craindre une réprimande de l’Archevêque ou de Lady Catherine de Bourg, s’il se hasardoit à danser.

— Je vous assure, disoit-il, que je ne crois pas qu’un bal donné par un homme de distinction à des gens respectables, puisse avoir aucun mauvais côté, et je suis si éloigné de me faire des scrupules de danser moi-même, que j’espère avoir l’honneur d’obtenir la main de toutes mes belles cousines dans le cours de la soirée ; je saisis cette occasion pour demander la vôtre Miss Elisabeth pour les deux premières danses, préférence que j’espère que ma cousine Jane attribuera à un motif raisonnable, et non à un manque de respect pour elle. Elisabeth fut prise, elle avoit fermement compté être engagée pour les mêmes danses par Wikam. Avoir Mr. Collins à la place ! toute sa gaîté disparut ; il n’y avoit pas moyen de s’en tirer, il fallut accepter d’aussi bonne grâce qu’elle le pût la proposition de Mr. Collins. La préférence qu’il lui accordoit, contre ses principes, sur sa sœur aînée, lui fit craindre qu’il ne s’en tînt pas là, et tout-à-coup elle fut frappée de l’idée que peut-être il l’avoit choisie parmi toutes ses sœurs pour devenir maîtresse de la cure de Hunsford, et pour aider à former la table de quadrille à Rosing, lorsqu’il n’y auroit pas des visiteurs plus distingués. Ce soupçon devint pour elle une certitude, lorsqu’elle vit combien ses attentions augmentoient. Il ne laissoit échapper aucune occasion de lui faire quelques complimens sur son esprit et sa vivacité. Elle étoit plus étonnée que ravie de cet effet de ses charmes, et sa mère lui fit bientôt comprendre, combien la probabilité de ce mariage lui étoit agréable. Elisabeth cependant ne voulut pas avoir l’air de deviner cette insinuation, bien persuadée qu’une sérieuse dispute avec sa mère seroit la suite de toute objection de sa part. D’ailleurs, peut-être Mr. Collins pourroit-il ne pas en venir à demander sa main, et jusqu’à ce moment il étoit inutile de disputer.

— Si l’on n’avoit pas pu parler du bal, et faire les préparatifs nécessaires, les jeunes Miss auroient été bien à plaindre, car depuis le jour de l’invitation jusqu’à celui de la fête, il y eut une telle succession de pluies, que toute promenade à Meryton devient impossible ; il fallut se passer de tante, d’officiers et de nouvelles ; il fallut même recevoir par procuration les souliers roses pour le bal. Ce mauvais temps avoit aussi un peu exercé la patience d’Elisabeth, en suspendant les progrès de sa connoissance avec Mr. Wikam. — Il ne falloit rien moins que la perspective du mardi, pour faire supporter patiemment à Catherine et à Lydie les longues journées qui précédèrent celle du bal.