Traduction par P.-J. Stahl.
Bibliothèque d’éducation et de récréation J. Hetzel et Cie (p. 260-271).


CHAPITRE XVIII

DES JOURS SOMBRES


Beth avait beaucoup de fièvre. Elle était très malade. Excepté Hannah et le docteur Banks, personne ne s’y attendait. Le médecin avait interdit à M. Laurentz de voir Beth ; aussi Hannah la soignait-elle comme elle voulait ; c’était d’ailleurs, une excellente garde-malade. Meg resta à la maison, de peur de porter la fièvre chez les Kings, et s’occupa du ménage. Elle se sentait très inquiète et se trouvait coupable quand elle écrivait à sa mère, sans lui parler de la maladie de Beth. Elle ne pouvait pas penser qu’elle agissait bien en ne lui disant pas tout ; mais elle-même lui avait appris à obéir à Hannah, et la vieille bonne ne voulait pas entendre parler « d’inquiéter Mme Marsch, si nécessaire là-bas. » M. Laurentz avait été de son avis.

Jo se dévoua jour et nuit à sa sœur ; ce n’était pas une chose pénible, car Beth était très patiente, et, tant, qu’elle put se consoler, elle supporta sa douleur sans se plaindre ; mais il arriva un moment où, pendant les accès de fièvre, elle commença à parler d’une voix creuse et brisée, à jouer sur la couverture de son lit comme sur son piano bien-aimé, et à essayer de chanter avec une gorge tellement enflée, qu’elle ne pouvait se faire entendre. Un temps vint où elle ne reconnaissait plus les figures familières qui l’entouraient, et où elle appelait sa mère d’un ton désespéré. Alors Jo s’effraya. Meg supplia Hannah de lui laisser écrire la vérité à sa mère, et Hannah elle-même dit « qu’elle y penserait, quoiqu’il n’y eut pas de danger. » Une lettre de Washington ajouta encore à leur douleur ; M. Marsch avait eu une rechute, et Mme Marsch ne pouvait penser revenir avant longtemps.

Comme les jours paraissaient sombres maintenant ! Que la maison semblait lugubre, et combien les trois sœurs étaient désolées, pendant que l’ombre de la mort planait sur la famille si joyeuse autrefois ! Ce fut alors que Meg, cousant toute seule en pleurant sur son ouvrage, vit, en comparant le passé au présent, combien elle avait été heureuse jusque-là. Ce fut alors que Jo, vivant dans la chambre obscure avec sa petite sœur souffrante devant les yeux, et sa voix touchante dans les oreilles, apprit à voir, dans son plein, la beauté morale et la douceur de l’angélique nature de Beth, à sentir quelle place profonde elle tenait dans tous les cœurs, et à reconnaître l’inestimable mérite du caractère de Beth, dont l’ambition désintéressée était de vivre pour les autres et de rendre sa famille heureuse. Amy, dans son exil, désirait ardemment revenir travailler pour Beth. Elle sentait maintenant qu’aucun service ne serait difficile ou ennuyeux, et se rappelait, avec une douleur pleine de regret, combien de ses devoirs, négligés par elle, sa sœur dévouée avait remplis à sa place.

Laurie hantait la maison comme une âme en peine, et M. Laurentz ferma à clef son piano à queue. Il ne pouvait pas supporter qu’un autre fît de la musique quand la petite voisine, qui lui rendait ses soirées si agréables, n’en pouvait faire. Chacun regrettait Beth ; la laitière, le boulanger, le boucher et l’épicier demandaient de ses nouvelles. La pauvre Mme Hummel vint en pleurant demander pardon de l’avoir rendue involontairement malade ; les voisins lui envoyèrent toute sorte de choses et de bons souhaits, et même ceux qui la connaissaient le mieux furent surpris de voir combien d’amis la timide Beth s’était faits.

Pendant ce temps-là, elle était couchée avec la vieille Joanna, sa poupée favorite, à côté d’elle, car, même lorsqu’elle avait le délire, elle n’oubliait pas sa première protégée. Elle aurait bien voulu avoir ses chats ; mais elle refusait de les prendre, de peur de les rendre malades, et, dans ses moments de tranquillité, elle était remplie d’anxiété pour Jo. Elle envoyait des messages à Amy, chargeait ses sœurs de dire à sa mère qu’elle lui écrirait bientôt, et demandait souvent du papier et un crayon pour essayer de dire un mot à son père, afin qu’il ne crût pas qu’elle le négligeait. Mais bientôt elle perdit tout à fait connaissance. Elle restait à se retourner dans son lit en murmurant des paroles incohérentes, ou tombait dans un sommeil de plomb qui ne lui apportait aucun repos. Le docteur Banks venait la voir deux fois par jour ; il n’avait jamais vu une scarlatine si intense. Hannah ne se couchait plus ; Meg avait dans son pupitre un télégramme prêt à être envoyé, et Jo ne s’éloignait pas une minute du lit de sa sœur.

Le premier décembre fut réellement pour elles un jour terrible ; un vent glacial sifflait autour de la maison ; une neige épaisse tombait en tourbillonnant, et l’année semblait s’apprêter à mourir. Lorsque le docteur vint voir Beth, il la regarda longtemps attentivement, prit sa main brûlante dans les siennes et dit à voix basse à Hannah : « Si Mme Marsch peut quitter son mari, on ferait mieux de l’envoyer chercher. »

Hannah fit un signe de tête sans parler, car ses lèvres tremblaient nerveusement ; Meg s’affaissa dans un fauteuil, comme si, à ces paroles, la force était partie de ses jambes, et Jo, pâle comme une morte, courut au parloir, saisit le télégramme et, mettant brusquement son chapeau et son manteau, courut porter la dépêche, à travers l’ouragan. Elle revint bientôt, et, pendant qu’elle ôtait silencieusement son chapeau, Laurie arriva avec une lettre disant que M. Marsch allait mieux de nouveau. Jo la lut en remerciant Dieu du fond de l’âme ; mais le poids qui pesait sur son cœur ne paraissait pas moins lourd, et sa figure était si pleine de misère que Laurie lui demanda vivement :

« Qu’y a-t-il ? Beth est-elle plus mal ?

— Je viens d’envoyer une dépêche à maman, dit Jo d’un air désolé, tout en essayant vainement d’ôter ses caoutchoucs.

— Vous avez bien fait. L’avez-vous fait de votre propre mouvement ? demanda Laurie en lui ôtant ses caoutchoucs, car ses mains tremblaient tellement qu’elle ne pouvait pas les ôter elle-même.

— Non, c’est le docteur qui nous l’a dit.

— Oh ! Jo, elle n’est pas si mal que cela ? s’écria Laurie stupéfait.

— Si ; elle ne nous reconnaît pas, elle ne parle même plus des troupeaux de colombes vertes, comme elle appelle les feuilles de vigne qu’elle croit voir sur le mur. Elle ne se ressemble plus, et nous n’avons personne pour nous aider ; papa et maman sont tous deux partis, et Dieu semble si loin, que je ne peux pas le trouver. »

Les larmes coulaient rapidement le long des joues de la pauvre Jo, et elle étendit la main dans le vide d’une manière désespérée, comme si elle était dans les ténèbres sans pouvoir en sortir. Laurie prit sa main et lui dit, aussi bien qu’il put, d’une voix dont il ne pouvait pas maîtriser l’émotion :

« Je suis ici, appuyez-vous sur moi, Jo, ma chérie ; ne suis-je pas un frère pour vous toutes ? »

Elle ne pouvait pas parler, mais elle « s’appuya » sur lui, et la pression d’une main amie la consola un peu. Laurie aurait bien voulu trouver à lui dire quelques paroles vraiment consolantes ; mais, désolé lui-même, aucun mot fortifiant ne lui venait à l’esprit, et il resta silencieux en caressant la tête baissée de son amie, comme sa mère avait coutume de le faire.

Jo comprit cette sympathie muette. Elle essuya bientôt les larmes qui l’avaient un peu soulagée, et releva la tête d’un air reconnaissant.

« Merci, Laurie, je veux être plus forte maintenant.

— Jo, votre mère sera bientôt de retour, et alors tout ira mieux.

— Chère maman, quel retour ! Pourvu que la santé du père se raffermisse et que mère ait pu le quitter sans dommage pour lui. Oh ! mon Dieu, on dirait que toutes les douleurs possibles se sont réunies pour tomber sur nous. »

Et Jo, cachant sa tête avec son bras, pleura encore avec désespoir. Jusqu’alors, elle avait été très ferme.

« Jo, dit Laurie, je ne peux pas croire que Dieu veuille nous prendre Beth maintenant.

— Beth est du ciel plus que de la terre, s’écria Jo. Sa place est avec les anges, et non avec des créatures imparfaites comme nous.

— Pauvre Jo ! Vous êtes à bout de forces. Vous devriez prendre quelque chose pour vous réconforter. Attendez un moment, je vais essayer de vous redonner du courage. »

Laurie partit vivement. Jo appuya sa tête fatiguée sur le petit capuchon brun de Beth que personne n’avait pensé à ôter de dessus la table où elle l’avait posé. Cette humble relique devait posséder quelque vertu secrète, car l’esprit de soumission de sa gentille propriétaire sembla entrer dans Jo, et, lorsque Laurie revint en lui apportant un verre de madère, elle le prit et dit bravement :

« Je bois à la santé de ma Beth ! Vous êtes un bon docteur, Laurie, et un si bon ami ! Comment pourrai-je jamais vous payer ?

— Rien ne presse, je vous enverrai ma note plus tard. Pour ce qui est d’aujourd’hui, je vais vous donner quelque chose qui réchauffera bien mieux votre cœur qu’un petit verre de vin quelconque.

— Qu’est-ce que c’est ? s’écria Jo, oubliant un moment ses malheurs dans son étonnement, car Laurie avait l’air d’avoir quelque chose de vraiment consolant à lui dire.

— Eh bien, Jo, j’ai envoyé hier une dépêche à votre mère ; Brooke a répondu qu’elle serait ici ce soir, et tout va mieux aller. N’êtes-vous pas contente ? »

Laurie parlait très vite et avec excitation ; il n’avait rien dit jusqu’alors, de peur d’effrayer Beth et ses sœurs. Jo devint pâle comme une morte, et lorsqu’il cessa de parler, elle jeta ses bras autour de son cou en s’écriant :

« Oh ! Laurie ! Ma mère, ici, ici, ce soir ! je suis si contente ! Mère sauvera Beth, elle la sauvera… »

Elle ne pleurait plus, mais riait nerveusement et tremblait, et s’attachait à son ami, comme si cette nouvelle subite lui eût fait perdre la raison. Laurie, qui ne s’attendait pas à cette explosion, se conduisit avec une grande présence d’esprit ; il lui donna de petites tapes dans les mains et lui humecta les tempes avec de l’eau fraîche pour la remettre, et, voyant qu’elle redevenait elle-même, il l’embrassa. Cette preuve d’affection remit complètement Jo.

« C’est si bien à vous, Laurie, d’avoir prévenu maman malgré Hannah ! je vous aime cent fois plus pour l’avoir osé, Laurie. Racontez-moi tout, et ne me donnez plus de vin, cela me fortifie, mais aussi cela m’agite.

— Ce verre de madère vous a fait plus de bien que de mal, Jo. Quant au retour de Mme Marsch, voici comment cela s’est passé. J’étais inquiet, ainsi que grand-père ; nous trouvions que Hannah outrepassait son droit, et que votre mère devait être informée de l’état de Beth, car elle ne nous aurait jamais pardonné si Beth… si quelque chose d’irréparable arrivait de ce côté. J’ai amené grand-père à dire qu’il était grand temps de faire quelque chose, et hier, voyant que le docteur avait l’air plus inquiet encore, j’ai, avec son aveu, envoyé une dépêche, dont déjà nous avons la réponse. Votre mère arrivera cette nuit même, vers deux heures du matin : j’irai à sa rencontre. Vous n’avez d’ici là, rien à faire que de mettre votre contentement au secret, tout en préparant Beth, et en la calmant jusqu’à ce que votre mère soit arrivée.

— Laurie, vous êtes un ange. Comment pourrons-nous jamais nous acquitter envers vous ?

— Vous vous jetterez l’une après l’autre à mon cou ; cela me plaît assez, dit Laurie d’un air taquin qu’il n’avait pas eu depuis quinze jours.

— Non, merci ; mais, par exemple, personne ne me retiendra d’embrasser votre grand-père quand il viendra ; et maintenant, Laurie, allez vous reposer, car vous serez debout la moitié de la nuit. Dieu vous bénisse ! Dieu vous bénisse ! »

Ceci dit, Jo s’enfuit dans la cuisine, et, s’asseyant par terre, dit aux chats assemblés autour d’elle, quelle était « si heureuse, oh ! si heureuse ! »

Au dernier moment, il fallut bien dire à Hannah que Mme Marsch allait arriver.

« Je n’ai jamais vu quelqu’un se mêler de tout comme ce jeune homme, mais je lui pardonne, » dit Hannah d’un air de soulagement quand elle apprit la bonne nouvelle.

Meg, instruite à son tour, approuva fort les Laurentz. Jo passa la maison en revue, et mit la chambre de la malade en ordre pour que sa mère n’eût point à se plaindre. Hannah apprêtait quelque chose de chaud pour les voyageurs. Un souffle d’air frais semblait avoir passé sur la maison, et quelque chose de meilleur que le soleil semblait resplendir dans les chambres. Chacun comprit à sa façon qu’il y avait quelque chose de bon en l’air : l’oiseau de Beth commença à gazouiller, Meg découvrit sur le rosier d’Amy une rose à moitié ouverte ; les feux semblaient éclairer plus gaiement, et, chaque fois que Meg et Jo se rencontraient, leurs pâles figures s’éclairaient par un sourire et elles s’embrassaient en se disant : « Mère va arriver, mère va arriver ! » Tout le monde se réjouissait, excepté Beth, qui était dans un état de torpeur profonde et ne sentait ni l’espérance et la joie, ni le doute et le danger. On avait envie de pleurer en la regardant ; sa figure, si fraîche, était blanche comme l’ivoire et si changée ! ses doux yeux semblaient égarés, ses mains toujours agitées étaient faibles et maigres, ses lèvres, souriantes encore, demeuraient tout à fait muettes, et ses cheveux, si jolis et si lisses, étaient éparpillés en désordre sur l’oreiller.

Elle resta ainsi tout le jour, ne s’éveillant que de temps en temps pour demander « à boire ! » d’une voix si faible qu’on ne l’entendait qu’à peine. Tant que dura le jour, Meg et Jo restèrent à côté d’elle à la soigner, à attendre, à espérer, à se fier à Dieu et à leur mère. La neige tombait au dehors, le vent soufflait avec fureur et les heures se traînaient. La nuit arriva enfin, et les deux sœurs, assises de chaque côté du lit, se regardaient chaque fois que l’horloge sonnait, en pensant que chaque heure qui s’écoulait les rapprochait du moment où elles auraient de l’aide, l’aide suprême de leur mère chérie.

Le docteur avait dit qu’il y aurait peut-être, vers minuit, un changement dans l’état de Beth, et qu’il reviendrait vers cette heure-là. Hannah, à bout de forces, s’était couchée sur le canapé au pied du lit et s’était vite endormie. M. Laurentz arpentait le parloir à grands pas, et Laurie, couché sur le tapis, devant le feu, prétendait se reposer, mais regardait, la flamme avec un regard pensif qui trahissait ses alarmes. Les jeunes filles n’oublièrent jamais cette nuit-là. Le sommeil ne les visita pas une minute pendant qu’elles veillaient avec ce sentiment terrible d’impuissance, qui nous possède à des moments comme ceux-là.

« Si Dieu épargne Beth, je ne me plaindrai plus jamais, je trouverai tout bien, dit Meg avec ferveur.

— Si Dieu épargne Beth, je la servirai toute ma vie, » répondit Jo avec une ferveur égale.

Ici, l’horloge sonna minuit, et les deux sœurs s’absorbèrent dans la contemplation de Beth. Elles s’imaginèrent, à force de la regarder, qu’un changement s’était opéré sur sa pâle figure. La maison était tranquille comme la mort, et on n’entendait, dans le profond silence, que le gémissement lugubre du vent. Hannah continuait à dormir, les deux sœurs voyaient l’ombre s’épaissir, tomber sur le petit lit de Beth. Une heure s’écoula sans autre incident que le départ silencieux de Laurie pour la gare. Une heure encore se passa. Pourquoi Laurie, pourquoi leur mère n’étaient-ils pas encore là ? Les jeunes filles étaient hantées par la crainte que quelque accident ne fût arrivé au train qui devait leur rapporter Mme Marsch, ou encore que les nouvelles de Washington n’arrivassent pires que par le passé.

Il était plus de deux heures lorsque Jo, qui était debout devant la fenêtre et pensait que la terre avait un aspect effrayant dans son blanc linceul de neige, entendit un léger bruit près du lit. Se retournant vivement, elle aperçut Meg agenouillée devant le fauteuil de sa mère, la figure cachée dans les mains. Une terrible angoisse passa dans le cœur de Jo. Elle se dit : « Beth est morte, et Meg n’ose pas me le dire. » En un instant, elle fut à son poste, les yeux sur le visage de Beth. Il lui sembla qu’une modification nouvelle avait passé sur les traits de la malade. La rougeur de la fièvre était partie, et la bien-aimée petite figure lui parut si calme et si paisible dans son profond repos, que Jo ne se sentit aucune envie de pleurer ou de se lamenter. Se baissant tendrement vers sa sœur chérie, elle embrassa son front humide en mettant tout son cœur dans son baiser et murmura doucement.

« Beth, ma Beth aimée ! ne te sens-tu pas mieux ? »

Éveillée sans doute par le léger mouvement des deux sœurs, Hannah se leva, elle s’approcha de Beth, la regarda attentivement, lui tâta le pouls et dit d’une voix brisée par l’émotion :

« Je crois… oui, je crois qu’elle est sauvée ! La fièvre est passée, elle dort naturellement, sa peau est moite et elle respire facilement. Dieu soit loué ! la pauvre dame peut arriver. »

Et elle s’assit par terre en pleurant.

Avant que Meg et Jo eussent pu croire tout à fait à cette heureuse nouvelle, le docteur vint la confirmer. Les deux jeunes filles trouvèrent sa figure céleste lorsqu’il leur dit en souriant d’un air paternel :

« Oui, mes chères enfants, je crois que la petite fille est sauvée. Tenez la maison tranquille, laissez-la dormir, et, quand elle s’éveillera, donnez-lui… »

Ce qu’elles devaient lui donner, ni l’une ni l’autre ne l’entendit. Toutes deux se glissèrent dans le corridor, et, s’asseyant sur l’escalier, se tinrent étroitement embrassées, sans parler, car leurs cœurs étaient trop pleins. Lorsqu’elles revinrent dans la chambre, après s’être soulagées par quelques larmes de bonheur, la fidèle Hannah les embrassa, les dorlota et leur montra Beth couchée, selon son ancienne habitude, avec sa tête sur sa main ; la terrible pâleur avait disparu, et elle respirait tranquillement comme si elle venait seulement de s’endormir.

« Si mère pouvait arriver maintenant ! dit Jo lorsque la nuit d’hiver commença à s’éclaircir. Quel retard ! qu’est-il arrivé ?

— La neige retarde toujours les trains, dit Hannah.

— Voyez, Jo, dit Meg en apportant une jolie rose blanche à moitié ouverte. Je pensais hier qu’elle serait à peine assez éclose pour la mettre dans la main de Beth, si elle… nous avait été enlevée ; mais elle a fleuri dans la nuit, et maintenant, je vais la mettre dans mon petit vase, afin que, lorsque la petite chérie s’éveillera, la première chose qu’elle voie soit la petite rose et la figure de maman. »

Le soleil ne s’était jamais levé si brillant, et le monde n’avait jamais paru aussi beau à Meg et à Jo que ce matin-là, quand, leur longue et triste veillée étant finie, elles regardèrent ce spectacle avec des yeux appesantis par une nuit d’insomnie.

« On dirait un monde de fées, dit Meg en souriant, pendant que, cachée derrière le rideau, elle regardait le soleil éblouissant. Ah ! si mère n’était pas en retard, comme ce serait complet !

— Écoutez ! » s’écria Jo en tressaillant.

Oui, on entendait un coup de sonnette, puis un cri de Hannah, puis la voix de Laurie, qui dit à demi-voix :

« Jo, Meg, la voici ! »