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Traduction par François Chatelain.
Beautés de la poésie anglaiseRolandivolume 1 (p. 248-251).

SHELLEY (PERCY BYSSHE).
Né en 1792—Mort en 1822.


Le Nuage.


I.


Des ruisseaux et des mers
J’apporte un bain de pleurs à la fleur embaumée ;
De mes hauts belvédère
Je porte une ombre douce à la feuille pâmée.
J’éveille le bouton
Quand dans le molleton
Sur le sein de sa mère il berce sa pensée,
En tombant goutte à goutte en humide rosée.
Je fouette la grêle et par monts et par vaux,
Et soudain je blanchis la terre,
Et puis me ravisant, j’en forme des ruisseaux
Et lui rends sa verdure……en dépit du tonnerre.

II.

Bien au-dessus de moi
Je tamise la neige, et les hauts pins gémissent ;
Et la nuit, comme un Roi
Sur cet oreiller blanc mes membres s’assoupissent.
Dans les castels de l’air
Mon pilote, l’éclair,
Se tient, muet sublime, observant le tonnerre
Qui s’agite en dessous comme un foudre de guerre ;
Lors à travers la terre, à travers l’océan
           Bien doucement mon pilote me guide,
                  Prenant quelquefois son élan,
Soit vers les rocs aigus, soit vers quelqu’Atlantide,
En quête où les Esprits assemblent leur divan,
Où plane leur fluide ;
Jusqu’à ce qu’il soit sûr, sous un torrent, un mont,
D’avoir trouvé l’Esprit qu’il aime ;
Et moi, pendant ce temps, je me chauffe au plafond
Du ciel bleu ; – cependant qu’il se dissout lui-même !


III.

Le lever du soleil
Avec ses réseaux d’or, ses yeux de météore,
M’arrache à mon sommeil,
Quand l’étoile au matin dans l’azur s’évapore.
Tel sans craindre aucun choc
L’aigle peut sur un roc
Ébranlé par la terre, asseoir son envergure,
Et de son œil de feu visager la nature.
Et lorsque fatigué de sa course du jour
Le soleil radieux dans l’océan se plonge,
Exhalant ses ardeurs de repos et d’amour,
               Et que le soir vient et s’allonge,
Moi, faisant de mon aile un suave abat-jour,
Je dors comme un oiseau bercé par un doux songe.


IV.

Cette vierge aux feux blancs
Que l’homme, en son jargon, appelle ainsi – la lune,
Se glissant sur mes flancs
En tapinois, parcourt ma transparente dune ;
Et partout où bruït
De ses pas le doux bruit,
De mon toit de vapeurs brisant la contexture
Les étoiles soudain de montrer leur figure ;
Et je ris de les voir chacune cligner l’œil
                 Comme feraient franches coquettes,
Et pour les exciter j’élargis mon linceuil,
                 Et laisse passer les pauvrettes,
Jusqu’ à ce que les lacs, et la mer, et l’écueil,
Tout soit enfin pavé de brillantes facettes.


V.

Avec chaînons d’or pur
J’attache le soleil à la zone brûlante,
Et la lune à l’azur
En roulant en anneaux la perle éblouissante ;
Les volcans sont blafards,
Les étoiles brouillards,
Lorsque les tourbillons déployant ma bannière,
Comme un soudain typhon je voile l’atmosphère.
Oh ! quand je marche ainsi, j’ai pour char triomphal
Les Puissances de l’air, Neige, Grêle, Tonnerre,
De mon fougueux coursier l’univers est vassal ;
              Mais bientôt renaît la lumière,
L’arc aux mille couleurs allumant son fanal
Vient éblouir le ciel et rajeunir la terre.


VI.

De la terre et de l’eau
Je suis fils ; – mais au ciel j’ai fixé ma demeure ;
Et semblable à l’oiseau

Dans les couches de l’air je me baigne à toute heure.
Je change à chaque instant
Et sans mourir pourtant,
Car alors que, brillant, le ciel après la pluie
S’empresse de sécher mes larmes qu’il essuie,
Et qu’il bâtit soudain le dôme bleu de l’air,
                 Soudain aussi comme un vampire
Je sors de mon tombeau. – Puis plus prompt que l’éclair,
Je jette à bas le dôme… au milieu d’un fou rire !