Le Bhâgavata Purâna/Livre IV/Chapitre 15

◄  XIV.
XVI.  ►

CHAPITRE XV.

HISTOIRE DE PRǏTHU.


1. Mâitrêya dit : Les Brâhmanes ayant ensuite agité les bras du roi Vêna, qui était mort sans postérité, en firent sortir deux enfants, un fils et une fille.

2. À la vue de ces deux enfants, les Rĭchis qui expliquent le Vêda, y reconnaissant une portion de la substance de Bhagavat, s’écrièrent, pleins d’une extrême joie :

3. Celui-ci est une portion de la substance du bienheureux Vichṇu, qui est faite pour purifier le monde ; celle-là est une création de Lakchmi, la compagne fidèle de Purucha.

4. De ces deux enfants, le mâle deviendra le premier roi ; ce sera le Mahârâdja, nommé Prĭthu, dont la gloire et la renommée seront répandues au loin.

5. Celle-ci sera sa royale épouse ; douée d’une taille parfaite et de belles dents, faite pour rehausser les ornements et la vertu elle-même, elle sera, sous le nom d’Artchis, inviolablement attachée à Prĭthu.

6. Cet enfant est sans contredit une portion de Hari, qui est né dans le désir de sauver le monde ; et cette fille est certainement Çrî son épouse dévouée, compagne inséparable du Dieu qu’elle a suivi [sur la terre].

7. Alors les Brâhmanes louèrent cet enfant ; les chef des Gandharvas chantèrent ; les Siddhas laissèrent tomber une pluie de fleurs ; les nymphes célestes exécutèrent des danses.

8. Les conques, les instruments de musique, les tambourins et les timbales retentirent dans le ciel ; les troupes des Dêvas, des Rĭchis et des Pitrĭs se rendirent au lieu [où était né ce couple].

9. Brahmâ, le précepteur de l’univers, qui y était venu aussi avec les Dieux, chefs des Suras, ayant remarqué dans la main droite du fils de Vêna le signe du Dieu qui porte la massue,

10. Et sous la plante de ses pieds le lotus, reconnut qu’il était bien une portion de Hari ; car celui sur lequel se voit l’empreinte de l’irrésistible Tchakra, celui-là est une portion du Seigneur.

11. Quand les Brâhmanes qui expliquent le Vêda se préparèrent à le sacrer, les peuples apportèrent de toutes parts ce qui devait servir à la cérémonie.

12. Les fleuves, les mers, les montagnes, les éléphants, les vaches, les oiseaux, les animaux des forêts, le ciel, la terre, tous les êtres enfin se réunirent pour lui offrir des présents.

13. Dès qu’il fut sacré Mahârâdja, le prince, couvert de riches vêtements et d’ornements précieux, et accompagné d’Artchis sa femme, qui était bien parée, resplendit comme un second Agni.

14. Le Dieu qui donne les richesses lui fit présent, ô guerrier, d’un magnifique trône d’or ; Varuna, d’un parasol éclatant de blancheur comme la lune, duquel s’échappait de l’eau ;

15. Vâyu, de deux éventails faits de la queue [du Yak] ; Dharma, d’une guirlande de gloire ; Indra, d’un diadème élevé, et Yama, du sceptre fait pour punir ;

16. Brahmâ, d’une cuirasse formée par les Vêdas ; Bhâratî, d’un très-beau collier ; Hari, du Tchakra Sudarçana, et Lakchmî, la femme de Hari, d’un bonheur non interrompu ;

17. Rudra, d’un glaive dont le fourreau était orné de dix lunes, et Ambikâ, d’une arme pareille sur la gaîne de laquelle cet astre était répété cent fois ; Sôma, de chevaux formés d’ambroisie ; Tvachṭrĭ, d’un char, trésor de beauté ;

18. Agni, d’un arc fait de corne de bélier et de taureau ; le Soleil, de flèches faites de ses rayons ; la Terre, de sandales formées par le Yoga ; le Ciel, d’une guirlande de fleurs qui se renouvelait chaque jour

19. Les êtres qui habitent l’atmosphère, lui donnèrent l’habileté dans les arts de la danse, du chant et des instruments, ainsi que la faculté de se rendre invisible ; les Rĭchis, des bénédictions sincères ; et l’Océan, une conque née dans son sein.

20. Les mers, les montagnes et les fleuves donnèrent à ce prince magnanime des routes pour son char ; ensuite le Barde, le Panégyriste et le Héraut s’apprêtèrent à le louer.

21. Mais l’héroïque fils de Vêna, Prĭthu, devinant leur dessein, leur dit en souriant, avec une voix retentissante comme le bruit des nuages.

22. Prĭthu dit : Barde, Panégyriste, et toi, mon Héraut, si vous me louez aujourd’hui que mes vertus sont encore ignorées du monde, sur quoi porteront vos éloges ? Ah ! Craignez qu’en me célébrant vos chants ne deviennent menteurs.

23. Réservez donc pour l’avenir, ô vous dont les chants sont si beaux, la louange destinée à la gloire qui m’est promise. Les membres d’une assemblée où doivent se chanter les vertus du Dieu dont la renommée est excellente, ne font pas louer un homme d’un mérite vulgaire.

24. Quel est l’homme qui, même capable de réaliser en lui les vertus des grandes âmes, se fait louer par des panégyristes pour les mérites qu’il n’a pas encore ? « Mais, [dit le Barde,] ces mérites pourront lui venir. » Et trompé par l’événement, l’insensé ne s’aperçoit pas qu’il est la risée du monde.

25. Les princes les plus fameux et les plus magnanimes connaissent la modestie, et ils savent repousser aussi bien leur propre éloge qu’un acte de courage que condamnerait la loi.

26. Mais nous, Barde, qui ne sommes pas encore connus dans le monde par des actions d’éclat, comment irions-nous, ainsi qu’un enfant, nous faire louer nous-mêmes ?


FIN DU QUINZIÈME CHAPITRE, AYANT POUR TITRE :
HISTOIRE DE PRĬTHU,
DANS LE QUATRIÈME LIVRE DU GRAND PURÂṆA,
LE BIENHEUREUX BHÂGAVATA,
RECUEIL INSPIRÉ PAR BRAHMÂ ET COMPOSÉ PAR VYÂSA.