L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche/Première partie/Chapitre VIII

Traduction par Louis Viardot.
J.-J. Dubochet (tome 1p. 124-133).


CHAPITRE VIII.

Du beau succès qu’eut le valeureux Don Quichotte dans l’épouvantable et inimaginable aventure des moulins à vent, avec d’autres événements dignes d’heureuse souvenance.



En ce moment, ils découvrirent trente ou quarante moulins à vent qu’il y a dans cette plaine, et, dès que Don Quichotte les vit, il dit à son écuyer : « La fortune conduit nos affaires mieux que ne pourrait y réussir notre désir même. Regarde, ami Sancho, voilà devant nous au moins trente démesurés géants, auxquels je pense livrer bataille et ôter la vie à tous tant qu’ils sont. Avec leurs dépouilles, nous commencerons à nous enrichir ; car c’est prise de bonne guerre, et c’est grandement servir Dieu que de faire disparaître si mauvaise engeance de la face de la terre. — Quels géants ? demanda Sancho Panza. — Ceux que tu vois là-bas, lui répondit son maître, avec leurs grands bras, car il y en a qui les ont de presque deux lieues de long. — Prenez donc garde, répliqua Sancho ; ce que nous voyons là-bas ne sont pas des géants, mais des moulins à vent, et ce qui paraît leurs bras ce sont leurs ailes, qui, tournées par le vent, font tourner à leur tour la meule du moulin. — On voit bien, répondit Don Quichotte, que tu n’es pas expert en fait d’aventures : ce sont des géants, te dis-je ; si tu as peur, ôte-toi de là, et va te mettre en oraison pendant que je leur livrerai une inégale et terrible bataille. » En parlant ainsi, il donna de l’éperon à son cheval Rossinante, sans prendre garde aux avis de son écuyer Sancho, qui lui criait qu’à coup sûr c’était des moulins à vent et non des géants qu’il allait attaquer. Pour lui, il s’était si bien mis dans la tête que c’étaient des géants que non-seulement il n’entendait point les cris de son écuyer Sancho, mais qu’il ne parvenait pas, même en approchant tout près, à reconnaître la vérité. Au contraire, et tout en courant, il disait à grands cris : « Ne fuyez pas, lâches et viles créatures, c’est un seul chevalier qui vous attaque. » Un peu de vent s’étant alors levé, les grandes ailes commencèrent à se mouvoir ; ce que voyant Don Quichotte, il s’écria : « Quand même vous remueriez plus de bras que le géant Briarée, vous allez me le payer. » En disant ces mots, il se recommande du profond de son cœur à sa dame Dulcinée, la priant de le secourir en un tel péril ; puis, bien couvert de son écu, et la lance en arrêt, il se précipite, au plus grand galop de Rossinante, contre le premier moulin qui se trouvait devant lui ; mais, au moment où il perçait l’aile d’un grand coup de lance, le vent la chasse avec tant de furie qu’elle met la lance en pièces, et qu’elle emporte après elle le cheval et le chevalier, qui s’en alla rouler sur la poussière en fort mauvais état.

Sancho Panza accourut à son secours de tout le trot de son âne, et trouva, en arrivant près de lui, qu’il ne pouvait plus remuer, tant le coup et la chute avaient été rudes. « Miséricorde ! s’écria Sancho, n’avais-je pas bien dit à votre grâce qu’elle prît garde à ce qu’elle faisait, que ce n’était pas autre chose que des moulins à vent, et qu’il fallait, pour s’y tromper, en avoir d’autres dans la tête ? — Paix, paix ! ami Sancho, répondit Don Quichotte ; les choses de la guerre sont plus que toute autre sujettes à des chances continuelles ; d’autant plus que je pense, et ce doit être la vérité, que ce sage Freston qui m’a volé les livres et le cabinet, a changé ces géants en moulins, pour m’enlever la gloire de les vaincre ; tant est grande l’inimitié qu’il me porte. Mais en fin de compte son art maudit ne prévaudra pas contre la bonté de mon épée. — Dieu le veuille, comme il le peut, répondit Sancho Panza ; » et il aida son maître à remonter sur Rossinante qui avait les épaules à demi déboîtées.

En conversant sur l’aventure, ils suivirent le chemin du Port-Lapice, parce que, disait Don Quichotte, comme c’est un lieu de grand passage, on ne pouvait manquer d’y rencontrer toutes sortes d’aventures. Seulement, il s’en allait tout chagrin de ce que sa lance lui manquât, et faisant part de ce regret à son écuyer, il lui dit : « Je me souviens d’avoir lu qu’un chevalier espagnol, nommé Diego Perez de Vargas, ayant eu son épée brisée dans une bataille, arracha d’un chêne une forte branche, ou peut-être le tronc, et, avec cette arme, fit de tels exploits, et assomma tant de Mores, qu’on lui donna le surnom d’assommoir, que lui et ses descendants ajoutèrent depuis à leur nom de Vargas[1]. Je t’ai dit cela, parce que je pense arracher du premier chêne, gris ou vert, que je rencontre, une branche aussi forte que celle-là, avec laquelle j’imagine faire de telles prouesses, que tu te tiennes pour heureux d’en avoir mérité le spectacle, et d’être témoin de merveilles qu’on aura peine à croire. — À la volonté de Dieu, répondit Sancho ; je le crois tout comme vous le dites. Mais votre grâce ferait bien de se redresser un peu, car il me semble qu’elle se tient quelque peu de travers, et ce doit être l’effet des secousses de sa chute. — Aussi vrai que tu le dis, reprit Don Quichotte ; et si je ne me plains pas de la douleur que j’endure, c’est parce qu’il est interdit aux chevaliers errants de se plaindre d’aucune blessure, quand même les entrailles leur sortiraient de la plaie[2]. — S’il en est ainsi, je n’ai rien à répondre, répliqua Sancho ; mais Dieu sait si je ne serais pas ravi de vous entendre plaindre, dès que quelque chose vous ferait mal. Pour moi, je puis dire que je me plaindrais au plus petit bobo, à moins toutefois que cette défense de se plaindre ne s’étende aux écuyers des chevaliers errants. » Don Quichotte ne put s’empêcher de rire de la simplicité de son écuyer, et lui déclara qu’il pouvait fort bien se plaindre, quand et comme il lui plairait, avec ou sans envie, n’ayant jusque-là rien lu de contraire dans les lois de la chevalerie.

Sancho lui fit remarquer alors qu’il était l’heure de dîner. Don Quichotte répondit qu’il ne se sentait point d’appétit pour le moment, mais que lui pouvait manger tout à sa fantaisie. Avec cette permission, Sancho s’arrangea du mieux qu’il put sur son âne, et, tirant du bissac des provisions qu’il y avait mises, il s’en allait mangeant et cheminant au petit pas derrière son maître. De temps en temps, il portait l’outre à sa bouche de si bonne grâce, qu’il aurait fait envie au plus galant cabaretier de Malaga. Et tandis qu’il marchait ainsi, avalant un coup sur l’autre, il ne se rappelait aucune des promesses que son maître lui avait faites, et regardait, non comme un rude métier, mais comme un vrai délassement, de s’en aller chercher les aventures, toutes périlleuses qu’elles pussent être.

Finalement, ils passèrent cette nuit sous un massif d’arbres, de l’un desquels Don Quichotte rompit une branche sèche qui pouvait au besoin lui servir de lance, et y ajusta le fer de celle qui s’était brisée. Don Quichotte ne dormit pas de toute la nuit, pensant à sa dame Dulcinée, pour se conformer à ce qu’il avait lu dans ses livres, que les chevaliers errants passaient bien des nuits sans dormir au milieu des forêts et des déserts, s’entretenant du souvenir de leurs dames. Sancho Panza ne la passa point de même ; car, comme il avait l’estomac plein, et non d’eau de chicorée, il n’en fit d’un bout à l’autre qu’un somme ; au matin, il fallut la voix de son maître pour l’éveiller, ce que ne pouvaient faire ni les rayons du soleil qui lui donnaient en plein sur le visage, ni le chant de mille oiseaux qui saluaient joyeusement la venue du nouveau jour. En se frottant les yeux, Sancho fit une caresse à son outre, et, la trouvant un peu plus maigre que la nuit d’avant, son cœur s’affligea, car il lui sembla qu’ils ne prenaient pas le chemin de remédier sitôt à sa disette. Don Quichotte ne se soucia point non plus de déjeuner, préférant, comme on l’a dit, se repaître de succulents souvenirs.

Ils reprirent le chemin du Port-Lapice, et, vers les trois heures de l’après-midi, ils en découvrirent l’entrée : « C’est ici, dit à cette vue Don Quichotte, que nous pouvons, ami Sancho, mettre les mains jusqu’aux coudes dans ce qu’on appelle aventures. Mais prends bien garde que, me visses-tu dans le plus grand péril du monde, tu ne dois pas mettre l’épée à la main pour me défendre, à moins que tu ne t’aperçoives que ceux qui m’attaquent sont de la canaille et des gens de rien, auquel cas tu peux me secourir ; mais si c’étaient des chevaliers, il ne t’est nullement permis ni concédé par les lois de la chevalerie de me porter secours, jusqu’à ce que tu sois toi-même armé chevalier. — Par ma foi, seigneur, répondit Sancho, votre grâce en cela sera bien obéie ; d’autant plus que de ma nature je suis pacifique, et fort ennemi de me fourrer dans le tapage et les querelles. Mais, à vrai dire, quand il s’agira de défendre ma personne, je ne tiendrai pas grand compte de ces lois ; car celles de Dieu et des hommes permettent à chacun de se défendre contre quiconque voudrait l’offenser. — Je ne dis pas le contraire, répondit Don Quichotte ; seulement pour ce qui est de me secourir contre les chevaliers, tiens en bride tes mouvements naturels. — Je répète que je n’y manquerai pas, répondit Sancho, et que je garderai ce commandement aussi bien que celui de chômer le dimanche ».

En devisant ainsi, ils découvrirent sur le chemin deux moines de l’ordre de Saint-Benoît, à cheval sur deux dromadaires, car les mules qu’ils montaient en avaient la taille, et portant leurs lunettes de voyage et leurs parasols. Derrière eux venait un carrosse, entouré de quatre ou cinq hommes à cheval, et suivi de deux garçons de mules à pied. Dans ce carrosse était, comme on le sut depuis, une dame de Biscaye qui allait à Séville, où se trouvait son mari prêt à passer aux Indes avec un emploi considérable. Les moines ne venaient pas avec elle, mais suivaient le même chemin. À peine Don Quichotte les eut-il aperçus, qu’il dit à son écuyer : « Ou je suis bien trompé, ou nous tenons la plus fameuse aventure qui se soit jamais vue. Car ces masses noires qui se montrent là-bas doivent être, et sont sans nul doute, des enchanteurs qui emmènent dans ce carrosse quelque princesse qu’ils ont enlevée ; il faut que je défasse ce tort, à tout risque et de toute ma puissance. — Ceci, répondit Sancho, m’a l’air d’être pire que les moulins à vent. Prenez garde, seigneur : ce sont là des moines de Saint-Benoît, et le carrosse doit être à des gens qui voyagent. Prenez garde, je le répète, à ce que vous allez faire, et que le diable ne vous tente pas. — Je t’ai déjà dit, Sancho, répliqua Don Quichotte, que tu ne sais pas grand’chose en matière d’aventures. Ce que je te dis est la vérité, et tu le verras dans un instant.

Tout en disant cela, il partit en avant, et fut se placer au milieu du chemin par où venaient les moines ; et dès que ceux-ci furent arrivés assez près pour qu’il crût pouvoir se faire entendre d’eux, il leur cria de toute sa voix : « Gens de l’autre monde, gens diaboliques, mettez sur-le-champ en liberté les hautes princesses que vous enlevez et gardez violemment dans ce carrosse ; sinon, préparez-vous à recevoir prompte mort pour juste châtiment de vos mauvaises œuvres. » Les moines retinrent la bride et s’arrêtèrent, aussi émerveillés de la figure de Don Quichotte que de ses propos, auxquels ils répondirent : « Seigneur chevalier, nous ne sommes ni diaboliques, ni de l’autre monde, mais bien deux religieux de Saint-Benoît, qui suivons notre chemin, et nous ne savons si ce carrosse renferme ou non des princesses enlevées. — Je ne me paie point de belles paroles, reprit Don Quichotte, et je vous connais déjà, déloyale canaille. » Puis, sans attendre d’autre réponse, il pique Rossinante, et se précipite, la lance basse, contre le premier moine, avec tant de furie et d’intrépidité que, si le bon père ne se fût laissé tomber de sa mule, il l’aurait envoyé malgré lui par terre, ou grièvement blessé, ou mort peut-être. Le second religieux, voyant traiter ainsi son compagnon, prit ses jambes au cou de sa bonne mule, et enfila la venelle, aussi léger que le vent. Sancho Panza, qui vit l’autre moine par terre, sauta légèrement de sa monture, et, se jetant sur lui, se mit à lui ôter son froc et sa capuche. Alors, deux valets qu’avaient les moines accoururent, et lui demandèrent pourquoi il déshabillait leur maître. Sancho leur répondit que ses habits lui appartenaient légitimement, comme dépouilles de la bataille qu’avait remportée son seigneur Don Quichotte. Les valets, qui n’entendaient pas raillerie, et ne comprenaient rien à ces histoires de dépouilles et de bataille, voyant que Don Quichotte s’était éloigné pour aller parler aux gens du carrosse, tombèrent sur Sancho, le jetèrent à la renverse, et, sans lui laisser poil de barbe au menton, le rouèrent si bien de coups, qu’ils le laissèrent étendu par terre, sans haleine et sans connaissance. Le religieux ne perdit pas un moment pour remonter sur sa mule, tremblant, épouvanté, et le visage tout blême de frayeur. Dès qu’il se vit à cheval, il piqua du côté de son compagnon, qui l’attendait assez loin de là, regardant comment finirait cette alarme ; et tous deux, sans vouloir attendre la fin de toute cette aventure, continuèrent en hâte leur chemin, faisant plus de signes de croix que s’ils eussent eu le diable lui-même à leurs trousses.

Pour Don Quichotte, il avait été, comme on l’a vu, parler à la dame du carrosse ; et il lui disait : « Votre beauté, madame, peut désormais faire de sa personne tout ce qui sera le plus de son goût ; car la superbe de vos ravisseurs gît maintenant à terre, abattue par ce bras redoutable. Afin que vous ne soyez pas en peine du nom de votre libérateur, sachez que je m’appelle Don Quichotte de la Manche, chevalier errant, et captif de la belle sans pareille Doña Dulcinée du Toboso. Et, pour prix du bienfait que vous avez reçu de moi, je ne vous demande qu’une chose, c’est de retourner au Toboso, de vous présenter de ma part devant cette dame, et de lui raconter ce que j’ai fait pour votre liberté. » Tout ce que disait Don Quichotte était entendu par un des écuyers qui accompagnaient la voiture, lequel était Biscayen ; et celui-ci, voyant qu’il ne voulait pas laisser partir la voiture, mais prétendait, au contraire, la faire retourner au Toboso, s’approcha de Don Quichotte, empoigna sa lance, et dans une langue qui n’était pas plus du castillan que du biscayen, lui parla de la sorte : « Va, chevalier, que mal ailles-tu ; par le Dieu qui me créa, si le carrosse ne laisses, aussi bien mort tu es que Biscayen suis-je. » Don Quichotte le comprit très-bien, et lui répondit avec un merveilleux sang-froid : « Si tu étais chevalier, aussi bien que tu ne l’es pas, chétive créature, j’aurais déjà châtié ton audace et ton insolence. » À quoi le Biscayen répliqua : « Pas chevalier, moi ! je jure à Dieu, tant tu as menti comme chrétien. Si lance jettes et épée tires, à l’eau tu verras comme ton chat vite s’en va. Biscayen par terre, hidalgo par mer, hidalgo par le diable, et menti tu as si autre chose tu dis. — C’est ce que nous allons voir, » répondit Don Quichotte ; et, jetant sa lance à terre, il tire son épée, embrasse son écu, et s’élance avec fureur sur le Biscayen, résolu à lui ôter la vie.

Le Biscayen, qui le vit ainsi venir, aurait bien désiré sauter en bas de sa mule, mauvaise bête de louage sur laquelle on ne pouvait compter ; mais il n’eut que le temps de tirer son épée, et bien lui prit de se trouver près du carrosse, d’où il saisit un coussin pour s’en faire un bouclier. Aussitôt ils se jetèrent l’un sur l’autre, comme s’ils eussent été des ennemis mortels. Les assistants auraient voulu mettre le holà ; mais ils ne purent en venir à bout, parce que le Biscayen jurait en son mauvais jargon que si on ne lui laissait achever la bataille il tuerait lui-même sa maîtresse et tous ceux qui s’y opposeraient. La dame du carrosse, surprise et effrayée de ce qu’elle voyait, fit signe au cocher de se détourner un peu, et, de quelque distance, se mit à regarder la formidable rencontre.

En s’abordant, le Biscayen déchargea un si vigoureux coup de taille, sur l’épaule de Don Quichotte, que si l’épée n’eût rencontré la rondache, elle ouvrait en deux notre chevalier jusqu’à la ceinture. Don Quichotte, qui ressentit la pesanteur de ce coup prodigieux, jeta un grand cri, en disant : « Ô dame de mon âme, Dulcinée, fleur de beauté, secourez votre chevalier qui, pour satisfaire la bonté de votre cœur, se trouve en cette dure extrémité. » Dire ces mots, serrer son épée, se couvrir de son écu et assaillir le Biscayen, tout cela fut l’affaire d’un moment ; il s’élança, déterminé à tout aventurer à la chance d’un seul coup. Le Biscayen, le voyant ainsi venir à sa rencontre, jugea de son emportement par sa contenance, et résolut de jouer le même jeu que Don Quichotte. Il l’attendit de pied ferme, bien couvert de son coussin, mais sans pouvoir tourner ni bouger sa mule, qui, harassée de fatigue et peu faite à de tels jeux, ne voulait avancer ni reculer d’un pas. Ainsi donc, comme on l’a dit, Don Quichotte s’élançait, l’épée haute, contre le prudent Biscayen, dans le dessein de le fendre par moitié, et le Biscayen l’attendait de même, l’épée en l’air, et abrité sous son coussin. Tous les assistants épouvantés attendaient avec anxiété l’issue des effroyables coups dont ils se menaçaient. La dame du carrosse offrait, avec ses femmes, mille vœux à tous les saints du paradis et mille cierges à toutes les chapelles d’Espagne, pour que Dieu délivrât leur écuyer et elles-mêmes du péril extrême qu’ils couraient. Mais le mal de tout cela, c’est qu’en cet endroit même l’auteur de cette histoire laisse la bataille indécise et pendante, donnant pour excuse qu’il n’a rien trouvé d’écrit sur les exploits de Don Quichotte, de plus qu’il n’en a déjà raconté. Il est vrai que le second auteur de cet ouvrage ne voulut pas croire qu’une si curieuse histoire fût ensevelie dans l’oubli, et que les beaux-esprits de la Manche se fussent montrés si peu jaloux de sa gloire, qu’ils n’eussent conservé dans leurs archives ou leurs bibliothèques quelques manuscrits qui traitassent de ce fameux chevalier. Ainsi donc, dans cette supposition, il ne désespéra point de rencontrer la fin de cette intéressante histoire, qu’en effet, par la faveur du ciel, il trouva de la manière qui sera rapportée dans la seconde partie.


  1. Cette aventure de Diego Perez de Vargas, surnommé Machuca, arriva à la prise de Xérès, sous saint Ferdinand. Elle est devenue le sujet de plusieurs romances.
  2. Règle neuvième : « Qu’aucun chevalier ne se plaigne d’aucune blessure qu’il ait reçue. » (Marquez, Tesoro militar de cavalleria.)